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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/852/2023

JTAPI/1075/2024 du 01.11.2024 ( EXP ) , ADMIS

PARTIELMNT ADMIS par ATA/1223/2025

Descripteurs : DROIT DE PRÉEMPTION;PRATIQUE JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIVE;VALEUR VÉNALE DU DROIT EXPROPRIÉ;INDEMNITÉ D'EXPROPRIATION;TAUX D'INTÉRÊT
Normes : LGL.5.al1; LGL.6; LEx-GE.14; LEx-GE.18; LEx-GE.81E.al1; LEx.75
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/852/2023 EXP

JTAPI/1075/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 1er novembre 2024

 

dans la cause

 

ÉTAT DE GENÈVE-CONSEIL D’ETAT-DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

 

contre

 

Messieurs A______ et B______, représentés par Me François BELLANGER, avocat, avec élection de domicile

 


EN FAIT

1.             Depuis le ______ 2003, Messieurs A______ et B______ sont propriétaires de la parcelle n° 1______ de la commune de C______, secteur D______, sise 2______ E______.

Cette parcelle d’une surface de 245 m2 est située en zone d’affectation primaire 5 et en zone de développement 3 (ci-après : ZD3).

2.             Une habitation à un logement (bâtiment n° 3______) d’une surface au sol de 72 m2 y est érigé. Cette maison fait partie d’un ensemble avec deux autres maisons de même type construites sur les parcelles adjacentes nos 4______ et 5______ de la ville de Genève (ci-après : la ville).

3.             Ces trois parcelles sont situées à proximité immédiate du plan de site n° 6______ F______ (ci-après : le plan de site) adopté par le Conseil d’État le ______ 2014. Elles sont entourées au nord-est et au sud-est par une ZD3, dont une majeure partie inclue dans le plan de site, et au nord-ouest et au sud-ouest par une zone ordinaire 3 densément bâtie, composée de parcelles abritant des habitations à plusieurs logements.

4.             Le Plan directeur communal 2020 de la ville identifie la parcelle n° 1______ et ses parcelles voisines nos 4______, 5______ et 7______, comme « potentiel à prédominance logement » et comme appartenant à un « secteur de renouvellement urbain ».

5.             Dans le cadre du Plan directeur cantonal 2030 (ci-après : PDCn 2030), ces parcelles sont identifiées comme faisant partie de la « densification différenciée de la couronne urbaine », pour laquelle l’État de Genève vise expressément :

-          la densification de secteurs déjà bâtis, contribuant à une utilisation optimale des zones à bâtir et du sol ;

-          la réalisation de quartiers denses dans des secteurs très bien ou bien desservis par les transports publics ;

-          la forte augmentation du parc de logements, dont une part appréciable de logements à caractère social ;

-          et la mise à disposition des surfaces nécessaires pour répondre aux besoins en logement.

6.             Le 8 octobre 2021, MM. A______ et B______ ont signé une promesse de vente et d’achat portant sur leur parcelle en faveur de G______ SA (ci-après : G______), société anonyme ayant notamment pour but « toutes opération immobilières pour son compte et le compte de tiers, notamment construction, achat, vente, courtage, gérance et administration de tous biens mobiliers et immobiliers ».

Cette promesse de vente, conclue pour un prix de CHF 2’235000.-, était assortie d’un droit d’emption en faveur de G______. Dans son art. 1, cette promesse prévoyait la possibilité, pour le promettant-acquéreur, de se substituer « toute personne physique ou morale ». Elle était également grevée d’un droit de préemption au profit du canton de Genève et de la ville, dans la mesure où elle était située en ZD3 (art. 3 ss de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 - LGL - I 4 05).

7.             Le 11 octobre 2021, Me H______, notaire, a transmis au Conseil d’État une copie de l’acte de promesse de vente et d’achat.

8.             Le 4 novembre 2021, G______ et Monsieur I______ ont conclu un acte de cession de la promesse de vente et d’achat portant sur la parcelle n° 1______.

Par cet acte de cession, M. I______ était subrogé dans tous les droits et obligations de G______ envers MM. A______ et B______, en lien avec la promesse de vente et d’achat portant sur la parcelle n° 1______, moyennant un prix de cession de CHF 415’000.-.

9.             Le 8 novembre 2021, Me H______ a fait parvenir au Conseil d’État une copie de l’acte de cession précité.

10.         Le 11 novembre 2021, agissant par délégation du Conseil d’État, le département du territoire (ci-après : le département), soit pour lui l’office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF), a informé MM. A______ et B______ et G______ qu’il étudiait la possibilité pour l’État de Genève de se porter acquéreur de la parcelle n° 1______, en conformité avec les art. 3 ss LGL, les invitant à lui indiquer les objectifs poursuivis par la transaction immobilière et les éléments constitutifs du prix convenu.

Il leur était précisé que cette étude était liée à la densification du périmètre dans lequel se trouvait la parcelle n° 1______ ainsi qu’au prix convenu entre les parties, soit CHF 2’235’000.-, lequel semblait supérieur aux normes admissibles en zone de développement, notamment au regard de sa pratique administrative PA/SI/001.06 intitulée « Prix admis dans les plans financiers pour les terrains sis en zone de développement » (ci-après : pratique administrative PA/SI/001.06).

11.         Le 17 novembre 2021, l’OCLPF a aussi interpellé G______ et M. I______ s’agissant des motifs du montage de l’opération de cession de la promesse de vente et d’achat ainsi qu’au sujet des éléments constitutifs du prix de cession de CHF 415’000.-, lequel portait le montant total de la transaction à CHF 2’650’000.-.

12.         Le 19 novembre 2021, MM. A______ et B______, sous la plume d’un conseil, ont indiqué à l’OLCPF avoir mis en vente la parcelle n° 1______ pour des raisons personnelles. Le prix de vente leur apparaissait convenable sans être exceptionnel, par rapport aux prix des villas et appartements en ville, et conforme aux caractéristiques de la villa érigée sur la parcelle, qu’ils détaillaient.

13.         G______ et M. I______ se sont déterminés en date des 19 et 25 novembre et 3 décembre 2021.

14.         Par arrêté 9______ du ______ 2021, notifié à MM. A______ et B______, à G______ et à M. I______, le Conseil d’État a exercé le droit de préemption de l’État de Genève sur la parcelle n° 1______ au prix de CHF 1’100’000.-.

L’exercice du droit de préemption était motivé par la situation de la parcelle et le prix de la transaction. La parcelle disposait d’un potentiel évident de densification, conformément aux normes régissant la ZD3, aucune mise sous protection n’était envisagée en lien avec le bâtiment et le prix de la transaction s’élevait à plus du double du montant de l’estimation réalisée par l’OCLPF, en conformité avec sa pratique administrative PA/SI/001.06, soit CHF 1’100’000.-. Avec le montant de la cession, la transaction totale s’élevait à CHF 2’650’000.-, ce qui dépassait largement les normes admissibles en zone de développement et s’inscrivait donc en contradiction avec l’intérêt public visant à lutter contre la spéculation en zone de développement. Faute d’acceptation du prix estimé, il prendrait la décision de recourir à la procédure d’expropriation afin de faire fixer le prix conformément à la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique du 10 juin 1933 (LEx-GE - L 7 05).

15.         S’en est suivi un échange de courriels entre MM. A______ et B______ et l’OCLPF au sujet du droit de préemption, M. B______ estimant avoir été trompé par l’acheteur mais également par le Conseil d’État, dès lors que ce dernier ne l’avait pas informé de l’existence de la cession, élément manifestement essentiel à la prise de décision. Lui et son frère souhaitaient dès lors pouvoir se déterminer sur ce point également.

16.         Par acte du 24 janvier 2022, MM. A______ et B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêté du ______ 2021, concluant principalement à son annulation et à la condamnation du Conseil d’État à tous les frais de la procédure. Préalablement, ils ont sollicité leur audition et celles de plusieurs fonctionnaires de l’OCLPF, la production par le Conseil d’État de tous les documents relatifs au recensement architectural cantonal de la parcelle n° 1______ en cause, de tous les documents pris en considération par le Conseil d’État pour apprécier la valeur patrimoniale de la parcelle, de l’acte de cession de la promesse de vente par G______ à M. I______ ainsi que tous les échanges entre le Conseil d’État, l’OCLPF et Me H______, Me J______, conseil de G______, ou toute autre personne au sujet de l’acte de cession de la promesse de vente à M. I______.

En substance, ils ont fait valoir la violation de leur droit d’être entendu, de l’art. 3 LGL, faute de possibilité de construire sur la parcelle, même à long terme, et de l’art. 7 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), au regard de la qualité de la villa (recensée avec la valeur « intéressant ») rendant sa démolition impossible. Au surplus, le motif d’un prix excessif était sans pertinence dans la mesure où aucun cas de préemption n’était réalisé. Le contrôle du prix par le Conseil d’État n’était pas admissible, à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_141/2013, qui avait retenu que seule la valeur de marché d’une parcelle était déterminante. Dès lors, le Conseil d’État ne pouvait plus utiliser son droit de préemption comme moyen de contrôle du prix d’une transaction en zone de développement. En outre, la décision querellée n’avait pas jugé que le prix de vente de CHF 2’235’000.- fixé dans la promesse de vente justifiait l’exercice du droit de préemption mais que c’était le prix de la cession, ajouté au prix de la promesse de vente qui rendait le prix de vente de la parcelle excessif au regard de la pratique administrative PA/SI/001.06. La parcelle n° 5______ avait été vendue en 2017 pour CHF 1’200’000.- et l’État n’avait pas exercé son droit de préemption lors de cette vente. Enfin, l’exercice du droit de préemption à une valeur d’à peine 49% du prix convenu dans la promesse de vente ne correspondait pas à la valeur vénale de leur propriété et leur causerait un préjudice considérable. Si l’arrêté n’était pas annulé, ils refusaient le prix proposé par le Conseil d’État et requerraient un prix correspondant à la valeur réelle de leur bien, dans le cadre de la procédure d’expropriation prévue à l’art. 6 LGL. Ils souhaitaient également obtenir réparation des dommages matériels et psychologiques causés par l’action infondée du Conseil d’État.

17.         Dans ses observations du 21 mars 2022, le Conseil d’État, soit pour lui le département, agissant par délégation, a conclu au rejet du recours et à la confirmation de l’arrêté querellé.

18.         Par arrêt du ______ 2022 (ATA/11_____), la chambre administrative a rejeté le recours de MM. A______ et B______, rappelant, préalablement, l’objectif du droit de préemption, prévu à l’art. 3 LGL, soit notamment d’empêcher des opérations spéculatives qui seraient contraires au rôle de la zone de développement. « Le but des zones de développement est donc de maîtriser les prix des terrains situés dans ces zones afin de favoriser la construction de logements bon marché (…) tout en assurant une densification harmonieuse et raisonnable de certains secteurs du canton (…). Dans ce but, l’État contrôle le prix des terrains, le coût de construction des immeubles, le type de logements à construire, le prix de vente éventuel ou encore le montant du loyer futur des logements construits. La fixation des prix et loyers intervient sous la forme de directives administratives de l’OCLPF, ayant leur fondement à l’art. 5 de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35). Elles sont accessibles sur internet (…) ».

Elle a retenu qu’il existait en l’espèce un potentiel de densification sur la parcelle en cause, de sorte que l’exigence de l’intérêt public à la construction de logements d’utilité publique (ci-après : LUP) dans les zones de développement du canton était remplie. Au vu de la pénurie de logements et l’urgence à développer le potentiel constructible du canton, la décision litigieuse permettait, moyennant certains aménagements, d’atteindre concrètement le but d’intérêt public recherché. Dans ces conditions, le Conseil d’État avait fait exercice de son droit de préemption sur la parcelle n° 1______ sans excès ou abus de son pouvoir d’appréciation. L’intérêt public à la construction de LUP dans les zones de développement du canton était indéniable et devait l’emporter sur l’intérêt, de pure convenance personnelle, des vendeurs à céder leur parcelle au prix convenu avec leurs acheteurs, ainsi qu’à l’intérêt des acheteurs à acquérir la parcelle. Le fait qu’en 2017, lors de la vente de la parcelle voisine, l’État n’ait pas fait usage de son droit de préemption, les obstacles que pouvaient constituer les parcelles voisines et les arbres présents sur la parcelle n° 1______ n’étaient pas déterminant et il n’existait aucune mesure de protection des bâtiments des parcelles n° 4______, 5______ et 1______.

Il n’était pour le surplus pas contesté que la restriction du droit de préemption communal (recte : cantonal) aux garanties constitutionnelles de la propriété et de la liberté économique reposait sur une base légale claire et précise (art. 1 ss LGL).

Finalement, leur argumentation relative au prix correspondant à la valeur réelle de leur bien, selon leurs estimations, n’étaient pas recevables, ces éléments devant être discutés dans le cadre d’une procédure d’expropriation, excédant l’objet du litige. Il en allait de même de leurs arguments relatifs à l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_141/ 2013 du 5 septembre 2013, cet arrêt ne concernant pas, comme le cas d’espèce, une décision de préemption du Conseil d’État, mais une procédure d’expropriation faisant suite à une telle décision, entrée en force.

19.         Aucun recours n’a été formé contre cet arrêt.

20.         Aucun accord n’ayant été trouvé entre les parties sur le prix de préemption, le Conseil d’État a émis le ______ 2022 un arrêté décrétant l’expropriation de la parcelle n° 1______, uniquement dans le but de permettre la saisine du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal) en vue de la fixation du prix de préemption de cette parcelle, conformément aux prescriptions de l’art. 6 LGL.

21.         Cet arrêté a été adressé le ______ 2022 à MM. A______ et B______ et les extraits dudit arrêté ont été publiés dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) des ______ et ______ 2022.

22.         À teneur du formulaire d’estimation de la parcelle n° 1______ de l’OCLPF du 7 février 2023, le montant de CHF 1’100’000.- avait été déterminé selon les critères codifiés dans sa pratique administrative PA/SI/001.06. Cette estimation ne fixait pas la valeur vénale du bien immobilier considéré. En revanche, elle déterminait le prix maximum qu’il pourrait admettre dans le cadre d’un plan financier visé par une autorisation de construire délivrée selon les normes de la zone de développement.

Le prix de CHF 1’100’000.- se décomposait comme suit :

-       terrain (245 m2) : CHF 1’238.-/m2 = CHF 303’310.-

-       aménagements extérieurs : CHF 62’280.-

-          bâtiment n° F397 : CHF 700’000.- (1’000.-/m3 = 800’000.-
[valeur à neuf] sous déduction de
100’000.- [vétusté 13%])

-       raccordements aux services publics : CHF 25’000.-,

soit un montant total arrondi à CHF 1’100’000.- correspondant à CHF 4’489,80/m2 (prix total divisé par la superficie de la parcelle).

23.         Par courrier non daté déposé par porteur au greffe du tribunal le 8 mars 2023, le Secrétaire général du département, constatant l’entrée en force de la décision de préemption du 8 décembre 2021, a transmis le dossier de l’affaire au tribunal en application de l’art. 44 al. 1 LEx-GE, dès lors que les notifications et publications prévues par les art. 31 et 32 LEx-GE avaient été effectuées. Il a adressé copie de son courrier aux propriétaires concernés.

24.         Le 14 mars 2023, le tribunal a convoqué les parties à une audience de conciliation du 5 avril 2023, reportée au 28 avril 2023 puis au 2 mai 2023, à la demande des parties.

25.         Lors de cette audience, le conseil de MM. A______ et B______ a expliqué n’avoir pas eu de discussions avec le département concernant le prix du bien. La position de ses mandants était celle exprimée dans le cadre de la procédure du droit de préemption. Ils souhaitaient l’application du prix du marché, étant précisé que la maison était en bon état, bien située et qu’elle disposait de beaucoup d’agréments. Le prix proposé n’était pas correct, ni acceptable.

Les représentantes de l’État de Genève-département ont rappelé les deux motifs sur lesquels se fondait la préemption, à savoir la densification de la parcelle et le prix excessif proposé pour ce bien. La valeur du marché avait notamment été bien inférieure au prix de vente arrêté pour le bien de MM. A______ et B______, une des parcelles voisines ayant été vendue pour la somme d’environ CHF 1’300’000.-. Ils n’avaient pas encore fait de proposition sur le prix à ce stade. Il était possible d’augmenter un peu le montant estimé par l’OCLPF en appliquant la pratique 32 (applicable lorsque le bien était habité par son propriétaire) et en ajoutant une indemnité complémentaire de déménagement. En zone de développement, les prix devaient pouvoir être contrôlés par l’État. Il ne s’agissait pas ici d’une expropriation pure et dure, mais d’une préemption. L’État de Genève-département maintenait dès lors sa position s’agissant du prix du bien, sous réserve des quelques aménagements exprimés ci-dessus pouvant s’élever à environ CHF 276’000.-. Une densification du périmètre était envisageable, la parcelle voisine appartenait à la ville et l’intérêt patrimonial à préserver le bien sur la parcelle n° 1______ n’avait pas été retenu. Les offices compétents, soit notamment l’office du patrimoine et des sites et l’office de l’urbanisme, avaient été consultés avant le prononcé de la décision querellée.

Le conseil de MM. A______ et B______ a relevé que le prix de la villa voisine découlait de circonstances particulières et n’était pas représentatif du prix du marché. Ses mandants n’avaient pas la même compréhension que le département de l’arrêt de la chambre administrative et persistaient à demander que le prix de la parcelle soit arrêté à celui de sa valeur vénale. Ses mandants s’inquiétaient au surplus du sort de la maison dans le cadre de la procédure. Ils souhaitaient un transfert de possession de cette dernière à l’État avec prise en charge complète des frais liés à celle-ci, ce à quoi les représentantes du département-OCLPF ont donné leur accord. Ceci fait, le département pourrait, s’il le souhaitait, louer le bien. Ses mandants ne voulaient plus avoir à s’occuper de la parcelle durant la procédure de quelque manière que ce soit.

M. B______ a expliqué que la maison était sur deux niveaux avec une excavation complète. Le toit, plat, n’était pas aménagé. Son frère et lui-même n’avaient pas été informés de l’acte de cession de promesse de vente du 4 novembre 2021 qui s’était fait derrière leur dos.

Les parties ont demandé qu’il soit protocolé qu’elles étaient d’accord avec le fait que le transfert de possession et l’éventuelle location du bien par l’État de Genève n’auraient pas d’incidence sur la fixation du prix du bien et ont indiqué souhaiter que la procédure suive son cours.

Le tribunal a pris acte du transfert de la possession de la parcelle n° 1______ à l’État de Genève, ainsi que du fait que les parties n’étaient pas parvenues à un accord quant au prix. Il a imparti à MM. A______ et B______ un délai au 5 juin 2023 pour transmettre leurs observations au fond (recte : leur détermination), précisant qu’à réception de ces dernières, un délai serait imparti à l’État de Genève.

26.         Par demande en indemnités du 5 juin 2023, MM. A______ et B______, sous la plume de leur conseil, ont conclu à ce que l’État de Genève soit condamné à leur verser une indemnité de CHF 2’230’000.- plus intérêt à 5% dès le 1er février 2022 ainsi qu’une indemnité de CHF 6’993,35 plus intérêt à 5% dès le 5 juin 2023, sous suite de frais et dépens. Préalablement, une expertise de la valeur de marché en octobre 2021 de la parcelle n° 1______ devait être ordonnée.

Le droit de préemption légal de l’État de Genève, prévu aux art. 3 à 5 LGL, s’était concrétisé par l’arrêté du Conseil d’État déclarant exercer ce droit au prix de CHF 1’100’000.- au lieu du montant de CHF 2’235’000.- figurant dans l’acte de vente. À défaut d’acceptation de cette offre, la procédure prévue à l’art. 6 LGL s’appliquait, laquelle renvoyait à l’application de la LEx-Ge.

S’agissant de l’indemnité selon les art. 14 ss LEx-Ge, celle-ci comprenait la pleine valeur vénale de l’immeuble exproprié, afin que l’exproprié ne soit ni enrichi ni appauvri par l’expropriation. L’exproprié devait être placé dans une situation économiquement équivalente à celle qui aurait été la sienne sans expropriation. La valeur vénale d’un immeuble exproprié était celle qui aurait été obtenue sur le marché, soit la valeur que l’immeuble représentait pour un acquéreur quelconque en fonction de son utilisation actuelle ou d’une meilleure utilisation possible. On accordait ainsi à l’exproprié la somme qu’il pourrait obtenir d’un tiers qui achèterait son immeuble s’il était mis sur le marché.

L’approche de l’État de Genève consistant à invoquer que la valeur vénale de la parcelle expropriée serait celle correspondant à son estimation, fondée sur les pratiques de l’OCLPF de prix en zone de développement, ne pouvait être retenue, dans la mesure où elle était illégale et avait été écartée par le Tribunal fédéral dans un arrêt du 5 septembre 2013.

L’ancrage légal de la pratique administrative PA/SI/001.06 était l’art. 5 LGZD. Elle avait été adoptée, ainsi que d’autres pratiques, pour mettre en œuvre les exigences relatives aux plans techniques et financiers et déterminer leur contenu admissible. Ces pratiques avaient donc un fondement légal pour le moins léger et limité à la seule question des plans financiers et techniques selon l’art. 5 al. 3 LGZD. Elles ne s’appliquaient de plus pas tant qu’il n’y avait pas eu, selon l’art. 2 al. 1 let. b LGZD, l’approbation préalable par le Conseil d’État ayant pour effet que le régime de la zone de développement puisse s’appliquer. Elles ne pouvaient ainsi être appliquées en cas d’expropriation d’un immeuble, en l’absence d’une autorisation de construire nécessitant l’adoption des conditions particulières relatives à celles-ci. Elles n’étaient pas non plus applicables dès lors que le règlement de la zone de développement n’était que virtuel en l’absence d’un plan localisé de quartier. Enfin, ces pratiques ne concernaient que le futur requérant d’une autorisation de construire et ne pouvait pas s’appliquer à un tiers propriétaire qui ne construisait pas et se limitait à vendre un bien. En conséquence, se référer à la pratique administrative PA/SI/001.06 était non seulement illégale mais également totalement contraire à l’art. 6 LGL qui renvoyait exclusivement à l’application de la LEx-Ge et non à l’art. 5 LGZD. Partant, pour l’évaluation de la valeur vénale de la parcelle expropriée, seule la valeur vénale définie supra devait être calculée.

En outre, dans un cas similaire à la présente espèce (arrêt 1C_141/2013 du 5 septembre 2013 concernant l’expropriation d’une parcelle après que l’exercice du droit de préemption d’une villa pour le prix correspondant à l’estimation de l’OCLPF selon sa pratique ait été refusé par les propriétaires), le Tribunal fédéral, après avoir rappelé les règles gouvernant la fixation de l’indemnité d’expropriation, avait validé la méthode d’évaluation de la valeur de marché appliquée par la commission cantonale d’estimation, soit la méthode comparative, selon laquelle la valeur vénale des terrains était fixée sur la base des prix payés pour des fonds semblables, rejetant les arguments de l’État de Genève qui critiquait cette méthode en se prévalant du classement de la parcelle en zone de développement et de sa pratique en matière de prix. Partant, la jurisprudence excluait l’application d’un prix théorique, résultant de la pratique PA/SI/001.06 pour le calcul de la valeur vénale du bien exproprié.

S’agissant du montant de l’indemnité, qui devait être pleine et entière, il fallait prendre la valeur du marché de la parcelle qui correspondait au prix de vente de leur bien de CHF 2’235’000.- et déterminait donc sa valeur vénale. Le prix de vente de la parcelle n° 5______ (CHF 1’200’000) il y avait plus de six ans était sans incidence en l’espèce dès lors que les conditions de la vente, notamment les circonstances qui avaient conduit à la fixation de ce prix, n’étaient pas connues, sous réserve des éléments exposés le 19 novembre 2021, soit des considérations personnelles, voire fiscales, des anciens propriétaires. Ils demandaient dès lors l’octroi d’une indemnité de CHF 2’235’000.- avec intérêt à 5% à compter du 1er février 2022, dans la mesure où M. A______ devait quitter l’immeuble le 31 janvier 2022, après l’exécution de la vente.

Une indemnité complémentaire de CHF 6’993,35 en application de l’art. 18 al. 1 let. c LEx-GE devrait par ailleurs leur être versée en réparation des coûts (loyer du nouvel appartement de M. A______ et charges de l’immeuble) engendrés par l’exercice du droit de préemption avec cas d’expropriation.

Enfin, si le tribunal ne devait pas admettre la valeur précitée, une expertise devrait être mise en œuvre afin de déterminer la valeur de l’immeuble à la date de la vente, soit en octobre 2021, en fonction des paramètres du marché, notamment le niveau des taux d’intérêts, prévalant à cette époque.

Ils ont joint un chargé de vingt-deux pièces, dont diverses factures ayant trait à la parcelle n° 1______ ainsi qu’au bâtiment y étant érigé dessus ; le montant total de ces factures ascende à CHF 6’993,35.

27.         Dans ses observations du 21 juillet 2023, le Conseil d’État, par le biais du département, a conclu au rejet de la demande en indemnités, à la confirmation de l’arrêté du ______ 2022, à ce qu’il soit constaté que le prix d’acquisition via l’exercice du droit de préemption de la parcelle n° 1______ était fixé au montant de CHF 1’100’000.- qu’il acquitterait en faveur de MM. A______ et B______, pris conjointement et solidairement, à ce qu’il soit constaté qu’il acceptait de verser aux précités un montant de CHF 6’303.- à titre d’indemnité complémentaire, sous suite de frais et dépens. Préalablement, MM. A______ et B______ devaient être déboutés de leur demande d’expertise de la parcelle n° 1______.

Dans un arrêt du _______2008 (1C_250/2007), le Tribunal fédéral avait confirmé l’interprétation du Conseil d’État, s’agissant de la nature de la procédure d’expropriation prévue par l’ancien art. 12 al. 4 let. d de la loi générale sur les zones de développement industriel du 13 décembre 1984 (LGZDI - L 1 45), dont la portée était analogue, pour les zones de développement industriel, à celle de l’actuel art. 5 al. 1 let. d LGL pour les zones de développement. Une fois la décision de préemption devenue définitive, le recours à la LEx-GE avait pour seule fonction de permettre l’ouverture de la procédure devant l’autorité compétente, pour fixer le prix d’acquisition du bien-fonds préempté. Cette distinction entre les cas d’expropriation (art. 8 LGZDI), d’une part, et les cas d’exercice du droit de préemption (art 12 LGZDI), d’autre part, ressortait également d’un arrêt rendu en 1991 (arrêt non publié 1P.506/1990 du 6 mars 1991). Dans cette affaire comparable à la présente espèce, le Tribunal fédéral avait notamment considéré que ce droit de préemption légal avait d’autres buts qu’une expropriation. Il était destiné à limiter l’augmentation du prix des terrains et à favoriser la mise en valeur des zones de développement industriel de manière conforme à leur destination (consid 2c). Le Tribunal fédéral avait retenu que l’art. 8 LGZDI n’était pas applicable, le droit de préemption n’étant pas destiné à permettre la réalisation d’un projet concret mais servant notamment à éviter que les immeubles ne fassent l’objet d’aliénations à des prix excessifs. D’après l’arrêt cité, cet objectif ne pouvait être atteint que si l’État de Genève avait la possibilité effective de contester le prix indiqué dans la promesse de vente devant la commission de conciliation et d’estimation instituée par les art 35 ss LEx/GE lorsque ce prix était considéré comme excessif. La procédure d’expropriation engagée à la suite de la décision d’exercer le droit de préemption n’avait pas une portée indépendante. Les art 10 et 11 LGZDI constituaient une base légale claire et suffisante pour lui permettre d’exercer le droit de préemption, dans l’hypothèse visée à l’art. 12 let. d LGZDI (consid 3b). Le Tribunal fédéral précisait encore que « le système de l’art. 12 al. 4 let. c et d LGZDI n’implique pas l’ouverture d’une procédure d’expropriation stricto sensu. S’agissant de l’exercice du droit de préemption, décision préalable à la procédure d’estimation, il bénéficie en droit cantonal, aux art 10 ss LGDZI, d’une base légale suffisante ».

Ces considérations étaient pleinement transposables aux art. 3ss LGL, applicables aux zones de développement, et dont la teneur était analogue à celle des anciens art. 10 ss LGZDI en matière de zone de développement industriel. La procédure d’expropriation mentionnée par les art. 5 al. 1 let. d et 6 LGL visait donc uniquement l’ouverture d’une procédure en fixation du prix d’acquisition via l’exercice du droit de préemption. Elle n’était en revanche aucunement assimilable à une procédure d’expropriation stricto sensu, c’est-à-dire à une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique telle que visée par les art. 1 ss LEx-GE.

Dans son arrêt précité du 2 juin 2008, le Tribunal fédéral avait ensuite distingué les intérêts publics visés par une procédure d’expropriation stricto sensu, de ceux visés par une procédure d’expropriation visant uniquement la fixation du prix d’acquisition via l’exercice du droit de préemption, relevant que même si l’exercice du droit de préemption, selon les art. 10 ss LGZDI, n’est pas assimilé à une expropriation au sens de l’art. 8 LGZDI, ses effets sont à certains égards comparables à ceux d’une expropriation, le propriétaire visé ne pouvant choisir ni l’acquéreur ni le prix. Il faut donc que cette décision soit justifiée par un intérêt public (art. 36 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101) en relation avec l’art. 26 Cst.).

Dans l’arrêt du 6 mars 1991 précité (consid. 3c), le Tribunal fédéral avait rappelé que le droit de préemption des art. 10 ss LGZDI visait des objectifs d’aménagement du territoire, une utilisation optimale des zones destinées aux activités économiques et une mise en valeur judicieuse des zones de développement industriel, notamment par une augmentation des possibilités de construire (densification). Il importait aussi que le terrain industriel ne soit pas détourné de sa vocation par une opération de spéculation qui entravait la réalisation de constructions par les entreprises industrielles. En fonction de ces objectifs d’aménagement du territoire (…) un intérêt public important pouvait justifier l’exercice du droit de préemption.

Ces considérations étaient là encore applicables, mutatis mutandis, au droit de préemption prévu par les art. 3 ss LGL, dans la mesure où les intérêts publics visés par l’exercice de ce droit étaient tout à fait distincts de ceux visés par une procédure d’expropriation stricto sensu, laquelle nécessitait une cause d’utilité publique au sens de l’art. 3 LEx-GE. À ce sujet et en l’espèce, la chambre administrative avait expressément confirmé les deux intérêts publics alternatifs poursuivis par l’exercice du droit de préemption prévu par les art. 3 ss LGL ainsi que l’existence d’un contrôle des prix de vente des parcelles en zone de développement par l’État de Genève, en vertu de l’art. 5 LGZD et des pratiques administratives de l’OCLPF (ATA/872/2022 du 30 août 2022 précité). La pratique administrative PA/SI/001.06, librement accessible sur Internet, avait pour objectif de « fixer les plafonds admis dans les plans financiers des opérations immobilières soumises au contrôle de l’OCLPF pour les prix des terrains sis en zone de développement, en vue d’encourager leur mise en valeur tout en répondant aux besoins prépondérants d’intérêt général définis par la loi ».

De même, la jurisprudence fédérale et la doctrine admettaient que l’intérêt public à la lutte contre la spéculation foncière pouvait être poursuivi via l’exercice du droit de préemption consacré par la LGL.

Il résultait de ces considérations que le prix d’acquisition via l’exercice du droit de préemption devait être fixé sur la base de la pratique administrative PA/SI/001.06. Toute autre méthode d’estimation reviendrait, d’une part, à contrevenir au contrôle légal des prix de vente des terrains et des parcelles en zone de développement, fondé sur l’art. 5 LGZD et, d’autre part, à rendre impossible la mise en œuvre des intérêts publics poursuivis par la décision de préemption du 8 décembre 2021. Or, de telles entraves ne seraient aucunement justifiées, en particulier dans la mesure où, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, la présente procédure ne constituait pas une procédure d’expropriation à proprement parler, mais visait uniquement la fixation du prix d’acquisition via l’exercice du droit de préemption de la parcelle n° 1______. La présente procédure n’étant pas indépendante de celle devant la chambre administrative, il n’était aucunement justifié de s’écarter du contrôle légal des prix en vigueur en zone de développement, respectivement de se fonder sur l’art. 18 al. 1 let. a LEx-GE.

Cela étant, si par impossible il était considéré que le prix d’acquisition via l’exercice du droit de préemption correspondait à la « valeur vénale » de la parcelle n° 1______ au sens de l’art. 18 al. 1 let. a LEx-GE, alors il devrait être retenu que cette valeur en zone de développement correspondait nécessairement au prix fixé par l’OCLPF en vertu de sa pratique administrative. À ce sujet, il devait être relevé que dans son arrêt 1C_141/2013 du 5 septembre 2013, le Tribunal fédéral n’avait ni abordé ni remis en question l’intérêt public à la lutte contre la spéculation foncière, pas plus que le bien-fondé de la poursuite de cet intérêt public, via l’exercice du droit de préemption. Or, en l’espèce, la valeur des parcelles sises en zone de développement était directement impactée et dépendante du contrôle des prix instaurés par la LGZD, notamment parce que l’État de Genève disposait de l’outil du droit de préemption prévu par la LGL pour mettre en œuvre ce contrôle. Ainsi, en cas de prix de vente excessif, l’État de Genève était en mesure de préempter la parcelle au prix fixé par la pratique administrative, tout en respectant la condition légale consistant à exercer ce droit de préemption « aux fins de construction de logements » d’utilité publique au sens de la LGL (art. 3 al. 1 LGL). Il était donc évident que le prix de vente des parcelles sises en zone de développement était directement influencé et même déterminé par le contrôle des prix effectué par l’État. Preuve en était la vente de la parcelle voisine, dont il n’était aucunement démontré que le prix de vente résulterait de circonstances personnelles liées aux vendeurs de celle-ci, plutôt que du contrôle légal des prix prévalant en zone de développement.

Plus encore, si par impossible le tribunal avait l’intention de décorréler le prix d’acquisition via l’exercice du droit de préemption du contrôle légal des prix en zone de développement, cela aurait pour effet de rendre impossible la mise en œuvre de l’intérêt public à la construction de LUP au sens de la LGL. En effet, si le prix d’acquisition était fixé par le tribunal à un montant excédant le prix en vigueur en zone de développement, cela aurait pour effet que le prix plafond à intégrer dans un futur plan financier, conformément à la pratique administrative PA/SI/001.06, serait alors dépassé, avec pour conséquence le déplafonnement des loyers des futurs logements à construire sur la parcelle n° 1______ qui ne pourraient alors plus répondre aux critères fixés, en termes de loyers, pour les LUP au sens de la LGL.

Pour tous ces motifs, il était indéniable que le prix résultant de la préemption de la parcelle n° 1______ ne pouvait être fixé qu’en application de la pratique PA/SI/001.06 et il n’était pas pertinent, comme le faisaient MM. A______ et B______, d’invoquer l’art. 19 al. 3 LEx-GE, selon lequel « il n’est pas tenu compte des augmentations ou des diminutions de valeurs résultant ou de la perspective de l’exécution du projet qui donne lieu à l’expropriation ou de la procédure d’expropriation ».

Partant, dans la mesure où il ressortait de l’estimation réalisée conformément à la pratique PA/SI/001.06 que la parcelle revêtait une valeur de CHF 1’100’000.- et que, s’agissant du prix du terrain, l’estimation retenait un montant de CHF 1’238/m2, soit le prix maximum pouvant être admis en vertu de la pratique précitée, pour une parcelle sise en zone de développement et dont la zone préexistante était la zone 5, il n’était pas nécessaire de procéder à une expertise judiciaire de la parcelle n° 1______, laquelle n’apporterait rien, l’estimation réalisée par l’OCLPF étant la seule admissible en zone de développement.

À titre tout à fait superfétatoire, dès lors qu’en vertu de l’art. 23A LEx-GE, la valeur au jour de l’arrêté d’expropriation était déterminante, la valeur de l’indemnité prévue par les art. 14ss LEx-GE, dont l’applicabilité au cas d’espèce était contestée, devrait être déterminée au ______ 2022, date à laquelle avait été rendu l’arrêté du Conseil d’État décrétant l’expropriation de la parcelle, et non à la date de la conclusion de la vente initiale en octobre 2021.

Quant aux autres frais invoqués par MM. A______ et B______, vu la convention de prise de possession anticipée conclue suite à l’audience du 2 mai 2023, ceux-ci n’étaient plus susceptibles d’encourir de frais en lien avec la parcelle n° 1______. Pour le passé, dans la lignée de cette convention et après examen des pièces produites, il ne s’opposait pas, sur le principe, à la prise en charge des frais invoqués mais à hauteur de CHF 6’303.-, la facture d’assurance bâtiment ne pouvant en effet être prise en charge que pour la période du 1er décembre 2021 au 31 mars 2022, soit à hauteur de CHF 346.-. En revanche, aucun intérêt couru au sens de l’art. 5 al. 5 LGL ne saurait leur être versé, cette disposition prévoyant le remboursement de tels intérêts en faveur de l’acquéreur évincé, et non du vendeur de la parcelle préemptée.

Le dossier du département a été transmis au tribunal.

28.         Le 29 septembre 2023, MM. A______ et B______, sous la plume de leur conseil, se sont déterminés sur les observations du Conseil d’État.

L’objectif du droit de préemption légal de l’État de Genève prévu aux art. 3 à 5 LGL n’était pas contesté. Le Conseil d’État perdait toutefois de vue l’objet de la présente procédure, à savoir la question de l’indemnité d’expropriation et de la fixation de son montant. À cet égard, l’ATA/872/2022 précité n’était donc d’aucun secours. De même, les références à l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_250/2007 concernant l’ancien art. 12 al. 4 let. d aLGZDI n’étaient pas décisive puisqu’un arrêt plus récent et se basant sur le droit en vigueur avait depuis lors été rendu par la chambre administrative. Au demeurant, l’arrêt du Tribunal fédéral concernait un recours contre l’arrêté relatif à l’exercice du droit de préemption par le Conseil d’État et non la fixation de l’indemnité. Dans un arrêt récent (ATA/872/2023), la chambre administrative avait très clairement distingué ces deux volets de la procédure, à savoir l’exercice du droit de préemption et la fixation de l’indemnité d’expropriation, relevant notamment que les critiques relatives au montant arrêté par le Conseil d’État, et l’argumentation relative au prix correspondant à la valeur réelle de leur bien, selon l’estimation des intéressés, ne devait pas être discutés dans le cadre de la procédure de préemption mais dans celle d’expropriation faisant suite à la décision de préemption (consid. 5.6). L’objet de la présente procédure consistait ainsi à fixer l’indemnité d’expropriation, et les diverses méthodes d’évaluation de la parcelle préemptée. Les développements du département relatifs au droit de préemption, aux intérêts publics visés ainsi qu’au contrôle du prix en zone de développement étaient ainsi exorbitants au présent litige et donc irrecevables.

Il en découlait que la LEx-GE était applicable à la détermination du montant de l’indemnité d’expropriation, par renvoi de l’art. 6 en lien avec l’art. 5 al. 1 let. d LGL. Le texte de ces articles était suffisamment clair, en ce sens que l’acquisition par l’État en l’absence d’accord portant sur son offre, intervenait par la voie de l’expropriation et l’art. 6 LGL prévoyait de manière on ne pouvait plus claire l’application de la LEx-GE dans une telle situation, comme admis par la chambre administrative dans l’ATA/872/2023. Il n’était donc plus question d’application de la LGL ou de la LGZD pour la fixation de l’indemnité d’expropriation. L’arrêt du Tribunal fédéral 1C_250/2007 précité allait également dans ce sens. Ce dernier qualifiait en particulier le prix figurant dans la décision d’exercer le droit de préemption comme « une simple évaluation prima facie de la valeur approximative que le terrain industriel peut avoir dans les différentes zones de développement industriel du canton de Genève » et relevait que le prix de vente serait fixé par la commission cantonale de conciliation et d’estimation et « [i]l y a lieu de rappeler que cette commission déterminera le prix, selon les critères de la loi sur l’expropriation, notamment l’art. 14 LEx/GE qui, prévoit une « indemnité pleine et entière », et l’art. 18 al. 1 let. a LEx/GE qui disait que cette indemnité comprenait « la pleine valeur vénale du droit ». C’était par conséquent uniquement les art. 5 et 6 LGL ainsi que la LEx-GE qui formaient le cadre juridique s’appliquant à la détermination du montant de l’indemnité d’expropriation et il ne résultait pas « de façon indéniable » du droit de préemption en tant qu’outils permettant le contrôle du prix des terrains et parcelles en zone de développement ainsi que de l’intérêt public à la construction de LUP dans les zones de développement, que le prix d’acquisition via l’exercice du droit de préemption devait être fixé sur la base de la pratique administrative de l’OCLPF, bien au contraire.

Il était faux d’affirmer que la présente procédure ne constituerait pas une procédure d’expropriation à proprement parler et d’en déduire ce faisant une prétendue nécessité de fixer le prix résultant de la préemption d’une parcelle conformément à la pratique administrative PA/SI/001.06. L’absence d’ouverture d’une procédure d’expropriation stricto sensu résultait uniquement du fait que l’État ne devait pas engager une procédure complète d’expropriation afin d’obtenir par cette voie un titre juridique pour le transfert de la propriété, dès lors qu’il disposait d’un droit de préemption légal. Seule une procédure d’estimation devait encore être engagée, au terme de laquelle le prix serait fixé. En cas de non-acceptation de son offre, l’État devait recourir à la procédure d’expropriation, car il ne saurait lui-même fixer unilatérale-ment le prix et les conditions de l’achat du terrain. La LEx-Ge déterminait par conséquent la suite de la procédure relative à la détermination du montant de l’indemnité d’expropriation, laquelle, selon son art. 14, ne pouvait avoir lieu que moyennant indemnité pleine et entière, conformément d’ailleurs à ce que prévoyait l’art. 26 al. 2 Cst. L’art. 18 al. 1 let. a et c LEx-GE indiquait pour le surplus les éléments à prendre en considération pour la fixation de l’indemnité, étant relevé que le département ne démontrait pas en quoi les caractéristiques de la zone de développement déprécieraient la valeur de leur parcelle et affecteraient négativement son prix d’achat par un acquéreur privé. Seule la valeur de marché était ainsi déterminante et ils renvoyaient à leur demande d’indemnités concernant les spécificités du cas d’espèce.

Au surplus et comme déjà développé, la pratique administrative PA/SI/001.06 avait un fondement légal insuffisant pour s’appliquer et déterminer le montant de l’indemnité puisque limitée à la seule question des plans financiers et techniques selon l’art. 5 al. 3 LGZD. Dans ces conditions, il n’était en aucun cas question d’entraves au contrôle légal des prix de vente des terrains et des parcelles en zone de développement fondé sur l’art. 5 LGZD, ni d’entraves à la mise en œuvre des intérêts publics poursuivi par une décision de préemption, mais bel et bien de respect du droit, à savoir de l’art. 6 LGL et de l’intention du législateur quant à l’application de la LEx-GE pour fixer le montant de l’indemnité d’expropriation.

Ils persistent donc intégralement dans leur demande en indemnités du 5 juin 2023 et leurs conclusions prises dans ce cadre.

29.         Dans ses déterminations du 15 mars 2024, le Conseil d’État, soit pour lui le département, a souligné qu’il n’y avait ni désaccord ni confusion quant à l’objet de la présente procédure. Il contestait en revanche fermement la dichotomie artificielle que MM. A______ et B______ tentaient d’appliquer entre l’exercice du droit de préemption légal de l’État de Genève, tel que consacré par la LGL et au prix fixé conformément à la pratique administrative en vigueur de l’OCLPF, et la fixation judiciaire de ce prix de préemption, conformément à l’art. 6 LGL et aux dispositions de la LEx-GE.

Cette distinction artificielle aurait pour conséquence d’outrepasser la jurisprudence en vigueur de la chambre administrative laquelle confirmait expressément le fait que les prix des transactions et acquisitions en zone de développement n’étaient pas libres mais contrôlés, conformément à la pratique administrative PA/SI/001.06 et d’imposer à l’État de Genève une utilisation des deniers publics non conforme à ladite jurisprudence, au détriment de la bonne et cohérente gestion des finances publiques, de la juste allocation des deniers publics aux projets d’utilité publique auxquels ils sont destinés et des contribuables et des citoyens destinés à bénéficier de ces projets d’utilité publique. Il fallait envisager la dichotomie préconisée à tort par les intimés à une échelle plus large, pour percevoir l’ampleur des conséquences économiques que cette distinction artificielle pourrait causer. Celle-ci pourrait en outre entraîner un effet incitatif fortement délétère et placer l’État de Genève dans une position défavorable par rapport aux développeurs immobiliers en zone de développement, lesquels acquéraient les parcelles sises dans cette zone aux prix consacrés par la pratique administrative applicable. En définitive, la position des intimés revient à imposer à l’État de Genève d’exercer son droit de préemption et d’acquérir la parcelle ainsi préemptée, à un prix autre que celui consacré par la pratique administrative en vigueur et applicable aux prix en zone de développement. Cela équivaudrait in fine à faire perdre à l’État de Genève toute possibilité d’exercer son droit de préemption légal en raison d’un prix excessif. Il persistait dès lors au vu des intérêts publics évidents en jeu, à insister sur la nécessité de ne pas décorréler la présente procédure de son contexte. La systématique légale confirmait d’ailleurs ce lien intrinsèque entre l’exercice du droit de préemption légal de l’État de Genève, à un prix conforme à la pratique administrative en vigueur en zone de développement, et l’éventuelle fixation judiciaire de ce prix de préemption.

30.         Le 20 mars 2024, le tribunal a informé les parties de son intention d’ordonner une expertise pour déterminer la valeur vénale de la parcelle n° 1______ au jour de l’arrêté d’expropriation, l’analyse du dossier l’amenant à douter de l’applicabilité de la pratique administrative PA/SI/001.06 dans le cas d’espèce. Il leur a soumis les questions qu’il envisageait de poser à l’expert.

31.         Le 15 avril 2024, MM. A______ et B______ ont contesté l’allégation formulée le 15 mars 2024 par le Conseil d’État selon laquelle les parties auraient expressément admis de part et d’autre de circonscrire l’objet du litige. Pour leur partie adverse, il n’y avait qu’un seul prix possible en cas de préemption, celui fixé par l’OCLPF sur la base de sa pratique administrative PA/SI/001.06, indépendamment de toute valeur de marché. Selon eux, lorsque le prix d’acquisition fixé par l’OCLPF était refusé, la procédure changeait de nature, les règles sur l’expropriation étaient applicables et la seule valeur pouvant alors être prise en compte était la valeur du marché de la parcelle préemptée. Un désaccord évident existait donc entre les parties.

32.         Le 25 avril 2024, les parties se sont déterminées sur l’expertise envisagée.

Le Conseil d’État, soit pour lui le département, a rappelé son opposition au principe d’une expertise visant à déterminer la valeur vénale de la parcelle en cause. Le cas échéant, il se déterminera sur les questions soumises à l’expert dans la mesure où la décision relative au principe de l’expertise correspondrait à l’ordonnance d’expertise elle-même.

MM. A______ et B______ ont requis que l’expert se prononce également sur la valeur vénale de la parcelle au jour de la décision d’exercice du droit de préemption, dans la mesure où celle-ci serait différente.

33.         Par ordonnance d’expertise du 6 mai 2024  (DITAI/294/2024),  le tribunal a ordonné une expertise aux fins de déterminer la valeur vénale de la parcelle en cause, a désigné en qualité d’expert Monsieur K______ et lui a confié pour mission de (a) prendre connaissance du dossier en mains du tribunal, (b) procéder à une éventuelle visite des lieux, (c) requérir du tribunal, des parties et/ou de toute autorité toute pièce utile à l’exécution de sa mission, (d) déterminer la valeur vénale de la parcelle n° 1______ au jour de l’arrêté d’expropriation, (e) déterminer la valeur vénale de la parcelle n° 1______ au jour de la décision d’exercice du droit de préemption dans la mesure où celle-ci serait différente, (f) faire toutes autres observations ou conclusions qu’il estimera utiles et (g) établir un rapport écrit.

L’avance des frais d’expertise a été fixée à CHF 3’000.-, supportée à parts égales par les parties.

34.         Dans son rapport du 27 août 2024, l’expert a indiqué avoir acquis la certitude, après avoir effectué les calculs nécessaires, que la valeur vénale de l’objet en décembre 2021 (période de la décision d’exercice du droit de préemption) pouvait être évaluée à sa valeur intrinsèque en situation hypothétique de marché libre (hors zone de développement) à CHF 2’040’000.-. Les valeurs en novembre 2022 (période de l’arrêté d’expropriation) étaient estimées identiques.

En son point 3.5 « Calculs », le rapport retient que « la parcelle est sise en zone de développement, avec mention d’un droit de préemption en faveur de l’État et de la commune, et hors du plan de site voisin. En l’absence d’indications quant aux intentions de développement futur, l’approche habituelle aurait été de réaliser une estimation sur la base de la pratique administrative PA/SI/001.06 de l’OCLPF. La procédure en cours vise notamment à déterminer si la valeur vénale du bien doit correspondre à celle issue de la pratique administrative précitée, ou si elle doit être calculée par analogie avec une valeur de marché en zone ordinaire. L’expert n’étant pas sollicité à des fins de " dire le droit ", il laisse le tribunal apprécier cette question et se concentre sur la détermination technique de la valeur suivant l’une ou l’autre conclusion. 1) La valeur selon la pratique administrative PA/SI/001.06 ayant déjà été arrêtée à 1’100’000 CHF par l’OCLPF en date du 7 février 2023, nous ne revenons pas sur cette approche, la détermination de cette valeur étant conforme à la pratique administrative précitée. 2). Dans le cas d’une valeur vénale correspondant à celle d’un bien hypothétiquement situé " hors d’une zone de développement ", l’expert détermine la valeur vénale (valeur de marché) sur la base de la valeur intrinsèque obtenue par comparaison ».

35.         Le 30 septembre 2024, après avoir pris connaissance du rapport d’expertise précité, MM. A______ et B______ ont constaté que celui-ci concluait à une valeur vénale, soit à une valeur de marché, de la parcelle en cause de CHF 2’040’000.- et confirmait le prix non pertinent en l’espèce calculé selon la pratique administrative de l’OCLPF. Dans la mesure où l’expertise devait évaluer la valeur vénale de la maison à la date de l’arrêté d’expropriation, c’était le chiffre de CHF 2’040’000.-, une valeur vénale cohérente avec celle pour laquelle ils auraient vendu leur parcelle si le Conseil d’État n’avait pas exercé son droit de préemption, qui devait être retenu si le tribunal ne prenait pas en compte le prix de vente effectif de la parcelle. Ils ne requéraient pas une audition de l’expert et ne sollicitaient pas une nouvelle expertise.

36.         Le 11 octobre 2024, le Conseil d’État, soit pour lui le département, a soutenu que l’expert avait confirmé à plusieurs reprises que l’approche usuelle pour estimer la valeur - y compris vénale - d’une parcelle située en zone de développement et disposant d’un potentiel de densification consistait à se fonder sur la pratique administrative PA/SI/001.06. Après avoir pris la précaution de relever que « n’étant pas sollicité à des fins de « dire le droit », l’expert avait précisé qu’en l’absence d’indications quant aux intentions de développement futur, l’approche habituelle aurait été de réaliser une estimation sur la base de la pratique administrative PA/SI/001.06 et que le montant de CHF 1’100’000.- était conforme à ladite pratique. Il avait ensuite indiqué la manière de déterminer la valeur vénale correspondant à celle d’un bien hypothétiquement situé « hors d’une zone de développement ». Il fallait toutefois relever que la parcelle en cause ne pouvait pas être considérée comme un bien hypothétiquement situé hors zone de développement et qu’il n’était par conséquent pas possible de déterminer, par analogie avec la zone ordinaire, la valeur vénale (valeur de marché) sur la base de la valeur intrinsèque obtenue par comparaison. Le document intitulé « Estimation immobilière » annexé à l’expertise et détaillant la méthode d’estimation de la valeur intrinsèque confirmait que seule la valeur issue de la pratique administrative PA/SI/001.06 pouvait être utilisée en l’espèce. Ainsi, afin de remplir la mission confiée, l’expert s’était fondé sur des critères tout à fait inapplicables en l’espèce, pour parvenir par analogie à une valeur intrinsèque, valable uniquement en zone ordinaire.

Il ne sollicitait pas d’acte d’instruction complémentaire dans le cadre de la présente procédure.

EN DROIT

1.             En application de l’art. 43 LEx-GE, le Tribunal administratif de première instance est l’autorité compétente pour fixer les indemnités d’expropriation, pour statuer sur toute demande de l’expropriant ou de l’exproprié relative à l’expropriation et, d’une manière générale, pour statuer sur toute contestation relative à l’expropriation pouvant exister ou s’élever entre l’expropriant et l’exproprié. Il est également compétent pour statuer sur toute demande d’indemnité pour expropriation matérielle.

2.             Selon l’art. 44 al. 1 et 2 LEx-GE, le département transmet le dossier de l’affaire au tribunal, dès qu’ont été faites les notifications et publications prévues par les art. 31 et 32 LEx-GE. Dès réception du dossier, le tribunal est saisi, d’une manière générale, de toutes les contestations relatives à cette affaire et doit les examiner d’office.

L’expropriant, l’exproprié ou tout autre ayant droit peut, par requête déposée au greffe du tribunal, saisir le tribunal de toute réclamation ou demande non comprise dans la procédure générale, ou distincte de celle-ci (art. 45 LEx-GE).

3.             En l’occurrence, adressée au tribunal selon les formes prescrites par l’art. 44 voire 45 LEx-GE, la requête en indemnités du 5 juin 2023 est recevable.

4.             À titre préalable, le tribunal précise, d’une part, qu’il siège dans la composition d’un juge, qui le préside, et de deux juges assesseurs spécialisés en matière immobilière, conformément à l’art. 36 LEx-GE, et, d’autre part, que la problématique du droit de préemption n’est plus litigieuse, seul devant être déterminée la manière de fixer le prix, et donc la valeur de la parcelle n° 1______.

5.             Les parties ne s’accordent pas à ce sujet dans la mesure où ils ne partagent pas, en premier lieu, la même analyse quant aux bases légales trouvant application dans le présent cas de figure.

MM. A______ et B______ soutiennent que seules les dispositions de la LEx-GE sont applicables aux fins de déterminer le montant de l’indemnité.

Pour sa part, l’État de Genève estime qu’une fois la décision de préemption devenue définitive, le recours à la LEx-GE a pour seule fonction de permettre l’ouverture de la procédure devant l’autorité compétente pour fixer le prix d’acquisition du bien-fonds préempté, de sorte que la procédure d’expropriation engagée à la suite de la décision d’exercer le droit de préemption n’a pas une portée indépendante et que la pratique administrative PA/SI/001.06 trouve alors, dans ce cadre, à s’appliquer.

6.             En vertu de l’art. 5 al. 1 LGL, dans un délai de soixante jours à compter de la date du dépôt de l’acte [d’aliénation] à l’office du registre foncier, le Conseil d’État notifie, de manière séparée, aux parties liées par l’acte :

a) soit sa décision de renoncer à l’exercice du droit de préemption ;

b) soit sa décision d’acquérir le bien-fonds aux prix et conditions fixés dans l’acte ;

c) soit son offre d’acquérir le bien-fonds aux prix et conditions fixés par lui ;

d) à défaut d’acceptation de l’offre visée sous lettre c, sa décision de recourir, s’il maintient sa volonté d’acquérir le bien-fonds et si les conditions légales sont réunies, à la procédure d’expropriation conformément à l’art. 6 LGL.

L’art. 6 LGL stipule que faute d’accord à l’amiable dans le cas visé notamment à l’art. 5 al. 1 let. c, l’État peut acquérir, par voie d’expropriation aux fins de construction de logements d’utilité publique, les terrains faisant l’objet du droit de préemption, conformément aux dispositions de la LEx-GE.

7.             Selon le Tribunal fédéral, lorsque l’État de Genève a exercé son droit de préemption et ainsi empêché un propriétaire d’aliéner librement son bien-fonds, cela a pour effet qu’il n’a pas à engager une procédure complète d’expropriation selon les art. 24 ss LEx-GE afin d’obtenir par cette voie un autre titre juridique pour le transfert de la propriété. Seule une procédure d’estimation selon les dispositions de la LEx/GE doit encore être engagée, au terme de laquelle le prix sera fixé, après quoi la propriété des immeubles pourra être transférée puisque l’exercice du droit de préemption ne produit pas d’effet translatif de propriété (arrêt 1C_250/2007 du 2 juin 2008 consid. 3.3). Dans un arrêt postérieur (1C_141/2013 du 5 septembre 2013), il a implicitement confirmé cette analyse en traitant la problématique de l’indemnité devant être fixée suite à une décision de préemption du Conseil d’État genevois, entrée en force, dans le cadre de la procédure d’expropriation.

La chambre administrative a adopté une position similaire en date du 30 août 2022 (ATA/872/2022 consid. 9d) en retenant que l’argumentation des expropriés relative au prix correspondant à la valeur réelle de leur bien, selon leurs estimations, n’étaient pas recevables et que ces éléments devaient être discutés dans le cadre d’une procédure d’expropriation, faisant d’ailleurs référence à l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_141/2013 du 5 septembre 2013 précité. Elle l’a encore réitéré le 22 août 2023 (ATA/872/2023 consid. 5.6).

8.             La doctrine retient également qu’en cas de refus d’une offre à un prix inférieur à celui prévu par les parties au contrat, une procédure d’estimation selon les articles de la LEx/GE doit avoir lieu (Pierre MOOR/François BELLANGER/Thierry TANQUEREL, Droit administratif, vol. III, 2018, p. 775) ; Thierry TANQUEREL, « Le droit de préemption légal des collectivités publiques », in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER, (éd), La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 147, 178).

9.             En l’espèce, le tribunal doit constater qu’il résulte de la lecture des art. 5 al. 1 et 6 LGL, ce qui est d’ailleurs confirmé tant par la jurisprudence que par la doctrine susmentionnées, que dans le cadre d’une préemption au sens des art. 3 ss LGL et lorsque le propriétaire refuse l’offre étatique arrêtée à un prix inférieur à celui prévu par les parties au contrat, la fixation du prix de l’immeuble en cause est déterminée par le biais d’une procédure d’estimation selon les dispositions de la LEx/GE. Partant, il n’est donc pas question d’appliquer ni des dispositions de la LGL ou de la LGZD ni des pratiques administratives qui en découlent pour la fixation du montant de l’indemnité d’expropriation. Il ne peut donc être admis que la pratique administrative PA/SI/001.06, qui se fonde sur l’art. 5 LGZD, soit prise en compte pour déterminer l’indemnité d’expropriation en lieu et place des dispositions de la LEx-GE.

10.         En second lieu, les parties s’opposent également sur le montant de l’indemnité pour expropriation et sur la question des intérêts courant sur l’indemnité.

MM. A______ et B______ affirment que cette indemnité s’élève à CHF 2’230’000.-, à savoir le prix figurant dans l’acte de vente, plus CHF 6’993,35, dû en application de l’art. 18 al. 1 let. c LEx-GE à titre de réparation des coûts (loyer du nouvel appartement de M. A______ et charges de l’immeuble) engendrés par l’exercice du droit de préemption avec cas d’expropriation. Ils requièrent des intérêts à 5% à partir du 1er février 2022 (indemnité) et du 5 juin 2023 (réparation des coûts) sur ces montants.

L’Etat de Genève soutient, quant à lui, que le prix d’acquisition via l’exercice du droit de préemption, à savoir la valeur vénale de la parcelle au sens de l’art. 18 al. 1 let. a LEx-GE, correspond nécessairement au prix de CHF 1’100’000.- fixé par l’OCLPF en vertu de la pratique administrative PA/SI/001.06 dans la mesure où la parcelle en cause se situe en ZD3. Il accepte de verser un montant de CHF 6’303.- à titre de l’indemnité complémentaire, mais aucun intérêt puisque l’art. 5 al. 5 LGL ne s’applique pas.

11.         À teneur de l’art. 14 LEx-GE, l’expropriation ne peut avoir lieu que moyennant indemnité pleine et entière.

12.         La valeur vénale d’un bien est la valeur qui lui est attribuée dans des circonstances normales, à une époque déterminée et à l’occasion d’un échange d’ordre économique. La pleine valeur vénale du droit exproprié correspond au prix de vente qui pourrait être obtenu en cas d’aliénation sur le marché, dans des conditions ordinaires. Il s’agit de la valeur objective de l’objet, soit celle qui correspond au prix d’aliénation, abstraction faite des prix spéculatifs ou de bradage (arrêt du Tribunal fédéral 1C_483/2022, 1C_486/2022 du 9 novembre 2023 consid. 4.1).

La valeur vénale se fixe selon des critères objectifs : tous les éléments, de droit et de fait qui seraient pris en considération par des acquéreurs potentiels. Parmi ceux qui sont de nature juridique, on tiendra compte des réglementations de droit public qui définissent les utilisations légales possibles (arrêt du Tribunal fédéral 1C_ 483/2022, 1C_486/2022 du 9 novembre 2023 consid. 4.1) ainsi que les restrictions et charges de droit privé - servitudes, baux annotés au registre foncier - diminuant la valeur de l’immeuble, mais non l’existence d’un usufruit ou de garanties hypothécaires (Pierre MOOR/François BELLANGER/Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 800).

Ainsi, la jurisprudence a retenu qu’il y a lieu, dans le cadre d’une expropriation, de respecter la limitation du prix au m2 imposée par la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11) pour un terrain agricole (arrêt du Tribunal fédéral 1C_414/2016 du 27 mars 2017). Il fallait aussi prendre en compte le fait qu’une partie de terrain soit inconstructible en raison d’un alignement routier (arrêt du Tribunal fédéral 1C_446/2016 du 3 janvier 2017). Le Tribunal fédéral s’est aussi prononcé de manière spécifique sur l’impact de la pratique PA/SI/001.06 pour la détermination de la valeur vénale d’un immeuble exproprié suite à une décision de préemption. Il a considéré que l’argumentation de l’État de Genève, qui estimait que les terrains situés en zone de développement ne pouvaient pas être comparés aux biens-fonds classés en zone « ordinaire », ne saurait être suivie. En effet, la valeur vénale correspondait au prix que le propriétaire d’un immeuble exproprié aurait objectivement pu obtenir sur le marché, pour une aliénation privée, et il n’était pas démontré en quoi les différentes caractéristiques de la zone de développement considérée déprécieraient la valeur de la parcelle et affecteraient négativement son prix d’achat. « En tous les cas (…), le montant maximum du terrain de CHF 1’000.-/m2 calculé par l’OCLPF pour la ZD3 n’avait pas à être retenu, car il s’agissait du prix maximum arrêté par l’État dans le cadre du plan financier d’un projet appelé à remplacer la villa existante, et non pas d’un montant maximum arrêté pour l’achat du bien immobilier appelé à disparaître » (arrêt 1C_141/2013 du 5 septembre 2013 consid. 5.2).

13.         Sont pris en considération, pour la fixation de l’indemnité, tous préjudices subis par l’exproprié du chef de la suppression ou de la diminution de ses droits. En conséquence, l’indemnité comprend notamment la pleine valeur vénale du droit exproprié (art. 18 al. 1 let. a LEx-GE) et le montant de tous autres préjudices, non réparés par les indemnités allouées en vertu des deux lettres qui précèdent, pour autant que ces préjudices peuvent être prévus, dans le cours normal des choses, comme une conséquence de l’expropriation (art. 18 al. 1 let. c LEx-GE).

Les indemnités allouées pour ces éléments doivent être calculées séparément (art. 18 al. 2 LEx-GE).

14.         Les autres préjudices visés par art. 18 al. 1 let. c LEx-GE peuvent être classés en deux catégories : ceux qui constituent un damnum emergens d’une part et, d’autre part, ceux qui créent un lucrum cessans, le premier représentant la diminution du patrimoine et des avantages existants, et le second, la non-augmentation du patrimoine et la privation de gains futurs, autrement dit, le gain manqué (Maryse PRADERVAND-KERNEN, La valeur des servitudes foncières et du droit de superficie, 2007, pp. 50 et 54 n. 177, 178, 179 et 191).

15.         Selon l’art. 19 LEx-GE, la possibilité d’une utilisation plus lucrative de l’immeuble doit être prise en considération dans la mesure où elle est de nature à influer sur la valeur vénale comme un élément de plus-value actuelle (al. 1). La valeur des charges particulières dont l’exproprié est libéré est portée en déduction (al. 2). Il n’est pas tenu compte des augmentations ou des diminutions de valeurs résultant ou de la perspective de l’exécution du projet qui donne lieu à l’expropriation ou de la procédure d’expropriation (al. 3).

16.         L’art. 23A LEx-GE prévoit que la date déterminante pour estimer la valeur vénale est celle au jour de l’arrêté d’expropriation.

L’art. 81E al. 1 LEx-GE stipule que l’indemnité définitive porte intérêt au taux fixé en application de l’art. 76 al. 5 du 20 juin 1930 (LEx - RS 711) dès le jour de la prise de possession anticipée ou dès la demande d’expropriation consécutive à l’entrée en vigueur d’une mesure constitutive d’expropriation matérielle.

17.         L’art. 76 al. 5 LEx prévoit, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2021, que dans tous les cas, l’indemnité définitive porte intérêt au taux fixé par le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) dès le jour de la prise de possession et l’exproprié est indemnisé de tout autre dommage résultant de la prise de possession anticipée. Auparavant, cette disposition stipulait que l’indemnité définitive portait en tout cas intérêt au taux usuel dès le jour de la prise de possession et que l’exproprié était indemnisé de tout autre dommage résultant pour lui de la prise de possession anticipée.

18.         Le 9 novembre 2009, le TAF a édicté une instruction sur la fixation du taux au sens de l’art. 76 al. 5 LEx, qui est encore valable à ce jour, à teneur de laquelle ledit taux correspond au taux d’intérêt de référence applicable aux contrats de bail publié sur le site internet de l’office fédéral du logement (cf. arrêt du Tribunal administratif fédéral consid. A-862/2021 du 6 juillet 2022 consid. 7.7.1).

Ce taux était de 1,25% du 3 mars 2020 au 1er juin 2023, de 1,50% du 2 juin au 1er décembre 2023 et est de 1,75% depuis le 2 décembre 2023.

19.         En l’espèce, eu égard à la jurisprudence la plus récente sur l’impact de la pratique PA/SI/001.06 pour la détermination de la valeur vénale d’un immeuble exproprié suite à une décision de préemption, le tribunal de céans ne peut que retenir qu’en tout état de cause, le montant maximum du terrain calculé par l’OCLPF pour la ZD3 n’a pas à être retenu. Cet arrêt a pour effet qu’il faut écarter la jurisprudence ainsi qu’un avis doctrinaire (Jean-Marc SIEGRIST, L’estimation des biens expropriés, in Thierry TANQUE-REL/François BELLANGER, (éd), La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 41, 52) antérieurs contraires.

Le montant de l’indemnité doit être arrêté à CHF 2’040’000.-, ainsi qu’il résulte de l’expertise du 27 août 2024 arrêtant la valeur vénale de la parcelle n° 1______ en date du 16 novembre 2022.

S’agissant des autres frais invoqués par MM. A______ et B______, ainsi que relevé à juste titre par l’État de Genève, ceux-ci n’étaient certes plus susceptibles d’encourir de frais en lien avec la parcelle n° 1______ vu la convention de prise de possession anticipée conclue suite à l’audience du 2 mai 2023, mais ils ont droit à la prise en charge des frais antérieurs. À ce sujet, il faut leur reconnaître la somme de CHF 6’647,70, soit le montant qu’ils ont réclamé et qui est étayé par pièces, sous déduction de la somme de CHF 345,65, dans la mesure où la facture d’assurance bâtiment du 6 février 2021 ne peut être prise en charge que pour la période du 1er décembre 2021 au 31 mars 2022 et qu’il faut donc déduire.

Enfin, des intérêts à 1,25% sont dus sur ces deux montants à compter du 2 mai 2023, jour de la prise de possession anticipée, au 1er juin 2023, puis de 1,50% du 2 juin au 1er décembre 2023 et de 1,75% du 2 décembre 2023 à ce jour.

20.         Les frais de la procédure, qui s’élèvent à CHF 3’000.-, seront mis à la charge de l’expropriant (art. 60 al. 1 LEx-GE). Ils sont partiellement couverts par l’avance de frais d’expertise de CHF 1’500.- déjà versée par ce dernier.

Une indemnité de procédure de CHF 1’000.-, valant participation aux frais d’avocat des expropriés sera mise à la charge de l’Etat de Genève (art. 60 al. 3 LEx-GE). Leur avance de frais d’expertise de CHF 1’500.- leur sera restituée.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             admet la requête en indemnisation du 5 juin 2023 ;

2.             fixe le montant de l’indemnité due par l’expropriant à Messieurs A______ et B______ à CHF 2’040’000.- ;

3.             fixe le montant de l’indemnité complémentaire due par l’expropriant aux expropriés à CHF 6’302,05 ;

4.             dit que des intérêts à 1,25% sont dus sur ces deux montants à compter du 2 mai 2023, jour de la prise de possession anticipée, au 1er juin 2023, puis de 1,50% du 2 juin au 1er décembre 2023 et de 1,75% du 2 décembre 2023 à ce jour ;

5.             condamne l’Etat de Genève aux frais de la procédure, qui s’élèvent à CHF 3’000.-, lesquels sont partiellement couverts par l’avance de frais d’expertise de CHF 1’500.- déjà versée ;

6.             ordonne la restitution à MM. A______ et B______ de leur avance de frais d’expertise de CHF 1’500.- ;

7.             condamne l’Etat de Genève à verser à MM. A______ et B______ une indemnité de procédure de CHF 1’000.- ;

8.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, Claire BOLSTERLI et Etienne NAGY, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière