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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3800/2024

JTAPI/655/2025 du 16.06.2025 ( ICC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

ATTAQUE

Descripteurs : DONATION;DONATION MIXTE;TAXE D'INSCRIPTION AU REGISTRE
Normes : LDE.11
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3800/2024 ICC

JTAPI/655/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 16 juin 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Antoine BERTHOUD, avocat, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Inscrite au registre du commerce de Genève depuis le ______ 2011, la société B______ SA est active dans la réalisation des travaux de construction, de rénovation et de transformation de bâtiments. Son capital-actions est constitué de 100 actions nominatives valant CHF 1'000.- chacune. Monsieur A______ (ci-après : le contribuable) en est l’administrateur-président (avec signature individuelle) et Madame C______ en est l’administratrice (également avec signature individuelle). Ces derniers en étaient également les seuls actionnaires, à raison de 50 % chacun.

2.             Par contrat sous seing privé du 27 février 2023, Mme C______ a cédé ses 50 actions au contribuable, pour le prix de CHF 50'000.- correspondant à leur valeur nominale.

3.             Considérant cette transaction comme une donation mixte en faveur du contribuable, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) l’a taxée comme telle, par bordereau des droits d’enregistrement du 7 août 2024. Calculés sur une donation valant CHF 552'630.-, les droits dus (y compris les centimes additionnels) s’élevaient à CHF 295'016,20. Une amende de CHF 200.- était pas ailleurs infligée au contribuable « pour dépôt tardif » de l’acte.

4.             Le 20 août 2024, le contribuable, sous la plume de son conseil, a formé réclamation contre ce bordereau.

Il contestait l’existence de la volonté de donner. Le prix de cession des actions avait été fixé en tenant compte du fait que leur valeur dépendait essentiellement de sa propre activité au sein de la société.

Afin de pouvoir compléter sa réclamation, il demandait à l'AFC-GE de lui communiquer le détail de son calcul de la valeur de la donation (CHF 552'630.-).

5.             Les 29 août et 30 septembre 2024, l'AFC-GE a répondu au contribuable que la valeur des 50 actions avait été fixée à CHF 602'630.- sur la base de l’estimation qui en avaient été faite en vue de l’impôt sur la fortune des actionnaires en 2022, estimation de laquelle elle avait déduit le prix de vente de CHF 50'000.-. Cette évaluation était connue du contribuable puisqu’elle ressortait de son bordereau ICC 2022, contre lequel il n’avait formé aucune réclamation et qui était ainsi entré en force.

Elle a par ailleurs remis au contribuable l’estimation qu’elle avait communiquée le 13 avril 2023 à B______ SA.

6.             Par courrier de son conseil du 30 septembre 2024, le contribuable a encore contesté la position de l'AFC-GE.

Le fait qu’il n’eut pas contesté le montant de sa fortune imposée en ICC 2022 n’empêchait pas de soulever l’ensemble de ses moyens contre un bordereau relatif aux impôts spéciaux, tels que les droits d’enregistrement.

L’estimation des titres retenue par l'AFC-GE dépendait majoritairement de la valeur de rendement de la société. Or, il ressortait des comptes 2021 de cette dernière que son bénéfice résultait essentiellement des produits de participation, et en particulier d’un dividende que lui avait versé la société immobilière D______ SA, suite à la réalisation par celle-ci d’un produit extraordinaire. La circulaire n° 28 de la Conférence suisse des impôts (intitulée « Instructions concernant l’estimation des titres non cotés en vue de l’impôt sur la fortune » ; ci-après : la circulaire n° 28) précisait que les revenus uniques et extraordinaires, ainsi que les dividendes, devaient être écartés du bénéfice déterminant pour le calcul de la valeur d’une société. En effet, les résultats des filiales étaient déjà pris en compte dans le calcul de la valeur substantielle de la société.

En l’occurrence, le rendement de B______ SA ayant été nul, sa valeur devait être ramené à CHF 397'410.-, avant la réduction pour participation minoritaire de 30 %. Ainsi, la valeur des actions cédées devait être ramenée à CHF 128'594.- et, en conséquence, celle d’une « hypothétique donation » à CHF 78'594.-.

7.             Par décision du 10 octobre 2024, l'AFC-GE a admis partiellement la réclamation.

Elle avait procédé à une nouvelle estimation des titres de la société, arrêtant leur valeur nette (après la déduction forfaitaire) à CHF 7'986,30 chacun, et les droits de donation seraient recalculés sur cette base.

Pour le surplus, les conditions d’une donation mixte étaient données, si bien que la part de l’estimation qui excédait le prix de cession devait faire l’objet des droits d’enregistrement.

A teneur du bordereau rectificatif, la valeur de la donation était ramenée à CHF 520'450.-.

8.             Le 21 octobre 2024, à la demande du conseil du contribuable, l'AFC-GE a communiqué à ce dernier les nouvelles estimations de B______ SA au 31 décembre 2021 et 2022, fondée uniquement sur sa valeur substantielle. La valeur de ses titres était ainsi arrêtée à CHF 7'986,30 (2022) et CHF 7'715,40.- (2023).

9.             Par acte du 13 novembre 2024, le contribuable (ci-après : le recourant), sous la plume de son conseil, a recouru contre la décision sur réclamation précitée auprès de Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à son annulation, sous suite des frais et dépens.

Depuis la constitution de B______ SA, il était son unique salarié et animateur. Détentrice de la moitié du capital-actions, Mme C______ avait décidé de la lui céder à la valeur nominale, tenant compte du fait qu’il était exclusivement à l'origine de sa valorisation. Dans son courrier du 6 novembre 2024, elle lui avait confirmé avoir souscrit 50 actions de la société pour l’aider à lancer son entreprise et que, dans la mesure où il en était l'unique employé, leur vente à la valeur nominale ne pouvait « tirer son origine dans aucune volonté de donner ».

La présomption légale qu’il existait une donation, en cas de disproportion entre prestation et contreprestation, pouvait être renversée en fonction des circonstances. Tel était le cas en l'espèce, puisque la cession à la valeur nominale avait été décidée en raison du fait qu’il était lui seul à l'origine des résultats réalisés par la société.

Subsidiairement, il contestait l’estimation des titres retenue par l'AFC-GE. Celle-ci s’écartait de la circulaire n° 28 sur trois points :

-          Le nouveau calcul de l'AFC-GE se fondait exclusivement sur la valeur substantielle de l'entreprise. Or, celle-ci n’était pas société holding pure. Il n’y avait donc pas de raison de s'écarter de la « méthode des patriciens » préconisée par ladite circulaire (pondération entre valeur de rendement et valeur substantielle).

-          Pour le calcul de la valeur de rendement, les dividendes reçus par B______ SA, et en particulier celui extraordinaire versé par sa filiale D______ SA, ne devaient pas être pris en considération.

-          L'abattement pour actionnaire minoritaire devait être accordé dès lors qu’il fallait appréhender la valeur des actions cédées « du point de vue de l'aliénatrice », qui remplissait manifestement les conditions pour en bénéficier.

Selon ses calculs, et en application stricte de la circulaire n° 28, les 50 actions vendues valaient CHF 133'106,50.

Si, par impossible, le tribunal devait considérer que l'estimation litigieuse devait se fonder exclusivement sur la valeur substantielle de B______ SA, il y aurait alors lieu de tenir compte du fait que l'essentiel de ses fonds propres était constitué de réserves issues des bénéfices reportés. Dans aucune transaction entre tiers indépendants il n'était tenu compte d'un impôt latent de 35 % sur la distribution desdits bénéfices sous forme de dividendes. Dans cette hypothèse, la valeur de de B______ SA devrait être réduite de CHF 305'016.- (35 % de CHF 871'474.-).

10.         Dans sa réponse du 25 mars 2025, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Les conditions pour retenir une donation mixte étaient remplies, puisque les actions avaient été vendues à leur valeur nominale, inférieure à leur valeur réelle.

Le recourant, sur qui reposait le fardeau de la preuve, n'avait établi que le prix de vente des actions à la valeur nominale était « correct », ou qu'il devait être ramené à CHF 128’594.-. Il n’avait pas non plus démontré que le calcul de l’estimation litigieuse était faux et que seul lui-même était à l'origine des résultats réalisés par la société.

Les comptes de B______ SA faisant apparaitre qu'elle n'avait plus d'activité depuis deux ans, il n’y avait pas lieu de prendre en compte sa valeur de rendement, mais uniquement sa valeur intrinsèque. Ainsi, en l'absence de la valeur de rendement, il n'y avait pas lieu d'entrer en matière sur le second grief du recourant.

Finalement, l’estimation litigieuse tenait bel et bien compte de l'abattement pour actionnaire minoritaire. Dans l'hypothèse où le recourant se réfèrerait en réalité à la société fille D______ SA, il n’y avait pas lieu d’accorder cet abattement, cette dernière étant une société immobilière.

11.         Dans sa réplique du 31 mars 2025, le recourant a persisté dans ses conclusions.

L'AFC-GE n'alléguait, ni ne démontrait, l’existence d'une intention de donner et aucun élément de fait qu'elle soutenait ne permettait de parvenir à une telle conclusion. L’un des éléments essentiels d’une donation n'étant pas démontré en l'espèce, le recours devait être admis pour cette seule raison.

Les transactions portant sur des titres étaient rarement conclues à la valeur fiscale de ces derniers, le prix du marché étant fixé sur la base de critères totalement différents.

Contrairement à ce qu’avançait l'AFC-GE, les comptes 2019 à 2022 de B______ SA permettaient de constater qu’elle avait encaissé, de manière continue, des honoraires pour une activité de direction travaux, même si celle-ci avait été réduite en 2020, en raison d'un grave problème de santé subi par le recourant, qui avait depuis lors repris une activité à temps partiel. Ainsi, il y avait lieu de tenir compte de son rendement, mais d’exclure de celui-ci le dividende extraordinaire reçu par la société en 2021.

Dans l’estimation de la société, l'AFC-GE avait en effet tenu compte de l'abattement pour actionnaire minoritaire, mais la taxation litigieuse était manifestement fondée sur la valeur brute de CHF 11'409.- par action, et non pas sur celle après cet abattement (CHF 7'986,30). Comme l’AFC-GE admettait qu'il s’agissait de la vente d’une participation minoritaire, elle devrait proposer, au minimum, l'admission du recours dans ce sens.

12.         Par duplique du 14 mai 2025, l'AFC-GE a campé sur sa position.

L'intention de donner avait été établie. Dans la mesure où le contrat de vente d'actions du 27 février 2023 comportait une contre-prestation d’une valeur inférieure à celle de la prestation, la différence avait été appréhendée comme une libéralité et soumise aux droits de donation.

Eu égard aux remarques formulées dans la réplique du recourant, elle avait réexaminé les comptes de B______ SA et, en date du 17 avril 2025, avait établi une nouvelle estimation de ses titres. Les valeurs ressortant de cette nouvelle évaluation étant supérieures à celles de l'estimation litigieuse, leur prise en compte devrait aboutir à une reformatio in pejus de la taxation litigieuse. En effet, les estimations des 13 avril 2023 et 9 octobre 2024 reposaient sur les comptes 2021 de la société, tandis que celle du 17 avril 2025 se fondait sur ses comptes 2022. Une valorisation au 31 décembre 2022 était en effet plus appropriée s'agissant d'une vente intervenue en février 2023. De plus, à teneur du compte de résultats de la société, le poste de produits « Direction de travaux pour tiers » et celui de charges « Sous-traitants et fournisseurs, frais de chantier, etc. » témoignaient d'une activité commerciale conforme à son but statutaire. L'application d'une méthode moyenne (contrairement à l'estimation du 9 octobre 2024) était conforme à la circulaire n° 28. Toutefois, une telle rectification en défaveur du recourant n’était pas prévue en matière de droits d’enregistrement. Cela étant, c’était à tous le moins l’estimation du 9 octobre 2024 qui devait être confirmée, quand bien même elle était erronée en ce sens qu’elle était plus favorable au recourant.

S’agissant de la question de savoir si le dividende de CHF 609'630.- devait être retranché du revenu au titre de produit extraordinaire, en présence d'une société mixte, dans laquelle l'essentiel de l'actif était composé de participations (type société holding) mais qui réalisait en parallèle une activité commerciale, l'ensemble des revenus (tant les produits liés aux participations que ceux liés à l'activité commerciale) était cumulé dans le cadre de la détermination de la valeur de rendement. Concernant plus particulièrement la filiale D______ SA, celle-ci avait procédé à trois distributions ces quatre dernières années, celle de 2021 étant la plus conséquente (CHF 1'016'051.-). Son bénéfice 2021 (CHF 2'180'158,79) découlait essentiellement de la vente d’un immeuble. En 2020, son bénéfice et ses fonds propres s’élevaient à respectivement CHF 16'648.- et CHF 22'100.-. C’était donc son bénéfice 2021 qui avait permis de financer la distribution du dividende de CHF 1'016'051.-. Ce bénéfice, réalisé par la société fille, était en lien avec son but statutaire, tout comme avec celui de la société mère. Il n'était pas ici question de la vente d'un actif isolé, mais, selon toute vraisemblance, d'une promotion immobilière. Par essence, une promotion immobilière était apériodique, mais non nécessairement extraordinaire, à plus forte raison si elle était réalisée dans le cadre de son activité commerciale.

13.         Par courrier de son conseil du 26 mai 2025, le recourant a encore persisté dans ses conclusions.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE en matière de droits d’enregistrement (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 179 al. 1 et 2 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 - LDE - D 3 30).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable (cf. art. 178 al. 7 et 179 al. 1 et 2 LDE et 62 al. 1 let. a et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 1 LDE, les droits d'enregistrement sont un impôt qui frappe toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et en général toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, dénommées dans ladite loi « actes et opérations », soumises soit obligatoirement soit facultativement à la formalité de l'enregistrement.

4.             Aux termes de l’art. 11 LDE (cum art. 3 let. h LDE), sont soumis obligatoirement aux droits, sous réserve des exceptions prévues par la présente loi, disposition entre vifs par laquelle une personne physique ou morale cède, sans contrepartie correspondante, à une autre personne physique ou morale, tout ou partie de ses biens ou de ses droits, en propriété, en nue-propriété ou en usufruit, est, en tant que donation, soumise obligatoirement aux droits d’enregistrement (al. 1).

Est également réputé donation, tout abandon de biens, de droits ou d’autres avantages semblables, ainsi que toute remise de dette, concédés à titre gratuit (art. 11 al. 2 LDE).

La différence de valeur constatée dans un acte à titre onéreux entre les prestations des parties, est présumée donation, sauf preuve contraire (art. 11 al. 3 LDE).

5.             En principe, la loi fiscale lie l'imposition des successions et donations aux transferts et institutions du droit civil ; elle peut s'écarter du droit civil pour donner une définition propre des cas d'imposition mais, en vertu du principe de la légalité de l'impôt, elle doit le dire expressément. Lorsque la norme opère clairement son rattachement au droit civil, elle doit être appréciée dans le contexte du droit civil et les concepts du droit civil être pris dans leur acception civile (ATA/635/2023 du 13 juin 2023 consid. 3.3 et les réf.).

6.             La notion de donation est définie à l'art. 239 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - Code des obligations (CO - RS 220) comme une disposition entre vifs par laquelle une personne cède tout ou partie de ses biens à une autre, sans contre-prestation correspondante. Selon la jurisprudence, la notion fiscale de donation ne se recoupe pas forcément entièrement avec celle du droit civil et peut comporter des particularités, en raison du but de la loi ou pour des motifs pratiques (ATF 146 II 6 consid. 7.1). Les critères de l'acte d'attribution entre vifs, de la gratuité et de l'animus donandi (volonté de donner) sont toutefois communs (ATF 146 II 61 consid. 7.1; arrêt 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.3). Il y a donc donation si trois conditions sont remplies: 1) un versement est effectué entre vifs, 2) à titre gratuit et 3) dans l'intention de faire une donation (animus donandi) (arrêts du Tribunal fédéral 2C_148/2020 du 19 janvier 2021 consid. 7.1 ; 2C_379/2020 du 7 juillet 2020 consid. 3.1).

La condition, objective, de la gratuité de l'attribution est réalisée lorsque le donataire ne fournit pas, pour le don, de contre-prestation en faveur du donateur (ATF 146 II 6 consid. 7.1).

La condition, subjective, de l'animus donandi signifie que le donateur doit avoir la conscience et la volonté d'effectuer une attribution à titre gratuit en faveur du donataire (ATF 146 II 6 consid. 7.1).

Dans une affaire qui concernait l'ancien droit cantonal bernois relatif à l'impôt sur les donations, le Tribunal fédéral a souligné que les motifs qui avaient présidé à une donation, tels que la gratitude, la générosité ou l'existence d'un devoir moral, n'étaient pas pertinents pour l'assujettissement à l'impôt sur les donations, et que la disposition cantonale bernoise qui le précisait montrait seulement que la notion fiscale de donation pouvait être plus large que celle du droit civil (ATF 118 Ia 497 consid. 2b cc p. 502).

La notion de donation peut en effet être plus large en droit fiscal qu'en droit civil (arrêt du Tribunal fédéral 2C_597/2017 du 27 mars 2018 consid. 3.1.2 ; ATF 118 Ia 497 consid. 2b.cc ; ATA/1848/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4a).

7.             Selon la jurisprudence rendue en matière d'impôts directs, une donation est une libéralité entre vifs qui est effectuée avec une intention de donner. Cette intention peut être présumée entre personnes proches, lorsque les autres conditions d'une donation sont remplies (ATF 146 II 6 consid. 8.5.1 et les références). Dans le cas d'une donation mixte, les parties ont l'intention de faire une attribution à titre gratuit, en ce sens qu'elles fixent délibérément le prix en dessous de la valeur réelle de l'objet afin de faire bénéficier l'acheteur de la différence à titre gratuit (arrêt du Tribunal fédéral 9C_335/2023 du 26 octobre 2023 consid. 3.7.4, non publié in ATF 150 I 1, traduit dans RDAF 2023 II 421, qui se réfère à la jurisprudence rendue en droit civil). La donation mixte suppose objectivement qu'il existe une contre-prestation mais qu'il y a une disproportion entre les prestations. La donation mixte se caractérise ainsi objectivement par l'existence d'une disproportion entre les prestations et, subjectivement, par la volonté de donner (arrêt précité 9C_335/2023 consid. 3.7.4 non publié in ATF 150 I 1; arrêt 2C_785/2020 du 18 mars 2021 consid. 2.4.4).  

8.             Toujours selon la jurisprudence (arrêts du Tribunal fédéral 2C_152/2015 du 31 juillet 2015 consid. 4.2 ; 2C_116/2010 du 21 juin 2010 consid. 2.2 in RDAF 2010 II 474), la créance d'impôt naît sitôt que les faits générateurs prévus par la loi sont réalisés. La créance fiscale prend naissance ex lege, sans aucune autre intervention extérieure : la doctrine parle de la naissance immédiate de la créance fiscale. La taxation n'a aucun effet constitutif, elle n'est pas une condition de l'existence de la créance d'impôt. L'existence et le contenu de la créance fiscale sont fixés par la loi, raison pour laquelle dite créance est en principe irrévocable : dès l'instant où une créance fiscale est née, elle ne peut être réduite à néant par une opération destinée à effacer les faits générateurs lui ayant donné naissance. La naissance ex lege de la créance fiscale a également pour conséquence que le moment de la réalisation du revenu ne saurait dépendre de la seule volonté du contribuable ; si tel était le cas, le contribuable pourrait différer et, par-là, déterminer lui-même en fonction de ses convenances personnelles à quel moment ce revenu est imposable.

9.             Il appartient à celui qui prétend bénéficier d’une réduction ou d’une exonération de droits de fournir toutes justifications nécessaires et d’en faire état dans l’acte soumis à l’enregistrement (art. 8 al. 6 LDE).

En matière fiscale plus généralement, les règles générales relatives à la répartition du fardeau de la preuve ancrées à l'art. 8 CC, destinées à déterminer qui doit supporter les conséquences de l'échec de la preuve ou de l'absence de preuve d'un fait, impliquent que l'autorité fiscale doit établir les faits qui justifient l'assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment. Si les preuves recueillies par l'autorité fiscale apportent suffisamment d'indices révélant l'existence d'éléments imposables, il appartient au contribuable d'établir l'exactitude de ses allégations et de supporter le fardeau de la preuve du fait qui justifie son exonération (ATF 146 II 6 consid. 4.2 et les références; 144 II 427 consid. 8.3.1; 140 II 248 consid. 3.5; 133 II 153 consid. 4.3).

10.         Par ailleurs, en procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n'est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b et les arrêts cités).

En principe, l'appréciation fiscale se base en premier lieu sur les circonstances de droit civil, notamment les contrats conclus par les parties. Pour interpréter un contrat de droit civil, le juge doit tout d'abord s'attacher à rechercher la réelle et commune intention des parties. Pour ce faire, le juge prendra en compte non seulement la teneur des déclarations de volonté, mais aussi les circonstances antérieures, concomitantes et postérieures à la conclusion du contrat. Ce que les parties savaient, ont voulu ou ont effectivement compris lors de la conclusion du contrat relève du fait. Lorsqu'une partie au contrat manifeste sa volonté par l'intermédiaire d'un représentant, l'interprétation du contrat quant à son contenu se détermine en fonction de ce que voulait le représentant. La détermination de cette volonté subjective des parties repose sur l'appréciation des preuves par le juge (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_528/2019 du 5 décembre 2019 consid. 3.4 et l’ATF 140 III 86 consid. 4.1 cité).

L'argumentation que le contribuable peut présenter en cours de procédure pour s'opposer aux droits d'enregistrement ne revêt aucune pertinence pour déterminer la volonté des parties ressortant de l'acte instrumenté (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_528/2019 du 5 décembre 2019 consid. 3.7).

11.         En l’espèce, l’acte de cession des titres du 27 février 2023 n’indique certes pas expressément l’anumus donandi de Mme C______ en faveur du recourant. Il apparait toutefois que cela s’explique par le fait que les parties ne se sont référés qu’à la valeur nominale des actions, à l’exclusion de leur valeur vénale. Ainsi, elles n’avaient pas à y inclure une clause expresse concernant le sort de la différence entre ces deux valeurs. En d’autres termes, dans le mesure où l’objet de cet acte était la cession de la valeur nominale des titres, les parties n’avaient pas à y exprimer explicitement leur volonté quant à la cession de leur valeur vénale. Ainsi, les termes de cet acte sont manifestement insuffisants, à eux seuls, pour exclure l’anumus donandi de Mme C______ s’agissant de la valeur vénale des titres.

Cela étant dit, en sa qualité d’administratrice et d’actionnaire depuis la création de la société en 2011, la précitée ne pouvait pas ignorer que les titres de cette dernière pouvaient valoir bien plus que leur valeur nominale. Une simple consultation des comptes de la société, auxquels elle avait libre accès, permettait en effet de le constater. Dans ces conditions, en cédant ses titres au prix correspondant à leur valeur nominale, sans demander au recourant une contreprestation pour leur valeur vénale, elle a concédé gratuitement un avantage à ce dernier, ce qu’elle admet d’ailleurs, à tout le moins implicitement, dans son courrier du 6 novembre 2024, en y indiquant que la cession à la valeur nominale a été décidée en raison du fait que seul le recourant a été à l'origine des résultats réalisés par la société. Ainsi, il apparaît que c’est par gratitude envers ce dernier qu’elle lui a vendu ses titres à la valeur nominale. Or, selon la jurisprudence citée plus haut, ce motif ne permet pas d’exclure l’existence d’une donation.

Au vu de ce qui précède, il faut admettre que la transaction effectuée le 27 février 2023 entre le recourant et Mme C______ correspond à tout le moins à la définition de donation au sens de l’art. 11 al. 2 LDE, selon lequel est également réputé donation tout abandon de biens, de droits ou d’autres avantages semblables, concédés à titre gratuit. En ne réclamant au recourant aucune contreprestation correspondant à la valeur vénale de ses titres, la précitée a en effet renoncé à un droit, au profit de ce dernier.

Il s’ensuit que dite transaction doit être considérée comme une donation mixte, en ce sens que les parties ont délibérément fixé le prix en dessous de la valeur réelle des titres, afin de faire bénéficier le recourant de la différence à titre gratuit.

12.         Reste à déterminer le montant de la donation, ce qui implique d’établir la valeur vénale des titres.

13.         L'évaluation des titres non cotés a fait l'objet de la circulaire n° 28. La conférence suisse des impôts édite en outre annuellement un commentaire de la circulaire afin de refléter la pratique et de tenir compte de la jurisprudence. Ladite circulaire est reconnue selon la jurisprudence comme présentant une méthode adéquate et fiable pour l'estimation de la valeur vénale des titres non cotés, même s'il n'est pas exclu que d'autres méthodes d'évaluation reconnues puissent, isolément, s'avérer appropriées (arrêt du Tribunal fédéral 2C_954/2020 du 26 juillet 2021 consid. 5.3).

La circulaire n° 28 prévoit une méthode d'estimation générale des titres non cotés en bourse, qui s'applique aux sociétés commerciales, industrielles et aux sociétés de services. La valeur des titres de ces sociétés correspond à la moyenne pondérée entre la valeur de rendement, doublée, et la valeur intrinsèque déterminée selon le principe de la continuation (ch. 34). Les sociétés holding et immobilières ne sont, en revanche, estimées qu’à la valeur substantielle (ch. 38 et 42).

14.         Il est tenu compte par le biais d’une déduction forfaitaire de l'influence réduite dont jouit le porteur d'une participation minoritaire au sein de la direction de l'entreprise ou dans la prise de décisions à l'assemblée générale ainsi que de la transmissibilité restreinte de parts de la société (circulaire n° 28 p. 10 ch. 61 al. 1).

Lorsque la valeur vénale d'un titre est calculée conformément au ch. 2 al. 4, son propriétaire peut faire valoir une déduction forfaitaire de 30% (circulaire n. 28 p. 10 ch. 61 al. 3).

La déduction forfaitaire est accordée généralement à toutes les participations inférieures ou égales à 50% du capital social. Sont déterminants les rapports de participation à la fin de la période fiscale (circulaire n. 28 p. 10 ch. 62 al. 1).

La déduction forfaitaire n'est pas accordée pour les titres dont la valeur vénale n'a pas été établie selon les chiffres 34, 38 ou 42 de la circulaire n. 28 (circulaire n. 28 p. 10 ch. 64 let. a).

15.         Par ailleurs, il faut rappeler qu’il n’existe en droit fiscal un intérêt digne de protection à l’annulation ou à la modification d’une décision de taxation que lorsque le contribuable demande une diminution des facteurs déterminants ou une charge fiscale globalement plus basse pour la période fiscale litigieuse (arrêt du Tribunal fédéral 9C_186/2024 du 18 juin 2024 consid. 6.2.2).

16.         En l’espèce, dans sa réclamation, le recourant a expressément fait valoir qu’en 2021 et 2022, le rendement de B______ SA était nul, ce que l'AFC-GE a admis par la décision contestée, puisqu’elle y a effectivement évalué cette société sur la base de sa valeur substantielle, c’est-à-dire sans prise en compte de son rendement. Dans son recours en revanche, et contrairement à ce qu’il a prétendu dans sa réclamation, le recourant reproche à l'AFC-GE d’avoir procédé comme elle l’a fait, arguant que cette société n’était pas une holding et que, partant, elle devrait être évaluée en fonction de son rendement, duquel il faudrait néanmoins exclure les dividendes versés par sa filiale. Ce grief doit être déclaré irrecevable dans la mesure où son admission n’aboutirait manifestement pas à une réduction de la taxation litigieuse. En effet, même si l’on admettait de ne pas inclure dans le rendement 2021 les « produits de participations » (CHF 110'080,87) et les « produits de dividendes » (CHF 609'630,42), il subsisterait un bénéfice de l’exercice 2021 de CHF 43'336.-. Ainsi, l’on ne voit pas, et le recourant ne l’explique pas, en quoi une évaluation tenant compte de ce rendement serait plus avantageuse que celle effectuée sur la base de la seule valeur substantielle.

Cela étant, dans la décision sur réclamation, l'AFC-GE a admis que la valeur nette des titres litigieux (après déduction forfaitaire de 30 %) s’élève à CHF 7'986,30 chacun. Elle a cependant pris en compte leur valeur brute (CHF 11'409.- par titre) pour fixer le (nouveau) montant de la donation, l’arrêtant ainsi à CHF 520'450.-. Or, dans sa réponse, elle indique qu’il a été tenu compte d’une déduction forfaitaire de 30 %, ce qui, à teneur du bordereau rectificatif du 10 octobre 2024, n’est manifestement pas le cas. En tout état, elle ne s’y oppose pas dans le cadre de la présente procédure.

Dans ces conditions, la valeur de la donation litigieuse doit être arrêtée à CHF 349'315.- (=50 x 7'986,30 - 50'000).

17.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement et le dossier sera renvoyé à l'AFC-GE pour qu’elle établisse un nouveau bordereau de droits d’enregistrement tenant compte d’une donation de CHF 349'315.- (au lieu de CHF 520'450.-).

18.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant qui succombe dans une large mesure est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

19.         Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 350.- sera allouée au recourant à titre de dépens (art. 87 al. 2 LPA).

 


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 13 novembre 2024 par Monsieur A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 10 octobre 2024 ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision de taxation, dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 350.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Laurence DEMATRAZ et Giedre LIDEIKYTE HUBER, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière