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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/1080/2021

DCSO/238/2021 du 17.06.2021 ( PLAINT ) , PARTIELMNT ADMIS

Normes : lp.67.al1.ch4
Résumé : Un acte de défaut de biens ne constitue ni un titre de créance ni une cause de l'obligation au sens de l'art. 67 al. 1 ch. 4 LP.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1080/2021-CS DCSO/238/21

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 17 JUIN 2021

 

Plainte 17 LP (A/1080/2021-CS) formée en date du 24 mars 2021 par l'ETAT DE VAUD.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

- ETAT DE VAUD

DIT - Direction du recouvrement

DGAIC

Case postale

1014 Lausanne.

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. Le 26 février 2021, l'Etat de Vaud a adressé à l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office) une réquisition de poursuite dirigée contre A______, née le ______ 1969, en vue du recouvrement d'un montant de 857 fr. 70 sans intérêts.

Sous la rubrique "Titre et date de la créance ou à défaut de titre cause de l'obligation", la réquisition de poursuite contenait les indications suivantes : "Montant dû au 26.02.2021 en vertu de l'acte de défaut de biens n° 1______ de CHF 857.70 délivré le 25.10.2018 par l'Office des poursuites de Genève 1211 Genève 8".

b. Par décision du 16 mars 2021, reçue le 18 mars 2021 par l'Etat de Vaud, l'Office a refusé de donner suite à la réquisition de poursuite du 26 février 2021 au motif que, contrairement aux exigences de l'art. 67 al.1 ch. 4 LP, elle ne mentionnait ni titre de créance ni cause de l'obligation.

B. a. Par acte adressé le 24 mars 2021 à la Chambre de surveillance, l'Etat de Vaud a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre la décision du 16 mars 2021, concluant à son annulation et à ce qu'il soit ordonné à l'Office de donner suite à sa réquisition de poursuite.

Selon le plaignant, la mention de l'acte de défaut de biens, de sa date et de l'office des poursuites ou des faillites qui l'avait délivré était suffisante au regard des exigences posées par la jurisprudence relative à l'art. 67 al. 1 ch. 4 LP. L'Office avait d'ailleurs donné suite à une précédente réquisition de poursuite déposée en 2018 contre la même débitrice pour la même créance, alors que la prétention déduite en poursuite y avait été décrite de la même manière (poursuite n° 1______, fondée sur l'acte de défaut de biens n° 2______ du 4 novembre 1998).

b. Dans ses observations du 12 avril 2021, l'Office a conclu au rejet de la plainte.

Pour lui, un acte de défaut de biens ne constituait pas un titre de créance et ne donnait aucune indication sur la cause de la prétention déduite en poursuite. La simple référence à un tel acte ne permettait donc pas au poursuivi de savoir précisément pour quelle créance il était poursuivi, ce qui était d'autant plus vrai lorsque la poursuite portait sur des prestations périodiques, que la créance avait été cédée, que le créancier avait changé de nom ou d'appellation ou encore que l'acte de défaut de biens invoqué faisait lui-même suite à de précédents actes de défaut de biens, dont le premier pouvait remonter à de nombreuses années.

Dans le cas d'espèce, l'acte de défaut de biens invoqué dans la réquisition de poursuite du 26 février 2021 avait été délivré au terme d'une poursuite elle-même fondée sur un acte de défaut de biens, et ainsi de suite, la poursuite originale ayant été introduite en 1994. Il y avait donc lieu de penser que la poursuivie ne savait plus à quoi correspondait la prétention invoquée dans cette première poursuite.

c. Faute de réplique spontanée, la cause a été gardée à juger le 27 avril 2021.

EN DROIT

1. Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie lésée dans ses intérêts (ATF
138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable.

2. 2.1 Le contenu de la réquisition de poursuite est régi par l'art. 67 al. 1 LP. Selon le chiffre 4 de cette disposition, la réquisition de poursuite doit mentionner le titre et la date de la créance invoquée ou, à défaut de titre, la cause de l'obligation.

