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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/572/2024

JTAPI/608/2025 du 05.06.2025 ( LCI ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : ÉMOLUMENT;PRINCIPE DE LA COUVERTURE DES FRAIS;PRINCIPE DE L'ÉQUIVALENCE(CONTRIBUTION CAUSALE)
Normes : LCI.154; RCI.254; RCI.257.al3
Rectification d'erreur matérielle : 6. ordonne la restitution à la recourante du solde de l'avance de frais de CHF 100.- ;
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/572/2024 LCI

JTAPI/608/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 5 juin 2025

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Pascal PETROZ, avocat, avec élection de domicile

 

contre

 

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             Les parcelles nos 1______, 2______, 3______ et 4______ de la commune de ______[GE] appartiennent respectivement à B______ SA, Monsieur C______, Messieurs D______, E______ et F______, ainsi qu'à Mesdames G______ et H______ (ci-après : les propriétaires).

2.             Le ______ 2022, A______ SA, active dans l’achat, la vente, le courtage, la gestion, l’exploitation et la promotion de biens immobiliers, agissant en qualité de requérante et comme mandataire des propriétaires, a déposé une demande en autorisation de démolir un ensemble de constructions (habitation, dépôt et serres) sur les parcelles précitées auprès du département du territoire (ci-après : le département).

Cette demande a été enregistrée sous le numéro de référence M 5______.

3.             Le même jour, A______ SA a déposé auprès du département une demande en autorisation de construire portant sur l’édification de deux immeubles villageois HPE de vingt-quatre logements, d’un garage souterrain, avec abattage d’arbres et pompe à chaleur.

Cette requête a été enregistrée sous le numéro de référence DD 6______.

4.             Par bordereau du 26 janvier 2024 relatif à la M 5______ (facture n° 7_______), le département a facturé un montant de CHF 3’450.- à A______ SA, lequel était ventilé de la manière suivante : CHF 250.- de taxe d’enregistrement, CHF 1’900.- d’émolument démolitions et CHF 1’300.- d’émolument démolition serres.

5.             Par bordereau du 26 janvier 2024 relatif à la DD 6______ (facture n° 7_______), le département a facturé un montant de CHF 25’450.- à A______ SA, lequel était ventilé de la manière suivante : CHF 250.- de taxe d’enregistrement, CHF 25’200.- d’émolument démolitions.

6.             Par décisions du 31 janvier 2024, le département a refusé d’octroyer les autorisations de démolir et de construire sollicitées. S’agissant de l’autorisation de construire, il a relevé que, suite aux nombreux délais accordés pour transmettre les compléments requis, il avait refusé d'accorder une sixième prolongation et était forcé de constater que le dossier adressé était lacunaire, aucune suite n'ayant été donnée aux diverses demandes et autres exigences des préavis en cause.

Ces refus ont été contestés par-devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) qui les a confirmés par jugement JTAPI/1121/2024 du 13 novembre 2024, non en force à ce jour.

7.             Par acte du 16 février 2024, A______ SA a interjeté recours contre les bordereaux du 26 janvier 2024 auprès du tribunal, concluant à leur annulation et au renvoi de l’affaire au département pour nouvelle décision, sous suite de frais et dépens.

Se fondant uniquement sur la surface brute de plancher (ci-après : SBP), le département retenait que les bordereaux querellés seraient établis conformément au règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI – L 5 05.01), plus particulièrement des art. 254ss RCI, alors qu’il violait manifestement les art. 154 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), 254 et 257 RCI, ainsi que les art. 5, 8 et 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101).

Cela était d’autant plus choquant que la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) avait récemment traité d’un cas similaire, au terme duquel le département avait été sanctionné pour avoir agi de la sorte (ATA/69/2022 du 25 janvier 2022). Le département n’avait manifestement pas changé sa pratique, quand bien même le Tribunal fédéral avait confirmé l’arrêt de la chambre administrative sur recours du département (arrêt 2C_198/2022 du 11 mars 2022).

