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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1306/2024

JTAPI/373/2024 du 22.04.2024 ( LVD ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1306/2024 LVD

JTAPI//2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 22 avril 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Didier KVICINSKY, avocat, avec élection de domicile

contre

Monsieur B______


 

EN FAIT

1.             Par décision du 13 mars 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de treize jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située chemin C______ 1_______. Il lui a également été fait interdiction de contacter cette dernière ainsi que leurs enfants mineurs, D______ et E______ et de s'approcher ou de pénétrer de l'école F______, chemin G______ 2_______.

Selon cette décision, le 10 mars 2024 M. B______ aurait crié sur l'un de ses fils pour l'empêcher de faire un câlin à sa mère et lui parler. Cette dernière subirait des violences verbales quotidiennement, notamment par des injures telles que « pute, merde, Frankenstein, salope d'européenne, chienne ». M. B______ la menacerait régulièrement en s'imposant physiquement, en cassant des objets et en lui disant qu'il allait faire de sa vie un enfer, la détruire et l'anéantir. S'agissant des violences physiques, le dernier épisode remonterait à octobre 2022 lorsqu'il lui aurait arraché son téléphone avant de la saisir au niveau des cheveux et par la gorge et de la jeter sur un lit. Il y a dix ans, l'intéressé aurait giflé son épouse, lui aurait tiré les cheveux, et l'aurait projeté violemment au sol. Elle aurait également reçu une claque alors qu'elle était enceinte de neuf mois de leur enfant D______. Enfin, l'intéressé filmerait son épouse à son insu, lui donnerait que CHF 200.- d'argent de poche mensuellement et la forcerait à dormir au salon, l'empêchant de dormir dans son lit.

M. B______ a fait opposition à cette décision directement devant le commissaire de police le jour-même, lequel n'a toutefois pas transmis cette opposition au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

2.             Le 13 mars 2024, Mme A______ a déposé plainte pénale à l'encontre de son époux. Auditionnée le même jour, elle a déclaré que son époux avait été violent physiquement à plusieurs reprises à son égard, la dernière fois, en octobre 2022. Elle était au téléphone lorsque son époux lui a arraché l'appareil, avant de la saisir par les cheveux et la gorge et la propulser contre le lit, ce qui lui avait provoqué des bleus au niveau des bras. Au début de leur mariage, il lui avait tiré les cheveux, giflée et jetée au sol et lorsqu'elle était enceinte de neuf mois de D______, il l'avait giflée. Hormis ces événements, il ne l'avait pas frappée. Elle subissait quotidiennement des menaces, insultes et dénigrements. Dernièrement, il lui avait dit que son objectif dans la vie était de la détruire. M. B______ n'avait jamais frappé les enfants mais ceux-ci étaient témoins des scènes de violence et il leur ordonnait de ne plus lui adresser la parole ou d'avoir des contacts physiques avec elle. Dernièrement, son fils de sept ans était venu vers elle pour lui dire : « ce n'est pas vrai maman, tu n'es pas une connasse ». A l'appui de sa plainte, elle a déposé une lettre adressée au Service de protection des mineurs (ci-après : SPMi), décrivant par le menu les violences subies.

3.             Egalement auditionné le 13 mars 2024, M. B______ a nié les faits qui lui étaient reprochés. C'était car il gérait les comptes familiaux qu'il donnait CHF 300.- par mois à son épouse et qu'il gardait les cartes bancaires. Il lui avait proposé d'inverser les rôles mais elle avait refusé ne s'en sentant pas capable. Il ne la rabaissait pas. Au contraire, il l'avait poussée à faire ses études en lui disant qu'elle était intelligente. C'était elle qui ne voulait pas dormir dans le lit. La seule chose qu'il lui avait dit était de ne pas lui faire de câlin ou de le toucher si elle dormait avec lui. Depuis trois semaines, elle le draguait en marchant nue devant lui et elle avait essayé de coucher avec lui alors qu'il ne voulait pas, lui faisant vivre un enfer. Elle s'insultait elle-même en disant : « c'est parce que je suis une salope ? c'est parce que je suis moche ? ». De fait, elle finissait par penser que c'était lui qui l'insultait alors qu'il n'en était rien. Son épouse avait déposé une requête de mesures superprovionnelles le 22 décembre 2023, lesquelles avaient été rejetées.

4.             Le 14 mars 2024, M. B______ a déposé au greffe du tribunal un « recours » contre la mesure d'éloignement.

Il était marié depuis le 2 avril 2013 et s'était installé en Suisse le 13 septembre 2013. Il n'avait jamais eu d'histoire avec la police depuis lors et son épouse n'avait jamais déposé plainte contre lui. Ils s'étaient séparés le 16 décembre 2023 [recte : 2022] en s'accordant sur une garde alternée concernant leurs enfants. Il avait quitté le domicile conjugal avant de reprendre la vie commune en juin 2023. Le 31 octobre 2023, son épouse avait demandé le divorce et il avait lui-même déposé une requête de mesures protectrices de l'union conjugale (MPUC). Ils avaient été auditionnés le 12 février 2024 par-devant le Tribunal civil qui avait refusé d'entendre les allégations de violences domestiques de son épouse. Comme le père de son épouse était capitaine de police et que ses frères étaient policiers, cette dernière en avait profité pour déposer plainte pénale à son encontre et demander une mesure d'éloignement. Il s'agissait d'une infraction manifeste et d'un abus d'autorité pour satisfaire aux exigences de son beau-père. Il entendait dès lors porter plainte contre le commissaire de police prochainement. Enfin, son épouse avait déclaré que les derniers faits dataient d'octobre 2022, soit il y avait dix-sept mois, de sorte qu'aucune réitération ne pouvait justifier la décision du commissaire de police.

5.             Le même jour, Mme A______, par le biais de son conseil, a transmis au tribunal le jugement sur MPUC du 12 mars 2024 autorisant les époux à vivre séparés, attribuant à l'épouse la jouissance exclusive du domicile conjugal et ordonnant à M. B______ de le quitter au plus tard le 31 mars 2024. La garde alternée des enfants était également prononcée.

6.             Toujours le 14 mars 2024, M. B______ a participé à un entretien socio-thérapeutique auprès de H______.

7.             Lors de l'audience du 18 mars 2024 devant le tribunal, Mme A______ a confirmé ses déclarations à la police. Elle a indiqué que M. B______ l'injuriait tous les jours, notamment de « salope, pute, tu suces des bites, tu es la poubelle de la France ». Des fois, il se calmait durant deux ou trois jours et ensuite cela repartait de plus belle. Il lui disait qu'elle était débile, qu'elle était bête, qu'elle avait une logique de « merde ». Il critiquait également son physique. Il avait toujours eu beaucoup d'emprise sur elle, mais cela avait dégénéré depuis deux ans. Depuis deux mois, cela avait pris de l'ampleur et depuis l'audience au Tribunal civil le 12 février 2024 cela avait empiré. Il faisait par exemple le geste de vomir à chaque fois qu'il passait à côté d'elle, l'insultait et/ou la dénigrait à chaque fois qu'il la voyait. Ils avaient instauré un système de garde alternée depuis octobre 2023, chacun d'eux s'occupant des enfants en alternance une semaine sur deux. Lorsque c'était sa semaine et qu'elle versait par exemple un jus d'orange à ses enfants ou qu'ils lui adressaient la parole, il s'emportait et lui disait qu'elle ne devait pas le droit leur adresser la parole car c'était sa semaine. Il en faisait de même lorsque c'étaient les enfants qui s'adressaient à elle. D______ en parlait même à l'école. Sa maîtresse lui avait téléphoné le vendredi précédent pour lui expliquer que D______ souffrait de sa situation familiale et qu'il avait exprimé que son papa était méchant avec sa maman et qu'il devait protéger sa petite maman. M. B______ n'avait jamais frappé les enfants mais il les manipulait. Par exemple, E______ lui avait dit qu'il ne pouvait pas venir lui faire un câlin sinon il se ferait gronder par son père. Il s'agissait également de postures de pouvoir physique. Il était grand et il se positionnait face à elle comme s'il voulait l'impressionner ou lui faire peur. Il était impossible de revivre ensemble sous le même toit. Ce qu'elle souhaiterait, c'était qu'ils puissent avoir un minimum d'échanges pour le bien de leurs enfants. Ses enfants souffraient de la situation. Ils ressentaient les choses, ils étaient des éponges émotionnelles. Ils n'avaient pas vu leur père. Ils n'avaient pas spécialement demandé après lui, mais elle savait qu'ils aimaient beaucoup leur papa.

M. B______ a confirmé son opposition à la mesure d'éloignement prononcée à son encontre. Il était allé chez H______ la semaine dernière et avait expliqué toute la situation. On lui avait conseillé de déposer plainte contre Mme A______, ce qu'il allait faire. Il confirmait l'entier de ses dépositions à la police. Il n'était pas agressif et n'avait jamais été arrêté par la police. Mme A______ mentait. Elle souffrait. Elle n'était pas stable à cause de son opération. Elle n'effectuait pas son suivi. Elle faisait une dépression. Elle avait également des troubles du comportement. Il ne l'avait jamais insultée comme elle le prétendait. En réalité, elle le draguait. Elle essayait de coucher avec lui et comme il refusait, elle lui disait : « c'est parce que je suis une salope ? Que je suis dégoutante ? ». Il ne lui disait pas qu'elle était bête comme elle le prétendait. Au contraire, il lui disait toujours qu'elle était intelligente et l'avait poussée à faire des études. Il était triste pour ses enfants. Durant les disputes, Mme A______ pleurait beaucoup alors que lui pas, alors les enfants faisaient le raccourci que c'était lui le méchant car il ne pleurait pas. Ses enfants lui disaient également que leur maman n'était pas gentille avec lui et qu'ils préféraient être avec lui. Il n'avait jamais parlé en mal de leur mère à ses enfants ni ne leur avait interdit de lui parler. Il était arrangeant avec elle. Il en voulait pour preuve le fait qu'il avait organisé l'anniversaire de leur fils en mai, en fonction de ses disponibilités à elle. Depuis le 13 mars 2024, il dormait à l'hôtel. Il allait faire recours contre le jugement du Tribunal civil attribuant le logement à Mme A______. Il n'entendait pas quitter le logement familial. Cela faisait dix jours qu'il n'avait pas vu ses enfants alors qu'il s'en occupait depuis qu'ils étaient nés. C'était très difficile pour lui.

Le conseil de Mme A______ a versé à la procédure le courrier du 12 mars 2024 adressé au SPMi, un courriel de son père du 10 mars 2024 ainsi qu'une évaluation de compétences de son employeur démontrant qu'elle était stable et responsable. Il a plaidé et conclu à la confirmation de la mesure d'éloignement et à la prolongation de celle-ci pour une durée de trente jours.

M. B______ s'est opposé à la prolongation de la mesure d'éloignement car il n'était pas agressif. Cela faisait onze ans qu'il vivait en Suisse et il n'avait jamais été arrêté. Durant toutes ces années, Mme A______ n'avait jamais déposé plainte contre lui. Son père avait vécu avec eux durant cinq ans et il n'avait constaté aucune agressivité de sa part. Lorsqu'il avait demandé la nationalité suisse, lui et son fils avaient même rédigé des lettres de recommandations en sa faveur. Il souhaitait divorcer de Mme A______ avec qui il ne voulait plus vivre sous le même toit. Il souhaitait que le logement familial lui soit attribué. C'était pour cette raison qu'il allait faire recours. Il avait des bonnes chances de succès.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition de la mesure d'éloignement et s'en est rapporté à justice s'agissant de sa prolongation.

8.             Par jugement du 18 mars 2024 (JTAPI/243/2024), le tribunal a admis partiellement l’opposition de M. B______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre, en ce sens que l'interdiction qui lui était faite de contacter ses enfants mineurs D______ et E______ et de s'approcher ou de pénétrer de l'école F______ à I______ était levée. Il a pour le surplus prolongé la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 25 avril 2024, à 17h00.

Les déclarations de Mme A______ étaient crédibles, constantes et mesurées. Elle n'en rajoutait pas et avait souligné que les enfants aimaient leur père. Par contre, les dénégations de M. B______ n'emportaient pas conviction, notamment ses propos concernant les mensonges de Mme A______ lesquels seraient provoqués par ses troubles du comportement. Vu la situation des époux et la tension palpable entre eux, il apparaissait hautement vraisemblable que si M. B______ retournait au domicile conjugal, la perspective d'une prochaine séparation ne ferait qu'amplifier les tensions au sein du couple, exposant Mme A______ à un risque de réitération de violences, à tout le moins psychiques. A cela s'ajoutait que M. B______ ne se rendait absolument pas compte de son comportement. Dans ces circonstances, la perspective que les époux se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même il était évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation.

9.             Par écritures du 19 avril 2024, parvenues au tribunal le même jour, Mme A______, sous la plume d’un conseil, a demandé une deuxième prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours, expliquant en substance qu’elle était toujours dans la crainte permanente de ce que M. B______ pourrait faire s’il devait la croiser ou réintégrer le domicile conjugal. Ce dernier avait fait appel du jugement rendu sur MPUC et requis son expulsion. Ce dernier disposait d’un appartement au J______, actuellement occupé par son amie qui était colocataire, et qu’il entendait réintégrer le 1er juillet 2024. Le maintien de la mesure d’éloignement serait sans conséquence pour M. B______ mais lui permettrait de maintenir la sérénité dans laquelle elle vivait avec ses enfants maintenant que le précité avait été éloigné. Comme retenu par le tribunal, il était hautement vraisemblable que si M. B______ retournait au domicile conjugal, les tensions induites par la procédure de séparation ne feraient qu’amplifier le risque qu’elle subisse à nouveau des violences, à tout le moins psychiques. L’intéressé tentait notamment de manipuler ses enfants afin de les monter contre elle.

Elle a joint un chargé de pièces dont le recours du 22 mars 2024 de M. B______ contre le jugement de MPUC du Tribunal de première instance par lequel il requérait notamment son expulsion de l’appartement familial et que l’effet suspensif lui soit accordé concernant l’attribution de la jouissance exclusive de l’appartement et l’arrêt de la chambre civile de la Cour de justice du 11 avril 2024 refusant à M. B______ la restitution de l’effet suspensif.

10.         Lors de l'audience du 22 avril 2024, Mme A______ a confirmé sa demande de prolongation pour les motifs exposés dans ses écritures du 19 avril 2024. Elle avait toujours très peur d'un éventuel retour et/ou contact avec M. B______ et avait besoin de se sentir en sécurité. Elle ne pouvait envisager qu’il revienne au domicile familial, non accompagné de la police, afin de récupérer ses affaires. Elle savait qu’il pouvait le faire accompagné de la police. S'agissant des relations personnelles de M. B______ avec ses enfants, ils avaient convenu d’une garde partagée et des rencontres avaient pu être organisées par l'intermédiaire de sa sœur. Cela serait toujours possible, si la mesure d'éloignement était prolongée.

M. B______ a indiqué qu’il n’était pas d'accord sur les motifs avancés à l'appui de la nouvelle demande de prolongation de la mesure d'éloignement. Cela étant, une prolongation de l'éloignement ne changerait rien pour lui puisque le domicile familial avait été attribué à Mme A______. Il entendait respecter cette décision et n'avait aucune intention d'approcher ou de contacter cette dernière. La demande d'éloignement avait en réalité pour objectif de le déranger dans son travail puisqu'elle impliquait sa présence à la présente audience. Aujourd'hui, il n’entendait plus contester l'attribution exclusive du domicile familial à Mme A______. Il n’avait d'ailleurs pas recouru à l'encontre de l'arrêt de la Cour de justice sur effet suspensif. Il récupérerait son logement au J______ à la fin du mois ou, au plus tard, le 15 mai 2024. D'ici là il souhaiterait pouvoir récupérer ses affaires personnelles, dont un bureau, au domicile familial. Il prenait bonne note que cela était possible accompagné de la police et après avoir préalablement convenu d'un rendez-vous. Cela serait toutefois plus simple s’il pouvait se rendre sans la police au domicile familial, car le démontage du bureau et la récupération de toutes ses affaires risquaient de prendre beaucoup de temps. Il souhaitait entretenir des relations personnelles avec ses enfants comme cela avait toujours été le cas par le passé. Ces dernières avaient pu être organisées par l'intermédiaire de la sœur de Mme A______.

Le conseil de Mme A______ a plaidé et conclu à la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours supplémentaires, une telle mesure permettant de rassurer sa cliente, qui avait été victime de violences conjugales, sans impact disproportionné sur M. B______, qui disposait de son propre logement. En outre, bien que le logement familial ait été attribué à Mme A______, dite attribution faisait, entre autre, l'objet de l'appel de M. B______ à la Chambre civile de la Cour de justice.

M. B______ s’est opposé à la prolongation de la mesure d'éloignement, laquelle ne reposait sur aucun motif. Il n’avait rien à se reprocher et n'avait d'ailleurs jamais été arrêté par la police pour quoi que ce soit.

EN DROIT

1.             Toute personne directement touchée par une mesure d’éloignement ordonnée en application de l'art. 8 LVD peut en solliciter la prolongation auprès du tribunal au plus tard quatre jours avant son expiration (art. 11 al. 2 LVD). Ce dernier, dont le pouvoir d’examen s’étend à l’opportunité, statue avant l’expiration de la mesure, à défaut de quoi celle-ci cesse de déployer ses effets (art. 11 al. 3 LVD).

2.             En l'occurrence, la requête de Mme A______ a été valablement formée quatre jours avant l'expiration de la mesure litigieuse, de sorte qu'elle est recevable.

3.             Le tribunal statue ce jour avant cette échéance.

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD). Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             Lorsqu'il statue sur une demande de prolongation d'une mesure d'éloignement, qui porte atteinte à la liberté personnelle de son destinataire, le tribunal doit s'assurer que cette mesure respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101), qui exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude), que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité), interdit toute limitation des droits individuels allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 142 I 76 consid. 3.5.1 ; 142 I 49 consid. 9.1 ; 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 132 I 49 consid. 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.3 ; 2C_206/2017 du 23 février 2018 consid. 8.3).

6.             En l'espèce, Mme A______ motive sa demande de prolongation par le fait qu’elle a toujours très peur d'un éventuel retour au domicile de M. B______, respectivement contact avec ce dernier. Elle explique avoir besoin de se sentir en sécurité et souhaiter maintenir le climat de sérénité qu’elle s’est aujourd’hui créé avec ses enfants au domicile familial. Elle rappelle les démarches entreprises - et toujours en cours - au civil par M. B______ en vue de récupérer ledit logement, ce alors même qu’il dispose d’un bail pour un autre logement au J______. Elle craint des nouvelles violences, à tout le moins psychiques, si la mesure d’éloignement n’est pas prolongée, précisant que cette dernière interdit également à M. B______ de la contacter et de l’approcher.

M. B______ s'oppose à la prolongation de la mesure d'éloignement estimant qu’elle n’est fondée sur aucun motif valable. Cela étant, il indique qu’une prolongation de l'éloignement ne changerait rien pour lui puisque le domicile familial a été attribué à Mme A______ et qu’il entend respecter cette décision. Il indique par ailleurs n’avoir aucune intention de l’approcher ou de la contacter. Il relève que la présente demande a en réalité pour objectif de le déranger dans son travail. Il explique enfin qu’il récupérera son logement au J______ à la fin du mois ou, au plus tard, le 15 mai 2024 mais qu’il souhaiterait, d'ici là, pouvoir récupérer ses affaires personnelles, dont un bureau, au domicile familial, idéalement non accompagné de la police, car le démontage du bureau et la récupération de toutes ses affaires risquent de prendre beaucoup de temps.

Lors de l’audience, le tribunal a pu constater que la situation était toujours très tendue entre les parties et que Mme A______ semblait très inquiète à l’idée d’un retour de M. B______ au domicile et/ou de contacts avec ce dernier. A cet égard et même si l’intéressé a déclaré en audience qu’il entendait respecter la décision du tribunal civil attribuant le domicile familial à Mme A______ et n'avoir aucune intention d'approcher ou de contacter la précitée, le tribunal doit toutefois constater que les démarches entreprises sur le plan civil aux fins de se voir attribuer le domicile conjugal sans toujours en cours. Il indique par ailleurs vouloir récupérer ses affaires audit domicile idéalement sans la police, ce qui serait manifestement une situation extrêmement stressante pour Mme A______, à qui pour rappel, le domicile familial a été attribué exclusivement. Dans ces circonstances, il apparait opportun, à ce stade, de prolonger la mesure d’éloignement pour une durée de 30 jours supplémentaires afin de permettre à Mme A______ de pérenniser la sérénité qu’elle dit avoir retrouver, quand bien même il est évident que cette mesure ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation. Sous l’angle de la proportionnalité, le tribunal relèvera enfin que M. B______ a lui-même relevé que cette prolongation serait sans impact particulier pour lui dès lors qu’il disposait de son propre logement, que le logement familial avait été attribué exclusivement à Mme A______ et ses enfants et que les relations personnelles avec ces derniers s’étaient et pourraient s’organiser, à satisfaction, par l'intermédiaire de la sœur de Mme A______.

Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 25 mai 2024 à 17h00.

A toutes fins utiles, il sera rappelé que cette mesure ne fait plus interdiction à M. B______ de contacter ses enfants mineurs D______ et E______ et de s'approcher ou de pénétrer de l'école F______ à I______.

Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 19 avril 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 13 mars 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de Monsieur B______ lui interdisant de contacter et de s'approcher de Madame A______ et de s'approcher et de pénétrer de son domicile privé, sis chemin C_______ 1_______, pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 25 mai 2024 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière