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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3307/2022

DCSO/60/2023 du 16.02.2023 ( PLAINT ) , PARTIELMNT ADMIS

Normes : lp.275; lp.89; cpc.334
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3307/2022-CS DCSO/60/23

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 16 FEVRIER 2023

 

Plainte 17 LP (A/3307/2022-CS) formée en date du 10 octobre 2022 par A______, élisant domicile en l'étude de Me François Membrez, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du à :

- A______

c/o Me MEMBREZ François

WAEBER AVOCATS

Rue Verdaine 12

Case postale 3647

1211 Genève 3.

- B______

______

______

FRANCE.

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. Par requête déposée le 6 septembre 2022 au greffe du Tribunal de première instance, A______ a requis que soit ordonné, à hauteur d'un montant de 113'162 fr. 30 plus intérêts au taux de 12% l'an à compter du 1er avril 2022, le séquestre des avoirs suivants, allégués appartenir à B______:

·         En mains de C______ (SUISSE) SA, rue 2______no.______, [code postal] Genève (ci-après : C______), "toutes sommes, créances ou salaires revenant à Monsieur B______" ainsi que "l'œuvre d'art de D______, «composition cubiste»".

·         En mains de [la banque] E______, rue 3______no.______, [code postal] Zürich, "toutes sommes, valeurs, titres ou créances, revenant à n'importe quel titre que ce soit à Monsieur B______, inscrits en son nom, désignations conventionnelles ou générique, ou dont il est le bénéficiaire économique".

Le cas de séquestre invoqué était celui de l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP, A______ exposant que son débiteur, qui avait reconnu sa dette, était domicilié en France.

A______ n'a pas conclu dans sa requête à ce qu'un office des poursuites "leader" et un ou plusieurs offices des poursuites "délégués" soient désignés.

b. Le Tribunal, par ordonnance de séquestre du 7 septembre 2022, a fait partiellement droit à cette requête et ordonné le séquestre, au préjudice de B______ et à hauteur d'un montant de 113'162 fr. 30 plus intérêts au taux de 12% l'an à compter du 1er avril 2022, des sommes détenues par ce dernier auprès de C______ et des créances, notamment salariales, dont il disposait à l'encontre de cette société, ainsi que des avoirs bancaires (sommes, valeurs, titres et créances) détenus par B______ auprès de E______, à Zürich.

L'ordonnance de séquestre ne comporte aucune mention d'un office des poursuites "leader" ou d'offices des poursuites "délégués". Elle n'indique pas non plus qu'elle serait communiquée pour exécution à un office des poursuites autre que celui de Genève.

c. L'ordonnance de séquestre a été transmise le 7 septembre 2022 à l'Office cantonal des poursuites de Genève (ci-après : l'Office), lequel l'a exécutée le même jour en adressant à C______ et à E______ des avis de séquestre mentionnant pour chacune de ces entités les avoirs concernés.

d. Le procès-verbal de séquestre (n° 1______) a été établi le 19 septembre 2022 et expédié le même jour au conseil de A______, qui l'a reçu le 20 septembre 2022.

Il résulte de cet acte que le séquestre n'avait pas porté en mains de C______ et que E______ avait pour sa part indiqué ne pas vouloir se déterminer en l'état sur la portée du séquestre exécuté en ses mains.

e. Par réquisition de poursuite déposée le 21 septembre 2022 auprès de l'Office, A______ a engagé à l'encontre de B______ une poursuite en recouvrement du montant de 113'162 fr. 30 plus intérêts au taux de 12% l'an, indiquant qu'elle validait le séquestre n° 1______.

f. Par décision du 26 septembre 2022, reçue le 28 septembre 2022 par le conseil de A______, l'Office a décidé de "renoncer à poursuivre l'exécution de l'ordonnance de séquestre" sur les actifs éventuellement séquestrés en mains de E______, d'annuler dans cette mesure le procès-verbal de séquestre et, dès l'entrée en force de sa décision, de lever le séquestre exécuté en mains de E______.

Il résulte de la motivation de cette décision, en résumé, que l'Office s'était avisé après coup qu'il n'était pas compétent à raison du lieu pour exécuter un séquestre sur des actifs localisés dans le canton de Zürich.

g. Le 6 octobre 2022, le Tribunal a transmis à l'Office une version complétée le même jour de l'ordonnance de séquestre du 7 septembre 2022, le désignant comme office des poursuites "leader" et l'office des poursuites de F______ [ZH] comme office des poursuites "délégué" en vue de l'exécution du séquestre.

L'Office n'a donné aucune suite à cette communication.

B. a. Par acte déposé le 10 octobre 2022 au greffe de la Chambre de surveillance, A______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre la décision de l'Office du 26 septembre 2022, concluant à son annulation et à ce qu'il soit ordonné à l'Office de "poursuivre l'exécution de l'ordonnance de séquestre" en ce qui concerne les actifs se trouvant en mains de E______ et de "maintenir le séquestre" déjà exécuté sur ces mêmes biens. Selon le plaignant, l'admission par le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 1er février 2022 publié aux ATF 148 III 138, de l'application par analogie de l'art. 89 LP à l'exécution du séquestre emportait pour l'Office l'obligation de déléguer, spontanément et d'office, à l'office des poursuites zurichois compétent l'exécution du séquestre ordonné sur les avoirs du débiteur localisés auprès de E______. Il fallait en tout état retenir qu'en transmettant à l'Office, le 7 septembre 2022, l'ordonnance de séquestre du même jour, laquelle portait notamment sur des actifs localisés dans un autre ressort de poursuites, le juge du séquestre l'avait implicitement désigné en qualité d'office des poursuites "leader".

b. Par ordonnance du 12 octobre 2022, la Chambre de surveillance a octroyé à la plainte l'effet suspensif requis à titre préalable par le plaignant.

c. Dans ses observations du 31 octobre 2022, l'Office a conclu au rejet de la plainte.

L'Office a dans un premier temps expliqué avoir procédé "par erreur" à l'exécution du séquestre en mains de E______ dès lors qu'il n'était pas compétent à raison du lieu pour le faire. La plainte devait donc être rejetée en tant que dirigée contre l'annulation de l'exécution du séquestre en mains de E______ et le maintien dudit séquestre.

C'était par ailleurs à tort que le plaignant soutenait qu'il lui aurait appartenu de veiller, en qualité d'office "leader", à l'exécution du séquestre par l'office des poursuites genevois compétent en mandatant ce dernier par voie d'entraide. L'arrêt du Tribunal fédéral mentionné par le plaignant (ATF 148 III 138) précisait en effet qu'il incombait au juge du séquestre de désigner, dans son ordonnance, l'office "leader" et le ou les offices "délégués" et de préciser, pour chaque actif, par quel office il devait être séquestré. Or l'ordonnance de séquestre du
7 septembre 2022 ne mentionnait rien de tel.

L'Office a également indiqué qu'il n'entendait pas non plus exécuter ladite ordonnance de séquestre sous sa forme complétée le 6 octobre 2022, que le Tribunal lui avait communiquée le même jour. Selon le considérant 3.4.3 de l'arrêt ATF 148 III 138 en effet, la désignation des offices "leader" et "délégués" devait intervenir lors de la notification de l'ordonnance de séquestre, et non, comme en l'espèce, 29 jours plus tard et après l'établissement et l'envoi aux parties du procès-verbal de séquestre. Il n'était de manière générale pas possible de notifier plusieurs fois la même ordonnance de séquestre, chaque fois avec de nouvelles modifications. Par ailleurs, selon la pratique en la matière du Tribunal, communiquée par l'Ordre des avocats à ses membres, c'est au requérant qu'il incombait de solliciter l'application analogique de l'art. 89 LP et d'indiquer dans sa requête un office "leader" et un ou plusieurs offices "délégués", ce que le plaignant n'avait pas fait. Au moment de la réception de l'ordonnance de séquestre complétée, le procès-verbal de séquestre avait été établi et communiqué aux parties, de telle sorte que l'exécution du séquestre était terminée. Enfin, dès lors que cette exécution avait permis d'établir que les actifs devant être séquestrés à Genève n'existaient en réalité pas, l'Office n'était pas compétent pour exécuter le séquestre, serait-ce en qualité d'office "leader".

d. Par réplique spontanée du 16 novembre 2022, A______ a fait valoir qu'il appartenait à l'Office de se conformer à l'ordonnance de séquestre complétée qui lui avait été communiquée le 6 octobre 2022.

e. Par duplique spontanée du 29 novembre 2022, l'Office a pour l'essentiel persisté dans son argumentation.

f. A______ en a encore fait de même dans une détermination spontanée du 12 décembre 2022.

g. La cause a été gardée à juger le 4 janvier 2023.

 

 

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 148 III 628 consid. 4; 148 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3). La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).

1.2 En l'occurrence, la plainte est dirigée contre une décision de l'Office annulant, respectivement levant, respectivement refusant d'exécuter un séquestre, soit une mesure pouvant être contestée par cette voie. Elle respecte les exigences de forme résultant de la loi et émane d'une partie susceptible d'être lésée dans ses intérêts juridiquement protégés. Formée pour le surplus en temps utile, elle est recevable.

Les conclusions du plaignant tendent principalement à l'annulation de la décision du 26 septembre 2022 dans la mesure où elle annule l'exécution du séquestre en mains de E______ et lève en conséquence ledit séquestre, ainsi qu'au maintien du séquestre. L'admission de ces conclusions rendrait sans objet la troisième, tendant à ce que l'Office exécute l'ordonnance de séquestre : on admettra donc qu'elle revêt un caractère subsidiaire, en d'autres termes que le plaignant conclut, pour le cas où l'impossibilité d'une exécution directe de l'ordonnance de séquestre par l'Office devrait être confirmée, à ce que l'Office l'exécute par la voie de l'entraide (art. 4 al. 1 et 89 LP).

1.3 Dans ses observations sur plainte du 31 octobre 2022, l'Office a – apparemment pour la première fois – indiqué qu'il n'entendait pas exécuter l'ordonnance de séquestre complétée le 6 octobre 2022. Cette déclaration doit être comprise comme une décision de refus d'exécuter, pouvant être contestée par la voie de la plainte.

Dans sa réplique spontanée du 16 novembre 2022 – soit moins de dix jours après que les observations de l'Office lui eurent été communiquées par le greffe de la Chambre de surveillance – le plaignant a dûment contesté ce refus d'exécuter et conclu ce qu'il soit ordonné à l'Office de donner suite à l'ordonnance complétée. Il faut ainsi considérer qu'il a formé en temps utile une (seconde) plainte, dirigée cette fois contre la décision de l'Office de ne pas exécuter l'ordonnance dans sa forme complétée.

Les conditions d'une jonction étant réalisées (art. 70 al. 1 LPA), et l'instruction conduite dans la présente cause ayant d'ores et déjà porté sur les deux décisions contestées (cf. notamment écritures des parties des 31 octobre, 16 novembre,
29 novembre et 12 décembre 2022 ainsi que les pièces produites), la Chambre de surveillance se prononcera dans la présente décision sur les deux décisions contestées.

2. Le plaignant conclut à titre principal à l'annulation de la décision de l'Office du
26 septembre 2022 en tant qu'elle prononce la levée du séquestre exécuté le
7 septembre 2022 en mains de E______.

2.1.1 L'office peut, d'office ou sur requête, décider de reconsidérer – et notamment, le cas échéant, d'annuler – l'une de ses propres décisions ou mesures aussi longtemps qu'elle n'est pas entrée en force de chose décidée formelle, c'est-à-dire aussi longtemps que le délai de plainte n'a pas expiré (arrêt du Tribunal fédéral 5A_67/2007 du 15 février 2008 consid. 4.1; Lorandi, Betreibungsrechtliche Beschwerde und Nichtigkeit, 2000, N 310 ad art. 17 LP; Commetta/Möckli, in BSK SchKG I, 3ème édition, 2021, N 309 ad art. 17 LP). Si une plainte est formée, il peut encore reconsidérer sa décision jusqu'à l'envoi de sa détermination sur plainte (art. 17 al. 4 LP; Commetta/Möckli, op. cit., N 310 ad art. 17 LP).

Une décision ou mesure nulle au sens de l'art. 22 al. 1 LP n'entre par définition pas en force de chose décidée formelle (Lorandi, op. cit., N 104 ad art. 22 LP). L'office peut donc la modifier ou la révoquer en tout temps, aussi longtemps que la question de sa nullité ne fait pas l'objet d'une procédure devant l'autorité de surveillance au sens de l'art. 22 al. 1 deuxième phrase LP (Lorandi, op. cit.,
N 311 ad art. 17 LP).

2.1.2 L'office des poursuites du lieu de situation de la chose est exclusivement compétent pour la saisir. Si donc l'actif devant être saisi n'est pas localisé dans le ressort de l'office du for de la poursuite, celui-ci doit faire appel, par voie d'entraide (art. 4 al. 1 LP), à l'office du lieu de situation de l'actif pour exécuter la saisie. Une saisie exécutée par un office incompétent à raison du lieu est en principe nulle (ATF 91 III 41 consid. 4; 55 III 165).

En vertu du renvoi de l'art. 275 LP aux règles régissant la saisie, ces principes s'appliquent également en matière de séquestre. Un séquestre exécuté par un office incompétent à raison du lieu peut être levé en tout temps (ATF 112 III 115 consid. 2).

2.1.3 Les créances non incorporées dans un papier-valeur sont réputées être localisées au domicile de leur créancier (le débiteur poursuivi). Si toutefois ce dernier est domicilié à l'étranger, la créance peut être saisie (respectivement séquestrée) au domicile ou au siège suisse de son débiteur, par exemple une banque (ATF 140 III 512 consid. 3.2 et références citées; Stoffel/Chabloz, Voies d'exécution, 3ème édition, 2016, p. 164 §30).

2.2 Dans le cas d'espèce, les avoirs devant, selon l'ordonnance de séquestre, être séquestrés en mains de E______ doivent être qualifiés de créances du débiteur poursuivi contre la banque. Dès lors que, selon l'ordonnance de séquestre, ledit débiteur est domicilié à l'étranger, ces créances devaient être séquestrées au siège de E______, à Zürich.

L'Office n'était donc pas compétent pour exécuter directement le séquestre, ce que le plaignant ne paraît au demeurant pas (ou plus) contester.

L'exécution du séquestre était donc nulle, avec pour conséquence que l'Office pouvait (et devait) en tout temps la révoquer, et lever le séquestre exécuté en mains de E______.

Les conclusions formulées à titre principal par le plaignant sont donc mal fondées.

3. A titre subsidiaire, le plaignant a conclu à ce qu'il soit ordonné à l'Office d'exécuter l'ordonnance de séquestre, le plaignant entendant par là que l'Office devrait veiller à cette exécution en mandatant par voie d'entraide l'office des poursuites compétents (F______) pour exécuter le séquestre en mains de E______. A l'appui de cette conclusion, le plaignant a d'abord fait valoir que l'ordonnance de séquestre, dans sa teneur initiale du 7 septembre 2022, désignait implicitement l'Office comme office "leader" et qu'il lui incombait par conséquent de faire exécuter le séquestre sur les actifs en mains de E______ par voie d'entraide. Dans ses dernières écritures, le plaignant a en outre fait valoir que, le Tribunal ayant communiqué à l'Office une version complétée de l'ordonnance de séquestre mentionnant cette fois explicitement sa désignation en qualité d'office "leader" et celle de l'office des poursuites de F______ en qualité d'office "délégué", il incombait à l'Office de l'exécuter.

3.1 L'art. 275 LP, qui traite de l'exécution du séquestre, renvoie "par analogie" aux art. 91 à 109 LP, applicables à l'exécution de la saisie. L'art. 89 LP, qui prévoit la possibilité pour un office des poursuites devant procéder à une saisie d'en déléguer l'exécution, par voie d'entraide (art. 4 al. 1 LP), à l'office des poursuites du ressort où sont localisés les droits saisissables, n'est donc pas compris dans ce renvoi.

Dans un arrêt du 1er février 2022 publié aux ATF 148 III 138, le Tribunal fédéral a toutefois considéré que l'absence de renvoi à l'art. 89 LP dans le texte de l'art. 275 LP résultait d'un oubli du législateur (gesetzgeberisches Versehen). Avec l'entrée en vigueur, au 1^{er} janvier 2011, du CPC et de la Convention de Lugano (CLug) révisée, ainsi que des modifications de la LP liées à ces actes, le législateur avait en effet pour but de créer un espace d'exécution interne unique. C'est ainsi que la compétence du juge du séquestre pour ordonner un séquestre avait été étendue à l'ensemble du territoire (art. 271 al. 1 LP), et qu'une compétence alternative du juge du for de la poursuite avait été introduite (art. 272 al. 1 LP). L'instauration d'un espace d'exécution unique supposait toutefois non seulement une extension à l'ensemble du territoire des compétences du juge du séquestre, mais également une exécution coordonnée et effective par un organe d'exécution unique. Or un tel résultat ne pouvait être obtenu que par l'application analogique à l'exécution du séquestre de l'art. 89 LP, permettant à un office des poursuites principal, responsable de l'exécution du séquestre pour l'ensemble de la Suisse, d'en déléguer l'exécution à d'autres offices des poursuites. Outre le fait que cette manière de procéder permettait seule de préserver l'effet de surprise du séquestre, elle présentait de nombreux avantages pratiques.

Pour que le séquestre puisse être exécuté par voie d'entraide au sens des art. 4 al. 1 et 89 LP, il était nécessaire que le juge du séquestre – qu'il soit ou non saisi de conclusions en ce sens et quelle que soit leur éventuelle teneur – désigne un office des poursuites responsable pour l'exécution du séquestre dans l'ensemble de la Suisse (office "leader") et lui transmette, en même temps que l'ordonnance de séquestre, les instructions nécessaires à l'exécution du séquestre, soit la désignation des autres offices devant être mandatés aux fins d'exécution partielle du séquestre (offices "délégués") ainsi que, pour chacun d'entre eux, la liste des actifs à séquestrer (ATF 148 III 138 consid. 3.4.3).

Le Tribunal fédéral n'a pas précisé dans l'arrêt précité si, compte tenu de la possibilité qui lui est désormais reconnue de désigner un office "leader" avec mission de faire exécuter le séquestre dans d'autres ressorts par l'intermédiaire d'offices "délégués", le juge du séquestre peut encore renoncer à cette faculté et, comme il le faisait jusqu'alors, communiquer directement son ordonnance aux divers offices des poursuites compétents à raison du lieu pour exécuter le séquestre. Il paraît toutefois résulter des considérants de l'arrêt du 1er février 2022 que, pour le Tribunal fédéral, l'exécution correcte d'un séquestre portant sur des actifs localisés dans divers ressorts de poursuite en Suisse, avec les exigences de coordination qui en découlent en relation notamment avec la préservation de l'effet de surprise voulu par le législateur, implique nécessairement le recours à l'art. 89 LP et donc la désignation d'un office "leader" par le juge du séquestre. Ces motifs qui plaident en faveur de l'admission du caractère impératif du recours à l'exécution par voie d'entraide lorsque le séquestre porte sur des actifs localisés dans plusieurs ressorts, ont conduit divers auteurs à considérer que dorénavant l'usage de l'art. 89 LP dans une telle hypothèse s'imposait au juge du séquestre (Milani, Der schweizerweite Arrestbefehl und sein Vollzug durch das Lead-Betreibungsamt, in AJP 2022, 591-599, 594; Theus Simoni, Das Leadbetreibungsamt gemäss BGE 148 III 138 und seine Folgen, in ZZZ 60/2022, 400-411, 402).

Dans la continuation de leurs réflexions, ces mêmes auteurs considèrent que, si un office des poursuites se voit transmettre par le juge du séquestre une ordonnance mentionnant des actifs situés dans différents ressorts mais ne comportant pas les instructions nécessaires à son exécution par voie d'entraide (désignation de l'office "leader", du ou des offices "délégués" et liste précise des actifs devant être séquestrés par chacun de ces offices), il lui appartenait d'interpeller le juge du séquestre pour obtenir les clarifications nécessaires (Milani, op. cit., p. 599; Theus Simoni, op. cit., p. 403).

Comme pour toute ordonnance de séquestre, l'office des poursuites ("leader" ou "délégué") ne pourra refuser d'exécuter une ordonnance de séquestre prévoyant une exécution par voie d'entraide que si elle présente un vice formel, si elle est lacunaire, imprécise ou entachée d'un autre défaut en rendant impossible l'exécution ou entraînant sa nullité (Theus Simoni, op. cit., p. 405).

3.2 Dans le cas d'espèce, l'ordonnance communiquée le 7 septembre 2022 à l'Office par le Tribunal portait sur des actifs (dont l'existence, non établie, avait été considérée vraisemblable par le juge du séquestre au vu des pièces qui lui avaient été soumises) localisés pour certains à Genève et pour d'autres à Zürich; elle ne comportait toutefois aucune mention relative à l'exécution du séquestre.

Que l'on adhère ou non à l'opinion selon laquelle, lorsque le séquestre doit porter sur des actifs localisés dans des ressorts différents, le juge du séquestre doit en ordonner l'exécution conformément à l'art. 89 LP, cette ordonnance était peu claire, voire incomplète. Il n'en résultait en effet nullement que le Tribunal l'aurait transmise lui-même, aux fins d'exécution sur les avoirs situés à Zürich à l'office des poursuites de F______, mais elle ne désignait pas l'Office comme office "leader" ni l'office de F______ comme office "délégué". Contrairement à ce qu'a plaidé le plaignant, on ne saurait à cet égard considérer que cette désignation résultait de manière implicite ou tacite de l'ordonnance de séquestre : les instructions que le juge du séquestre doit impartir à l'office "leader" quant à son propre rôle, aux offices "délégués" qu'il doit mettre en œuvre et aux actifs que chacun doit séquestrer ne sauraient en effet, en raison de l'exigence de précision qui s'y attache, s'accommoder d'une telle forme de communication.

Saisi d'une ordonnance peu claire et vraisemblablement incomplète, l'Office aurait cela étant dû requérir du Tribunal, en application de l'art. 334 CPC, qu'il l'interprète ou la rectifie. Selon toute vraisemblance, cette démarche aurait permis un complètement rapide de l'ordonnance et une exécution correcte du séquestre par l'intermédiaire de l'office des poursuites de F______. Même une décision formelle de l'Office refusant d'exécuter le séquestre sur les avoirs localisés à Zürich aurait probablement eu le même résultat, soit un complètement – d'office ou sur requête – de l'ordonnance de séquestre par le Tribunal.

Le comportement de l'Office ayant consisté à exécuter dans un premier temps lui-même, en violation des règles légales de compétence, le séquestre sur les avoirs situés à Zürich, avant de se raviser trois semaines plus tard, a eu pour conséquence que le caractère peu clair et/ou incomplet de son ordonnance de séquestre du
7 septembre 2022 n'a été porté à la connaissance du Tribunal que tardivement, par l'intermédiaire du créancier ayant requis le séquestre. Le Tribunal – vraisemblablement en application de l'art. 334 al. 1 CPC quand bien même sa décision est muette sur ce point – a alors complété son ordonnance de séquestre initiale par la désignation de l'Office en qualité d'office "leader" et de l'office des poursuites de F______ en qualité d'office "délégué"; il n'a certes pas précisé que l'office "délégué" devait séquestrer les actifs devant être séquestrés en mains de E______ mais cette omission est sans conséquence dans le cas d'espèce dès lors qu'il n'existe aucun doute à ce sujet.

Sous sa forme complétée communiquée le 6 octobre 2022 à l'Office, l'ordonnance de séquestre comportait donc les indications nécessaires à son exécution par voie d'entraide. L'Office considère cependant qu'il n'avait pas à l'exécuter, pour diverses raisons.

En premier lieu, l'Office invoque que le Tribunal ne se serait pas conformé à sa propre pratique, consistant à exiger des parties requérant un séquestre qu'elles indiquent elles-mêmes dans leur requête les offices "leader" et "délégués" dont elles sollicitent la désignation et, au cas où la requête ne satisferait pas à cette exigence, à leur impartir un délai pour la compléter sous peine d'irrecevabilité. Il n'appartient toutefois pas à l'Office d'examiner la conformité au droit – ni a fortiori à une pratique susceptible d'évoluer – de la procédure judiciaire au terme de laquelle le juge du séquestre prononce une ordonnance de séquestre : comme déjà relevé, son pouvoir d'examen se limite à la régularité formelle de cette ordonnance et à la présence des mentions nécessaires à l'exécution du séquestre.

L'Office considère en second lieu que les indications nécessaires à l'exécution par voie d'entraide de l'ordonnance de séquestre auraient dû, en conformité avec les considérants de l'arrêt du Tribunal fédéral du 1er février 2022, lui être transmises en même temps que l'ordonnance de séquestre. Il n'était selon lui pas envisageable que le juge du séquestre complète une ou plusieurs fois son ordonnance, à plus forte raison après l'établissement du procès-verbal de séquestre. L'art. 334 CPC prévoit toutefois que le juge peut, sur requête ou d'office, procéder à l'interprétation ou à la rectification d'une décision dont le dispositif est peu clair, contradictoire, incomplet ou ne correspond pas à la motivation. Cette disposition s'applique à toutes les décisions judiciaires cantonales (Bastons-Bulletti, in Petit commentaire CPC, 2021, Chabloz/Dietschy-Martenet/Heinzmann [éd.], N 4 ad art. 334 CPC), et donc notamment aux ordonnances de séquestre. Là encore, il n'appartient pas à l'Office de vérifier l'application matérielle ou procédurale de cette disposition par le juge du séquestre, mais d'exécuter l'ordonnance telle qu'interprétée ou rectifiée, à moins qu'elle ne présente un vice faisant obstacle à son exécution. S'il est vrai par ailleurs que, compte tenu des particularités de la procédure de séquestre, il serait souhaitable qu'une interprétation ou une rectification de l'ordonnance de séquestre n'intervienne que rarement, et en tous les cas rapidement, le délai écoulé en l'espèce entre la communication de l'ordonnance initiale et celle de sa version modifiée est, comme déjà relevé, imputable en grande partie à une erreur de l'Office.

L'Office soutient enfin qu'il n'existerait plus de for à Genève, tant pour ordonner le séquestre que pour l'exécuter. L'exécution de l'ordonnance de séquestre sur les biens localisés à Genève qu'elle mentionnait avait en effet conduit à la constatation que ces biens étaient inexistants. On se trouvait donc dans une situation où les seuls biens séquestrables étaient situés dans un unique ressort de poursuite (F______), avec pour conséquence que l'art. 89 LP ne s'appliquait pas (DCSO/421/2022 du 20 octobre 2022 consid. 2.2) et que le séquestre devait être requis auprès des juridictions zürichoises.

Cet argument doit toutefois lui aussi être écarté. Lorsqu'il entend ordonner le séquestre d'actifs localisés dans divers ressorts de poursuite, le juge du séquestre, comme déjà exposé, devra en principe désigner un office "leader". Il aura à cet égard le choix entre l'office des poursuites du for de la poursuite ou – notamment dans l'hypothèse où, en raison du domicile étranger du débiteur, il n'existera peut-être pas de for de poursuite en Suisse – l'un des offices des poursuites dans le ressort duquel sont localisés des biens dont il entend ordonner le séquestre (cf. à cet égard Theus Simoni, op. cit., pp. 403-404). Or, lorsqu'il ordonne le séquestre d'actifs situés en Suisse, le juge du séquestre se fonde sur une simple vraisemblance : il ne peut donc être certain que lesdits actifs existent effectivement, ni qu'ils soient effectivement situés à l'endroit qu'il considère vraisemblable. La désignation comme office "leader" de l'un des offices des poursuites dans le ressort duquel se trouvent vraisemblablement des actifs à séquestrer est ainsi liée au même examen de la vraisemblance. Le fait qu'il s'avère après coup, soit après l'exécution du séquestre sur ces actifs, que ceux-ci n'existent pas ou ne sont pas situés à l'endroit retenu par le juge du séquestre demeure donc sans influence sur la validité de la désignation de celui-ci comme office "leader" (dans ce sens : Theus Simoni, op. cit., pp. 404-405; Meier-Dieterle/Crestani, Die schweizweite Zuständigkeit im Arrestvollzug, in AJP 2015 1122-1128, 1126). Il n'en va pas différemment lorsque, comme dans le cas d'espèce, l'ordonnance de séquestre est complétée après coup en application de l'art. 334 CPC : cette disposition vise en effet à clarifier le dispositif d'une décision ou à le rendre conforme à la volonté du juge mais ne lui permet pas de procéder à une modification matérielle de celle-ci (Bastons-Bulletti, op. cit., N 1 et 11 à 13 ad art. 334 CPC), ce qui, dans le cas d'une ordonnance de séquestre, signifie que le juge du séquestre ne peut, à l'occasion d'une procédure en interprétation ou en révision au sens de l'art. 334 CPC, examiner à nouveau si les conditions du séquestre sont réalisées.

Il résulte de ces considérations que, contrairement à ce qu'il a considéré, l'Office est tenu d'exécuter l'ordonnance de séquestre du 7 septembre 2022 dans sa forme complétée communiquée le 6 octobre 2022.

Les conclusions subsidiaires du plaignant doivent, dans ce sens, être admises.

4. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 10 octobre 2022 par A______ contre la décision rendue le 26 septembre 2022 par l'Office cantonal des poursuites dans le séquestre n° 1______.

Déclare recevable la plainte formée le 16 novembre 2022 par A______ contre le refus de l'Office cantonal des poursuites d'exécuter l'ordonnance de séquestre, séquestre n° 1______, dans sa forme complétée le 6 octobre 2022.

Ordonne leur jonction.

Au fond :

Rejette la plainte en tant qu'elle est dirigée contre la décision de l'Office cantonal des poursuites de lever le séquestre exécuté le 7 septembre 2022 en mains de E______ et de corriger dans cette mesure le procès-verbal de séquestre.

Admet la plainte en tant qu'elle est dirigée contre le refus de l'Office cantonal des poursuites d'exécuter l'ordonnance de séquestre.

Annule ce refus et ordonne à l'Office cantonal des poursuites d'exécuter l'ordonnance de séquestre du 7 septembre 2022 dans sa forme complétée le 6 octobre 2022.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Monsieur Luca MINOTTI et
Monsieur Denis KELLER, juges assesseurs; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.