Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/824/2024 du 26.08.2024 ( ICCIFD ) , REJETE
ATTAQUE
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 26 août 2024
|
dans la cause
Les héritiers de feu Monsieur A______, soit Madame B______, Monsieur C______ et Monsieur D______, tous représentés par Me Mattia DEBERTI, avocat, avec élection de domicile
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS
1. Le litige concerne la taxation 2016 (ICC et IFD) des héritiers de Monsieur A______ (ci-après : M. A______) à savoir Madame B______, ainsi que Messieurs C______ et D______ (ci-après : les contribuables ou les recourants).
2. Dans le cadre de l’extension de E______, il a été prévu d’agrandir le parking et de déboiser une forêt.
3. Par arrêté du ______ 2014, le Grand Conseil a approuvé l’acte de promesse de vente et d’achat conclu entre, d’une part l’État de Genève et, d’autre part M. A______ et son frère Monsieur F______, agriculteurs de professions. La conclusion de l’acte était subordonnée à l’obtention d’une autorisation de la commission foncière agricole (ci-après : CFA) concernant la division de la parcelle n° 1______ de la commune de G______ (dont les précités étaient propriétaires par moitié), ainsi que le désassujettissement à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11) de la sous-parcelle n° 2______, issue de la division de la parcelle n° 1______.
4. Par décision du ______ 2015, en force, la CFA a prononcé le désassujettissement à la LDFR de la parcelle n° 2______. Elle a constaté que le parking et la plantation d’une forêt étaient déjà réalisés et que cette parcelle n’était dès lors plus appropriée à l’agriculture.
5. Le ______ 2016, les précités ont vendu la parcelle n° 2______ à l’État de Genève pour le prix de CHF 1'399'544.-. L’acte authentique précisait que la parcelle n° 1______ se trouvait en zone agricole.
6. Le 28 juin 2016, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a adressé au contribuable un « bordereau » d’impôt sur les gains immobiliers (ci-après : IBGI) d’un montant de CHF 150'204.10, calculé sur la base d’un gain imposable de CHF 447'036.- au taux de 33.60 %.
7. M. A______ a élevé réclamation par lettre du 19 juillet 2016 en concluant à l’annulation du bordereau litigieux au motif que l’immeuble aliéné faisait partie de sa fortune privée et qu’il l’avait détenu durant plus de 49 ans.
8. Par décision du 5 septembre 2017, l’AFC-GE a déclaré la réclamation irrecevable, en se référant à la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).
9. Par acte du 3 octobre 2017, le précité a déféré la décision du 5 septembre 2017 au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à l’annulation de la taxation attaquée, ainsi qu’à ce que le gain résultant de la vente de la parcelle n° 2______ soit qualifié de privé.
10. Par jugement du 19 février 2018 (JTAPI/154/2018), en force, le tribunal a confirmé la décision d’irrecevabilité rendue le 5 septembre 2017 par l’AFC-GE.
Dans le cadre de l’IBGI, l’autorité intimée n’avait rendu aucune décision constatant le caractère professionnel de la vente, le « bordereau » du 28 juin 2016, ne constituant précisément pas une telle décision, mais une simple communication.
11. Par bordereaux d’ICC et d’IFD datés du 31 juillet 2019, l’AFC-GE a taxé M. A______ pour l’année 2016. Ce faisant, elle a ajouté à son revenu un montant de CHF 612'769.-, représentant sa part au bénéfice résultant de la vente de la parcelle n° 2______. Enfin, le décompte final d’ICC 2016 indiquait que l’IBGI, en CHF 150'204.10, avait été imputé sur le montant d’impôt dû.
12. Le 30 août 2019, l’intéressé a élevé réclamation à l’encontre de ce bordereau en demandant que le bénéfice de CHF 612'769.- soit soumis à l’IBGI.
