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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1771/2024

JTAPI/997/2025 du 22.09.2025 ( ICC ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : TAXE D'INSCRIPTION AU REGISTRE;RESTRUCTURATION;REMEMBREMENT
Normes : LDE.33; LDE.60A; LFus.103
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1771/2024 ICC

JTAPI/997/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 22 septembre 2025

 

dans la cause

 

A______, représentée par ERNST & YOUNG SA, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             A______ (ci-après : la contribuable ou la recourante), fondée en ______ et sise dans le canton de Soleure, est une fondation de placement. Elle a notamment pour but l'investissement et la gestion collective des fonds de prévoyance, ainsi que la participation à des sociétés actives dans la gestion des investissements immobiliers.

2.             Par demande du 16 juin 2022, la contribuable a sollicité de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) un ruling portant sur un futur transfert, en sa faveur, du portefeuille immobilier appartenant à la fondation de prévoyance professionnelle B______ du groupe C______, soit 34 immeubles d’une valeur totale de CHF 231'351'500.-, dont l’un est situé à Genève et estimé à CHF 9'155'750.-. En contrepartie de ce transfert, B______ recevrait des parts dans le groupe de placement D______. Il s’agissait d’une restructuration fiscalement neutre exempte notamment des droits d’enregistrement, ce à quoi l'AFC-GE était priée de donner son accord.

3.             Le 18 juillet 2022, l'AFC-GE a donné son accord au ruling précité, sous les réserves suivantes :

-          son accord se fondait sur l’état de fait exposé dans la demande de ruling et ne portait pas sur les droits d’enregistrement, mais uniquement sur l’impôt sur le bénéfice et sur le gain immobilier, étant donné que dite requête ne permettait pas de confirmer que les conditions d’une restructuration fiscale étaient remplies ;

-          son accord était conditionné par la reprise de l’immeuble genevois à son coût d’acquisition historique et par la déclaration du gain résultant de sa vente future éventuelle ;

-          son accord était valable pour la période fiscale 2022.

4.             Par contrat notarié du ______ 2022, la contribuable et B______ ont réalisé le transfert immobilier précité. Le ______ 2022, la contribuable a été inscrite au registre foncier comme propriétaire de l’immeuble genevois.

5.             Le 19 août 2022, la contribuable a déposé auprès de l'AFC-GE une nouvelle demande de ruling portant sur la même opération. Selon elle, le transfert d’un portefeuille immobilier d’une fondation de prévoyance professionnelle (B______) à une fondation de placement (elle-même), en échange des droits de participation, échappait aux droits d’enregistrement, puisqu’il s’agissait d’une restructuration.

6.             Le 25 novembre 2022, l'AFC-GE a refusé de donner son accord à cette seconde demande de ruling.

Les informations dont elle disposait ne lui permettaient pas de confirmer que les conditions d’un démembrement en neutralité fiscale étaient remplies. En particulier, elle n’était pas en mesure de déterminer si B______ détiendrait effectivement au moins 20 % des parts dans la fondation de placement, après le transfert des immeubles, et la demande de la contribuable ne précisait pas si le délai légal de 5 ans serait respecté.

7.             La contribuable n’a pas réagi à ce refus.

8.             Par bordereau des droits d’enregistrement du 5 décembre 2022, l'AFC-GE a taxé l’opération « transfert de patrimoine ». Calculés sur une valeur de CHF 13'889'899.-, les droits dus s’élevaient à CHF 416'697.-.

9.             Le 20 décembre 2022, la contribuable a formé réclamation contre ce bordereau, concluant à son annulation.

Le transfert de patrimoine taxé constituait une restructuration au sens de la loi. En effet, la fondation de prévoyance transférante avait conservé son « engagement » immobilier, ce qui ne constituait pas une aliénation. En outre, dite fondation avait poursuivi une exploitation. Ainsi, il n’y avait pas eu de liquidation, ni d’aliénation. Le délai de blocage de 5 ans ne s’appliquait pas en l’espèce.

Par ailleurs, la perception des droits d’enregistrement en cas d’asset swap d’institutions de prévoyance n’était pas conforme à l’avantage fiscal voulu par législateur fédéral pour la prévoyance professionnelle. Le Tribunal fédéral avait également jugé qu’un asset swap constituait une restructuration.

Lors du transfert litigieux, les parties avaient fixé la valeur de l’immeuble genevois à CHF 9'155'750.-. Or, l'AFC-GE avait taxé, à tort, une valeur « officielle » de CHF 13'889'899.-.

10.         Le 28 mars 2024, l'AFC-GE a requis de la contribuable la production de tout document justifiant la valeur vénale de l’immeuble, au jour de son transfert.

11.         Le 10 avril 2024, la contribuable a remis à l'AFC-GE une expertise privée du 14 juillet 2022, selon laquelle l’immeuble était estimé à CHF 9'155'750.-.

12.         Par décision du 25 avril 2024, l'AFC-GE a admis partiellement la réclamation, en ce sens les droits dus étaient calculés sur une valeur de CHF 9'155'750.-, la rejetant pour le surplus.

Le transfert immobilier en cause ne pouvait pas bénéficier de l’exonération des droits d’enregistrement, la contribuable n’ayant pas démontré qu’il s’était effectué dans le cadre d’une restructuration au sens des art. 60 [recte : 61] de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et 20 al. 1 de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08).

13.         Par acte du 24 mai 2024, la contribuable, sous la plume de son mandataire, a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à son annulation et à celle du bordereau y relatif, sous suite des frais et dépens.

La décision contestée violait son droit d’être entendu dans la mesure où elle ne répondait pas à l’argumentation de sa réclamation.

Pour le surplus, elle a repris, en la développant, son argumentation précédente.

14.         Dans sa réponse du 9 décembre 2024, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Le droit d’être entendu de la recourante n’avait pas été violé, le bordereau de droits d'enregistrement et la décision sur réclamation ne venant que confirmer la position qu’elle avait explicitée dans ses réponses aux demandes de ruling.

Les droits d'enregistrement et de mutation relevaient exclusivement du droit cantonal, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de se conformer à des exigences légales spécifiques de rang fédéral et à des règles jurisprudentielles d'harmonisation fiscale. Dès lors, elle n’était pas liée par la pratique des autres cantons en la matière. Du reste, les cantons de Zürich, Uri, Glaris, Zoug, Schwyz et Schaffhouse ne connaissaient pas les droits de mutation. Ainsi, c’était de manière inexacte et contrairement au principe de la bonne foi que la contribuable prétendait que les cantons de Zürich et Zoug l’avait exonérée de ces droits.

Un asset swap immobilier, tel que celui réalisé dans le cas d'espèce, ne pouvait bénéficier de l'exonération des droits d'enregistrement que dans la mesure où les conditions d'un démembrement neutre fiscalement étaient remplies. Selon la jurisprudence, s'agissant d'un simple instrument de transfert des droits utilisé pour atteindre différents objectifs économiques, le transfert de patrimoine ne pouvait être assimilé d'une manière générale à une fusion, une scission ou encore une transformation. Les restructurations qui s'appuyaient sur un transfert de patrimoine pouvaient cependant être effectuées sans conséquences fiscales, pour autant que le procédé soit analogue, au plan économique, à une fusion, une scission ou une transformation. L'utilisation du transfert de patrimoine n'était ainsi pas nécessaire pour opérer une restructuration en neutralité fiscale et, inversement, n'entraînait pas ipso facto la neutralité fiscale. Lorsqu'une restructuration s'effectuait par le biais d'un transfert de patrimoine et qu'elle n'était pas analogue à une fusion, une scission ou une transformation, l'art. 24 al. 3 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) n'était pas applicable et il était donc nécessaire d'examiner si on était en présence d'un groupe au sens de l'art. 24 al. 3quater LHID. Elle estimait qu'un transfert de patrimoine, tel que réalisé en l'espèce (asset swap), devait être appréhendé comme un démembrement dans la mesure où pareille opération n'était pas analogue à une fusion, une scission ou une transformation. Or, en l'occurrence, les conditions d'un démembrement neutre fiscalement n’étaient pas remplies, la recourante n'ayant pas démontré qu'après le transfert immobilier, B______ détiendrait au moins 20 % des parts dans la fondation de placement. L'échec de cette démonstration conduisait au refus de l'exonération des droits d'enregistrement.

15.         Par réplique du 5 février 2025, la recourante a maintenu ses conclusions.

Son droit d’être entendu avait été violé dans la mesure où elle avait dû recourir au tribunal afin d’obtenir plus d’explications de l'AFC-GE sur les raisons de sa décision. Si, par économie de procédure, le tribunal réparait son droit d'être entendu, elle sollicitait alors qu’il en soit tenu compte dans la répartition des frais de la procédure.

L'opération en cause ne représentait pas une aliénation au sens strict du portefeuille immobilier de B______, mais bien plus une mutation de ses actifs. En effet, cette dernière conservait l'équivalent des fruits issus de son portefeuille immobilier. Du point de vue de la recourante, cela correspondait à une absorption du portefeuille immobilier de B______ en échange de droits représentant des créances à l'encontre du groupe de placement de la fondation. Même si cette opération représentait un transfert de patrimoine en droit civil, cela n'excluait toutefois pas que l'on fût en présence d'une restructuration au sens de l'art. 24 al. 3 et 3quater LHID. En effet, la loi n'énumérait pas de façon exhaustive les différentes formes de restructurations fiscalement neutres. De plus, les conditions pour une restructuration (liens subjectif, objectif et fiscal) étaient réalisées en l'espèce. Sur cette base déjà, il fallait admettre l'existence d'un cas de restructuration fiscalement neutre.

Concernant les conditions d’un démembrement, en particulier celle de la détention d'au moins 20 % du capital social de la société fille, ladite limite n'avait aucun sens s'agissant d'une fondation de prévoyance exonérée d'impôt. Celle-ci ne pouvait en effet pas abuser de l’exonération fiscale dans le cadre de restructurations et ne correspondait pas à une société de capitaux ou une société coopérative, si bien que dite limite de 20 % ne s’appliquait pas en l’espèce. En tout état, pour des fondations de prévoyance, il était concevable d'admettre des restructurations même si les conditions de l’art. 24 LHID n’était pas remplies.

En conclusion, les conditions d'une restructuration au sens de l'art. 24 al. 3 et 3quater LHID étaient réunies en l’espèce. Même si l’opération en cause devait être qualifiée de démembrement, toutes les conditions pour la neutralité fiscale étaient remplies, sous réserve de la condition de la détention minimale de 20 %, inapplicable en l’espèce. A son avis, cette opération s'apparentait bien plus à une fusion qu'à un démembrement. Dans tous les cas, il fallait admettre une restructuration au sens de l'art. 24 al. 3 et 3quater LHID, respectivement de l'art. 103 de la loi fédérale sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine du 3 octobre 2003 (LFus - RS 221.301), et l’exonérer des droits de mutations.

16.         Par duplique du 14 mars 2025, l'AFC-GE a campé sur sa position.

Le transfert de patrimoine réalisé en l’espèce devait être appréhendé comme un démembrement et répondre exclusivement aux exigences d'un démembrement (art. 24 al. 3 let. d LHID) pour bénéficier d'une exonération des droits d'enregistrement. Or, la condition des 20 % figurant à l'art. 24 al. 3 let. d LHID n'était manifestement pas remplie. La condition prévue à l'art. 103 LFus n'était donc pas donnée et l'opération en cause devait être soumise aux droits d'enregistrement.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE en matière de droits d’enregistrement (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 179 al. 1 et 2 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 - LDE - D 3 30).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable (cf. art. 178 al. 7 et 179 al. 1 et 2 LDE et 62 al. 1 let. a et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3.             La recourante invoque tout d’abord une violation de son droit d’être entendu dans la mesure où la décision attaquée serait insuffisamment motivée.

4.             Garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), le droit d’être entendu implique, pour l’autorité, l’obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que celle-ci mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que son destinataire puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause. L’autorité n’a pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties ; elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents. Dès lors que l’on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l’autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 1C_415/2019 du 27 mars 2020 consid. 2.1 et les arrêts cités).

Selon la jurisprudence, la violation du droit d'être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1). Une réparation de la violation du droit d'être entendu peut également se justifier, même en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (cf. ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_742/2016 du 26 janvier 2017 consid. 10.1 et les références citées).

5.             En l’occurrence, bien que la recourante, représentée par un mandataire qualifié, se plaigne d’un défaut de motivation de la décision entreprise, elle a été à même de la comprendre et de la contester efficacement. Son recours comporte, en effet, un exposé des faits et une argumentation juridique complets. La motivation de la décision est certes très succincte, mais l'AFC-GE en a expliqué les motifs à la recourante avant même de la prendre, à savoir dans ses réponses aux demandes de ruling des 18 juillet et 25 novembre 2022. En outre, un double échange d’écritures a eu lieu devant le tribunal, au cours duquel elle a pu compléter son argumentation après avoir pris connaissance de la réponse de l’AFC-GE.

Ainsi, à supposer que la décision entreprise n’ait pas été suffisamment motivée, l’éventuelle violation du droit d'être entendu qui en découlerait a pu être réparée devant le tribunal de céans, étant rappelé que celui-ci dispose des mêmes compétences que l'AFC-GE dans la procédure de taxation. Par conséquent, la décision litigieuse ne saurait être annulée pour ce motif.

6.             Au fond, le présent litige porte sur la question de savoir si le transfert d'immeubles intervenu par contrat du ______ 2022, entre la recourante, une fondation de placement, et B______, une fondation de prévoyance, peut bénéficier d'une exonération des droits d’enregistrement.

7.             Selon l'art. 1 LDE, les droits d'enregistrement sont un impôt qui frappe toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et en général toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, dénommées dans ladite loi « actes et opérations », soumises soit obligatoirement soit facultativement à la formalité de l'enregistrement.

8.             Aux termes de l’art. 33 LDE, sont soumis obligatoirement au droit de 3%, sous réserve des exceptions prévues par la présente loi, tous les actes translatifs à titre onéreux de la propriété, de la nue-propriété ou de l’usufruit de biens immobiliers sis dans le canton de Genève, notamment les ventes, substitutions d’acquéreur, adjudications, apports et reprises de biens (al. 1). Les cessions et reprises de biens immobiliers qui ne constituent pas une donation, un échange ou un partage, sont soumises au droit prévu pour les actes translatifs à titre onéreux de la propriété immobilière (al. 2). Le transfert de biens immobiliers résultant de la fusion ou de l’absorption de patrimoines est soumis au même droit (al. 3).

9.             Selon l’art. 60A LDE, il n'est perçu aucun droit en cas de restructuration en franchise d’impôts au sens des art. 20 al. 1 LIPP et 24 al. 3 et 3quater LHID (al. 1). En cas de non-respect du délai de blocage prévu par ces dispositions, les droits d’enregistrement sont perçus après coup (al. 2).

10.         Selon l'art. 103 LFus, la perception de droits de mutation cantonaux ou communaux est exclue en cas de restructuration au sens des art. 8 al. 3 et 24 al. 3 et 3quater LHID. Les émoluments couvrant les frais occasionnés sont réservés.

11.         En l’espèce, l'al. 3quater de l'art. 24 LHID n'est pas applicable. Cet alinéa vise en effet des transferts uniquement entre des entités réunies sous la direction unique d'une même entité (cf. ATA/1530/2019 du 15 octobre 2019), ce qui n'est pas le cas en l’occurrence.

12.         En vertu de l'art. 24 al. 3 LHID, les réserves latentes d'une personne morale ne sont pas imposées lors de restructurations, notamment lors d'une fusion, d'une scission ou d'une transformation, pour autant que la personne morale reste assujettie à l'impôt en Suisse et que les éléments commerciaux soient repris à leur dernière valeur déterminante pour l'impôt sur le bénéfice : en cas de transformation en une société de personnes ou en une autre personne morale (let. a) ; en cas de division ou séparation d'une personne morale à condition que ce transfert ait pour objet une ou plusieurs exploitations ou parties distinctes d'exploitation et pour autant que les personnes morales existantes après la scission poursuivent une exploitation ou partie distincte d'exploitation (let. b) ; en cas d'échange de droits de participation ou de droits de sociétariat suite à une restructuration ou à une concentration équivalant économiquement à une fusion (let. c) ; en cas de transfert à une société fille suisse d'exploitations ou de parties distinctes d'exploitations ainsi que d'éléments qui font partie des biens immobilisés de l'exploitation ; on entend par société fille une société de capitaux ou une société coopérative dont la société de capitaux ou la société coopérative qui la transfère possède au moins 20 % du capital-actions ou du capital social (let. d).

Le Tribunal fédéral a précisé que les deux premières conditions posées par l’art. 24 al. 3 LHID, à savoir que la personne morale reste assujettie à l'impôt en Suisse et que les éléments commerciaux soient repris à leur dernière valeur déterminante pour l'impôt sur le bénéfice, ne s’appliquaient pas en matière de droits d’enregistrement. Le renvoi à l'art. 24 al. 3 et 3quater LHID contenu à l'art. 103 LFus devait par conséquent être interprété de manière à ce que seul le concept de « restructuration » devait être utilisé en matière de droit de mutation, à l'exclusion des autres conditions établies par la LHID pour permettre l'exonération des impôts directs (ATF 138 II 557 consid. 5.2 et les réf.).

13.         Au vu de ce qui précède, il s'avère nécessaire d'examiner si l'opération intervenue entre la recourante et B______ constitue une restructuration au sens de l'art. 103 LFus en relation avec l'art. 24 al. 3 LHID. 

14.         Selon la jurisprudence, la notion de restructuration en vertu de l'art. 24 al. 3 LHID recouvre en principe la fusion, la scission et la transformation, mais pas le transfert de patrimoine. Ainsi, un tel transfert ne peut être effectué en neutralité fiscale en application de l'art. 24 al. 3 LHID, à moins qu'il ne réalise simultanément l'état de fait de la fusion, de la transformation ou de la scission (ATF 138 II 557 consid. 6.1). Le transfert de patrimoine constitue un institut juridique complémentaire aux états de fait spécifiques de la fusion, de la scission et de la transformation. Il représente un succédané pour les opérations de fusion et de transformation qui ne sont pas prévues par la LFus ; il permet de réaliser de manière adéquate des opérations de modification des structures juridiques. S'agissant d'un simple instrument de transfert des droits qui peut être utilisé pour atteindre différents objectifs économiques, le transfert de patrimoine ne peut être assimilé d'une manière générale à une fusion, une scission ou encore une transformation. Les restructurations qui s'appuient sur un transfert de patrimoine peuvent cependant être effectuées sans conséquences fiscales, pour autant que le procédé soit analogue, au plan économique, à une fusion, une scission ou une transformation. L'utilisation du transfert de patrimoine n'est ainsi pas nécessaire pour opérer une restructuration en neutralité fiscale et, inversement, il n'entraîne pas ipso facto la neutralité fiscale. Il convient par conséquent d'examiner dans chaque cas de transfert de patrimoine si on est en présence d'une restructuration qui peut s'effectuer de manière neutre au plan fiscal. Lorsqu'une restructuration s'effectue par le biais d'un transfert de patrimoine, et qu'elle n'est pas analogue à une fusion, une scission ou une transformation, l'art. 24 al. 3 LHID n'est pas applicable (ATF 138 II 557 consid. 7.3).

Ainsi, en l'absence d'un cas de restructuration au sens de l'art. 103 LFus, les institutions de prévoyance peuvent être tenues de payer des droits de mutation cantonaux ou communaux en cas de transfert de patrimoine portant sur des immeubles, dont l'état de fait n'est pas constitutif d'un cas de restructuration sous forme de fusion, transformation ou scission (ATA/1530/2019 du 15 octobre 2019 consid. 4i).

15.         Le terme de fusion de la clause générale de l'art. 24 al. 3 LHID comprend les fusions proprement dites effectuées selon les modalités des art. 3 ss LFus ainsi que les fusions improprement dites, à savoir les opérations économiquement équivalentes à des fusions, réalisées par le biais de l'institution du transfert de patrimoine. Elles impliquent en tous les cas le transfert de l'intégralité des actifs et passifs et la dissolution de l'entité transférante (ATF 138 II 557 consid. 6.2 et les réf.).

16.         En l’espèce, par acte notarié du ______ 2022, la recourante a repris une partie du patrimoine de B______, à savoir 34 immeubles d’une valeur totale de CHF 231'351'500.-, à l’exclusion de ses passifs. B______ n’a pas été dissoute après cette opération. Partant, dès lors que l'opération de transfert de patrimoine à l'origine de la présente affaire ne portait pas sur l'intégralité des actifs et passifs de B______ et qu'elle n'a pas entraîné la dissolution de celle-ci, elle ne saurait être assimilée à une fusion au sens de l'art. 24 al. 3 LHID. 

17.         Lors de la transformation envisagée par l'art. 24 al. 3 let. a LHID, qui se réfère aux art. 53 ss LFus, l'élément caractéristique réside dans le fait qu'une personne morale change de forme juridique tout en maintenant son activité (ATF 138 II 557 consid. 6.3 et les réf.).

18.         En l'espèce, ce n'est pas une opération de ce type qui a eu lieu, puisque le transfert de patrimoine concernait deux fondations qui ont conservé leur forme juridique respective. Dans ces conditions, on n'est pas en présence d'une restructuration au sens de l'art. 24 al. 3 let. a LHID. 

19.         En ce qui concerne la scission, elle est régie par l'art. 24 al. 3 let. b LHID en relation avec les art. 29 ss LFus. Une scission peut ainsi s'effectuer en neutralité fiscale pour autant qu'après l'opération les deux parties issues de la scission poursuivent une exploitation ou une partie d'exploitation. Cette condition du maintien d'une double exploitation s'explique en particulier par le souci d'éviter des abus, notamment le transfert de toute une exploitation avec, chez le sujet transférant, seuls quelques actifs isolés qui resteraient et pourraient ensuite être vendus avec la société scindée. L'exploitation se caractérise par un degré élevé d'autonomie et constitue une organisation capable de subsister par elle-même. La partie d'exploitation représente quant à elle la plus petite entité capable de subsister de manière autonome (ATF 138 II 557 consid. 6.4 et les réf.). 

Selon la circulaire n° 5a de l'AFC-CH du 1er février 2022 sur les restructurations (ci-après : la circulaire n° 5a), une exploitation ou une partie distincte d’exploitation est reconnue lorsque les exigences suivantes sont cumulativement remplies :

-          l’entreprise effectue des prestations sur le marché ou à des entreprises apparentées ;

-          l’entreprise dispose de personnel ;

-          le coût du personnel est, par rapport aux recettes, conforme à l’usage.

Une exploitation peut aussi comporter des actifs non nécessaires à l’exploitation (p. ex. liquidités, immeubles), à condition que l’exploitation n’occupe pas de ce fait une position subalterne, qu’elle n’ait pas été créée uniquement dans le but d’obtenir une restructuration en neutralité fiscale et qu’elle soit poursuivie dans le futur (réserve générale en matière d’évasion fiscale). Une gestion immobilière professionnelle constitue une exploitation dans la mesure où les exigences suivantes sont cumulativement remplies :

-          il y a une participation au marché ou des immeubles d’exploitation sont loués à des sociétés du groupe ;

-          l’entreprise occupe ou mandate au moins une personne pour la gérance des immeubles (un emploi à plein temps pour des travaux de gestion immobilière) ;

-          les rendements locatifs sont au moins 20 fois supérieurs au coût du personnel conforme au marché pour la gérance des immeubles.

La détention et l’administration de titres qui ne servent qu’aux propres placements, ne constituent jamais une exploitation, même dans le cas d’une importante fortune (ch. 3.2.2.1 p. 24).

La circulaire n°5a indique par ailleurs que la scission doit être distinguée du démembrement (soit le transfert à une société filiale). Lors du démembrement, une société transfère des valeurs patrimoniales à une société dans laquelle elle prend ou détient déjà des droits de participation. Lors d’un démembrement en faveur d’une société filiale, des valeurs patrimoniales sont transférées à une société nouvelle ou préexistante, dans laquelle seule la société transférante détient des droits de participation. Le démembrement de valeurs patrimoniales en faveur d’une société dans laquelle une ou plusieurs société(s) détiennent des droits de participation (« joint venture ») génère les mêmes conséquences fiscales qu’un démembrement en faveur d’une société filiale. Exceptionnellement et à certaines conditions cumulatives, le transfert de valeurs patrimoniales à une société filiale est fiscalement neutre. Une société filiale suisse est, en général, une société de capitaux ou une société coopérative dont le siège ou l'administration effective est en Suisse et au capital-actions ou au capital social de laquelle la société de capitaux ou la société coopérative transférante possède 20% au moins (ch. 4.4.1, p. 73). Contrairement à ce qui prévaut en matière de scission (cf. ch. 4.3), le transfert peut aussi être effectué par le biais d’une simple vente (ch. 4.4.1.2.4, p. 74).

Les conditions susévoquées relatives à l'exigence d'une exploitation applicable en cas d'une scission sont également valables en cas de démembrement ou de transfert d'une exploitation d'une société de personne (personne physique) à une personne morale. En cas de scission, vu la disparition du délai de blocage exigé jusqu'alors par la pratique, l'exigence de l'exploitation revêt une importance accrue. Ainsi, si des actifs isolés - par exemple des immeubles - font l'objet d'un transfert dans une société-sœur, les conditions d'une scission fiscalement neutre (exigence de l'exploitation) ne sont pas remplies. L'exigence de l'exploitation ne vaut pas seulement pour les valeurs patrimoniales transférées mais également pour la société transférante, afin de garantir l'imposition en cas de processus inverse - lorsqu'une exploitation est séparée et que subsistent des actifs isolés ne servant plus qu'au placement. Si la société transférante ne remplit plus l'exigence de l'exploitation après la scission, l'impôt sur le bénéfice est prélevé sur les réserves latentes restantes de la société transférante. Ainsi, quel que soit le procédé choisi en droit civil, les conséquences fiscales sont toujours les mêmes (ATA/1530/2019 du 15 octobre 2019 consid. 5c et les références).

La doctrine a précisé qu’en ce qui concerne les droits de mutation, l'exigence d'exploitation et le rapport de participation de 20 % doivent toujours être remplis pour le démembrement selon l'art. 24 al. 3 let. d LHID. Le swap d'actifs immobiliers doit donc être traité selon les critères du démembrement de filiale. Une participation minimale de 20 % est donc également requise pour la neutralité fiscale en cas d'asset swap sur une fondation de placement (Maxim DOLDER, Gianfranco GAMBARO, in Séminaire ISIS du 21 mars 2024, « Thèmes fiscaux actuels lors de transactions M&A »).

20.         La notion d'exploitation et de partie distincte d'exploitation doit correspondre, selon le Tribunal fédéral, à un complexe organisationnel et technique de valeurs patrimoniales qui représente une certaine indépendance. L'exploitation se caractérise par un degré élevé d'autonomie et se présente comme une organisation capable de subsister par elle-même. Dans une exploitation, le capital et le travail sont mis en œuvre dans le but de réaliser un profit (« Gewinnerzielung »), étant précisé que l'engagement de la force de travail ne se limite pas au prélèvement des plus-values ou à la récupération de bénéfices (ATF 142 II 283 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_675/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3.5). De ce fait, la notion d'activité lucrative indépendante est plus large que celle d'exploitation. L'objet de l'art. 19 al. 1 let. b LIFD est de permettre la poursuite de l'activité entrepreneuriale sous une forme juridique différente et d'éviter que la fiscalité puisse constituer un obstacle à la transformation des entreprises. Le législateur a donc voulu favoriser la réorganisation des entreprises en neutralité fiscale et estime qu'il s'agit d'un intérêt public de prévoir que celle-ci puisse se faire sans conséquence fiscale. C'est pourquoi le Tribunal fédéral préconise une interprétation stricte de la notion d'exploitation (consid. 3.3).

