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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2396/2023

JTAPI/784/2024 du 19.08.2024 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : DROITS DE MUTATION;RESTITUTION DE L'IMPÔT;DROIT D'EMPTION;DOL(VICE DU CONSENTEMENT);NULLITÉ
Normes : LDE.50.al1; LDE.182.al1.letc; CC.959.al1; CO.28
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2396/2023 ICC

JTAPI/784/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 août 2024

 

dans la cause

 

Maître A______, représentée par Me Christophe DEISS, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne les droits d’enregistrement.

2.             Par acte authentique des 1er et 3 mars 2023, instrumenté par Maître A______, notaire, (ci-après : la notaire), Messieurs B______, C______ et D______ (ci-après : les consorts D______ ou le propriétaire) ont constitué, en faveur de Monsieur E______ (ci-après : le bénéficiaire), un droit d’emption cessible sur la future parcelle n° 1______, sise sur la commune F______, issue de la réunion des parcelles nos 2______ et 3______. Ce droit devait être inscrit au registre foncier (ci-après : RF).

La vente du bien immobilier était consentie et acceptée moyennant le prix de CHF 49'350'000.-, payable de la manière suivante :

a)      à concurrence d'un acompte de CHF 3'000'000.- que le bénéficiaire devrait verser sur le compte-client de l'Etude de la notaire, en faveur du propriétaire, au plus tard trente jours ouvrables dès la signature de l'acte par la totalité des parties, étant précisé que l'acompte serait immédiatement et entièrement libéré par la notaire en faveur de chacun des consorts D______, à parts égales entre eux et que cette somme était dans tous les cas acquise au propriétaire à titre d'acompte en cas d'exécution du droit d'emption et à titre de pénalité en cas de non-exécution du droit d'emption. Au cas où les CHF 3'000'000.- d'acompte et autres montants figurant dans une convention annexe n'étaient pas versés dans les délais prévus, le droit d'emption devenait caduc et certains frais étaient néanmoins dus (cf. art. II let. a), p. 6) ;

b)      à concurrence du solde de CHF 46'350'000.-, selon les mêmes modalités que celles mentionnées ci-dessus, dans les nonante jours ouvrables dès l’obtention du permis définitif à bâtir en force (cf. art. II let. b), p. 6).

3.             Le 15 mai 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a notifié à la notaire un bordereau de droits d’enregistrement, taxant le pacte d’emption.

4.             Le 7 juin 2023, la notaire a élevé réclamation à l’encontre de ce bordereau. M. E______ n’ayant pas versé le montant de CHF 3'000'000.- dans le délai prescrit, le droit d’emption était réputé n’avoir jamais existé. Le fait générateur de l’impôt faisait défaut. Ainsi, l’acte ne serait jamais déposé au RF.

5.             Par décision du 15 juin 2023, l’AFC-GE a rejeté la réclamation. Le fait générateur de l’impôt et la créance fiscale ne dépendaient pas des conditions fixées dans l’acte, mais de l’enregistrement de celui-ci, lui-même taxé sur la base de la loi.

6.             Par acte du 17 juillet 2023, la notaire (ci-après : la recourante), sous la plume de son conseil, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant, préalablement, à sa comparution personnelle et à l’audition de M. E______. Principalement, elle a conclu à l’annulation de la décision du 15 juin précédent, le tout sous suite de frais et dépens.

Elle avait déposé à l’AFC-GE le pacte d’emption. Puisque M. E______ n’avait pas versé le montant de CHF 3'000'000.-, le droit était devenu caduc. Cette caducité déployait des effets ex tunc, de sorte que le droit n’avait jamais existé. Elle n’avait jamais déposé la réquisition d’inscription au RF. L’on ne saurait admettre la présence d’un fait générateur des droits d’enregistrement.

M. E______ savait, dès le début des négociations et au plus tard lors de la signature de l’acte authentique, qu’il ne pourrait en honorer les conditions financières. Bien qu’il ait signé ce document, il n’avait pas l’intention de le respecter. Faute de réelle et commune intention des parties, aucun contrat n’avait été conclu. En affirmant faussement qu’il disposait des fonds pour payer l’acompte et qu’il réglerait ce montant, M. E______ avait induit les consorts D______ à contracter le pacte d’emption. Jamais ils ne l’auraient signé s’ils avaient connu sa réputation et sa situation financière. Ce pacte était entaché de dol et devait être considéré comme nul.

7.             Dans sa réponse du 16 novembre 2023, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

L’établissement de l’acte authentique – et non son inscription au RF – constituait le fait générateur de l’assujettissement aux droits d’enregistrement. L’argument selon lequel M. E______ était conscient qu’il ne disposait pas des fonds nécessaires pour payer l’acompte n’était pas démontré.

8.             Par réplique du 19 février 2024, la recourante a maintenu son recours.

Le 17 avril 2023, elle avait appris que M. E______ avait déposé à l’encontre des consorts D______ une requête de mesures préprovisionnelles et provisionnelles auprès du Tribunal de première instance, tendant à l’inscription au RF d’une restriction du droit d’aliéner concernant les parcelles nos 2______ et 3______. Ce dernier y alléguait que son droit d’emption serait mis en péril s’il s’acquittait de l’acompte de CHF 3'000'000.-, puisque la future parcelle n° 1______, issue de la réunion des parcelles nos 2______ et 3______, n’avait pas été inscrite au RF. La requête de mesures préprovisionnelles avait été rejetée et la demande de mesures provisionnelles, déclarée irrecevable.

M. E______ avait des poursuites pour un montant s'élevant à CHF 751'742.-, ainsi que 204 actes de défaut de biens pour un total de CHF 2'645'399.-. Au vu de la situation financière obérée de celui-ci, les consorts D______ avaient renoncé à saisir les juridictions civiles pour faire exécuter le contrat.

Compte tenu des circonstances entourant la conclusion du pacte d’emption, le consentement des consorts D______ était entaché de dol, de sorte qu’il était nul ab initio et qu’il n’y avait eu aucun fait générateur de l’impôt.

9.             Dans sa duplique du 27 mars 2024, l’AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse.

La recourante n’avait jamais démontré l’invalidité de l’acte authentique. Il appartenait aux consorts D______ de saisir les juridictions civiles pour la faire constater. Par ailleurs, rien ne permettait de conclure que les parties auraient reconnu la nullité ab ovo du pacte. La volonté, les intentions et motivations de M. E______ n’étaient pas connues.

10.         Le détail des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 182 al. 3 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 - LDE - D 3 30).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 63 et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), étant précisé que la notaire a qualité pour recourir (JTAPI/987/2022 du 23 septembre 2022 consid. 2).

3.             La recourante sollicite sa comparution personnelle, ainsi que l’audition de M. E______.

4.             Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2). Le droit d’être entendu ne comprend pas le droit d'être entendu oralement ni celui d'obtenir l’audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 et les références citées).

5.             En l’espèce, le tribunal estime que le dossier contient les éléments suffisants et nécessaires pour statuer en toute connaissance de cause sur le litige, de sorte qu’il n’apparaît pas utile de procéder à l’audition de la recourante. En effet, elle a pu faire valoir ses arguments dans le cadre de son recours et de sa réplique et a été en mesure de produire tout moyen de preuve qu’elle jugeait utile. L’audition de M. E______ n’apporterait pas non plus d'éléments supplémentaires susceptibles d'influer sur l'issue du litige. Ainsi qu’il sera examiné ci-dessous, ne sont pas déterminantes les raisons pour lesquelles il n’aurait pas acquitté l’acompte de CHF 3'000'000.-, ni le fait qu’il aurait promis de verser ce montant.

6.             La recourante demande l’annulation de la décision du 15 juin 2023 et, par voie de conséquence, du bordereau de droits d’enregistrement du 15 mai précédent, taxant la constitution du droit d’emption.

7.             Selon l’art. 959 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), les droits personnels, tels que les droits de préemption, d’emption et de réméré, les baux à ferme et à loyer, peuvent être annotés au RF dans les cas expressément prévus par la loi.

8.             Les actes portant promesse de vente, d’achat ou d’échange, ainsi que les pactes d’emption, sont soumis au droit de 1 ‰, calculé sur la valeur vénale de l’immeuble, sans aucune déduction pour les dettes et les charges qui peuvent le grever (art. 50 al. 1 LDE).

Ces opérations sont soumises aux droits d'enregistrement, qu'elles fassent ou non l'objet d'une annotation au RF (JTAPI/143/2022 du 21 février 2022 consid. 16).

9.             Selon cette jurisprudence, lorsque les droits d’enregistrement ont été prélevés en vertu d’une cause valable, telle qu'un acte ou une opération valablement instrumenté par un notaire, il est exclu d’imputer à l’AFC-GE un déni de justice matériel, de sorte que toute restitution des droits en application de l’art. 182 al. 1 let. c LDE est exclue.

La créance d’impôt naît sitôt que les faits générateurs prévus par la loi sont réalisés, et ne dépend pas de la volonté du contribuable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1035/2020 du 12 novembre 2021 consid. 4.2 et les références citées).

Ainsi, l’annulation d’une vente à terme par les parties ne justifie pas la restitution des droits. La créance d’impôt naît ex lege et ne peut être mise à néant par la volonté des parties (ATA/704/2023 du 27 juin 2023).

10.         Dans l’ATA/741/2002 du 26 novembre 2002, le Tribunal administratif (ci-après : TA) a considéré qu’en refusant la restitution des droits d'enregistrement d'un contrat de bail alors que la recourante avait renoncé à faire annoter son bail au registre foncier, l’AFC-GE avait commis un déni de justice matériel.

Le TA a également retenu l’existence d’un déni de justice matériel dans l’ATA/509/2002 du 3 septembre 2002, dans lequel un bailleur avait déposé une demande de restitution des droits d’enregistrement d’un contrat de bail dès lors que, n’étant pas propriétaire de l’immeuble loué, il n’avait pas pu faire annoter le bail au RF.

11.         La partie induite à contracter par le dol de l’autre n’est pas obligée, même si son erreur n’est pas essentielle (art. 28 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220).

Le contrat entaché d’erreur ou de dol, ou conclu sous l’empire d’une crainte fondée, est tenu pour ratifié lorsque la partie qu’il n’oblige point a laissé s’écouler une année sans déclarer à l’autre sa résolution de ne pas le maintenir, ou sans répéter ce qu’elle a payé (art. 31 al. 1 CO). Le délai court dès que l’erreur ou le dol a été découvert, ou dès que la crainte s’est dissipée.

12.         Selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 4A_286/2018 du 5 décembre 2018 consid. 2.2), le cocontractant dont le consentement a été entaché d'un vice tel que l'erreur essentielle (art. 24 al. 1 CO) ou le dol (art. 28 CO) peut déclarer à l'autre partie qu'il n'entend pas maintenir le contrat, dans le délai d'un an à compter de la découverte de l'erreur ou du dol ; à défaut, le contrat est tenu pour ratifié (art. 31 al. 1 et 2 CO). Ce délai péremptoire court dès le moment où le lésé a une connaissance certaine du vice de volonté ; de vagues doutes sans fondement précis ne suffisent pas. Si le vice de volonté invoqué à l'appui de l'invalidation est avéré, le contrat est caduc, en principe ex tunc. Les parties sont libérées des obligations qu'il prévoyait. Les prestations déjà fournies doivent être restituées selon les règles de la revendication ou de l'enrichissement illégitime.

13.         En l’espèce, la recourante soutient que les consorts D______ ont été dolosivement amenés à conclure l’acte authentique des 1er et 3 mars 2023. Selon eux, aux dates précitées, M. E______ savait qu'il ne disposait pas des fonds lui permettant de s’acquitter de l’acompte de CHF 3'000'000.-. Il en résulte, selon eux, que ce contrat est réputé n’avoir jamais existé et que le fait générateur des droits d’enregistrement n’a jamais pris naissance. D’ailleurs, l’acte n’a jamais été déposé au RF.

L’intéressée ne peut être suivie.

En effet, le fait que l’acte authentique n’ait jamais été déposé au RF n’est pas déterminant, car la constitution d’un pacte d’emption est soumise aux droits d’enregistrement, quand bien même elle ne fait pas l’objet d’une annotation.

La créance fiscale de droits d’enregistrement a pris naissance ex lege dès le moment où l’acte authentique des 1er et 3 mars 2023 a été dressé par la notaire chargée d’instrumentaliser le pacte d’emption litigieux (art. 3 let. a LDE). Or, dès l’instant où une créance fiscale est née, elle ne peut être réduite à néant par une opération destinée à effacer les faits générateurs lui ayant donné naissance.

Il n’est pas nécessaire de déterminer si les consorts D______ ont été amenés à conclure la convention des 1er et 3 mars 2023 par le dol. Selon l’extrait cantonal du registre des poursuites du district de G______, M. E______ fait l’objet de poursuites et d’actes de défaut de biens s’établissant à respectivement CHF 751'742.- et CHF 2'645'399.-. Ce document a été délivré à la recourante le 24 avril 2023. Ainsi, à cette date et en tous les cas lors de la réception du bordereau incriminé, la situation financière obérée de M. E______ était connue de la recourante. Or, il ne ressort d’aucune pièce du dossier que les consorts D______ auraient fait part au précité de leur intention de résoudre la convention des 1er et 3 mars 2023. Le tribunal ne peut dès lors suivre la recourante lorsqu’elle prétend que ledit acte a été mis à néant ex tunc et que, par conséquent, la créance de droits d’enregistrement de l’AFC-GE n’existe pas.

14.         Ne reposant sur aucun motif valable, le recours doit être rejeté.

15.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 17 juillet 2023 par Maître A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 15 juin 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Laetitia MEIER DROZ, présidente, Federico ABRAR et Stéphane TANNER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière