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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/2355/2023

DCSO/489/2023 du 09.11.2023 ( PLAINT ) , REJETE

Normes : LP.197; LP.242.al2; LP.261; LP.92.al1.ch9a
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2355/2023-CS DCSO/489/23

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 9 NOVEMBRE 2023

 

Plainte 17 LP (A/2355/2023-CS) formée en date du 13 juillet 2023 par CAISSE DE COMPENSATION A______.

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par pli recommandé du greffier du 9 novembre 2023
à :

-       CAISSE DE COMPENSATION A______

Service juridique

______

______.

- Succession de feu M. B______

c/o Office cantonal des faillites
Faillite n° 2023 000______, groupe 4.

 


EN FAIT

A. a. B______, de son vivant bénéficiaire d'une rente simple de vieillesse AVS versée par la CAISSE DE COMPENSATION A______ (ci-après : la CAISSE DE COMPENSATION A______ ou la caisse), est décédé le ______ 2022.

b. Le 3 novembre 2022, la CAISSE DE COMPENSATION A______, qui n'avait pas encore eu connaissance de ce décès, a versé sur le compte bancaire dont B______ était titulaire de son vivant un montant de 2'390 fr. correspondant à la rente simple de vieillesse qui, s'il avait survécu, aurait dû lui revenir pour le mois de novembre 2022.

c. Par jugement du 27 mars 2023, le Tribunal de première instance a ordonné la liquidation selon les règles de la faillite de la succession de feu B______.

Dite liquidation est conduite en la forme sommaire par l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office).

d. Le 28 juin 2023, la CAISSE DE COMPENSATION A______ a rendu et adressé à l'Office une "décision de restitution" l'invitant à lui rembourser le montant de 2'390 fr. versé à tort au titre de rente simple de vieillesse pour le mois de novembre 2022.

e. Par réponse du 30 juin 2023, l'Office a refusé de rembourser le montant réclamé à la CAISSE DE COMPENSATION A______, indiquant que la prétention en remboursement de celle-ci serait portée à l'état de collocation. Il a par ailleurs imparti à la caisse, pour le cas où celle-ci contesterait cette manière de procéder, un délai de vingt jours pour déposer une action en paiement devant le Tribunal, faute de quoi la liquidation suivrait son cours.

B. a. Par acte expédié le 13 juillet 2023 à la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites (ci-après la Chambre de surveillance), la CAISSE DE COMPENSATION A______ a formé une plainte contre cette décision, concluant à son annulation et à ce que la somme de 2'390 fr. lui soit immédiatement et intégralement restituée.

b. Dans ses observations du 18 août 2023, l'Office a conclu à l'irrecevabilité de la plainte subsidiairement à son rejet. Il a notamment relevé qu'au vu des actifs inventoriés, pour un montant total de 1'063'366 fr. 45, et des dettes admises à l'état de collocation, pour un montant total de 18'762 fr. 55, il était certain que le montant réclamé par la plaignante lui serait versé, la seule question étant de savoir s'il le serait au titre de dette de masse ou de dividende.

c. Les parties ont été avisées le 23 août 2023 par le greffe de la Chambre de surveillance que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité en principe compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être a priori attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie potentiellement lésée dans ses intérêts (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3;
120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable sur le plan formel. Il convient en particulier de retenir qu'aussi longtemps que le montant du dividende lui revenant n'est pas certain, la plaignante conserve un intérêt juridiquement protégé à ce que sa créance soit considérée comme une dette de masse.

Il sera revenu ci-dessous sur la compétence matérielle pour traiter la question de fond soulevée par la plaignante.

2. 2.1.1 La plaignante prétend au remboursement intégral et immédiat de la somme de 2'390 fr. au motif qu'il s'agit d'une dette de la masse et non pas dans la masse en faillite. Sa prétention ne doit par conséquent pas être colloquée et mise au même rang que les créanciers ordinaires dans la faillite. Les rentes AVS versées indument n'appartiennent en effet pas au défunt et doivent être restituées à la caisse en application des art. 25 LPGA et 2 OPGA. Les rentes sont de surcroît insaisissables. Pour ces motifs, elles ne peuvent tomber dans la masse active de la faillite à son ouverture et ne peuvent servir à désintéresser d'autres créanciers. La plaignante considère par conséquent que l'Office aurait dû rendre une décision de restitution au sens de l'art. 242 LP en impartissant un délai de 20 jours pour la contester. La plaignante fait également une analogie avec le cas où un héritier accepte la succession et doit par conséquent rembourser l'entier de la dette en répétition de l'indu et ne voit pas de raison de parvenir à une solution différente lorsque la succession est répudiée ou liquidée officiellement.

2.1.2 L'Office conclut d'une part à l'irrecevabilité de la plainte dans la mesure où elle conclut à ce que l'Office soit contraint à restituer la somme de 2'390 fr. et n'inscrive pas une créance de ce montant à l'état de collocation. Une telle question relève du juge du fond et non pas de la compétence de l'Office, ni de la Chambre de surveillance.

L'Office objecte d'autre part que la plaignante fait fausse route en exigeant de l'Office qu'il applique l'art. 242 al. 2 LP à sa revendication sur la somme de 2'390 fr. S'agissant d'une créance, la procédure de revendication prévue par l'art. 242 al. 2 LP n'est pas ouverte. Les conditions d'une procédure de revendication n'étant pas réunies, la plainte est par conséquent infondée.

2.2.1 L'art. 197 LP postule que la masse comprend tous les biens saisissables du failli, qu'il définit plus précisément au moyen de trois critères: celui du temps (les biens existant à l'ouverture de la faillite), de la nature de la dévolution (les biens qui échoient au failli jusqu'à la clôture de la faillite) et du lieu (quel que soit le lieu où ils se trouvent). Il incombe à l'administration de la faillite de constituer la masse active et de porter tous les biens qui la composent à l'inventaire (art. 221 ss LP et 25 ss OAOF). Les droits du failli dont l'existence ou l'appartenance à la masse est litigieuse doivent également être inventoriés, en mentionnant les objets indiqués comme étant la propriété de tiers ou réclamés par des tiers (art. 225 LP). Les contestations au sujet de l'appartenance d'un bien à la masse ou de sa saisissabilité sont tranchées par les offices ou les autorités de surveillance par la voie de la plainte de l'art. 17 LP. En revanche, les conflits entre la masse et un tiers qui sont relatifs à la propriété d'un bien relèvent du droit matériel et sont portés devant le juge. Les éventuelles contestations à ce sujet seront tranchées dans la procédure de revendication des art. 242 LP et 45 à 54 OAOF, dont le but est de décider si un bien déterminé doit être inclus dans la procédure d'exécution forcée (ATF 114 III 21 consid. 5, = JdT 1990 II 43; 114 III 23 consid. 2 = JdT 1990 II 83; 109 III 80 consid. 2a = JdT 1985 II 130; 104 III 23 consid. 2; 81 III 122 = JdT 1956 II 25; Romy, Commentaire Romand, Poursuite pour dette et faillite, 2005, n° 4, 5, 17, 18, 21, 22, 24 ad art. 197 LP; Gilliéron, Commentaire III, n° 15 à 17, 22 ad art. 197 LP et remarques introductives aux art. 197-207 n°  11).

Les procédures de revendication visées par l'art. 242 LP ne s'appliquent en revanche pas aux créances inventoriées sauf si elles sont reconnues dans un papier-valeur, soit dans un titre nominatif (art. 974 CO), un titre au porteur (art. 978 CO) ou un titre à ordre (art. 1145 CO) (ATF 128 III 388; Jeandin, Fischer, Commentaire Romand, Poursuite et faillite, 2005, n° 3 ad art. 242 LP).

2.2.2 Dès qu'il a été décidé que la faillite serait liquidée en la forme ordinaire ou sommaire, l'Office publie son ouverture et somme les créanciers du failli de produire leurs créances dans le mois qui suit la publication et de lui remettre leurs moyens de preuve (art. 232 al. 1 et 2 ch. 2 LP).

L'administration de la faillite examine chaque production et fait les vérifications nécessaires; elle consulte le failli, mais n'est pas liée par ses déclarations (art. 244 et 245 LP). Elle statue ensuite sur l'admission au passif. Lorsqu'une production n'est pas suffisamment justifiée, l'administration peut l'écarter ou fixer au créancier un délai pour présenter d'autres moyens de preuve (art. 59 al. 1 OAOF).

L'état de collocation dans la faillite peut être contesté par la voie de la plainte (art. 17 LP) ou par celle de l'action en contestation de l'état de collocation (art. 250 LP).

2.2.3 En application des art. 261 et 262 al. 1 LP, lorsque l'état de collocation est définitif et que l'administration est en possession du produit de la réalisation de tous les biens inventoriés du failli, elle dresse le tableau de distribution des deniers et établit le compte final. Les frais d'ouverture de la faillite, de liquidation et de prise d'inventaire sont couverts en premier lieu.

Il découle de ces dispositions que les dettes de la masse en faillite se divisent en deux catégories : les dettes "dans la masse" et les dettes "de masse".

Appartiennent aux "frais d'ouverture, de liquidation et de prise d'inventaire de la faillite" les obligations de prester – ayant pour objet une somme d'argent ou une prestation en nature – contractées par la masse ou nées à son détriment durant le cours de la procédure de liquidation (p. ex. créances fiscales, prétentions découlant des règles sur la responsabilité civile), lesquelles constituent des "dettes de masse". Les dettes de masse ont pour caractéristique d'avoir leur origine dans un fait postérieur à l'ouverture de la faillite, peu importe qu'elles tirent leur origine du droit privé ou du droit public. D'une façon générale et comme le retient la jurisprudence tout en insistant sur l'importance du moment de la naissance de telles prétentions, les dettes contractées pour l'administration, la sauvegarde ou l'entretien, pour la réalisation des actifs de la faillite sont dès lors typiquement des dettes de masse. Il en va de même des contributions que le droit public assoit sur ces actifs. Les dettes de masse, doivent figurer dans le compte final, mais en aucun cas dans l'état de collocation qui est constitué des "dettes dans la masse", soit les dettes du failli, nées avant la faillite. Les dettes de masse sont couvertes en premier lieu, par prélèvement sur le produit brut de la vente des biens, avant la distribution des deniers aux créanciers colloqués (ATF 113 III 148 c. 2, JdT 1990 II 47; 120 III 153 c. 2; ATF 106 III 118 c. 4; Jeandin, Casonato, Commentaire Romand, poursuite et faillite, 2005, n° 6, 7 et 22 ad art. 262 LP).

Il n'appartient pas aux autorités de surveillance de la poursuite et de la faillite de trancher les litiges qui portent sur la qualification d'une dette comme obligation de la masse ou obligation du failli. La question relève de l'autorité compétente pour statuer sur le fond de la prétention en cause, soit du juge civil ou des autorités et juridictions administratives, suivant la nature du contentieux. Si la dette en question n'est pas reconnue comme une dette de masse, il appartient au créancier qui soutient que c'est bien le cas d'ouvrir action contre la masse. Cette action contre la masse n'est soumise à aucun délai, mais l'administration de la faillite peut menacer le créancier de procéder à la distribution sans tenir compte de sa prétention d'être payé par prélèvement s'il n'ouvre pas action dans un délai convenable (ATF 125 III 293 consid. 2; 113 III 148 consid. 1; 106 III 118 consid. 1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_27/2016 du 28 juin 2016 consid 4.1.2 et 5A_329/2012 du 5 septembre 2012 consid. 4.4.2).

2.2.4 A teneur de l'art. 92 al. 1 ch. 9a LP, les rentes AVS sont insaisissables.

Les motifs justifiant l'insaisissabilité des objets énumérés à l'art. 92 LP tiennent à leur caractère indispensable à l'égard du débiteur et de sa famille. L'insaisissabilité prévue aux ch. 6 et 11 de l'art. 92 LP est dictée par l'intérêt public. Si les prestations du premier pilier étaient saisissables, elles n'atteindraient pas leur but, notamment celui fixé à l'art. 112 al. 2 lit. b Cst. féd., soit couvrir les besoins vitaux du bénéficiaire dans une mesure appropriée, raison pour laquelle elle devaient être déclarées absolument insaisissables (Ochsner, Commentaire Romand, Poursuite et faillite, 2005, n° 5, 15 et 157 ad art. 92 LP).

2.3 En l'espèce, la décision entreprise qualifie la dette de 2'390 fr. de la succession de feu B______ envers la plaignante de dette dans la masse et l'Office a annoncé à cette dernière qu'il allait la porter à l'état de collocation. Sachant que la plaignante en réclamait le paiement immédiat et complet, l'Office a compris qu'elle estimait que sa créance devait être au contraire qualifiée de dette de masse. Il fixait par conséquent un délai à la plaignante pour ouvrir action devant le juge civil si elle persistait à contester la qualification qu'il avait retenue, conformément aux principes rappelés ci-dessus.

La plaignante reproche à l'Office, d'une part, de ne pas avoir considéré que la dette litigieuse était "de masse" et de ne pas avoir ouvert la procédure de revendication au sens de l'art. 242 al. 1 LP alors que le montant de 2'390 fr. aurait dû être purement et simplement restitué en tant qu'indu. Elle évoque encore l'insaisissabilité des rentes AVS.

2.3.1 Le premier grief, ainsi que le souligne l'Office, aborde le fond de la qualification de la créance et n'est plus du ressort, ni de l'Office, ni de la Chambre de surveillance dès le moment où cette qualification est litigieuse. Elle relève du juge et l'Office a correctement invité la plaignante à le saisir, en application des principes rappelés ci-dessus. La plainte est par conséquent irrecevable dans la mesure où elle tend à ce que la Chambre de céans aborde la qualification de la créance litigieuse; elle est infondée dans la mesure où la plaignante reproche à l'Office d'avoir rendu une décision la contraignant à saisir le juge.

2.3.2 Le second grief repose sur la prémisse erronée que l'on pourrait revendiquer une créance sur la base de l'art. 242 al. 2 LP et peut être écarté pour ce seul motif. La somme de 2'390 fr., après avoir été virée sur le compte du défunt, s'est mélangée aux avoirs de ce dernier, de sorte qu'elle ne constitue plus une chose séparée et individualisée que l'on pourrait revendiquer et restituer en tant que telle, contrairement à ce que semble soutenir la plaignante. La prétention de la plaignante ne porte que sur une créance en restitution de l'indu à l'encontre de la succession du défunt. A ce titre, la revendication au sens de l'art. 242 al. 2 LP est exclue par la jurisprudence. Au demeurant, aucune des parties n'allègue que l'Office aurait inscrit à l'inventaire un solde positif du compte du défunt suffisant pour permettre la "restitution" des rentes indument versées "revendiquées" par la plaignante.

2.3.3 Finalement, le troisième grief de la plaignante méconnait la notion d'insaisissabilité de la rente AVS dont seul le bénéficiaire de la rente jouit pour les motifs d'ordre public exposés ci-dessus, soit la satisfaction des besoins vitaux de l'intéressé. La créance de la caisse en restitution de rentes indument versées n'est en revanche pas visée par l'énumération de l'art. 92 al. 1 LP car la caisse ne saurait se prévaloir d'un "besoin vital" au sens de cette norme. Ce grief sera par conséquent également écarté.

2.3.4 La plainte sera par conséquent rejetée dans la mesure de sa recevabilité.

3. La procédure devant l'autorité de surveillance est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 let. a OELP) et ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :


Rejette dans la mesure de sa recevabilité la plainte formée le 13 juillet 2023 par la CAISSE DE COMPENSATION A______ contre le courrier du 30 juin 2023 de l'Office cantonal des faillites dans le cadre de la liquidation selon les règles de la faillite de la succession de feu B______.

 

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Ekaterine BLINOVA et Monsieur Mathieu HOWALD, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

Le président : La greffière :

 

Patrick CHENAUX Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.