La gestion d'un patrimoine immobilier propre ne peut constituer une exploitation que de manière très exceptionnelle, par exemple en présence d'un nombre important d'immeubles nécessitant une gestion d'une certaine intensité (gestion de contrats de baux, gestion de services immobiliers, etc.). La notion d'exploitation présuppose une gestion professionnelle des immeubles. La notion d'exploitation n'est donnée que si l'activité de gestion ne se limite pas à celle qui est liée au seul placement de capitaux d'une entreprise active dans l'immobilier (ATF 142 II 283 consid. 3.4). Dans cette affaire, le patrimoine transféré était constitué de quatre appartements, quatre places de parc souterraines et de quelques actions dans des sociétés anonymes de faible valeur. De plus, la société en nom collectif n'avait pas eu une très grande activité dans le domaine de l'immobilier, de sorte que cette activité n'atteignait pas une telle intensité pour être qualifiée d'exploitation au sens de l'art. 19 al. 1 let. b LIFD. La transformation en neutralité fiscale a été refusée (ATF 142 II 283 consid. 4).

Le législateur n'a, à la suite de l'adoption de la LFus, pas considéré que le transfert d'un bien immobilier d'une institution de prévoyance à une autre - non constitutif d'un cas de restructuration sous forme de fusion, transformation ou scission - devait obligatoirement être exonéré des droits de mutation (cf. ATA/1530/2019 du 15 octobre 2019 consid. 5g).

21.         En l’espèce, la recourante, sur qui reposait le fardeau de la preuve (cf. ATF 146 II 6 consid. 4.2), n’a fourni absolument aucun élément permettant de retenir que B______ a poursuivi une exploitation ou une partie d'exploitation, au sens défini plus haut, après le transfert de ses 34 immeubles, étant rappelé que la détention et l’administration de titres qui ne servent qu’aux propres placements, ne constituent pas une exploitation. Dans ces conditions, on ne saurait admettre que B______ représentait encore une exploitation ou partie d'exploitation au sens précité. On n'est par conséquent pas en présence d'une scission au sens de l'art. 24 al. 3 let. b LHID.

Pour le surplus, la recourante n’a pas démontré, ni d’ailleurs prétendu, que suite au transfert immobilier en cause, B______ détiendrait au moins 20 % de ses parts (art. 24 al. 3 let. d LHID). Dès lors, on ne saurait admettre que les conditions d'un démembrement neutre fiscalement sont remplies.

22.         Au vu de ce qui précède, le transfert de patrimoine intervenu entre la recourante et B______ ne constitue ni une fusion, ni une transformation, ni une scission, de sorte qu'on n'a pas affaire à une restructuration au sens de l'art. 24 al. 3 LHID. La recourante ne peut ainsi prétendre à être exonérée du droit d’enregistrement conformément à l'art. 103 LFus en relation avec l'art. 24 al. 3 LHID. 

23.         Enfin, lorsqu'une restructuration s'effectue par le biais d'un transfert de patrimoine et qu'elle n'est pas analogue à une fusion, une scission ou une transformation, comme en l’espèce, l'art. 24 al. 3 LHID n'est pas applicable et il est donc nécessaire d'examiner si on est en présence d'un groupe au sens de l'art. 24 al. 3quater LHID (ATF 138 II 557 consid. 7.3).

24.         En l’occurrence, la recourante n’allègue pas que le transfert des immeubles litigieux a été opéré entre deux entités d’un même groupe au sens de l’art. 24 al. 3quater LHID, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce point.

25.         Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

26.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1’200.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

27.         Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 24 mai 2024 par A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 25 avril 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1’200.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais de CHF 700.- ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Laurence DEMATRAZ et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière