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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/433/2022

DCSO/280/2022 du 30.06.2022 ( PLAINT ) , ADMIS

Descripteurs : Séquestre; revenu d'indépendant; domicile en France
Normes : lp.275; lp.93
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/433/2022-CS DCSO/280/22

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 30 MARS 2022

 

Plainte 17 LP (A/433/2022-CS) formée en date du 4 février 2022 par A______, élisant domicile en l'étude de Me B______, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

-       A______

c/o Me B______, curateur

______

______ [GE].

- C______

______

______

FRANCE.

- Office cantonal des poursuites.

 


EN FAIT

A. a. A______ allègue être créancière de son père, C______, pour un montant de 40'640 fr. 85 à titre d'arriérés de contributions d'entretien.

b. A______ a requis et obtenu, le 1er février 2022, du Tribunal de première instance, le séquestre, au détriment de C______, à hauteur de 40'640 fr. 85 plus intérêts et frais, de (i) tous avoirs et créances sur comptes, dépôts ou coffres, en nom propre, désignation conventionnelle ou numéro, dont le titulaire ou l'ayant droit économique est C______, auprès de [la banque] D______ ( ), (ii) tous actifs, créances, bénéfices, capital ou réserve de C______ et tous gains perçus en relation avec son entreprise individuelle C______, E______, 1______ [GE], (iii) toutes créances de C______ envers son employeur F______ SA, ayant son siège 2______ [GE], en salaires, indemnités, participations, primes, dans le cadre de son emploi au sein de F______ SA.

c. Par décision du 1er février 2022, reçu le 3 février 2022 par A______, l'Office cantonal des poursuites (ci-après l'Office) a refusé d'exécuter l'ordonnance de séquestre dans la mesure où elle visait les avoirs en mains de C______, E______, entreprise individuelle.

En substance, l'Office a considéré que ces avoirs étaient constitués de créances du débiteur envers ses clients. Les créances sont séquestrées au domicile de leur créancier. En l'espèce, le débiteur est domicilié en France et ses créances ne peuvent être séquestrées par l'Office de Genève dont la compétence territoriale est limitée au canton.

B. a. Par acte déposé le 4 février 2022 au greffe universel du Pouvoir judiciaire, destinée à la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites (ci-après la Chambre de surveillance) A______ a formé une plainte contre cette décision, concluant à son annulation et à ce qu'il soit ordonné à l'Office de procéder à l'exécution complète du séquestre ordonné le 1er février 2022 et à séquestrer tous les actifs, créances, bénéfices, capital ou réserve de C______, et tous gains perçus en relation avec son entreprise individuelle C______, E______.

La plaignante se prévaut d'une décision de la Chambre de surveillance DCSO/333/19 du 15 août 2019 qui déclarait séquestrables les revenus d'une entreprise individuelle dont le titulaire est domicilié en France.

b. Dans ses observations du 28 février 2022, l'Office remet en cause cette jurisprudence qu'il considère unique et isolée, en contradiction avec la jurisprudence antérieure de la Chambre de surveillance (DCSO/280/09 du 25 juin 2009). En outre, il attirait l'attention de la Chambre sur l'impraticabilité d'un tel séquestre au vu de la jurisprudence du Tribunal fédéral qui imposait une désignation précise des biens par le créancier séquestrant afin de permettre une exécution sans risque de confusion ou d'équivoque. A défaut, le séquestre était inexécutable et entaché de nullité. Le séquestre étant une mesure conservatoire fondée sur la seule vraisemblance impliquait que les biens visés soient désignés et que l'Office n'ait pas à les rechercher. Le créancier devait ainsi indiquer le lieu de situation des biens à séquestrer et qui les détenait, notamment les débiteurs de créances à séquestrer. Hors, en l'occurrence, personne n'a désigné les débiteurs du débiteur en mains desquels ses créances devraient être séquestrées.

c. Le greffe de la Chambre de surveillance a informé les parties par courrier du 2 mars 2022 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1. La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de l'article 17 LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre les mesures de l'Office ne pouvant être contestées par la voie judiciaire (al. 1), ainsi qu'en cas de déni de justice ou de retard à statuer (al. 3). L'autorité de surveillance doit par ailleurs constater, indépendamment de toute plainte et en tout temps (ATF 136 III 572 consid. 4), la nullité des mesures de l'Office contraires à des dispositions édictées dans l'intérêt public ou dans l'intérêt de personnes qui ne sont pas parties à la procédure (art. 22 al. 1 LP).

1.2 La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP). Elle peut également être déposée en tout temps en cas de nullité de l'acte contesté (art. 22 al. 1 LP), de retard à statuer et de déni de justice (art. 17 al. 3 LP).

1.3 A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4;
138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3).

1.4 En l'occurrence, la plainte respecte les exigences de forme prévues par la loi et émane d'une personne qui, si son argumentation devait être retenue, serait lésée dans ses intérêts juridiquement protégés. Elle est donc, à cet égard, recevable.

2. 2.1 Dans la décision DCSO/333/19 du 15 août 2019, invoquée par la plaignante et critiquée par l'Office, la Chambre de surveillance avait conduit le raisonnement suivant :

3.1 Selon l'art. 275 LP, les art. 91 à 109 LP relatifs à la saisie s'appliquent par analogie à l'exécution du séquestre.

L'art. 93 LP prévoit que les revenus du travail peuvent être saisis, déduction faite de ce que le préposé estime indispensable à l'entretien du débiteur et de sa famille.

La notion de revenu du travail comprend toute forme de rétribution obtenue en contrepartie d'un travail personnel, régulier ou occasionnel, périodique ou permanent, principal ou accessoire, dans le cadre d'une activité d'employé ou d'indépendant (arrêt du Tribunal fédéral 5A_589/2014 du 11 novembre 2014, consid. 3.2). Il n'existe aucune différence de nature juridique entre la saisie ou le séquestre des revenus du travail provenant d'une activité dépendante ou indépendante, seules les modalités d'exécution de la saisie ou du séquestre étant susceptibles de varier (ATF 93 III 33 consid. 1). Lorsque des revenus proviennent d'une activité exercée à titre dépendant, et que la saisie ou le séquestre porte donc sur une unique créance salariale future, il sera en effet souvent possible d'adresser au tiers employeur un avis au débiteur (art. 99 LP) l'invitant à s'acquitter directement en mains de l'Office de la part saisie du revenu, étant toutefois rappelé que l'envoi d'un tel avis ne se confond pas avec l'exécution de la saisie et n'en constitue pas une condition (arrêt du Tribunal fédéral 5A_564/2012 du 21 novembre 2012 consid. 2.5.1). Un tel procédé ne sera en revanche, dans la plupart des cas, guère envisageable lorsque le revenu saisi ou séquestré provient d'une activité exercée à titre indépendant, puisque la saisie ou le séquestre portera alors en général sur un nombre indéterminé de créances actuelles et futures dont le débiteur sera titulaire à l'encontre de ses clients (Kren-Kostkiewicz, in KUKO SchKG, 2ème édition, 2014, N 5a ad art. 93 LP). Selon la jurisprudence (ATF 112 III 19 consid. 2b et 2c et références citées), la saisie ou le séquestre devront en conséquence être exécutés sur le revenu net de l'activité exercée à titre indépendant, calculé en soustrayant du revenu brut de cette activité les frais nécessaires à son obtention. Les créances courantes et futures, qui constituent le revenu brut de l'activité exercée à titre indépendant, ne font donc pas l'objet de saisies ou de séquestres particuliers – et ne doivent par conséquent pas être mentionnées séparément dans le procès-verbal de saisie ou de séquestre – mais d'une saisie ou d'un séquestre collectifs portant sur l'ensemble de ces droits, sous déduction des frais nécessaires à leur obtention (cf., sur ce point, Vonder Mühl, in BAK SchKG I, 2010, N 3 ad art. 93 LP).

3.2 En raison du principe de la territorialité, l'Office ne peut procéder au séquestre ou à la saisie d'un droit situé à l'étranger (Kren-Kostkiewicz, op. cit., N 8 ad art. 92 LP). S'il y procède néanmoins, la saisie ou le séquestre sont atteints de nullité au sens de l'art. 22 LP (ATF 140 III 512 consid. 3.1).

Aux fins de détermination de la compétence de l'Office pour procéder à une saisie ou un séquestre, une créance est en principe située au domicile suisse de son créancier (le débiteur poursuivi). Si celui-ci est domicilié à l'étranger, la créance est réputée située au domicile ou à l'établissement suisse du tiers débiteur de la créance saisie ou séquestrée (ATF 140 III 512 consid. 3.2).

3.3 Dans le cas d'espèce, le débiteur poursuivi est certes domicilié en France mais il exerce à Genève, à titre indépendant, une activité dont il y a lieu de présumer qu'elle lui procure un revenu a priori saisissable, et donc séquestrable, en vertu de l'art. 93 al. 1 LP.

Le droit dont le séquestre a été ordonné constitue un actif sui generis, composé d'un ensemble en l'état non déterminé de créances actuelles et futures contre un nombre non défini de tiers (les clients bénéficiant des prestations de travail fournies par le poursuivi dans le cadre de son entreprise genevoise de serrurerie), sous déduction des frais nécessaires que le poursuivi encoure pour réaliser ce revenu. Au vu de la nature de l'activité exercée et de la forme juridique de l'entreprise, il faut présumer que le débiteur offre ses services avant tout à une clientèle locale, et donc que ses débiteurs sont dans leur majorité domiciliés dans le canton de Genève. Contrairement à ce que l'Office a retenu dans un premier temps, l'actif dont le séquestre a été ordonné, dont la nature juridique est la même que celle d'une créance salariale, doit ainsi être considéré comme situé à Genève, avec pour conséquence que l'Office est compétent pour exécuter le séquestre.

Le second argument invoqué par l'Office, soit l'imprécision de la description des actifs à séquestrer, est également mal fondé. Comme relevé ci-dessus, en effet, la jurisprudence relative à l'art. 93 al. 1 LP admet la saisie ou le séquestre du gain réalisé par un travailleur indépendant – sous forme du revenu net de l'activité déployée – alors même qu'il n'est pas possible de désigner précisément les créances à prendre en compte dans le calcul de ce gain, et en particulier d'indiquer leur montant et l'identité du tiers débiteur.

2.2 L'Office ne développe aucune argumentation permettant de remettre en cause cette jurisprudence, hormis des impératifs pratiques.

Il n'a pas tort lorsqu'il soulève le fait que le séquestre est en principe une mesure conservatoire qui doit pouvoir être exécutée rapidement et sans risque de confusion sur le vu de la description des biens à appréhender figurant dans l'ordonnance de séquestre ainsi que de la mention du lieu de situation et de l'éventuel détenteur de ces biens figurant dans l'ordonnance (cf. notamment les ATF 142 III 291 consid. 2 et 5; 136 III 379 consid 3.1; 130 III 579 consid. 2 qu'il cite). Il en découle que l'Office ne devrait pas, à l'inverse de ce qu'implique la saisie (art. 89 et ss LP), à procéder à des investigations pour déterminer la portée de la mesure. Or, la jurisprudence de la Chambre de céans implique que l'exécution du séquestre litigieux – qui porte sur un bien précisément déterminé : les revenus d'indépendant – s'accompagne de mesures d'investigations pour concrétiser l'objet visé par le séquestre. C'est en ce sens que la Chambre a utilisé les termes d'"actif sui generis". En réalité, les mesures à prendre par l'Office consistent essentiellement à demander la comptabilité du débiteur séquestré afin d'y découvrir ses débiteurs et procéder à la saisie des créances comprises dans le séquestre en leurs mains. Cette opération, simplement décrite ici, peut certes se révéler en pratique fastidieuse pour l'Office en l'absence de collaboration du débiteur. Il convient néanmoins que celui-là procède aux opérations raisonnablement exigibles de lui pour déterminer le cercle des débiteurs du débiteur et saisir les créances du débiteur en leurs mains. En cas d'impossibilité avérée d'y procéder, l'Office pourra rendre une décision de non-lieu de séquestre, comme il indique d'ailleurs avoir dû le faire dans l'exécution de la décision DCSO/333/19 du 15 août 2019.

Il sera par conséquent donné suite à la plainte. La décision du 1er février 2022 sera annulée et l'Office sera invité à exécuter le séquestre au sens des considérants.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 let. a OELP) et ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 62 al. 2 OELP).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :


A la forme :

Reçoit la plainte formée le 4 février 2022 par A______ contre la décision de l'Office cantonal des poursuites le 1er février 2022 dans le cadre du séquestre 3______.

Au fond :

L'admet.

Annule la décision précitée.

Invite l'Office cantonal des poursuites à exécuter le séquestre ordonné le 1er février 2022 par le Tribunal de première instance à l'encontre de C______.

Siégeant :

Monsieur Jean REYMOND, président; Madame Ekaterine BLINOVA et
Monsieur Denis KELLER, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

Le président :

Jean REYMOND

 

La greffière :

Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.