Le "titre de la créance" sera, par exemple, un jugement, une décision condamnatoire, un contrat, un document intitulé "reconnaissance de dette", etc. A défaut d'un tel document, et de la mention de la date de naissance de la prétention invoquée, le poursuivant doit indiquer la "cause de l'obligation", à savoir la source de la prétention déduite en poursuite. Le but de cette exigence n'est pas de permettre à l'office de procéder à un examen de l'existence de la prétention, mais de répondre à un besoin de clarté et d'information du poursuivi quant à la prétention alléguée afin de lui permettre de prendre position; toute formulation relative à la cause de la créance qui permet au poursuivi, conjointement aux autres indications figurant sur le commandement de payer, de discerner la créance déduite en poursuite suffit. En d'autres termes, le poursuivi ne doit pas être contraint de former opposition pour obtenir, dans une procédure de mainlevée subséquente ou un procès en reconnaissance de dette, les renseignements sur la créance qui lui est réclamée (ATF 121 III 18 consid. 2; 141 III 173 consid. 2.2.2).

Lorsqu'un défaut affecte la réquisition de poursuite, l'office des poursuites peut refuser d'y donner suite, en donnant le cas échéant au poursuivant un délai pour remédier au vice. Lorsque le défaut n'entraîne pas la nullité de la réquisition, la jurisprudence prescrit aux offices des poursuites d'impartir au poursuivant un délai aux fins de rectifier ou compléter les indications viciées, ou de lui demander les renseignements nécessaires (ATF 141 III 173 consid. 2.4).

2.2 Un acte de défaut de biens après saisie est délivré au créancier poursuivant lorsque celui-ci a participé à la saisie mais n'a pas été intégralement désintéressé (art. 149 al. 1 LP). Il comporte notamment les identités des poursuivant et poursuivi, la cause de la créance invoquée dans la poursuite initiale, son montant et celui du découvert (formulaire obligatoire n° 36; instruction n° 3 du Service haute surveillance LP, du 5 juin 2020, ch. 39 et 36; Schmid, in Kommentar SchKG, 4ème édition, 2017, Kren Kostkiewicz/Vock [éd.], N 7 ad art. 149 LP).

Contrairement à ce que le texte de l'art. 149a al. 1 LP pourrait laisser penser, l'acte de défaut de biens ne "constate" aucune créance : il s'agit d'une simple attestation officielle selon laquelle, au terme de l'exécution forcée, la créance invoquée par le poursuivant n'a pas été couverte ou ne l'a été que partiellement (ATF 116 III 66 consid. 4a). Il ne constitue en particulier pas un papier-valeur et ses effets découlent uniquement de la loi (Schmid, op. cit., N 3 ad art. 149 LP).

Bien que l'acte de défaut de biens après saisie ne constitue pas une reconnaissance de dette au sens matériel du terme, l'art. 149 al. 2 LP l'y assimile dans le cadre spécifique de l'art. 82 LP, le poursuivant pouvant ainsi, dans une poursuite postérieure portant sur les prétentions visées par un acte de défaut de biens après saisie, se prévaloir de celui-ci pour obtenir la mainlevée provisoire de l'opposition.

L'acte de défaut de biens établi lorsqu'aucun bien saisissable n'est trouvé lors de la saisie donne les mêmes droits que celui établi après saisie (art. 115 al. 1 LP). L'acte de défaut de biens délivré aux créanciers admis à l'état de collocation dans une faillite mais non intégralement désintéressés déploie en partie les mêmes effets (art. 265 al. 2 LP).

2.3 Dans le cas d'espèce, le "titre de la créance" indiqué par le plaignant consiste en un acte de défaut de biens spécifique délivré environ trois ans avant le dépôt de la réquisition de poursuite par l'Office. Aucun renseignement n'est en revanche donné sur le titre initial de la créance - soit le titre sur lequel était fondée la prétention ayant donné lieu à la première poursuite ayant débouché sur la délivrance en faveur du plaignant d'un acte de défaut de biens - ou sur sa cause.

