Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/227/2025 du 03.03.2025 ( LVD ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 3 mars 2025
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dans la cause
Monsieur A______
contre
COMMISSAIRE DE POLICE
Madame B______
1. Par décision du 21 février 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de 10 jours, soit jusqu'au 4 mars 2025, à 17h00, à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de son épouse Madame B______, située ______[GE].
Le 20 février 2025, il avait donné un coup de poing sur l'épaule de son épouse et le 5 décembre 2020, il avait poussé le thorax de cette dernière à l'aide de sn bras.
2. Il ressort du rapport de renseignement du 21 février 2025 qu'une patrouille est intervenue au domicile des intéressés la veille, vers 21h30, pour des violences domestiques. Venu à la rencontre des agents de police, M. A______ a expliqué avoir eu un conflit avec son épouse qui avait quitté leur logement. Aucun coup n'avait été échangé. Par contre, il reconnaissait avoir asséné une gifle à son épouse durant l'année 2020.
Auditionnée dans la foulée, Mme B______ a déposé plainte pénale à l'encontre de son époux et déclaré qu'à partir de 2019, des conflits verbaux, sans violence, avaient débuté entre eux. En décembre 2020, lors d'une dispute, il l'avait poussée, ce qui l'avait fait tomber au sol. Le 20 février 2025, il lui avait donné un coup de poing fermé sur l'épaule, toujours lors d'une altercation. Hormis ces deux événements, il n'y avait jamais eu de violence physique entre eux.
Entendu le même jour par la police, M. A______ a nié avoir frappé son épouse la veille. Il ne l'avait jamais frappée auparavant mais l'avait déjà poussée sur le canapé lors d'une dispute, le 5 décembre 2020. Son épouse était excessivement jalouse.
3. Par courrier envoyé le 27 février mais reçu le 28 février 2025 par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), Mme B______ a demandé la levée de la mesure d'éloignement.
Si elle avait déposé plainte pénale à l'égard de son époux c'est car elle était en colère. Elle souhaitait retirer sa plainte. Elle souhaitait la stabilité dans son foyer et leurs enfants avaient besoin d'eux. Lorsque son époux avait crié sur elle, cela l'a paniquée. Elle avait hurlé car elle voulait qu'il arrête de parler. Elle n'avait pas vraiment été frappée. Elle avait demandé la mesure d'éloignement car elle tremblait de peur et non pour une violence quelconque de sa part.
4. A l'audience du 3 mars 2025 devant le tribunal, M. A______ a déclaré qu'elle n'avait pas d'enfant en commun avec son époux. Elle avait elle-même deux garçons et lui quatre enfants. Depuis le prononcé de la mesure d'éloignement, elle n'avait pas eu de contact avec lui.
Le 20 février 2025, elle était rentrée à la maison après 12 heures de travail. Elle était très fatiguée. Ils avaient eu une dispute et il avait parlé à haute voix. Elle avait pris peur. Il était venu vers elle et lui avait donné un coup à l'épaule droite. En fait, il l'avait touchée sur l'épaule avec la main ouverte. Elle s'était mise à pleurer et elle avait quitté leur appartement en courant.
En décembre 2020, ils avaient eu une dispute comme tous les couples. Comme sa voix porte, elle avait eu peur. Elle marchait en arrière et elle avait fait un faux pas elle-même. Elle n'était pas vraiment tombée au sol. Lui-même ne l'avait pas poussée. Ils avaient bu un verre ce soir-là.
Elle avait fait opposition car elle aimait toujours son mari et souhaitait que leur couple soit apaisé et que leurs enfants soient tranquilles. Elle avait décidé d'arranger tout en famille. Les enfants ne se sentaient pas bien.
Elle avait dit qu'elle était paniquée dans son courrier de retrait car lorsqu'elle était fatiguée et que quelqu'un criait, elle avait peur.
Si elle avait demandé la mesure d'éloignement c'est car elle voulait que tout le monde remette ses idées en ordre.
M. A______ ne s'est pas présenté à l'audience.
Le représentant du commissaire de police a conclu au rejet de la levée de la mesure d'éloignement et à sa confirmation.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).
2. Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.