Un arrêt du Tribunal fédéral avait entraîné une péjoration de la situation économique du contribuable et de son frère, du fait que le bénéfice résultant de la vente était soumis à l’impôt ordinaire. De surcroît, ils avaient accepté de vendre leur parcelle à l’État de Genève dans le but d’éviter une procédure d’expropriation. Il s’agissait d’une transaction inévitable qui répondait à un but d’intérêt public, soit l’agrandissement de E______. Leur situation n’était pas comparable à celle d’un agriculteur qui vendait sa parcelle agricole qui venait d’être désassujettie et classée en zone à bâtir et réalisait de ce fait un important bénéfice.
La réclamation portait également sur un autre point (intérêts compensatoires négatifs), qui n’est actuellement plus litigieux.
13. Le 30 septembre 2019, M. A______ a complété sa réclamation.
À la suite de la vente de la parcelle n° 2______, les frères A______ et F______ avaient payé, à Madame H______, ainsi qu’à Monsieur I______, en imputation sur le prix de vente, un montant de CHF 182'456.85 chacun à titre de droit au gain annoté au registre foncier (ci-après : RF).
Ils avaient affecté une partie du produit de la vente à l’acquisition d’une parcelle de remplacement. Les 22 décembre 2015 et 1er février 2016, ils avaient acquis la parcelle n° 3______ de la commune de G______, pour le prix de CHF 194'616.-. Dans la mesure où la vente de la parcelle n° 2______ était conditionnée à l’obtention d’acquérir la parcelle n° 3______, donnée par la commune de J______, ces deux transactions étaient liées.
La parcelle acquise, d’une surface de 32'436 m2, leur permettait de combler les besoins de leur exploitation, puisque sa surface excédait le terrain vendu, qui mesurait 21'740 m2. De plus, ils avaient acquis la parcelle n° 3______ dans un délai de moins de deux ans. Les conditions du remploi étaient données.
Le bénéfice imposable devait ainsi être réduit du montant du droit au gain (CHF 182'456.85) et du remploi (CHF 97'308.-), de sorte qu’il s’élevait à CHF 333'004.15 et non à CHF 612'769.-, comme déterminé par l’AFC-GE.
14. M. A______ est décédé le ______ 2020.
15. Par décisions du 1er septembre 2023, l’AFC-GE a rejeté la réclamation.
Puisque la parcelle n° 2______ n’était plus soumise à la LDFR au moment de sa vente, elle ne pouvait être qualifiée d’agricole et le produit de la réalisation, imposé de manière privilégiée.
Le droit au gain résultait d’un partage de biens entre cohéritiers et servait à l’ajustement successoral. Les éventuels bénéfices résultant d’une aliénation n’étaient imposables que dans le chef du propriétaire et vendeur du bien.
La réalisation des réserves latentes qui correspondait à la partie du prix excédant le prix maximum licite d’un immeuble agricole ne pouvait pas bénéficier d’un remploi. En effet, la partie excédentaire ne correspondait pas à des actifs nécessaires à l’exploitation. Cette plus-value était due au fait que le terrain était désassujetti à la LDFR et n’était donc plus adapté à l’agriculture. Il ne pouvait donc être question de similarité de fonction lorsqu’un bien-fonds était cédé à un prix au m2 nettement supérieur à celui de la parcelle acquise en remplacement (CHF 6.- / m2 pour la parcelle n° 3______).
16. Par acte du 11 octobre 2023, les contribuables, sous la plume de leur conseil, ont interjeté recours devant le tribunal à l’encontre des décisions du 1er septembre précédent en concluant à leur annulation, le tout sous suite de frais et dépens.
Le désassujettissement à la LDFR de la parcelle n° 2______ et l’autorisation de la vendre avaient été prononcés en application de l’art. 65 al. 1 let. a LDFR. L’exception à l’imposition privilégiée découlant de l’ATF 138 II 32 ne s’appliquait pas. La parcelle se trouvait encore en zone agricole et pouvait encore être utilisée à des fins agricoles. Le gain devait être soumis à l’IBGI. Compte tenu d’une durée de détention excédant vingt-cinq ans, le taux d’imposition était nul.
Subsidiairement, à savoir si le bénéfice devait être qualifié de revenu de l’activité indépendante, il convenait d’en soustraire le droit au gain et le remploi.
Le montant du droit au gain que les frères A______ et F______ avaient payé, à Mme H______, ainsi qu’à Monsieur I______, à hauteur de CHF 182'456.85, devait être déduit du bénéfice, en tant que dépense nécessaire à l’acquisition du revenu. Par ailleurs, les frères A______ et F______ avaient vendu une parcelle agricole pour la remplacer par une autre du même type. Tant le bien aliéné que celui nouvellement acquis étaient nécessaires à leur exploitation et se trouvaient en Suisse. La différence de prix n’était pas pertinente pour juger de la nécessité sur le plan du bon fonctionnement de leur exploitation. Il convenait dès lors de retrancher du bénéfice le montant de CHF 97'308.-, soit la moitié du prix d’acquisition de l’immeuble acquis en remploi.
17. Dans sa réponse du 1er mars 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.
La vente de la future parcelle n° 2______ était subordonnée à l’obtention d’une autorisation de la CFA, autorisant son désassujettissement à la LDFR. Cette condition avait été remplie. Cette autorité, dans sa décision du ______ 2015, avait constaté que le parking et la plantation d’une forêt avaient été réalisés et que ladite parcelle n’était plus appropriée à l’agriculture, d’où son désassujettissement. Dès lors, elle ne pouvait plus être considérée comme se situant en zone agricole au sens de la LDFR. Par ailleurs, les recourants obtenu un prix de vente de CHF 100.- par mètre carré, montant nettement supérieur au maximum licite déterminé par la CFA, ainsi qu’une indemnité pour perte de culture. Cela témoignait du fait que lors de la vente, la parcelle ne pouvait être utilisée à des fins agricoles. En outre, à ce moment-là, l’immeuble n’était pas bâti. En conséquence, le privilège fiscal était exclu.
Étant donné que la parcelle n° 2______ ne se trouvait plus en zone agricole au moment de son aliénation – raison pour laquelle son prix de vente était supérieur à celui admis pour un bien agricole – les liquidités obtenues ne pouvaient servir au remploi. La partie excédant le prix maximum que le recourant avait obtenu grâce au désassujettissement ne pouvait pas correspondre à un actif nécessaire à l’exploitation agricole. Par conséquent, le solde dépassant CHF 1'225'624.- ne pouvait pas être utilisée à titre de remploi, même si les intéressés avaient acquis un bien agricole. Seul le montant de CHF 173'220.- correspondant au prix de vente licite selon la LDFR, qui avait été exonéré, aurait pu être utilisé pour acquérir la parcelle de remplacement. Dès lors, la déduction de CHF 97'308.- ne pouvait être admise.
Enfin, selon la jurisprudence, les droits au gain des cohéritiers ne constituaient pas des frais justifiés par l’usage commercial ou professionnel.
18. Par réplique du 25 mars 2024, les contribuables ont maintenu leur recours.
La parcelle n° 2______ se trouvait en zone agricole au moment de sa vente. Elle l’était encore à ce jour. La jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 138 II 32 consid. 2.3.1) sur laquelle se fondait l’autorité intimée ne s’appliquait pas. Il convenait au contraire de se fonder sur la LDFR. C’était sur la base de l’art. 65 al. 1 let. a LDFR que la cession à l’État de Genève de cette parcelle pouvait être autorisée, car elle n’avait pas perdu sa vocation agricole de manière définitive. Elle avait été vendue uniquement au motif que l’acquéreur en avait besoin pour l’exécution d’une tâche publique, à savoir l’agrandissement du E______. Il en résultait que le gain devait être imposé de manière privilégiée.
S’agissant du remploi, la vente par un agriculteur d’un terrain en zone agricole affecté à des cultures de rente, qui le substituait par un autre terrain agricole, la condition de la nécessité pour son entreprise était indiscutable. Enfin, le critère d’égalité de fonction invoqué par l’autorité intimée n’était plus d’actualité depuis la réforme de l’imposition des entreprises II.
19. Dans sa duplique du 17 avril 2024, l’AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse. La CFA avait constaté que la parcelle n° 2______ n’était plus appropriée à l’agriculture. Si, comme le soutenait les recourants, elle s’était trouvée en zone agricole, son prix de vente n’aurait pu excéder CHF 8.- par m2 comme fixé par la CFA. Or, ils en avaient obtenu un prix de CHF 100.- par m2.
20. Le 8 juillet 2024, les recourants, sur demande du tribunal, ont produit les états financiers 2016 de l’activité agricole des frères A______ et F______.
21. Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.
3. Les recourants contestent l’imposition du bénéfice provenant de la vente de la parcelle n° 2______, arrêté par l’AFC-GE à CHF 612'769.-.
4. À teneur de l’art. 18 al. 1 et 4 LIFD, sont imposables tous les revenus provenant de l’exploitation d’une entreprise commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou sylvicole, de l’exercice d’une profession libérale ou de toute autre activité lucrative indépendante. Les bénéfices provenant de l’aliénation d’immeubles agricoles ou sylvicoles ne sont ajoutés au revenu imposable que jusqu’à concurrence des dépenses d’investissement.
Selon l’art. 19 al. 5 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), les bénéfices provenant de l’aliénation d’immeubles agricoles ou sylvicoles ne sont ajoutés au revenu imposable que jusqu’à concurrence des dépenses d’investissement ; la part de bénéfice qui excède les dépenses d’investissement est quant à elle soumise à l’IBGI à titre définitif.
5. En matière d’IFD, les bénéfices provenant de l'aliénation d’immeubles agricoles ne sont ajoutés au revenu imposable que jusqu'à concurrence des dépenses d'investissement. Les plus-values à hauteur de la différence entre le produit de l'aliénation et les dépenses d'investissement demeurent exonérées de l'impôt fédéral direct. En revanche, au niveau cantonal, les plus-values ne sont pas exonérées, mais soumises à l'impôt sur les gains immobiliers (arrêt du Tribunal fédéral 2C_162/2016 du 29 septembre 2016 traduit in RDAF 2017 II 261 consid. 4.1 et 5).
6. Selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_11/2011 du 2 décembre 2011 publié aux ATF 138 II 32 et traduit in RDAF 2012 II 117), la prise en compte de la définition d’immeubles agricoles ou sylvicoles ne peut se limiter qu'aux affaires fiscales. Il faut bien plus considérer notamment les lois suivantes (en particulier leurs objectifs et la pesée des intérêts en présence) : la LDFR, la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT – RS 700) et la loi fédérale du 29 avril 1998 sur l'agriculture (LAgr – RS 910.1). Le but commun de ces lois est entre autres de préserver, en faveur de l'entreprise agricole, la propriété de la terre agricole qui représente un facteur de production essentiel pour l'économie nationale. Ce but doit nécessairement influencer l'essentielle coordination qui veut que la notion fiscale d'« immeuble agricole et sylvicole » soit concrétisée en harmonie avec le champ d'application et de protection ainsi qu'avec les restrictions à l'aliénation qui dérivent du droit foncier rural. En conséquence, on ne peut parler d'un immeuble privilégié fiscalement, que lorsque les conditions d'application de la LDFR sont valablement réunies. C'est ainsi principalement le cas, conformément à l’art. 2 al. 1 LDFR, lorsqu'il s'agit d'immeubles agricoles isolés ou d'immeubles faisant partie d'entreprise agricole, qui sont situés en dehors d'une zone à bâtir selon l’art. 15 LAT et dont l'utilisation agricole est licite. De plus, l'application de la LDFR (et par conséquent aussi de la règle fiscale dérogatoire en question) vaut pour quatre cas spécifiques énumérés à l’art. 2 al. 2 LDFR, soit :
a. les immeubles et parties d'immeubles comprenant des bâtiments et installations agricoles, y compris une aire environnante appropriée, qui sont situés dans une zone à bâtir et font partie d'une entreprise agricole ;
b. les forêts qui font partie d'une entreprise agricole ;
c. les immeubles situés en partie dans une zone à bâtir, tant qu'ils ne sont pas partagés conformément aux zones d'affectation ;
d. les immeubles à usage mixte, qui ne sont pas partagés en une partie agricole et une partie non agricole.
7. Consécutivement à l’ATF 138 II 32, l’administration fédérale des contributions a publié la circulaire n° 38 du 17 juillet 2013 intitulée « imposition des bénéfices en capital résultant de l’aliénation d’immeubles sis en zone à bâtir et faisant partie de la fortune commerciale d’agriculteurs » (ci-après : la circulaire n° 38).
Son ch. 2.2 retient qu’on peut parler d’un immeuble privilégié fiscalement au sens de l’art. 18 al. 4 LIFD, lorsque les conditions d’application de la LDFR sont réunies.
8. Dans l’arrêt 2C_467/2019 du 24 janvier 2020 au consid. 4.1, le Tribunal fédéral a jugé qu’une parcelle non soumise à la LDFR ne pouvait être qualifiée d’agricole.
9. En l’espèce, l’AFC-GE prétend qu’au moment de sa vente, la parcelle n° 2______ avait perdu son caractère agricole, tandis que les contribuables sont d’un avis contraire.
Contrairement à ce que soutiennent les précités, le motif pour lequel la vente à l’État de Genève a été autorisée n’est pas pertinent. Seul compte le fait de savoir si les conditions d’application de la LDFR sont remplies. Or, dans sa décision du ______ 2015 entrée en force faute de contestation, la CFA a désassujetti cet immeuble à la LDFR. Elle a constaté que le parking et la plantation d’une forêt étaient déjà réalisés et que la parcelle n° 2______ n’était dès lors plus appropriée à l’agriculture. Il en résulte que dès le prononcé de cette décision cette parcelle ne répond plus à la notion d’immeuble agricole. En conséquence, le produit de sa vente ne peut bénéficier du privilège fiscal instauré par les art. 18 LIFD et 19 LIPP.
10. Subsidiairement, les recourants font valoir qu’il convient de retrancher le montant du droit au gain du bénéfice imposable.
11. L’art. 28 LDFR pose le principe du droit au gain. Ainsi, si une entreprise ou un immeuble agricoles sont attribués à un héritier dans le partage successoral à une valeur d'imputation inférieure à la valeur vénale, tout cohéritier a droit, en cas d'aliénation, à une part du gain proportionnelle à sa part héréditaire (art. 28 al. 1 LDFR ; voir aussi art. 41 al. 1 LDFR).
Le gain comme défini à l'art. 31 al. 1 LDFR, équivaut à la différence entre le prix d'aliénation et la valeur d'imputation. L'héritier peut déduire, à leur valeur actuelle, les dépenses génératrices de plus-values faites pour l'entreprise ou l'immeuble agricoles. D'autres déductions sont prévues aux art. 31 al. 4 et art. 32 et suivants LDFR.
Le droit au gain sert à compenser le fait qu'une entreprise ou un immeuble agricole a été imputé dans le partage à une valeur inférieure à sa valeur vénale (Message du Conseil fédéral du 19 octobre 1988 sur la LDFR, FF 1988 III 889, 945 ad art. 29).
12. Dans l’arrêt 2C_162/2016 précité, le Tribunal fédéral a retenu les éléments suivants.
Le recourant en cause est, au sens du droit civil le propriétaire (unique) des parcelles vendues en question, qui appartiennent à sa fortune commerciale en tant que commerçant d'immeubles. Le gain ainsi réalisé par la vente des immeubles fait donc partie de son revenu d'activité lucrative indépendante. Il est ainsi l'unique sujet fiscal en ce qui concerne la totalité des gains en capital réalisés par le biais des ventes. Le partage du gain entre les héritiers est par conséquent une affectation du bénéfice ou du produit, non pertinente d'un point de vue fiscal. Les parts des cohéritiers ne peuvent pas avoir d'incidence quelconque sur le calcul du revenu imposable du recourant (consid. 4.2).
Le Tribunal fédéral a également analysé l’affaire sous l’angle de la LDFR, tout en retenant qu’elle n’était pas déterminante fiscalement parlant et qu’elle n’aboutissait en l’occurrence pas à un résultat différent.
Le droit au gain a pour but principal l'égalité de traitement des héritiers: il a pour but de les protéger, puisqu'ils ne prennent pas part à l'avantage du repreneur du domaine agricole. Il ne s'agit toutefois pas de les placer dans une position plus favorable que le repreneur. Du point de vue de la doctrine, la possibilité de pouvoir soustraire du calcul du gain certaines déductions qui sont en relation directe avec l'aliénation paraissent tout à fait pertinentes en ce qui concerne le but du droit au gain. Dans la mesure où les impôts ne constituent pas des charges déductibles, leur lien direct avec l'aliénation ne va pourtant pas de soi. Dans le cadre du calcul du droit au gain, le prix d'aliénation correspond au montant net. Par conséquent, il n'y a là rien à redire lorsque l'instance précédente considère qu'il s'agit de déterminer la part des bénéfices en partageant les coûts. Il appartenait au recourant de porter en déduction du prix de vente les impôts dus au titre de l'aliénation avant tout règlement à ses cohéritiers ayant droit au gain, et ainsi de répercuter la charge de l'impôt sur ces derniers (consid. 4.3.4).
Enfin, le Tribunal fédéral a répondu par la négative à la question de savoir si le droit au gain pouvait être déduit à titre de charge justifiée par l’usage commercial.
Les droits au gain des héritiers découlent du partage successoral. Ils sont en lien avec les rapports de nature successorale des héritiers et constituent des dettes privées des recourants. Ils ne présentent aucun lien avec leur activité commerciale du recourant, de sorte qu’il ne s’agit pas de frais déductibles justifiés par l'usage commercial. Il aurait dû prévoir de répercuter les impôts dus sur l'aliénation des parcelles lors du calcul du droit au gain des héritiers selon le droit foncier rural.
13. En l’espèce, les recourants font valoir que M. A______ et son frère ont versé à Mme H______, ainsi qu’à Monsieur I______, un montant de CHF 182'456.85, correspondant à un droit au gain, qui doit être déduit du bénéfice réalisé sur la vente de la parcelle n° 2______.
Les contribuables ne peuvent être suivis.
En effet, M. A______ et son frère étaient propriétaires de la parcelle n° 2______ au moment de sa vente à l’État de Genève. Le montant du droit au gain que lui-même et son frère ont dû verser à Mme H______, ainsi qu’à Monsieur I______ ne constitue qu’une affectation du bénéfice, qui n’est pas pertinente fiscalement. Cette somme n’a ainsi aucune incidence sur le calcul du revenu imposable du recourant. Cette somme ne constitue pas davantage une charge justifiée par l’usage commercial.
14. Les recourants font également valoir que la moitié du prix d’acquisition de la parcelle n° 3______, doit être soustraite du gain imposable.
15. Lorsque des biens immobilisés nécessaires à l’exploitation sont remplacés, les réserves latentes de ces biens peuvent être reportées sur les biens immobilisés acquis en remploi, si ces biens sont également nécessaires à l’exploitation et se trouvent en Suisse (art. 30 al. 1 LIFD ; art. 21 LIPP ; art. 8 al. 4 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14).
16. Selon la doctrine, (Markus REICH, Marina ZÜGER, Philipp BETSCHART in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, 4ème édition, 2022, art. 30, n. 6, 11 et 12, p. 712, 715 et 716), sont nécessaires à l’exploitation les biens économiques qui, conformément à leur destination, servent directement à l’établissement des prestations de l’exploitation et ne peuvent être aliénés sans entraver le processus d’établissement des prestations de l’exploitation. Les actifs nécessaires à l’exploitation constituent des éléments indispensables de l’unité d’exploitation, de sorte que leur aliénation entraînerait une modification substantielle de l’exploitation. Ce n’est que lorsque le bien économique sorti constitue un objet utilisé directement dans le processus de production de prestations de l’entreprise que ce retrait comble une lacune qu’il convient nécessairement de combler. L’art. 30 al. 3 LIFD, exclut expressément le remploi de valeurs patrimoniales qui ne servent à l’entreprise qu’à des fins de placement de la fortune ou de rendement.
Il reste nécessaire de remplacer le bien économique cédé par un nouveau. Il n’y a donc acquisition de remplacement que s’il existe un lien d’exploitation entre les biens échangés. Dans le cas contraire, on ne saurait plus parler de « remplacement » au sens de l’art. 30 al. 1 LIFD des biens immobilisés de l’entreprise. Un tel lien peut toujours être admis lorsque le bien acquis en remplacement est nécessaire à la poursuite de l’exploitation. L’exigence du lien d’exploitation peut également être déduite de la condition de l’identité de l’entreprise, selon laquelle « les biens de remplacement doivent servir à la poursuite de l’exploitation essentiellement inchangée de la même entreprise ». En raison de l’exigence de l’identité de l’entreprise ou du lien d’exploitation, les biens de remplacement doivent être utilisés dans la même entreprise. De même, le remplacement de toute une exploitation par une nouvelle est toujours exclu.
17. Lorsqu’un bien est aliéné aux fins d’être remplacé, les réserves latentes afférentes à cet actif sont comptablement réalisées. Le report d’imposition de l’art. 64 LIFD [dont la teneur à celle de l’art. 30 LIFD] entre alors en considération. Pour cela, il faut toutefois que l’entreprise comptabilise une charge correspondante qui contrebalance le produit réalisé. En l’occurrence, lorsque le remploi intervient durant le même exercice, cette charge consiste en l’amortissement du bien acquis en remploi à concurrence de la différence entre le prix de vente et la valeur comptable de l’objet aliéné. Par cette opération, la réserve latente afférente à l’objet aliéné est ainsi reportée sur le bien acquis en remploi (Robert DANON in Yves NOËL, Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct, 2ème édition, 2017, art. 64, n. 17, p. 1250).
18. En l’espèce, les recourants soutiennent que la parcelle n° 3______ a été acquise en remploi et que la moitié du prix d’achat de ce bien, c’est-à-dire CHF 97'308.-, doit être retranchée du bénéfice réalisé lors de la vente de la parcelle n° 2______.
L’AFC-GE ne partage pas son point de vue. Selon elle, étant donné que la parcelle n° 2______ ne se trouvait plus en zone agricole au moment de son aliénation, la partie excédant le prix maximum que M. A______ avait obtenu grâce au désassujettissement ne pouvait pas correspondre à un actif nécessaire à l’exploitation agricole.
La question de savoir si la parcelle n° 3______ remplit les conditions pour servir de bien de remploi à la vente de l’immeuble n° 2______ peut demeurer ouverte.
En effet, le tribunal observe qu’en remplissant le formulaire pour l’IBGI le 7 avril 2016, M. A______ n’a pas coché la cas « remploi » (ch. 4.4, p. 2). Il aurait pourtant dû le faire, si, comme s’ils le prétendent, cette parcelle n° 3______ avait servi de remploi, car il l’avait déjà acquise au moment où il avait vendu la parcelle n° 2______. Par ailleurs, il ne ressort pas des comptes 2016 de l’exploitation agricole des frères A______ et F______ qu’en 2016, la parcelle n° 3______ a fait l’objet d’un amortissement. La demande de remploi, sollicitée pour la première fois dans le complément de réclamation du 30 septembre 2019 ne peut ainsi être admise.
19. Ne reposant sur aucun motif valable, le recours doit être rejeté.
20. En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.
Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 11 octobre 2023 par les héritiers de feu Monsieur A______, soit Madame B______, Monsieur C______ et Monsieur D______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 1er septembre 2023 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant: Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, Yuri KUDRYAVTSEV et Giedre LIDEIKYTE HUBER, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| La greffière |