A lui seul, l'acte de défaut de biens invoqué par le plaignant ne peut être qualifié de titre de la créance au sens de l'art. 67 al. 1 ch. 4 LP : il ne constitue en effet ni un papier-valeur ni une reconnaissance de dette ni un autre document directement relatif à la prétention déduite en poursuite, mais se borne à établir qu'une précédente poursuite portant sur la même prétention est allée à son terme sans aboutir au désintéressement du créancier. Il ne contient par ailleurs aucune information sur l'origine ou la nature de cette prétention, contrairement aux autres titres donnés en exemple par la jurisprudence (décisions judiciaires ou administratives, contrats, reconnaissances de dette, etc.). Certes, une reconnaissance de dette peut être abstraite, soit ne pas mentionner sa cause, et peut de même avoir été signée par une personne supposée à tort ou à raison avoir représenté le poursuivi, de telle sorte que celui-ci ne saura pas forcément immédiatement de quoi il retourne; il sera néanmoins en mesure de discerner sur quel fondement il est poursuivi - ce d'autant plus que la date du titre doit être indiquée - et de se déterminer en conséquence. Il n'en va pas de même lorsque seul un acte de défaut de biens est indiqué : dans de nombreuses hypothèses en effet, dont certaines ont été rappelées par l'Office dans ses observations, il n'est plus possible de discerner sans procéder à des recherches supplémentaires à quelle(s) prétention(s) initiale(s) correspond un acte de défaut de biens : il suffira à cet égard de relever que la poursuite précédente, au terme de laquelle l'acte de défaut de biens invoqué a été délivré, a pu porter sur plusieurs prétentions (par exemple pour des obligations périodiques comme des loyers, des primes d'assurance maladie ou des contributions alimentaires) dont certaines avaient déjà donné lieu à la délivrance d'un acte de défaut de biens et d'autre non.

De la même manière, l'acte de défaut de biens invoqué ne constitue pas une "cause de l'obligation" et sa simple mention ne permet pas d'identifier cette cause.

C'est donc à juste titre que l'Office a considéré que la seule mention d'un acte de défaut de biens, même clairement identifié par son numéro, sa date d'établissement et sa date, ne répondait pas aux réquisits de l'art. 67 al. 1 ch. 4 LP.

Il n'apparaît pas en revanche que le vice constaté violerait une disposition édictée dans l'intérêt public ou dans l'intérêt de personnes qui ne sont pas parties à la procédure de poursuite au sens de l'art. 22 al. 1 LP, et entraînerait donc la nullité de la réquisition de poursuite. La jurisprudence citée à cet égard par l'Office (ATF 121 III 18 consid. 2a) précise au contraire qu'une description insuffisante de la cause de l'obligation, voire une absence totale de description, a pour conséquence l'annulabilité du commandement de payer et non sa nullité.

Si l'Office était ainsi fondé à refuser de donner suite à la réquisition de poursuite du 26 février 2021 telle que déposée, il ne pouvait, comme il l'a fait, l'écarter en invitant le plaignant à en déposer une nouvelle, mais devait lui impartir un délai pour la compléter par l'indication du titre de la créance initial ou de la cause initiale de l'obligation. Cette solution s'imposait d'autant plus en l'espèce que la décision contestée marque un changement de pratique de la part de l'Office, lequel avait jusqu'alors donné suite à des réquisitions de poursuite ne mentionnant, sous la rubrique relative au titre de la créance ou à la cause de l'obligation, qu'un acte de défaut de biens.

La plainte sera donc partiellement admise en ce sens que l'Office sera invité à impartir au plaignant un délai approprié pour compléter sa réquisition de poursuite.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 lit. a OELP) et il n'est pas alloué de dépens (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :


A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 24 mars 2021 par l'Etat de Vaud contre la décision de rejet de réquisition de poursuite rendue le 16 mars 2021 par l'Office cantonal de poursuites.

Au fond :

L'admet partiellement, en ce sens que l'Office cantonal de poursuites est invité à impartir à l'Etat de Vaud un délai aux fins de compléter la réquisition de poursuite par l'indication du titre de la créance initial ou de la cause initiale de l'obligation.

La rejette pour le surplus.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Natalie OPPATJA et
Monsieur Anthony HUGUENIN, juges assesseurs; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l'art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.