3. Contrairement à l’art. 11 al. 2 LVD qui stipule que toute personne directement touchée par la mesure d’éloignement a le droit d’en solliciter la prolongation auprès du tribunal administratif de première instance, l’art. 11 al. 1 LVD indique uniquement que c’est la personne éloignée qui peut s’opposer à la mesure d’éloignement dans un délai de 6 jours dès sa notification, par simple déclaration écrite adressée au tribunal.
4. Cela étant, aux termes de l’art. 60 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), a qualité pour recourir toute personne touchée directement par une décision et qui a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée. A cela s'ajoute que selon l'art. 7 LPA, au-delà des personnes qui disposent d'un moyen de droit contre une décision, ont également qualité de partie les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre. Le fait que, selon sa lettre, cette disposition concerne la situation procédurale qui précède la prise de décision, ne change rien à la qualité de partie octroyée sur la base de l'atteinte potentielle aux droits et obligations que cette décision est susceptible de faire peser sur d'autres personnes que les destinataires directs de la décision.
5. L'intérêt digne de protection implique que le recourant soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés, répondant ainsi à l’exigence d’être particulièrement atteint par la décision. L'intérêt invoqué, qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération avec l'objet de la contestation (arrêts du Tribunal fédéral 1C_56/2015 consid. 3.1 ; 1C_152/2012 consid. 2.1 ; ATA/902/2015 du 1er septembre 2015 ; François BELLANGER/Thierry TANQUEREL, Le contentieux administratif, 2013, pp. 115-116).
6. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_892/2011 du 17 mars 2012 consid. 1.2 ; 1B_201/2010 du 1er juillet 2010 consid. 2 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 748 n. 5.7.2.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 449 n. 1367). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1).
7. Au sens de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c).
8. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la notion de décision implique un rapport juridique obligatoire et contraignant entre l'autorité et l'administré (ATF 141 I 201 consid. 4.2). Constitue une décision un acte étatique qui touche la situation juridique de l'intéressé, l'astreignant à faire, à s'abstenir ou à tolérer quelque chose, ou qui règle d'une autre manière obligatoire ses rapports avec l'État (arrêt du Tribunal fédéral 1C_150/2020 du 24 septembre 2020 consid. 5.2 et les références citées). De simples déclarations, comme des opinions, des communications, des prises de position, des recommandations et des renseignements n'entrent pas dans la catégorie des décisions, faute de caractère juridique contraignant (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; 8C_220/2011 du 2 mars 2012 consid. 4.1.2). Pour déterminer s'il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l'acte. Un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle), si, par son contenu, il en a le caractère, même s'il n'est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d'une décision, telle l'indication des voies de droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_282/2017 du 4 décembre 2017 consid. 2.1 et les références citées).
9. La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 LPA.
10. Ainsi, il convient de reconnaître la qualité pour recourir de Mme B______, la décision litigieuse portant atteinte à sa vie privée au sens de l'art. 8 §1 CEDH.
11. La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).
12. Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).
13. Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).
14. Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.
15. Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de
a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;
b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.
16. La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).
17. Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).
18. Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.
19. Le pouvoir d'examen du tribunal de céans s'étend à l'opportunité de la mesure (art. 11 al. 3 LVD).
20. En l'espèce, les faits reprochés à M. A______ correspondent à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. A ce stade, la question n'est pas de savoir lequel des intéressés est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir. L'essentiel est de séparer les intéressés en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile est lui aussi l'auteur de violences, lesquelles peuvent également être psychologiques. Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements, la perspective que les époux A______ et B______ se retrouvent sous le même toit apparaît inopportune.
21. Par conséquent, l'opposition sera rejetée et la mesure d'éloignement confirmée dans son principe et sa durée
22. Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).
23. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable la demande formée le 27 février 2025 par Madame B______ de lever la mesure d’éloignement prise à l'encontre de Monsieur A______ par le commissaire de police le 21 février 2025 pour une durée de 10 jours ;
2. la rejette ;
3. confirme la mesure d'éloignement prise par le commissaire de police le 21 février 2025 pour une durée de 10 jours, soit jusqu'au 4 mars 2025 à 17h00, à l'encontre de Monsieur A______ ;
4. dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
6. dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| Le greffier |