En l’occurrence, le département avait fixé les émoluments en raison de la SBP considérée, à savoir 1’680 m2, soit 168 unité de surface, et 5’038 m2, soit 504 unité de surface. Une telle manière de procéder était contraire au principe de l’équivalence. Les bordereaux litigieux présentaient manifestement un vice de motivation justifiant leur annulation et leur renvoi pour un nouveau calcul détaillé. La quotité d’un émolument devait être fixée en fonction du temps et des frais consacrés par l’État pour traiter la demande d’un justiciable. Selon le principe d’équivalence, il ne pouvait en aucun cas revêtir le caractère d’impôt déguisé, ce qui était manifestement le cas des décisions dont était recours puisqu’elles visaient à lui faire payer pour des m2 à démolir et à construire qui lui étaient aujourd’hui refusés.

8.             Dans ses observations du 22 avril 2024, le département a conclu au rejet du recours, s’en rapportant à justice s’agissant de sa recevabilité.

Il n’était pas contesté que, dans le cadre de deux arrêts antérieurs (ATA/146/2021 et ATA/69/2022), la chambre administrative avait considéré que les art. 254 et 257 al. 3 RCI ne respectaient pas le principe de la légalité. Il avait toujours contesté cette conclusion, sans malheureusement jamais pouvoir la remettre en cause, sur le fond par-devant le Tribunal fédéral. Il se félicitait en revanche que le tribunal et la la chambre administrative soient revenus à meilleure raison dans le cadre des derniers jugements et arrêts rendus en la matière (ATA/1176/2022 du 22 novembre 2022 et ATA/1280/2023 du 28 novembre 2023), dans la mesure où il apparaissait que le principe de la légalité, tel que prescrit par l’art. 127 al. 1 Cst n’avait jamais été violé.

Il était faux de venir affirmer, comme les juges cantonaux l’avaient fait dans leurs décisions antérieures, qu’une telle manière de légiférer n’était justifiée que lorsque la disposition en cause visait ou avait pour effet de mettre l’entier des coûts d’une prestation étatique à la charge de ses bénéficiaires, soit, en d’autres termes, lorsque les émoluments prélevés ne représentaient pas uniquement une contribution au coût de fonctionnement global de l’administration en cause, mais qu’ils couvraient ce coût en totalité puisque les principes de l’équivalence et de la couverture des frais permettaient alors d’encadrer de manière suffisante les émoluments en cause. Ainsi que l'avait correctement retenu la chambre constitutionnelle (ACST/12/2017 du 30 octobre 2017) lorsqu’elle avait été amenée à examiner de manière abstraite l’adoption de certaines de ces dispositions réglementaires (notamment les art. 254 al. 1 et 257 al. 1 et 10 RCI), le principe de la couverture des frais était respecté puisque les émoluments prélevés, pour ce qui concernait l’instruction des demandes d’autorisation que le département avait à connaître, ne dépassaient pas l’ensemble des coûts engendrés par cette activité. Une étude de la surveillance des prix de novembre 2014 avait démontré que les émoluments perçus dans le canton de Genève étaient parmi les plus bas de Suisse. Pour l’année 2016, le coût de fonctionnement du département et, plus exactement, de l’office des autorisations de construire (ci-après : OAC), était d’approximativement CHF 11 millions, tandis que les émoluments perçus s’élevaient à CHF 7,90 millions, ce qui représentait un ratio de l’ordre de 72%, soit un produit global des contributions causales inférieur aux coûts engendrés. Aujourd’hui, il apparaissait que les coûts liés à l’activité déployée par le département s’étaient élevés, en 2020, à CHF 13’748’528.- pour des émoluments facturés à hauteur de CHF 10’371’833.-, ce qui correspondait à un ratio de 75%, étant également précisé que, l’étude de la surveillance des prix pour la même année mettait en évidence le fait que les émoluments perçus dans le canton de Genève restaient toujours parmi les plus bas de Suisse.

Amené à se prononcer sur la taxe d’équipements perçue dans le canton de Genève, le Tribunal fédéral avait eu l’occasion de préciser que le principe de la couverture des frais était respecté, dès lors que celle-ci était fixée en dessous des coûts (arrêt 2C_226/2015 du 13 décembre 2015). Or, dans la mesure où les émoluments perçus par le département demeuraient inférieurs aux coûts de fonctionnement de l’OAC, c’était à tort et de manière contradictoire que les juges cantonaux avaient considéré, dans leurs jugements et arrêts antérieurs, que le principe de la couverture des frais ne permettait pas d’encadrer de manière suffisante les émoluments en cause.

Il contestait les affirmations selon lesquelles le système d’échelle ouverte mis en place à l’art. 257 al. 2 RCI, qui faisait dépendre le montant de l’émolument à la SBP utile de l’édification projetée visée par la décision du département, ne serait pas conforme au respect du principe de l’équivalence, la valeur objective de la prestation administrative déployée ne pouvant en effet être déterminée qu’en fonction de la taille de l’objet concerné. Il apparaissait utile de rappeler que c’était sur la base de l’expérience, notamment liée à la mise en œuvre de la réglementation préexistante en matière d’instruction des demandes d’autorisation, que le Conseil d’État avait établi que la facturation de ces dossiers - tous coûts confondus - pouvait être évaluée à CHF 50.- l’unité de surface de 10 m2, étant précisé qu’il s’agissait d’une moyenne prenant en considération la manière identique dont étaient instruites ces différentes demandes et qui avait, pour les administrés, l’avantage d’être claire et précise, puisqu’elle leur permettait, en fonction de la SBP utile proposée, d’évaluer de manière objective et anticipée l’émolument à acquitter à l’issue de la procédure. Il ne pouvait que réaffirmer à ce sujet que la surface d’un projet sur lequel il avait à se prononcer avait un impact évident sur la durée de l’instruction d’un dossier et l’analyse qui devait en être faite pour qu’une décision puisse être rendue, étant rappelé qu’il était établi que cette base de calcul ne conduisait pas à un dépassement de l’ensemble des coûts engendrés par l’administration. En outre, l’avantage économique retiré par chaque bénéficiaire d’un service public était souvent difficile, voire impossible à déterminer en pratique, raison pour laquelle le Tribunal fédéral admettait un certain schématisme dans la détermination des taxes et de leur montant, afin d’éviter aux cantons des coûts administratifs démesurés ; il était ainsi possible de recourir à des critères normatifs fondés sur des moyennes résultant de l’expérience et faciles à utiliser.

Il était également faux de venir prétendre, comme l’avaient fait le tribunal et la chambre administrative dans leurs jugements et arrêts antérieurs, que le Conseil d’État était conscient du risque que l’émolument requis contrevienne au principe de l’équivalence puisqu’il avait prévu, à l’art. 254 al. 1 RCI, qu’il puisse être exceptionnellement réduit lorsqu’il paraissait manifestement trop important par rapport à l’objet de la demande d’autorisation de construire et que l’autorité statuait, ce faisant, librement. Cette disposition permettait au département de réduire, de manière tout à fait exceptionnelle, un émolument qui, sur la base du l’application mathématique de cette disposition, lui paraîtrait manifestement disproportionné, eu égard notamment à l’objet de la demande et de l’instruction qui en avait été faite. Ainsi, c’était sur la base d’un critère concret, soit l’objet sur lequel il devait statuer et les circonstances de son instruction, qu’une éventuelle réduction pouvait être octroyée.

C’était donc de manière justifiée que les juges cantonaux, dans leurs derniers arrêts, étaient revenus à l’appréciation qui était la leur, pour notamment arriver à la conclusion que les dispositions réglementaires susmentionnées ne violaient pas les principes de couverture des frais et d’équivalence.

En l’occurrence, la recourante se limitait à citer l’ATA/69/2022 du 25 janvier 2022 sans tenir compte de la jurisprudence rendue ultérieurement. En effet, le calcul des émoluments sur la base de la SBP avait été validé dans l’ATA/1280/2023 du 28 novembre 2023. La recourante n’apportait aucun élément concret qui permettrait de s’écarter de la dernière jurisprudence validant l’application de l’art. 257 al. 3 RCI au vu des caractéristiques du projet et de l’examen auquel le département avait dû procéder avant de rendre sa décision. Il y avait lieu de rappeler à ce propos que l’instruction des requêtes d’autorisation de démolir et de construire avait donné lieu à douze, respectivement dix-sept préavis et plusieurs demandes de compléments et que ces projets portaient sur la réalisation de vingt-quatre logements à proposer dans deux immeubles villageois.

9.             Par réplique du 14 mai 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions.

Le département se bornait à remettre en cause les arrêts qu’elle avait cités en se fondant sur une jurisprudence ultérieure, non encore en force, qui validerait sa méthode de calcul. Cela dit, la chambre administrative n’avait pas invalidé les arrêts qu’elle avait cités, mais était revenue sur les différents motifs ayant justifié, in casu, l’invalidation de divers bordereaux de taxation du département.

Dans l’ATA/1280/2023 du 28 novembre 2023, elle avait rappelé avoir annulé, dans son arrêt ATA/146/2021 du 9 février 2021, la décision fixant l’émolument car il ne respectait pas le principe de la couverture des frais et contrevenait ainsi au principe de la légalité, laissant ouverte la question du respect du principe d’équivalence. Elle avait ensuite précisé que le système d’échelle ouverte mis en place à l’art. 257 al. 3 RCI, qui faisait dépendre le montant de l’émolument de la surface de plancher utile de l’édification projetée visée par la décision du département, n’était pas conforme au respect du principe de l’équivalence, la valeur objective de la prestation administrative déployée ne pouvant en effet être déterminée en fonction de la taille de l’objet concerné.

Dans l’ATA/69/2022 du 25 janvier 2022, la chambre administrative avait confirmé ce qui précédait, réitérant que la méthode de calcul mise en place par le département était contraire au principe d’équivalence. Il était surprenant que l’ATA/1280/2023 du 28 novembre 2023 n’aborde pas cette question, se limitant à retenir que le réel motif d’invalidation de l’émolument reposerait sur le simple fait que celui-ci était disproportionné. À cet égard, même à se limiter au caractère disproportionné de l’émolument, il était possible d’appliquer mutatis mutandis cette jurisprudence au cas d’espèce. En effet, il n’était pas contesté qu’un émolument de CHF 31’880.- pour une instruction d’une durée d’un an portant sur une SBP de 7’681,80 m2 était disproportionné. Or, en l’état, il était question d’un émolument de CHF 28’900.- (CHF 25’450.- + CHF 3’450.-) pour une instruction (régulièrement suspendue) d’une durée de 18 mois portant sur une SBP de 6’718 m2 (5’038 + 1’300 + 380 m2). Les données étant similaires, les émoluments litigieux devaient être considérés comme disproportionnés.

Dans l’ATA/1176/2022 du 22 novembre 2022, la chambre administrative ne faisait aucun commentaire sur le respect ou non du principe de couverture des frais ou du principe d’équivalence, si ce n’était qu’il n’apparaissait pas, à l’examen du dossier et à la lecture de la jurisprudence précitée, que le département aurait violé les principes de la couverture des coûts et d’équivalence dont se prévalait le recourant sans toutefois expliquer en quoi ceux-ci n’auraient pas été respectés ; cet arrêt était contesté par-devant le Tribunal fédéral.

Ainsi, le département se fondait sur une jurisprudence qui n'était pas encore en force car manifestement sujette à caution. En tout état, même à considérer que cette jurisprudence serait applicable, les cas cités devaient mener le tribunal à la conclusion que les émoluments litigieux demeuraient disproportionnés.

Selon le principe de la couverture des frais, le produit global des contributions causales ne devait pas dépasser, ou seulement de très peu, l’ensemble des coûts engendrés par la subdivision concernée de l’administration. Le département considérait toutefois que le principe de la couverture des frais serait respecté dans la mesure où les émoluments prélevés ne dépassaient pas l’ensemble des coûts engendrés par son activité, omettant ainsi une partie de la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle l’assouplissement du principe de la légalité en matière fiscale ne se justifie à travers l’application des principes constitutionnels susmentionnés (couverture des frais et équivalence) que dans la mesure où la règlementation en cause visait à, respectivement avait pour effet de mettre « la totalité » des coûts d’une prestation de l’Etat à la charge de ses bénéficiaires. En l’état, le département soutenait lui-même que les émoluments perçus à ce jour ne représentaient qu’un ratio de 75% du coût de fonctionnement global, de sorte que le montant des émoluments devait figurer dans une loi au sens formel.

Au sujet du principe de l’équivalence, le département soutenait que la valeur objective de la prestation administrative déployée ne pourrait être déterminée qu’en fonction de la taille de l’objet concerné, assertion « erronée et ahurissante ». Il n’était à l’évidence pas sans savoir que la complexité d’un dossier n’était pas liée à la taille de l’objet, mais bien à sa situation et aux circonstances l’entourant (zones protégées, zone à risque, plans de sites, servitudes, accessibilité, esthétisme et intégration, etc.). Un projet d’envergure en tout point conforme à la zone sur laquelle il reposait pouvait être bien plus simple à instruire que la réalisation d’une petite bâtisse située en zone protégée et à risque nécessitant l’intervention de nombreux services spécialisés.

Enfin, le département n’avait aucunement repris la définition de la directive ORL 514.420 et ne faisait de toute évidence aucune distinction entre surface utile et non utile à l’habitation et au travail. S’agissant des surfaces de démolition, une grande partie des serres avait déjà été démolie par le passé, avant la dépose du projet, de sorte que le projet prévoyait la démolition de l’050 m2 de surface de serres et non de 1’300 m2. Au demeurant, l’application de la méthode de calcul utilisée n’était à l’évidence pas proportionnée pour la démolition de simple serres extérieures, contrairement à la démolition d’immeuble d’habitation qui, en l’état, ne représentait que 380 m2sur les 1’430 m2. S’agissant de la surface de construction, la SBP était de 2’783,60 m2 hors sol, respectivement de 2’256,20 m2en sous-sol. En se fondant sur la définition susvisée, la surface « utile » en sous-sol devait pouvoir être chiffrée à 492 m2, sans les surfaces de stationnement et de circulation. La SBP utile pouvait ainsi se chiffrer à 3’276,20 m2 et non à 5’039,80 m2.

10.         Par duplique du 28 juin 2024, le département a persisté intégralement dans les conclusions prises dans ses précédentes écritures. Il a produit un plan détaillant les SBP prises en considération pour calculer les montants des émoluments.

Dès lors que la recourante se limitait à critiquer les arrêts ultérieurs (ATA/1176/2022 et ATA/1280/2023) sans toutefois exprimer en quoi ils ne sauraient être transposables au cas d’espèce, il renvoyait le tribunal aux développements de ses précédentes écritures, tout en précisant que la chambre administrative était revenue de manière ferme et irrévocable sur les arrêts sur lesquels la recourante fondait son raisonnement.

L’argument de la recourante selon lequel les surfaces prises en compte dans le calcul des émoluments seraient fausses ne pouvait être suivi. S’agissant de la surface comptabilisée dans l’autorisation de démolir M 5______, il y avait lieu de rappeler que les autorisations litigieuses s’inscrivaient dans un contexte de régularisation d’infraction. Lors du calcul d’émolument, il avait été tenu compte de la complexité de la situation constatée sur place et la facturation la plus légère possible avait été appliquée. Partant, ce calcul devait être confirmé.

S’agissant du calcul des surfaces retenu pour la DD 6______, la recourante tentait de réduire l’émolument en faisant un amalgame entre deux définitions qui ne se recoupaient pas. En effet, la définition de l’ORL relative à la surface de plancher utile qu’elle citait se rapportait à la définition des surfaces qui devaient être prises en compte dans le calcul de la SBP pour les zones 1 à 4, à savoir la surface habitable, reprise à l’art. 59 al. 2 LCI pour les constructions en zone 5, laquelle distinguait les surfaces hors sol de celles situées en sous-sol (art. 59 al. 9 LCI). Or, la « surface de plancher utile » mentionnée à l’art. 257 al 3 RCI n’avait pas la même définition. Cette disposition portait sur toutes les surfaces visées par l’autorisation de construire et ne faisait pas de distinction entre les surfaces situées hors-sol ou en sous-sol, la volonté du Conseil d’État étant de facturer l’ensemble des surfaces concernées par une demande d’autorisation. Ainsi, c’était à juste titre qu’il avait pris en compte l’entièreté de la surface du sous-sol dans le calcul de l’émolument de l’autorisation de construire.

11.         Il résulte de la consultation, ce jour, de Sadconsult, que lors de l’instruction du dossier de la DD 6______, 17 préavis ont été émis sur la base du projet initial entre les 8 août 2022 et 6 avril 2023, dont 8 favorables, avec ou sans conditions, et 9 requérant la modification du projet ou la production de pièces complémentaires. Le 11 avril 2023, le département avait imparti un délai à la requérante pour lui faire parvenir les pièces sollicitées dans certains préavis et éventuellement modifier le projet, délai prolongé à cinq reprises jusqu’au 18 décembre 2023, date à laquelle il avait refusé d'accorder une nouvelle prolongation de délai et avait accusé réception du dépôt de pièces complémentaires transmises le 13 décembre 2023.

Le dossier de la M 5______ avait quant à lui également donné lieu à 17 préavis dans un laps de temps allant du 8 août 2022 au 6 avril 2023, à savoir 12 préavis sur la première version du projet, dont 7 favorables, avec ou sans conditions, 3 requérant la modification du projet ou la production de pièces complémentaires et 1 se disant non concerné, puis 3 préavis sur la deuxième version, dont 1 favorable avec conditions et 2 requérant la modification du projet ou la production de pièces complémentaires et, enfin, 2 préavis favorables sur la troisième et dernière version du projet.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office et que s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/53/2025 du 14 janvier 2025 consid. 4).

5.             La recourant conteste les émoluments réclamés par le département dans le cadre des autorisations de démolir M 5______ et de construire DD 6______.

6.             Selon l’art. 154 LCI, le département perçoit un émolument pour toutes les autorisations et permis d’habiter ou d’occuper qu’il délivre ainsi que pour les recherches d’archives ayant trait aux autorisations de construire (al. 1). Ces émoluments sont fixés par le Conseil d’État (al. 2). Ils sont dus également en cas de refus d’autorisation (art. 254 al. 1 RCI).

7.             À teneur de l’art. 254 RCI, le département perçoit, lors de la constitution des dossiers et notamment pour toute autorisation ou refus d’autorisation qu’il délivre en application de la loi et de ses règlements d’application, les émoluments calculés selon les dispositions du présent chapitre. Exceptionnellement, l’émolument peut être réduit lorsqu’il paraît manifestement trop important par rapport à l’objet de la demande d’autorisation de construire. L’autorité statue librement. L’émolument relatif aux remises de copies et aux recherches de documents est calculé conformément aux art. 10 et 10A du règlement sur les émoluments de l’administration cantonale du 15 septembre 1975 (REmAC - B 4 10.03) (al. 1). Exceptionnellement, l’émolument peut être réduit jusqu’à 50 % pour des projets d’intérêt général, en particulier lorsque ceux-ci sont présentés par la Confédération, le canton ou les communes, ou par des établissements publics qui en dépendent, ainsi que pour les projets de constructions de logements subventionnés par les pouvoirs publics (al. 2). Sont notamment considérés d’intérêt général, les écoles, les garderies d’enfants, les églises, les cliniques, les hôpitaux, les centres sportifs et les installations techniques des services publics (al. 3).

Conformément à l’art. 257 RCI, dans sa teneur en vigueur lors du prononcé des autorisations de démolir et de construire que du dépôt de demandes y relatives (ATF 150 I 144 consid. 6.1 et 6.2 ; ATA/361/2025 du 1er avril 2025 consid. 4.1 ; ATA/739/2024 du 18 juin 2024 consid. 3.7), pour l’enregistrement des demandes d’autorisation de construire, lesquelles comprennent également les demandes de renseignements, l’émolument s’élève à CHF 250.- par demande. Aucune demande d’autorisation n’est enregistrée tant que l’émolument y relatif n’a pas été acquitté (al. 1). Les émoluments des al. 3 à 11 sont perçus sans préjudice de l’émolument d’enregistrement prévu à l’al. 1 (al. 2 1ère phr.). Pour les décisions sur demandes d’autorisation de construire, l’émolument est, sous réserve des al. 4 à 12, proportionnel à la surface de plancher utile dont l’édification, le cas échéant la démolition, est projetée ; l’émolument de base s’élève à CHF 50.- par unité de surface de 10 m2 ; il est indivisible (al. 3). Pour les réponses relatives à une demande de renseignement, l’émolument consiste en un forfait de CHF 1’250.- ; il est indivisible (al. 10). Lorsque l’autorisation de construire est délivrée à la suite d’une demande de démolition ou d’une demande préalable, l’émolument d’autorisation par unité s’élève à CHF 25.- (al. 11). Lorsque le requérant renonce, en cours d’instruction, à sa demande d’autorisation de construire, l’émolument perçu est calculé selon les principes fixés aux al. 3 à 11. Selon les circonstances, il peut être réduit. L’autorité statue librement (al. 13).

8.             Les contributions causales telles que les émoluments perçus à l’occasion d’une décision sont régies par les principes de couverture des frais et d’équivalence lorsque la loi formelle ne précise pas elle-même suffisamment les critères de calcul (ATF 149 I 305 consid. 3.2-3.3).

Selon le principe de la couverture des frais, le produit global des contributions ne doit pas dépasser, ou seulement de très peu, l’ensemble des coûts engendrés par la branche ou subdivision concernée de l’administration, y compris, dans une mesure appropriée, les provisions, les amortissements et les réserves. Le principe d’équivalence - qui est l’expression du principe de la proportionnalité en matière de contributions publiques - implique que le montant de la contribution soit en rapport avec la valeur objective de la prestation fournie et reste dans des limites raisonnables. Il n’exige pas que la contribution corresponde dans tous les cas exactement à la valeur de la prestation; le montant de la contribution peut en effet être calculé selon un certain schématisme tenant compte de la vraisemblance et de moyennes. La contribution doit cependant être établie selon des critères objectifs et s’abstenir de créer des différences qui ne seraient pas justifiées par des motifs pertinent (ATF 143 I 220 consid. 5.2).

9.             La jurisprudence a pondéré l’application des principes de couverture des frais et d’équivalence dans la mesure où elle a considéré que l’émolument requis par le département peut apparaître, compte tenu des circonstances concrètes, compatible avec ces principes quand bien même le caractère linéaire de l’émolument résultant de l’application de l’art. 257 al. 3 RCI est en lui-même critiquable (arrêt du Tribunal fédéral 1C_41/2024 du 9 décembre 2024 consid. 6.4).

Ainsi, le Tribunal fédéral, confirmant en cela la chambre administrative, a considéré qu’un émolument de CHF 40’700.- ne pouvait, dans son résultat, être considéré comme contraire au principe de couverture des frais et d’équivalence dans la mesure où la demande d’autorisation de construire préalable avait fait l’objet de deux versions successives, que plus de 25 préavis et prises de position avaient été recueillis durant la phase de l’instruction ayant débuté avec le dépôt des demandes en avril 2018 et s’étant achevée en juin 2022 par le prononcé de la décision, que cette demande en outre posait des problèmes dépassant le cadre du projet et de la seule parcelle en cause puisqu’il s’agissait aussi de déterminer si une dérogation à l’obligation d’établir un PLQ était envisageable, et enfin que le projet immobilier était d’importance, compte tenu du fait qu’il s’agissait de la construction de deux immeubles de sept étages, comprenant quarante-huit logements, reliés par une arcade commerciale, avec parking souterrain sur deux niveaux, et abattage d’arbres (arrêt du Tribunal fédéral 1C_41/2024 du 9 décembre 2024 et ATA/1280/2023 du 28 novembre 2023).

10.         En l’espèce, force est pour le tribunal de constater que l’émolument requis par le département pour le dossier M 5______ de CHF 3’450.- apparait compatible avec les principes de couverture des frais et d’équivalence compte tenu des circonstances concrètes, tandis que tel n’est pas le cas pour l’émolument de CHF 25’450.- requis pour le dossier DD 6______.

En effet, s’agissant de l’émolument du dossier M 5______, le département et ses services ont dû analyser trois versions du projet de démolition qui concernait deux constructions, ce qui a nécessité un total de 17 préavis qui ont été recueillis pendant 8 mois, d’août 2022 à avril 2023. Un émolument de CHF 3’200.-, hors le montant de la taxe d’enregistrement, ne semble ainsi pas manifestement disproportionné à la lumière du temps nécessaire pour effectuer ce travail.

Autre est en revanche la question de l’émolument du dossier DD 6______, fixé par le département au montant de CHF 25’200.-, hors la somme de CHF 250.- de la taxe d’enregistrement, soit près de 8 fois plus que l’émolument du dossier M 5______. Dans ce cas de figure, le département et ses services n’ont dû traiter qu’une seule version du projet, celle initiale, qui a également donné lieu à 17 préavis recueillis pendant le même laps de temps, d’août 2022 à avril 2023. Le tribunal peut certes entendre que l’analyse d’un projet de construction nécessite plus de temps que celui d’un projet de démolition, mais un facteur multiplicateur de 8 n’est à l’évidence pas raisonnable et donc justifiable, ce d’autant plus que ces deux autorisations étaient forcément imbriquées l’une dans l’autre, ce qui a probablement facilité la rédaction des préavis ultérieurs par la même instance.

En outre, la comparaison avec le cas traité par la chambre administrative et le Tribunal fédéral susmentionné laisse apparaître que l’émolument de CHF 25’200.- est trop important en l’espèce. Ces instances ont en effet accepté un émolument de CHF 40’450.- (hors le montant de la taxe d’enregistrement), mais pour un projet deux fois plus important - deux immeubles de sept étages, comprenant quarante-huit logements, reliés par une arcade commerciale, avec parking souterrain sur deux niveaux, et abattage d’arbres versus deux immeubles villageois HPE de vingt-quatre logements, d’un garage souterrain, avec abattage d’arbres et pompe à chaleur - pour lequel la durée de l’instruction avait été trois fois plus longue - 26 mois versus 8 mois -, qui avait nécessité 8 préavis de plus - 25 au lieu de 17 - et qui posait de plus des problèmes dépassant le cadre du projet et de la seule parcelle en cause, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Admettre que le projet de construction refusé en cause « coûte » plus de la moitié de celui examiné par la chambre administrative et le Tribunal fédéral alors que ce dernier était deux fois plus compliqué n’est pas admissible. Certes, il est exact, ainsi que d’ailleurs relevé par la recourante, que la complexité d’un dossier n’est pas liée à la taille de l’objet, mais bien de sa situation et des circonstances l’entourant (zones protégées, zone à risque, plans de sites, servitudes, accessibilité, esthétisme et intégration, etc.), de sorte que comparer deux projets s’avère être une opération délicate. Cela étant, dans la mesure où le caractère linéaire de l’émolument résultant de l’application de l’art. 257 al. 3 RCI est en lui-même critiquable et que la jurisprudence n’a pondéré l’application des principes de couverture des frais et d’équivalence que si l’émolument requis peut apparaître compatible avec dits principes à la lumière des circonstances concrètes, il convient de se montrer strict sur l’analyse desdites circonstances. Il appartient dès lors au département d’exposer pour quels motifs les circonstances concrètes justifient l’émolument requis, étant réitéré que la fixation de l'émolument en fonction de la seule surface du projet contrevient in abstracto, ainsi que noté par le Tribunal fédéral (arrêt 1C_41/2024 du 9 décembre 2024 consid. 6.4), aux principes d'équivalence ou de couverture des frais et que ce critère n’est ainsi pas, en soi, admissible à lui seul.

11.         Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, le bordereau du 26 janvier 2024 relatif à la M 5______ (facture n° 8_______) confirmé et le bordereau du 26 janvier 2024 relatif à la DD 6______ (facture n° 7______) annulé et le dossier renvoyé au département pour nouvelle décision.

12.         Vu cette issue, un émolument réduit de CHF 600.- sera mis à la charge de la recourante, dès lors qu’elle n’obtient que partiellement gain de cause (art. 87 al.1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnité en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il est couvert par l’avance de frais. Le solde de cette avance lui sera restitué.

Une indemnité de procédure de CHF 900.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui le département du territoire, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 16 février 2024 par A______ SA contre les bordereaux du département du territoire du 26 janvier 2024 ;

2.             l’admet partiellement ;

3.             confirme le bordereau du 26 janvier 2024 relatif à la M 5______ (facture n° 8_______) ;

4.             annule le bordereau du 26 janvier 2024 relatif à la DD 6______ (facture n° 7_______) et revoie ce dossier au département pour nouvelle décision ;

5.             met à la charge de la recourante un émolument réduit de CHF 600.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

6.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 100.- ;

7.             condamne l’État de Genève, soit pour lui le département du territoire, à verser à A______ SA une indemnité de procédure de CHF 900.- ;

8.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Laetitia MEIER DROZ, présidente, Loïc ANTONIOLI et Diane SCHASCA, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

La greffière