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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3270/2021

DCSO/227/2022 du 09.06.2022 ( PLAINT ) , ADMIS

Normes : lp.72.al1; lp.72.al2; cc.9.al1; cc.9.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3270/2021-CS DCSO/227/22

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 9 JUIN 2022

 

Plainte 17 LP (A/3270/2021-CS) formée en date du 24 septembre 2021 par A______, élisant domicile auprès de B______ SARL

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

-       A______

c/o B______ SARL

Att. M. C______

______

______ [VS].

- D______

p.a. Mme E______

______

______ [GE].

- Office cantonal des poursuites.


EN FAIT

A. a. Dans le cadre de la poursuite N° 1______, engagée par D______ à l'encontre de A______ en paiement d'un montant de 6'000 fr. plus intérêts au taux de 30% l'an à compter du 23 avril 2021, allégué être dû au titre d'arriéré de pension alimentaire, l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office) a établi le commandement de payer le 16 juin 2021 et l'a remis le lendemain à la Poste suisse pour notification à son destinataire.

b. Selon l'extrait du système "track&trace" de la Poste versé à la procédure de plainte, l'agent postal n'a pu notifier le commandement de payer le 18 juin 2021 lors de sa tournée et a dès lors laissé dans la boîte aux lettres du débiteur un avis invitant ce dernier à retirer l'acte au bureau de poste dans un délai de garde de sept jours. Toujours selon ce même extrait, le commandement a ensuite été notifié au bureau de poste le 21 juin 2021, sans qu'opposition ne soit formée.

c. Le procès-verbal de notification figurant au dos du commandement de payer correspond au contenu de l'extrait du système "track&trace" : il en résulte en effet que l'acte a été notifié le 21 juin 2021 à son destinataire, A______, et que celui-ci n'a pas formé opposition.

Entendue en qualité de témoin dans le cadre de la présente procédure de plainte, l'employée de la Poste ayant procédé à cette notification a indiqué n'en conserver aucun souvenir précis et ne pas reconnaître A______. Elle a décrit sa pratique constante en matière de notification d'actes de poursuite, consistant, lorsque la personne se présentant au guichet déclarait être le destinataire de l'acte, à exiger la présentation d'une pièce d'identité.

d. A______, pour sa part, a contesté s'être rendu le 21 juin 2021 au bureau de poste pour s'y faire notifier le commandement de payer litigieux, expliquant (cf. let. B.a ci-dessous) avoir été absent de Suisse du 17 au 27 juin 2021.

Il a en outre exposé vivre seul, ne pas avoir pris de disposition pour que son courrier soit relevé en son absence et n'avoir donné aucune procuration à un tiers pour retirer auprès du bureau de poste les envois qui lui étaient destinés.

e. Selon les explications de A______, il a trouvé le 3 septembre 2021 dans sa boîte aux lettres une enveloppe contenant le commandement de payer, poursuite N° 1______. Par courrier de sa mandataire adressé le 8 septembre 2021 à l'Office, il a déclaré former opposition à ladite poursuite.

f. Par décision du 14 septembre 2021, l'Office a refusé de prendre en considération l'opposition formée le 8 septembre 2021 en raison de sa tardiveté, le délai de dix jours prévu par l'art. 74 al. 1 LP ayant expiré le 1er juillet 2021.

B. a. Par acte adressé le 24 septembre 2021 à la Chambre de surveillance, A______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre la décision de l'Office du 14 septembre 2021, concluant à son annulation et à ce que l'opposition à la poursuite N° 1______ formée le 8 septembre 2021 soit prise en considération.

A l'appui de sa plainte, A______ a expliqué n'avoir pris connaissance du commandement de payer que le 3 septembre 2021, lorsqu'il l'avait trouvé dans sa boîte aux lettres. A l'en croire, cet acte ne pouvait lui avoir été notifié le 21 juin 2021 dès lors qu'il avait séjourné en Russie du 17 au 27 juin 2021.

Diverses pièces justificatives étaient annexées à cette plainte, parmi lesquelles une confirmation de réservation adressée le 14 juin 2021 à A______ par une agence de voyage pour deux vols F______, l'un de Genève à G______ le 17 juin 2021 et le second de G______ à Genève le 27 juin 2021, ainsi qu'un courriel de l'hôtel H______ de G______ du 16 juin 2021 relatif à un séjour devant se dérouler du 17 au 27 juin 2021, rédigé en russe.

b. Dans ses observations du 14 octobre 2021, l'Office, au vu des justificatifs produits par le plaignant, a suggéré l'audition de l'employé postal ayant procédé à la notification.

c. Par lettre du 15 octobre 2021, la poursuivante a conclu au rejet de la plainte, invoquant essentiellement des motifs relatifs au fond de la créance.

d. Une audience a été tenue le 2 mars 2022, à la suite de laquelle un délai a été octroyé au plaignant pour produire des pièces supplémentaires.

Dans le délai imparti, A______ a produit diverses copies de son passeport russe n° 2______, en particulier de ses pages 26 et 27 sur lesquelles apparaissent divers tampons apposés par les services d'immigration d'un aéroport [de] G______, notamment un tampon d'entrée difficilement lisible mais paraissant daté du 17 juin 2021 et un tampon de sortie légèrement plus lisible daté du 27 juin 2021.

e. Par lettres des 16 mars et 13 avril 2022, la poursuivante a persisté dans ses conclusions tendant au rejet de la plainte. Elle a notamment relevé que, chaque fois qu'il était en Russie, le plaignant prenait contact avec elle, ce qu'il n'avait pas fait entre les 17 et 27 juin 2021. Par ailleurs et à sa connaissance, la boîte aux lettres du plaignant était relevée pendant ses absences par sa mère ou son frère.

Relevant qu'il paraissait invraisemblable qu'un tiers – devant a priori porter le même nom de famille que le plaignant – ait retiré le commandement de payer puis l'ait conservé par devers lui jusqu'en septembre 2021, la poursuivante a par ailleurs sollicité la production des images vidéo du bureau de poste où la notification avait eu lieu.

f. La cause a été gardée à juger le 7 avril 2022.

EN DROIT

1. 1.1 Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie lésée dans ses intérêts (ATF
138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable.

1.2.1 L'autorité de surveillance constate les faits d'office, apprécie librement les preuves et ne peut, sous réserve de l'art. 22 LP, aller au-delà des conclusions des parties (art. 20a al. 2 ch. 2 et 3 LP). Celles-ci ont néanmoins une obligation de collaborer (art. 20a al. 2 ch. 2 2ème phrase LP), qui implique en particulier qu'elles décrivent l'état de fait auquel elles se réfèrent et produisent les moyens de preuve dont elles disposent (ATF 112 III 79 consid. 2).

1.2.2 Il n'y a pas lieu en l'espèce de donner suite à la demande de la poursuivante tendant à la production des éventuelles images de vidéosurveillance du bureau de poste où s'est déroulée la notification du 21 juin 2021. D'une part, il paraît extrêmement improbable que de telles images, si tant est qu'elles aient existé, aient été conservées plus de quelques jours. D'autre part, les preuves d'ores et déjà recueillies permettent de statuer sur la présence en Suisse du plaignant à la date de la notification, soit le seul point de fait litigieux et pertinent pour lequel les éventuelles images de vidéosurveillance auraient pu se révéler utiles.

2. 2.1 Un commandement de payer est un acte de poursuite qui doit faire l'objet d'une communication revêtant la forme qualifiée de la notification (art. 72 LP). Cette notification consiste en la remise physique en main du poursuivi ou, en l'absence de ce dernier, en main d'une personne de remplacement désignée par la loi et aux lieux prévus par la loi (art. 64, 65 et 66 LP), de l'acte à notifier, et ce sous forme ouverte (et non sous pli fermé), de manière à ce que le récipiendaire puisse immédiatement en prendre connaissance et, dans le cas du commandement de payer, former opposition (art. 74 al. 1 LP; MALACRIDA/ROESLER, in KUKO SchKG, 2ème éd., 2014, n. 2 ad art. 72 LP; WUTHRICH/SCHOCH, in BAK SchKG I, 3ème éd. 2021, n. 10 et 11 ad art. 72 LP). La notification d'un commandement de payer fait courir le délai de dix jours pour y former opposition (art. 74 al. 1 LP).

La notification est opérée par le préposé ou un employé de l'Office ou par la Poste (art. 72 al. 1 LP); dans cette dernière hypothèse, l'employé postal agit en qualité d'auxiliaire de l'Office, auquel ses actes sont imputables (ATF 119 III 8 consid. 3b). C'est sur l'Office que pèse le fardeau de la preuve de la notification régulière du commandement de payer (ATF 120 III 117 consid. 2).

La notification donne lieu à l'établissement par l'agent notificateur d'un procès-verbal, par lequel ce dernier doit attester, sur chaque exemplaire de l'acte, la date à laquelle il a été remis, l'endroit de cette remise et la personne qui l'a reçu (art. 72 al. 2 LP). Ce procès-verbal constitue un titre authentique au sens de l'art. 9 al. 1 CC, avec pour conséquence que les faits qu'il constate et dont l'inexactitude n'est pas prouvée sont réputés établis (art. 9 al. 1 CC; ATF 120 III 117 consid. 2). La preuve de leur inexactitude n'est soumise à aucune forme particulière (art. 9 al. 2 CC).

2.2.1 Il résulte en l'espèce du procès-verbal de notification figurant au dos du commandement de payer litigieux que cet acte a été notifié le 21 juin 2021 au plaignant. Conformément à l'art. 9 al. 1 CC, ce fait est donc réputé établi, à moins qu'il ne faille retenir que le plaignant est parvenu à rapporter la preuve de son inexactitude.

Outre ses propres déclarations, dont la valeur probatoire doit être relativisée, le plaignant se réfère pour l'essentiel à trois pièces afin d'établir qu'il se trouvait à l'étranger le 21 juin 2021.

La première – et celle revêtant la plus grande valeur probatoire – est l'extrait de son passeport russe, dont il ressort nonobstant certaines difficultés de lecture qu'il est entré sur le territoire russe le 17 juin 2021 et l'a quitté le 27 juin 2021. Cette information est corroborée par les deux autres titres produits, soit la confirmation du 14 juin 2021 portant sur deux vols, l'un à destination de G______ le 17 juin 2021 et le second en provenance de G______ le 27 juin 2021, et le courriel de confirmation du 16 juin 2021 de l'hôtel H______ de G______ relatif à un séjour du 17 au 27 juin 2021 dans cet établissement.

Se fondant sur ces trois titres pris dans leur ensemble, la Chambre de surveillance retient que le plaignant s'est effectivement trouvé à l'étranger du 17 au 27 juin 2021, et que ce n'est donc pas lui qui s'est vu notifier le commandement de payer litigieux le 21 juin 2021. Certes, les pièces produites ne constituent pas une preuve absolue dans la mesure où une réservation ou un vol peuvent être annulés et une page de passeport falsifiée. Elles présentent toutefois une cohérence entre elles, notamment temporelle, permettant d'emporter la conviction. A cela s'ajoute que la valeur litigieuse ne paraît pas de nature à justifier le temps et les ressources nécessaires à la confection de titres trompeurs.

2.2.2 Il importe peu pour le surplus, dans le cadre de la présente plainte, de déterminer à qui le commandement de payer a en définitive été remis, ni comment et à quelle date il est ensuite parvenu dans la boîte aux lettres du plaignant. Dès lors en effet que l'inexactitude du procès-verbal de notification a été établie, c'est à l'Office qu'il incombait de prouver par d'autres moyens que l'acte avait bien été reçu par le plaignant, ou à tout le moins que celui-ci avait eu connaissance de son contenu essentiel. Or aucun élément du dossier ne permet de retenir que cette prise de connaissance se serait produite avant le 3 septembre 2021.

Conformément à la jurisprudence (ATF 128 III 101 consid. 2.2), c'est donc à cette date que le délai d'opposition de dix jours prévu par l'art. 74 al. 1 LP a commencé à courir. Il n'avait donc pas encore expiré le 8 septembre 2021, lorsque le plaignant, par l'intermédiaire de son mandataire, a adressé à l'Office une lettre d'opposition.

La plainte est donc bien fondée. La décision attaquée sera annulée et l'Office invité à enregistrer l'opposition formée le 8 septembre 2021.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 lit. a OELP) et il n'est pas alloué de dépens (art. 62 al. 2 OELP).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 24 septembre 2021 par A______ contre la décision rendue le 14 septembre 2021 par l'Office cantonal des poursuites dans la poursuite N° 1______.

Au fond :

Admet la plainte.

Annule la décision contestée.

Invite l'Office cantonal des poursuites à enregistrer l'opposition formée le 8 septembre 2021 par A______ à la poursuite N° 1______.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Natalie OPPATJA et
Monsieur Anthony HUGUENIN, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.