Aller au contenu principal

Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

1 resultats
A/3042/2020

DCSO/204/2021 du 27.05.2021 ( PLAINT ) , REJETE

Recours TF déposé le 11.06.2021, rendu le 24.02.2022, CASSE
Descripteurs : revendication; postition procédurale des parties; quart détenteur
Normes : lp.106; lp.107; lp.108
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3042/2020-CS DCSO/204/21

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 27 MAI 2021

 

Plainte 17 LP (A/3042/2020-CS) formée en date du 28 septembre 2020 par
A______, élisant domicile en l'étude de Me Bernard Haissly, avocat.

 

* * * * *

 

 

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du à :

-       A______

c/o Me HAISSLY Bernard

Budin & Associés

Rue De-Candolle 17

Case postale 166

1211 Genève 12.

- B______ LIMITED

c/o Me GARBARSKI Andrew

Bär & Karrer SA

Quai de la Poste 12

Case postale 5056

1211 Genève 11.

 

 

 

- C______

______

______

Monaco.

 

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. Le 15 mars 2019, sur requête de B______, le Tribunal de première instance a ordonné le séquestre, au préjudice de C______, à concurrence de 118'780'703 fr. 10, de toutes les œuvres d'art, tableaux de maîtres, sculptures ou objets appartenant à C______ détenus en son nom propre ou celui de D______, respectivement au nom de E______ INC, F______ LTD, G______, H______ LTD, I______ LTD, A______, J______, K______ LTD, L______ SARL, M______ N.V., N______.V., O______, mais appartenant en réalité à C______, entreposés auprès de sociétés P______ SA ou Q______ SA, à Genève, notamment les œuvres d'art suivantes :

- "R______" (S______)

- "T______" (U______)

- "V______" (W______)

- "X______" (Y______)

- "Z______" (AA_____)

- "AB_____" (AC_____)

- "AD_____" (AE_____)

- "AF_____" (S______)

- "AG_____" (réplique; AH_____).

b. Le même jour, l'Office cantonal des poursuites (ci-après: l'Office) a adressé à P______ SA un avis concernant l'exécution du séquestre, n° 1______.

c. Selon le procès-verbal de séquestre, P______ SA a indiqué à l'Office que les œuvres d'art étaient entreposées au nom de F______ LTD.

d. Le 25 mars 2019, AI_____ LTD et AJ_____, agissant en tant que co-trustees de A______ (ci-après: A______), ont formé opposition au séquestre, sollicitant à titre principal son annulation concernant les neuf tableaux litigieux, déposés auprès de P______ SA, sous le numéro de dépôt 119'361, au nom de F______ LTD. Les opposants ont fait valoir que les tableaux étaient juridiquement la propriété des trustees de A______ et économiquement la propriété des filles d'C______, parmi lesquelles D______.

e. Le 3 avril 2019, B______ a introduit la poursuite en validation dudit séquestre (n° 2______).

f. Par jugement OSQ/50/2019 du 20 décembre 2019, le Tribunal de première instance a admis l'opposition à séquestre formée par AI_____ LTD et AJ_____ et révoqué l'ordonnance de séquestre rendue le 15 mars 2019 en tant qu'elle portait notamment sur les neuf tableaux susmentionnés.

g. Par arrêt du 28 avril 2020, la Chambre civile de la Cour de justice a annulé le jugement du 20 décembre 2019, écarté l'opposition à séquestre formée par AI_____ LTD et AJ_____ et confirmé l'ordonnance de séquestre du 15 mars 2019.

La Cour a retenu que les contrats de transferts de propriété des tableaux litigieux conclus entre C______ et sa fille, D______, puis entre cette dernière et un trust (A______), dont D______ était la seule bénéficiaire économique, étaient vraisemblablement simulés. Pour la Cour, les circonstances dans lesquelles ces transactions s'étaient déroulées laissaient penser que C______ n'avait vraisemblablement pas la volonté de réellement transférer la propriété des tableaux à sa fille, et que ces opérations avaient été faites dans le but de donner l'apparence d'un tel transfert, afin de soustraire ces biens à l'emprise des créanciers de C______. En définitive, tous les contrats étaient vraisemblablement simulés, de sorte que les tableaux appartenaient vraisemblablement toujours à C______.

h. Par courrier du 3 août 2020, AK_____ LTD, succédant à AI_____ LTD, et AJ_____ ont informé l'Office qu'ils revendiquaient la propriété sur les neuf tableaux précités, qui avaient été entreposés pour leur compte au nom de la société F______ LTD.

i. Par courrier du 5 août 2020, B______ a rappelé à l'Office que la Cour de justice, aux termes de son arrêt rendu dans la procédure d'opposition à séquestre, avait retenu l'existence d'une structure totalement transparente entre C______ et sa fille, D______, ainsi que A______.

B______ s'est opposée à la revendication et a invité l'Office à procéder conformément à l'art. 107 LP.

j. A______ a rétorqué que les neuf tableaux qu'il revendiquait (ainsi que les deux tableaux revendiqués par D______) étaient entreposés chez P______ SA, soit un quart détenteur, au nom de F______ LTD, qui agissait pour le compte du trust. Le principe de la transparence permettait tout au plus de retenir l'existence d'une identité juridique entre A______ et D______, de sorte que l'Office devait impartir un délai à B______ pour agir en revendication.

k. Par courrier daté du 24 août 2020, l'Office a envoyé à C______ et à B______ un avis de revendication de biens séquestrés, leur fixant un délai de 20 jours pour déclarer par écrit si et dans quelle mesure la revendication de A______ sur les neuf tableaux était contestée.

l. Le 4 septembre 2020, B______ a contesté la revendication et invité l'Office à assigner à A______ un délai pour ouvrir action en revendication, conformément à l'art. 107 al. 5 LP.

m. Par avis du 14 septembre 2020, reçu le 16 septembre 2020 par AK_____ LTD et AJ_____, l'Office leur a fixé, au sens de l'art. 107 LP, un délai de 20 jours pour ouvrir action en constatation de leur droit, faute de quoi leurs prétentions ne seraient pas prises en considération dans la poursuite en cours.

n. Par courrier du 21 septembre 2020, l'Office a maintenu sa position. Les trustees ne rendaient pas vraisemblable que F______ LTD agissait pour le compte de A______, la Cour de justice ayant considéré que les tableaux litigieux appartenaient vraisemblablement toujours à C______, soit la débitrice séquestrée.

B. a. Par acte expédié le 28 septembre 2020 au greffe de la Chambre de surveillance, A______, agissant par le truchement de AK_____ LTD et AJ_____, a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre la décision de l'Office du 14 septembre 2020. Il a conclu à son annulation et à ce que la procédure prévue par l'art. 108 LP soit mise en œuvre, à savoir que l'Office fixe un délai à B______ pour ouvrir action.

b. Par ordonnance du 30 septembre 2020, la Chambre de surveillance a accordé l'effet suspensif à la plainte.

c. Dans sa détermination, B______ a conclu au rejet de la plainte et à la confirmation de la décision de l'Office. Il ressortait de l'arrêt de la Cour de justice du 28 avril 2020 que les tableaux considérés appartenaient vraisemblablement toujours à C______, de sorte que P______ SA les détenait pour son compte.

d. L'Office a conclu à l'irrecevabilité de la plainte, pour cause de tardiveté, subsidiairement à son rejet, motif pris que P______ SA détenait vraisemblablement les tableaux revendiqués pour le compte de la débitrice séquestrée, laquelle n'en avait jamais transféré la propriété à sa fille respectivement au trust.

e. Aux termes de sa réplique, A______ a relevé que le délai de dix jours, dont l'échéance tombait le samedi 26 septembre 2020, avait été respecté par le dépôt de la plainte le lundi 28 septembre 2020, ce que l'Office a ensuite reconnu.

f. C______, à laquelle la plainte et les autres écritures ont été transmises, ne s'est pas déterminée.

g. Par avis du 15 avril 2021, les parties et l'Office ont été informés de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. La plainte est recevable pour avoir été déposée auprès de l'autorité compétente (art. 17 al. 1 LP; 6 al.1 et 3 LaLP), par une partie lésée dans ses intérêts (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), dans le délai utile de 10 jours (art. 17 al. 2 LP; art. 31 LP; art. 142 al. 3 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), à l'encontre d'une mesure de l'Office sujette à plainte (Tschumy, in CR LP, n. 7 ad art. 107 LP et n. 3 ad art. 108 LP), soit la décision de l'Office fixant le rôle des parties dans la procédure en revendication.

2. 2.1.1 Selon l'art. 106 al. 1 LP, applicable par analogie à la procédure de séquestre (art. 275 LP), lorsqu'il est allégué qu'un tiers a sur le bien saisi un droit de propriété, de gage ou un autre droit qui s'oppose à la saisie ou qui doit être pris en considération dans la suite de la procédure d'exécution, l'Office doit mentionner la prétention du tiers dans le procès-verbal de saisie ou, s'il a déjà été communiqué, en informer les parties.

2.1.2 Dans l'exécution forcée spéciale, la procédure de revendication comporte deux phases. La première est de nature administrative; elle permet aux intéressés d'annoncer leurs prétentions et à l'office des poursuites de fixer la position procédurale des parties. L'office doit impartir un délai de 20 jours ou bien au tiers pour ouvrir action en constatation de son droit (art. 107 LP) ou bien au créancier/débiteur pour ouvrir action en contestation de la prétention du tiers (art. 108 LP), selon la personne qui est en possession - au sens d'une détention de fait (arrêts du Tribunal fédéral 5A_35/2014 du 13 février 2014 consid. 3.3; 7B.105/2006 du 13 octobre 2006 consid. 2) - de l'objet. La seconde est de nature judiciaire; elle permet au juge de trancher le conflit au fond (Tschumy, op. cit., n° 9 ad Intro art. 106 à 109 LP).

Le débiteur n'est pas le "possesseur" exclusif du bien revendiqué lorsque le tiers revendiquant est le "possesseur" exclusif du bien revendiqué, lorsque le tiers revendiquant et le débiteur poursuivi ont la "copossession" dudit bien ou lorsque le quart détenteur détient pour le compte du tiers revendiquant (BSK SchKG I - Staehelin, n. 1, 4 à 6 ad art. 108 LP).

2.1.3 Le but de la procédure en revendication des art. 106 à 109 LP est de permettre au tiers qui a sur le droit patrimonial saisi un droit préférable - parce qu'il est titulaire du droit patrimonial saisi ou qu'il a sur celui-ci un droit de gage ou un autre droit qui s'oppose à la saisie ou qui doit être pris en considération dans la suite de la procédure d'exécution - d'obtenir que ce droit patrimonial soit soustrait à l'exécution forcée dans la ou les poursuites en cours ou qu'il en soit tenu compte dans la suite de la procédure d'exécution en cours (ATF 144 III 198 consid. 5.1.1). La seule question à trancher est de déterminer si l'objet litigieux peut être réalisé dans la poursuite en cours au profit du créancier ou s'il doit être libéré de la saisie, ou, selon le cas, du séquestre (ATF 107 III 118 consid. 2). Cette procédure vise ainsi à assurer que seul le patrimoine du débiteur serve à payer ses créanciers (arrêt du Tribunal fédéral 5A_35/2014 du 13 février 2014 consid. 3.2).

La répartition du rôle procédural par l'office des poursuites n'a pas d'influence sur celle du fardeau de la preuve dans la procédure en revendication. Les règles générales de preuve, notamment l'art. 8 CC, s'appliquent (ATF 116 III 82 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_584/2007 du 13 février 2008 consid. 3, publié in Pra 2008 (94) p. 601; 5C.245/2002 du 24 décembre 2002 consid. 2.3, publié in SJ 2003 I p. 444). Partant, il appartient au tiers revendiquant, qu'il soit demandeur (art. 107 LP) ou défendeur (art. 108 LP), d'établir son droit et au créancier d'apporter les faits propres à le mettre en doute (arrêt du Tribunal fédéral 5C.96/1996 du 18 juillet 1996 consid. 3a).

2.2 En l'espèce, les neuf tableaux revendiqués par le plaignant sont physiquement en possession d'un quart détenteur, soit une société d'entreposage.

Le plaignant reproche à l'Office d'avoir fixé la position procédurale des parties en se fondant sur des considérations ressortant de l'arrêt de la Cour de justice du 28 avril 2020 rendu dans la procédure d'opposition à séquestre.

Or, le principe général de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC), dont découle notamment le principe de la transparence ("Durchgriff"), est valable pour l'ensemble de l'ordre juridique. L'Office doit aussi en tenir compte pour fixer la position procédurale des parties au sens des art. 106 et ss LP. Certes, l'Office doit uniquement résoudre la question du meilleur droit apparent et n'a pas à se demander si cet état de fait est conforme ou non au droit (ATF 123 III 367 consid. 3b). Il ne saurait toutefois faire abstraction d'éléments d'appréciation parvenus à sa connaissance et qui mettent en évidence des comportements qui ne jouissent pas de la protection de l'ordre juridique, à l'instar de la conclusion de contrats simulés dans le but d'induire des tiers en erreur, et ce quand bien même ces informations proviendraient de la procédure d'opposition à séquestre, jugée en procédure sommaire (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_342/2020 du 4 mars 2021, consid. 4.1).

Il résulte de l'arrêt de la Cour de justice du 28 avril 2020 qu'il a été retenu, sous l'angle de la vraisemblance, que la débitrice séquestrée est toujours la propriétaire des tableaux revendiqués par le trust, les contrats passés avec la fille de la débitrice séquestrée étant vraisemblablement simulés dans le but de soustraire ces œuvres aux créanciers (de la débitrice), la simulation étant ainsi accompagnée de l’intention d’induire les tiers en erreur. La Cour a aussi considéré qu'il y avait identité économique entre la fille de la débitrice et le trust. Sur cette base, l'Office pouvait valablement considérer que le quart détenteur détient vraisemblablement ces neuf tableaux pour le compte de la débitrice séquestrée exclusivement et non pas pour le compte du plaignant. C'est par conséquent à juste titre que l'Office a fixé à cette dernière un délai pour ouvrir action.

Il sera enfin observé que cette répartition des rôles n'a pas d'incidence sur la répartition du fardeau de la preuve dans le procès au fond.

Mal fondée, la plainte doit être rejetée.

3. L'effet suspensif ayant été accordé à la plainte, la Chambre de céans impartira au plaignant un nouveau délai pour déposer son action (ATF 123 III 330 consid. 2).

4. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; 61 al. 2 lit. a OELP) et il n'est pas alloué de dépens (art. 62 al. 2 OELP).

 

 

 

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 28 septembre 2020 par A______ contre la décision de l'Office cantonal des poursuites du 14 septembre 2020 dans le cadre de l'exécution du séquestre n° 1______.

Au fond :

La rejette.

Dit que le délai de 20 jours imparti à A______, soit pour lui ses trustees, pour ouvrir action selon l'art. 107 LP commence à courir dès la communication de la présente décision.

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente; Madame Ekaterine BLINOVA et Monsieur Anthony HUGUENIN, juges assesseur(e)s; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

La présidente :

Verena PEDRAZZINI RIZZI

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.