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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/811/2024

JTAPI/950/2024 du 24.09.2024 ( ICC ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : DOUBLE IMPOSITION INTERCANTONALE;APPARTENANCE ÉCONOMIQUE;PROPRIÉTÉ FONCIÈRE;IMPÔT SUR LA FORTUNE;VALEUR FISCALE;FARDEAU DE LA PREUVE
Normes : LHID.3; LHID.4.al1; LHID.39.al2; OLHID.2; LIPP.50.lete; LPA.20; LPA.22
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/811/2024 et A/914/2024 ICC

JTAPI/950/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 23 septembre 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Thierry CAGIANUT, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Madame A______ (ci-après : la contribuable ou la recourante), veuve de feu B______ décédé en 2017, est propriétaire de trois biens immobiliers sis en Suisse : son domicile principal à C______ (VD), ainsi que deux résidences secondaires à Genève et D______ (BE).

2.             Elle est assujettie de manière limitée dans le canton de Genève en raison de la propriété de l’immeuble susmentionné.

3.             Dans ses déclarations fiscales vaudoises 2017 à 2020, elle a indiqué qu’elle occupait les immeubles précités en tant que logement principal pour celui de C______, respectivement en tant que logement secondaire pour ceux de Genève et de D______, que leur valeur fiscale s’élevait à CHF 4'220'000.- avant abattement pour celui de C______, à CHF 4'250'000.- avant abattement pour celui de Genève et à CHF 4'570'300.- avant abattement pour celui de D______. Etaient en outre indiquées des valeurs locatives de respectivement CHF 96'723.-, CHF 13'530.- et CHF 169'920.-.

4.             Le 16 mars 2022, l’administration fiscale vaudoise (ci-après : l’AFC-VD) a émis des avis de taxation ICC et IFD 2017 à 2020 à l’encontre de la contribuable, auxquelles étaient jointes des décisions de répartition intercantonale des éléments imposables pour les périodes fiscales en question.

5.             Le 14 juin 2022, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC-GE) a adressé à la contribuable des bordereaux de taxation ICC 2017 à 2020.

Les trois immeubles précités figuraient sous la rubrique « Immeubles occupés par le propriétaire ». Des abattements de 24% en 2017, 28% en 2018, 32% en 2019 et 36% en 2020 avaient été accordés. La valeur fiscale avant abattement du bien genevois retenue par l’AFC-GE s’élevait à CHF 4'250'000.- pour 2017 et à
CHF 6'412'500.- pour 2018, 2019 et 2020.

6.             Par courrier du 9 août 2022, le mandataire de la contribuable a accusé réception des quatre rappels de paiement envoyés par l’AFC-GE et a prié celle-ci de lui renvoyer les avis de taxation ICC 2017 à 2020 que sa cliente n’avait jamais reçus.

Il a exposé que sa cliente était domiciliée dans le canton de Vaud et qu’elle avait formé une réclamation contre les taxations émises par ledit canton pour les années fiscales 2017 à 2020. La base de taxation pour la répartition intercantonale et la taxation par le canton de Genève n’étaient dès lors pas encore finale.

7.             Par courrier du 7 septembre 2022, le mandataire de la contribuable a formé réclamation auprès de l’AFC-GE à l’encontre des taxations 2017 à 2020. Il a rappelé qu’une réclamation était en cours contre les taxations vaudoises 2017 à 2020 et indiqué que l’AFC-VD avait déjà admis en déduction une dette de la contribuable envers les enfants de son défunt époux d’un montant de CHF 3'062'643.-.

La contribuable occupait par ailleurs sa maison de C______ à titre principal depuis 1993 et ses deux résidences secondaires de Genève et D______ depuis respectivement 2001 et 2003. La valeur fiscale de ces immeubles devait dès lors bénéficier d’un abattement de 40%.

8.             Le 7 novembre 2022, l’AFC-VD a émis de nouvelles décisions de répartition intercantonale des éléments imposables pour les périodes fiscales 2017 à 2020 aux termes desquelles la fortune déterminante pour le taux était diminuée par rapport aux décisions du 16 mars 2022.

9.             Par courrier du même jour relatif à la période fiscale 2020, elle a avisé la contribuable que par suite du maintien de sa réclamation, elle transmettait son dossier à l’administration cantonale des impôts à Lausanne.

10.         Par courrier du 22 novembre 2023 concernant l’ICC 2017, l’AFC-GE a informé la contribuable que suite au décès de son époux survenu le ______ 2017, la valeur fiscale de son bien immobilier sis à Genève allait être portée de CHF 4'250'000.- à CHF 6'325'000.-.

11.         L’AFC-GE a rendu des décisions sur réclamation le 24 janvier 2024 pour l’année fiscale 2020, le 31 janvier 2024 pour l’année 2017 et le 7 février suivant pour les années 2018 et 2019, en remettant des bordereaux rectificatifs à la contribuable.

Plusieurs rubriques des bordereaux notifiés le 14 juin 2022 avaient été modifiées conformément aux nouvelles décisions de répartition intercantonale vaudoises du 7 novembre 2022 relatives aux périodes fiscales 2017 à 2020. La valeur fiscale du bien immobilier de la contribuable sis à Genève avait été revue à la hausse. Les abattements sur la valeur des immeubles détenus par la contribuable à Genève, C______ et D______ étaient en revanche maintenus. Les trois biens ayant été loués jusqu’en 2011 selon les éléments en possession de l’AFC-GE, l’occupation continue était considérée comme interrompue. L’abattement s’élevait donc à 24% pour l’année fiscale 2017, 28% pour 2018, 32% pour 2019 et 36% pour 2020.

12.         La contribuable, sous la plume de son conseil, a recouru auprès Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 6 mars 2024 contre la décision sur réclamation du 24 janvier 2024 (bordereau 2020 ; recours enregistré sous le numéro de cause A/811/2024) et le 13 mars 2024 contre les décisions sur réclamation des 31 janvier et 7 février 2024 (bordereaux 2017 à 2019 ; recours enregistré sous le numéro de cause A/914/2024). Elle a conclu, avec suite de frais, à l’annulation du point 2 (« Abattements ») de ces décisions et à l’admission d’un abattement de 40% pour la valeur fiscale de ses biens immobiliers de Genève, C______ et D______.

La contribuable a relevé, concernant l’année fiscale 2020, que l’AFC-GE avait rendu une décision sur réclamation alors qu’elle avait formé une réclamation contre la taxation vaudoise et que la décision de répartition intercantonale n’était par conséquent pas encore entrée en force.

S’agissant des périodes fiscales 2017 à 2020, la contribuable – de même que feu son époux jusqu’en 2017 – avaient occupé personnellement et sans discontinuer la maison de C______ (domicile principal), l’appartement de Genève et la maison de D______ (domiciles secondaires) depuis respectivement 1993, 2001 et 2003. Ceci ressortait de leurs déclarations d’impôts, dans lesquelles ils avaient toujours déclaré les valeurs locatives de ces biens, comme en attestait la déclaration fiscale 2010 et le tableau mentionnant les valeurs locatives en question produits en annexe. L’AFC-GE ne pouvait dès lors être suivie lorsqu’elle affirmait sans le démontrer que ces immeubles avaient été loués jusqu’en 2011. Leur valeur fiscale devait par conséquent bénéficier de l’abattement maximal de 40%.

13.         Dans ses réponses du 8 mai 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet des recours formés par la contribuable.

Les biens immobiliers de la contribuable avaient été taxés, de 2007 à 2011, en tant qu’« immeubles locatifs ou loués », ainsi que cela ressortait des avis de taxation immobiliers genevois produits en annexe. Ce n’était qu’à compter de 2012 que ces biens avaient été imposés en tant qu’« immeubles occupés par le propriétaire », avec un abattement ayant débuté à 4%. Or, la contribuable n’exposait pas dans son recours les raisons pour lesquelles les taxations susmentionnées n’avaient jamais été contestées sur ces points.

En tout état de cause, la contribuable ne démontrait pas qu’elle-même et son époux avaient vécu sans discontinuer dans les biens immobiliers concernés depuis 1993, 2001 et 2003. Elle ne produisait aucun avis de taxation vaudois, se contentant d’invoquer une copie de sa déclaration fiscale vaudoise 2010 sans annexes et munie d’une seule signature.

14.         La contribuable a répliqué le 10 juin 2024 dans les deux procédures, en persistant dans ses conclusions.

Elle avait épousé son défunt mari en 1993 et ils avaient toujours occupé personnellement les biens immobiliers litigieux. Durant toute cette période, ils avaient uniquement déclaré la valeur locative de ces biens, à l’exclusion de tout revenu locatif. En attestaient les extraits des déclarations fiscales 2004 à 2006 et 2008 à 2012 ainsi que les annexes relatives aux revenus immobiliers versés à la procédure. Selon toute vraisemblance, l’AFC-GE avait assimilé par erreur ces valeurs locatives à des revenus locatifs, erreur qui avait échappé à son mari, étant précisé que c’était ce dernier qui gérait les déclarations fiscales du couple avec l’assistance d’une fiduciaire.

En l’état, aucun élément du dossier n’indiquait que les biens immobiliers concernés avaient constitué des immeubles locatifs ou loués. Elle et feu son époux n’avaient certes jamais relevé l’appréciation erronée faite par l’AFC-GE sur ce point. Cette omission ne permettait cependant pas de retenir que la qualification en question était correcte. L’argument de l’AFC-GE, selon lequel elle n’avait pas produit ses décisions de taxation vaudoises, n’était pour le surplus pas pertinent. Cette autorité connaissait en effet ces décisions. Celles-ci n’étaient au demeurant d’aucune aide dans le cas présent puisque le canton de Vaud n’appliquait qu’un abattement pour vétusté indépendamment du fait que le propriétaire habitait lui-même son bien. L’AFC-GE devait dès lors supporter les conséquences de l’échec de la preuve du fait que les biens immobiliers concernés avaient été loués.

15.         Dans ses dupliques du 21 juin 2024, l’AFC-GE a persisté dans ses conclusions tendant au rejet du recours. Elle a fait valoir que les répliques de la contribuable ne contenaient ni pièce ni argument nouveaux susceptibles d’influer sur le sort du litige.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Interjetés en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, les recours sont recevables au sens de l’art. 49 LPFisc.

3.             Selon l’art. 70 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), applicable en vertu de l’art. 2 al. 2 LPFisc, le tribunal peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

4.             En l’espèce, les deux procédures A/811/2024 et A/914/2024 opposent les mêmes parties, se rapportent au même complexe de faits lors de quatre années fiscales successives et traitent d’un problème juridique identique. Par conséquent, le tribunal les joindra sous la procédure A/811/2024.

5.             Le litige concerne ainsi les ICC 2017 à 2020 de la recourante, en particulier le taux d’abattement de la valeur de ses biens immobiliers sis dans les cantons de Vaud, Berne, et Genève dans le cadre de l’impôt sur la fortune.

6.             La recourante reproche en premier lieu à l’AFC-GE d’avoir rendu une décision sur réclamation pour l’année fiscale 2020 alors que la décision de répartition intercantonale vaudoise n’était pas encore entrée en force, compte tenu de la réclamation qu’elle avait formée contre la taxation effectuée par ce canton. La base de taxation pour la répartition intercantonale et la taxation par Genève n’était dès lors pas encore finale.

7.             Les personnes physiques sont assujetties à l’impôt à raison du rattachement personnel, lorsque, au regard du droit fiscal, elles sont domiciliées dans le canton, à savoir qu’elles y résident avec l’intention de s’y établir durablement (art. 3 al. 1 et 2 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes - LHID - RS 642.14). Elles sont aussi assujetties dans un autre canton si elles y remplissent un critère de rattachement économique à l’impôt, ce qui est notamment le cas si elles y possèdent un immeuble (art. 4 al. 1 LHID et art. 3 al. 1 let. c de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 [LIPP - D 3 08]). Cet assujettissement est limité aux parties du revenu et de la fortune qui sont imposables dans ce canton (art. 5 al. 2 LIPP).

Dans une telle situation intercantonale, la procédure de taxation ne se déroule pas seulement dans le canton du siège, mais aussi dans l’autre canton (cf. art. 2 al. 1 de l'ordonnance du 9 mars 2001 sur l'application de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs dans les rapports intercantonaux [OLHID - RS 642.141]). Dans chaque canton, la procédure de taxation se déroule en application des dispositions cantonales calquées sur les art. 39 ss LHID (cf. art. 2 al. 4 OLHID). L'autre canton est donc (aussi) habilité à contrôler la déclaration d'impôt et à procéder aux investigations nécessaires (cf. art. 46 al. 1 LHID ; ATF 150 II 73 consid. 4.1).

8.             Dans l’ATF 150 II 73 précité, le Tribunal fédéral est revenu sur sa jurisprudence publiée aux ATF 139 I 64 aux termes de laquelle il avait attribué au canton principal – sur la base de l’art. 39 al. 2 LHID et de l’art. 2 al. 3 OLHID, lesquels prévoient que l’autorité de taxation du canton du domicile ou du siège porte gratuitement à la connaissance des autorités de taxation des autres cantons le contenu de la taxation, y compris la répartition intercantonale et d’éventuelles modifications apportées à la déclaration d’impôt –, un rôle de direction et considéré que si le canton secondaire procédait à une taxation avant le canton principal, il ne pouvait le faire que sur une base provisoire ; à défaut, dans l’hypothèse où la taxation du canton principal différait de la taxation définitive du canton secondaire, ce dernier perdait la possibilité de mener un rappel d’impôt.

Le Tribunal fédéral a considéré que cette jurisprudence devait être abandonnée. Il a notamment relevé que l'importance du rôle de « canton leader » et de coordinateur rappelée dans l'ATF 139 I 64, qui se déduit notamment de l'art. 39 al. 2 LHID, a été nuancée par la jurisprudence récente (cf. arrêts du Tribunal fédéral 9C_ 674/2022 du 12 avril 2023 consid. 7.3 et 2C_1026/2021 du 21 décembre 2022 consid. 4.1). Il a en effet considéré dans ces arrêts que si l'art. 39 al. 2 LHID prévoit que le canton principal porte sa taxation à la connaissance de l'autre canton – lui conférant de la sorte ce rôle de « canton leader » –, cette taxation ne contraint pas l'autre canton à se rallier à la position du canton principal. Chaque canton reste au contraire habilité à effectuer sa propre appréciation des faits et à procéder ensuite à sa propre taxation et à sa propre répartition. Il n’incombe pas au canton secondaire d’attendre que le canton principal rende sa taxation définitive pour prononcer sa propre décision de taxation. Ni l'art. 39 LHID ni l'art. 2 OLHID n'imposent en effet une telle démarche (ATF 150 II 73 consid. 4.2.2, 5.2.1 et l’arrêt cité ; Tobias SIEVERT, La procédure de rappel d’impôt dans un rapport intercantonal, in : www.lawinside.ch/1418/).

9.             En l’espèce, il n’est pas contesté que la recourante, qui a son domicile fiscal à C______ dans le canton de Vaud, est également assujettie à raison d'un rattachement économique dans le canton de Genève puisqu'elle y possède un immeuble. Dès lors, tant le canton de Vaud que celui de Genève sont compétents pour procéder à une taxation des éléments imposables sur lesquels ils exercent une souveraineté fiscale et peuvent arrêter indépendamment l’un de l’autre ces éléments. Il s’ensuit que l’AFC-GE n’était pas tenue d’attendre que son homologue vaudoise statue sur la réclamation formée par la recourante à l’encontre de sa taxation principale 2020 et procède à sa répartition intercantonale pour prononcer sa propre décision de taxation s’agissant des éléments imposables à Genève. Le grief de la recourante sera dès lors écarté.

10.         Reste à déterminer si l’AFC-GE a correctement fixé, dans le cadre des taxations ICC 2017 à 2020, le taux d’abattement de la valeur des biens immobiliers que possède la recourante dans les cantons de Vaud, Berne et Genève.

11.         Selon l’art. 47 al. 1 let. a LIPP, les immeubles sont soumis à l’impôt sur la fortune. L’art. 50 LIPP pose les principes d’estimation de la valeur des immeubles. Il prévoit en substance que celle des immeubles locatifs est calculée en capitalisant l’état locatif annuel aux taux fixés chaque année par le Conseil d’État (let. a). La valeur des autres immeubles, dont notamment les villas et les immeubles en copropriété par étage (let. e), est estimée « en tenant compte du coût de leur construction, de leur état de vétusté, de leur ancienneté, des nuisances éventuelles, de leur situation, des servitudes et autres charges foncières les grevant, de prix d’achats récents ou d’attribution ensuite de succession ou de donation et des prix obtenus pour d’autres propriétés de même nature, qui se trouvent dans des conditions analogues, à l’exception des ventes effectuées à des prix de caractère spéculatif. Cette estimation est diminuée de 4 % par année d’occupation continue par le même propriétaire ou usufruitier, jusqu’à concurrence de 40 % », étant rappelé que le canton de Genève est le seul à prévoir un tel système d’abattement progressif (Conférence suisse des impôts, Imposition de la valeur locative – Informations fiscales, octobre 2021, p. 13).

12.         L’art. 50 let. e LIPP a repris l’art. 7 let. e de l’ancienne loi sur l’imposition des personnes physiques du 22 septembre 2000 (aLIPP-III - D 3 13), lequel avait, à son tour, repris pour l’essentiel le texte de l’ancien art. 48 let. e de la loi générale sur les contributions publiques (aLCP - D 3 05), de sorte que la jurisprudence rendue sous l’empire de cette dernière disposition demeure encore valable.

13.         Il ressort clairement des travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption à l’art. 48 aLCP que le propriétaire doit avoir habité d’une manière continue son immeuble pour bénéficier d’un abattement sur la valeur de ce dernier. Il est tenu compte de ce dégrèvement pour fixer la valeur locative imposable, celle-ci étant déterminée sur la base de la valeur d’estimation réduite de l’immeuble en fonction du nombre d’années d’occupation (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1963, p. 2634-2636 ; ATA/835/2003 du 18 novembre 2003 consid. 6).

14.         En se fondant sur cette volonté du législateur, la jurisprudence a retenu que l’abattement de 4 % ne s’applique que lorsque l’immeuble est occupé par le propriétaire de manière continue. L’abattement trouve sa justification dans le fait qu’en occupant l’immeuble, le propriétaire ne réalise aucun revenu en espèces lui permettant d’acquitter l’impôt y relatif. Ainsi, par exemple, dès que le propriétaire décide de mettre l’immeuble en location, il ne peut plus faire valoir l’abattement pour la durée d’occupation dont il bénéficiait auparavant. L’abattement ne subsiste pas lorsque le bien immobilier n’est plus occupé par le propriétaire qui le met en location et si le propriétaire revient vivre dans son immeuble, l’abattement minimum de 4 % lui est alors appliqué (ATA/377/2009 du 29 juillet 2009 ; ATA/835/2003 du 18 novembre 2003 ; JTAPI/882/2019 du 24 juin 2019 ; JTAPI/1304/2017 du 11 décembre 2017 ; JTAPI/1062/2016 du 17 octobre 2016).

15.         Lorsque le propriétaire habite effectivement sa maison ou s’en réserve simplement le droit en raison de son droit de propriété, sans en faire effectivement usage, la valeur locative de son bien immobilier est en outre imposable comme revenu au titre de rendement de la fortune immobilière (art. 21 al. 1 let. b LIFD ; art. 7 al. 1 LHID ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_26/2022 du 15 février 2022 consid. 3.3.3).

16.         La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA). Selon cette maxime, l’autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés ; elle oblige notamment les autorités compétentes à prendre en considération d’office l’ensemble des pièces pertinentes qui ont été versées au dossier. En revanche, elle ne dispense pas les parties de collaborer à l’établissement des faits (art. 22 LPA ; cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_95/2019 du 13 mai 2019 consid. 3.2 ; 2C_787/2016 du 18 janvier 2017 consid. 3.1 ; 2C_157/2016 du 13 octobre 2016 consid. 2.1 ; 2C_84/2012 du 15 décembre 2012 consid. 3.1, non publié in ATF 139 IV 137) ; il leur incombe d’étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu’il s’agit d’élucider des faits qu’elles sont le mieux à même de connaître (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_95/2019 du 13 mai 2019 consid. 3.2 ; 2C_787/2016 du 18 janvier 2017 consid. 3.1 ; 2C_104/2016 du 28 novembre 2016 consid. 5.2 ; 1C_266/2015 du 20 juin 2016 consid. 3.1.2).

17.         Le droit genevois prévoit par ailleurs que les parties sont tenues de collaborer à la constatation des faits dans les procédures qu’elles introduisent elles-mêmes, dans celles où elles y prennent des conclusions indépendantes, ainsi que dans les autres cas prévus par la loi (art. 22 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10, applicable par renvoi de l’art. 2 al. 2 LPFisc).

18.         En matière fiscale, les règles générales du fardeau de la preuve ancrées à l'art. 8 CC, destinées à déterminer qui doit supporter les conséquences de l'échec de la preuve ou de l'absence de preuve d'un fait, ont pour effet que l'autorité fiscale doit établir les faits qui justifient l'assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment. Ainsi, si les preuves recueillies par l'autorité fiscale apportent suffisamment d'indices révélant l'existence d'éléments imposables, il appartient au contribuable d'établir l'exactitude de ses allégations et de supporter le fardeau de la preuve du fait qui justifie son exonération (ATF 146 II 6 consid. 4.2 et les arrêts cités).

En procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées, et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/919/2022 du 13 septembre 2022 consid. 9b et les arrêts cités).

19.         Une taxation en matière d’impôts directs n’acquiert l’autorité de la chose jugée que pour la période fiscale concernée ; les circonstances de fait et celles de droit peuvent être appréciées différemment lors d’une période de taxation ultérieure (ATF 140 I 114 consid. 2.4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_249/2019 du 6 mai 2019 consid. 5).

En matière fiscale, en application du principe de l’étanchéité (ou de l’indépendance) des exercices comptables et des périodes fiscales, l’autorité n’est pas liée pour l’avenir par une taxation notifiée pour une période fiscale déterminée; à défaut, elle risquerait de se trouver indéfiniment liée par une erreur ou une omission qu’elle aurait pu commettre initialement (arrêt du Tribunal fédéral 2C_383/2011 du 31 octobre 2011 consid. 3.3).

20.         En l’espèce, le droit de propriété de la recourante sur les biens immobiliers de C______, D______ et Genève, de même que la valeur fiscale de ces derniers, ne sont pas contestés. La présence et la valeur de ces éléments de fortune étant ainsi avérée, c’est à la recourante qu’il incombait, conformément aux principes rappelés ci-avant, d’établir les circonstances permettant de diminuer sa charge fiscale pour les périodes fiscales litigieuses. Il lui appartenait ainsi de démontrer qu’elle s’était réservé l’usage personnel des biens susmentionnés de manière ininterrompue depuis 2007, de sorte qu’elle pouvait bénéficier, à compter de la période fiscale 2017, de l’abattement maximal de 40% prévu par l’art. 50 let. e LIPP. Contrairement à ce qu’elle prétend, ce n’était pas à l’AFC-GE d’établir que les immeubles en question avaient été loués jusqu’en 2011 et qu’elle n’avait ainsi pas droit à la totalité l’abattement en question.

Devant le tribunal, la recourante se limite toutefois à faire valoir que son défunt époux et elle-même avaient occupé personnellement les immeubles concernés en tant que résidences principale et secondaires depuis 1993, 2001 et 2003, ainsi qu’en attestaient leurs déclarations fiscales 2004 à 2012, lesquelles mentionnaient systématiquement la valeur locative des immeubles concernés, à l’exclusion d’un quelconque revenu locatif. Ces déclarations se bornent toutefois à restituer les allégations des contribuables de sorte qu’elles ne sauraient suffire à établir que ceux-ci s’étaient réservé de fait l’usage exclusif de ces immeubles durant la période susmentionnée. Pour ce faire, il appartenait à la recourante de démontrer à l’aide d’éléments de preuve concrets que – contrairement à ce qui résultait de ses avis de taxation immobiliers 2007 à 2011 selon lesquels les biens immobiliers litigieux avaient été taxés en tant qu’immeubles locatifs ou loués – elle-même et son mari y avaient habité personnellement, respectivement s’en étaient réservé le droit. Il convient ici de rappeler que l’AFC-GE n’était pas liée, dans le cadre des taxations 2017 à 2020, par l’appréciation contraire qu’elle avait effectuée sur ce point dans le cadre des taxations précédentes. Bien qu’elle soit assistée d’un mandataire professionnellement qualifié et dès lors avisée du devoir de collaboration qui lui incombait, la recourante ne se plie toutefois aucunement à un tel exercice et ne fournit aucun élément tangible à l’appui de ses affirmations. Conformément aux règles régissant la répartition du fardeau de la preuve, elle doit dès lors subir les conséquences de l’échec de la preuve sur ce point.

Mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

21.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 1'000.-, lequel est couvert par les avances de frais d’un montant total de CHF 1'400.- versées à la suite du dépôt des recours. Le solde de CHF 400.- lui sera par conséquent restitué.

22.         Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             ordonne la jonction des causes A/811/2024 et A/914/2024 sous le numéro de cause A/811/2024 ;

2.             déclare recevable les recours interjetés les 6 et 13 mars 2024 par Madame A______ contre les décisions sur réclamation des 24 janvier, 31 janvier et 7 février 2024 ;

3.             les rejette ;

4.             met à la charge de Madame A______ un émolument de
CHF 1'000.-, lequel est couvert par les avances de frais ;

5.             ordonne la restitution à Madame A______ du solde des avances de frais en CHF 400.- ;

6.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions de la recourante. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose la recourante.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Pascal DE LUCIA et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière