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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3797/2023

JTAPI/299/2024 du 08.04.2024 ( OCPM ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION DE SÉJOUR;ÉTUDIANT
Normes : LEI.64.al1.letc; LPA.47
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3797/2023

JTAPI/299/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 avril 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Alain BIONDA, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Madame A______, née le ______ 1986, est ressortissante de Russie.

2.             Elle est arrivée en Suisse le 17 septembre 2018 dans le but d'obtenir un Master en science avec une majeure en finance internationale auprès de la B______, qu'elle a obtenu le 16 juin 2020. Elle a ensuite été immatriculée auprès de l'école C______ afin d'y suivre un programme de cours de français intensif jusqu'en décembre 2022.

3.             Le 12 juillet 2023, la société D______ SARL (ci-après : D______) a déposé en sa faveur, auprès de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), une demande d'autorisation de séjour en vue de l'exercice d'une activité lucrative salariée.

4.             Transmise à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT), cette demande a fait l'objet, de la part de cette autorité, d'une décision négative en date du 6 septembre 2023. En bas de page, cette décision indiquait qu'un double était adressé à « l'employé(e) ».

5.             Par décision du 16 octobre 2023, l'OCPM a refusé l'octroi d'une autorisation de séjour en vue de l'exercice d'une activité lucrative en faveur de Mme A______ et a prononcé son renvoi de Suisse. Cette décision impliquait également un départ du territoire des États membres de l'union européenne (UE) et des États associés à Schengen (Liechtenstein, Islande, Norvège), à moins qu'elle ne soit titulaire d'un permis de séjour valable émis par l'un de ces États et que celui-ci consente à la réadmettre sur son territoire. À l'appui de cette décision, l'OCPM a invoqué la décision préalable négative rendue par l'OCIRT le 6 septembre 2023.

6.             Par acte du 15 novembre 2023, Mme A______ a recouru en personne auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre la décision de l'OCPM du 16 octobre 2023 en concluant implicitement à son annulation. Elle a expliqué en substance qu'elle serait amenée à occuper des fonctions qualifiées auprès de la société D______. En outre, elle vivait en Suisse depuis 2018 et s'était désormais bien intégrée. Elle avait été choquée non seulement du refus de lui octroyer un permis de séjour, mais également du fait qu'un délai lui était imparti pour quitter la Suisse et retourner dans son pays d'origine.

7.             Elle a également recouru contre la décision de l'OCPM du 16 octobre 2023 par acte du 16 novembre 2023, cette fois sous la plume de son Conseil, indiquant avoir reçu cette décision le 17 octobre 2023. Elle a conclu principalement à ce que la décision de l'OCIRT du 6 septembre 2023 soit déclarée nulle, de même que la décision de l'OCPM du 16 octobre 2023, et à ce qu'il soit ordonné que la décision de l'OCIRT lui soit notifiée.

À cet égard, elle a expliqué que c'était à la lecture de la décision de l'OCPM du 16 octobre 2023 qu'elle avait découvert que l'OCIRT avait rendu le 6 septembre 2023 une décision préalable négative la concernant. Elle n'avait ainsi pas pu faire valoir son droit d'être entendue contre cette décision, contre laquelle elle aurait pu réagir. Il se pouvait que cette dernière ait établi certains faits de manière erronée ou que le droit n'ait pas été correctement appliqué.

8.             Par écritures du 16 janvier 2024, l'OCPM a répondu au recours en concluant à son rejet, rappelant en substance qu'il ne disposait d'aucun pouvoir d'appréciation suite à la décision préalable négative de l'OCIRT.

9.             Par courrier du 28 décembre 2023, le Conseil de Mme A______ a prié le tribunal de ne pas tenir compte de son recours rédigé par elle-même le 15 novembre 2023.

10.         Par courrier séparé du même jour, toujours sous la plume de son Conseil, Mme A______ a informé le tribunal qu'elle était mariée à un ressortissant italien depuis le ______ 2018 et était donc titulaire d'un permis de séjour valable dans un pays européen. Elle comptait rejoindre son mari et invitait le tribunal à prendre cet élément en considération. Elle a produit en annexe à ce courrier une « Carta di soggiorno » délivrée le 31 mai 2023 par la Questura di Trapani (Italie).

11.         Par écritures du 21 février 2024, l'OCPM a expliqué qu'après consultation du système SIS, il apparaissait que Mme A______ avait quitté volontairement le territoire suisse le 29 octobre 2023, en conséquence de quoi, plus aucune mesure active n'apparaissait dans ce système. La question de l'intérêt actuel de son recours pouvait donc se poser.

12.         Par écritures du 28 février 2024, Mme A______ a indiqué que les informations concernant ses départs et retours étaient manifestement inexactes. Elle était en effet partie en voyage à plusieurs reprises depuis le mois d'octobre 2023, ce dont attestaient des extraits de son passeport joints en annexe [portant les timbres de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle les 13 novembre et 30 décembre 2023 et de l'aéroport Amsterdam Schiphol le 25 novembre 2023]. Elle résidait encore à Genève et avait toujours un intérêt actuel à l'annulation (sic) de la décision

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             La question de savoir si la recourante a quitté la Suisse – ce qu'elle conteste –, et donc si la présente procédure conserve son objet, souffrira de rester ouverte, compte tenu de l'issue du litige sur le fond.

4.             La recourante conclut à ce que soit constatée la nullité non seulement de la décision de l'autorité intimée du 16 octobre 2023, mais également de celle rendue le 6 septembre 2023 par l'OCIRT. Elle se prévaut à ce sujet du fait qu'elle aurait dû se voir notifier cette dernière décision, dont résulterait ainsi la nullité. Par voie de conséquence, cela entraînerait également la nullité de la décision du 16 octobre 2023.

5.             S'agissant du fait que la décision de l'OCIRT aurait dû lui être notifiée (ce qui était d'ailleurs prévu selon l'indication figurant au bas de celle-ci), le tribunal ne peut que donner raison à la recourante. En effet, en matière de décision préalable cantonale relative à l’autorisation d’exercer une activité lucrative, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a retenu que le ressortissant étranger, qui n’est pas partie à la procédure préalable devant l’autorité, ne dispose pas d’un droit de recours propre lorsque l’employeur lui-même ne recourt pas, puisqu’il n’y alors plus de demande d’autorisation pour prise d’emploi en cours, donc plus d’objet au recours ATA/412/2014 du 3 juin 2014 consid. 8). Dans un arrêt ultérieur (ATA/1541/2017 du 28 novembre 2017 consid. 3), la chambre administrative, tout en citant l'ATA/412/2014 susmentionné, a dénié à l’étranger concerné la qualité pour recourir en raison d’un autre motif : son recours n’avait pas d’objet dans la mesure où l’employeur qui avait sollicité le permis de travail, n’était plus disposé à l'engager. Dans un arrêt légèrement postérieur (ATA/1592/2017 du 12 décembre 2017 consid. 2), la chambre administrative a précisé que l’étranger, même s’il n’est pas le destinataire de la décision de l’OCIRT, est directement touché par son contenu, puisque l’autorité intimée lui refuse une autorisation de séjour à l’année avec activité lucrative

Dans le canton de Vaud, le Tribunal cantonal admet la qualité pour recourir de l’étranger même s’il agit seul, car bien qu’il ne soit pas le destinataire de la décision entreprise rendue par le service de l’emploi, il est directement atteint par cette décision et dispose ainsi d’un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée (Arrêt du 17 novembre 2016 PE.2016.0171 ; cf. ég. arrêt du 22 janvier 2018 PE.2017.0260).

Le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) estime que l’étranger concerné est spécialement atteint par la décision de refus du secrétariat d'Etat aux migrations en matière d’approbation d’une décision préalable cantonale relative à l’autorisation d’exercer une activité lucrative ; il a en outre un intérêt digne de protection à son annulation (arrêt du 26 août 2015 C-5912/2011 consid. 2.2).

Il résulte de ce qui précède qu'il faut retenir la qualité pour recourir de la personne étrangère contre la décision préalable rendue par l'OCIRT concernant l'autorisation d'exercer une activité lucrative.

6.             Cela étant, en l'espèce, autre est la question de savoir quelle est la conséquence du fait que la recourante ne s'est pas vu notifier la décision de l'OCIRT du 6 septembre 2023.

7.             S'agissant de la notification des décisions administratives, l'art. 47 LPA prévoit qu'une notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties.

8.             La jurisprudence n'attache pas nécessairement la nullité à l'existence de vices dans la notification ; la protection des parties est suffisamment garantie lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré cette irrégularité (ATF 132 II 21 consid. 3.1). Il y a lieu d'examiner, d'après les circonstances du cas concret, si la partie intéressée a réellement été induite en erreur par l'irrégularité de la notification et a, de ce fait, subi un préjudice. Il convient à cet égard de s'en tenir aux règles de la bonne foi qui imposent une limite à l'invocation du vice de forme (ATF 122 I 97 consid. 3a/aa; arrêt 9C_863/2013 du 9 mai 2014 consid. 3.2). En vertu de ce principe, l'intéressé est tenu de se renseigner sur l'existence et le contenu de la décision dès qu'il peut en soupçonner l'existence, sous peine de se voir opposer l'irrecevabilité d'un éventuel moyen pour cause de tardiveté (ATF 139 IV 228 consid. 1.3 et les références). Cela signifie notamment qu'une décision, fût-elle notifiée de manière irrégulière, peut entrer en force si elle n'est pas déférée au juge dans un délai raisonnable (SJ 2000 I p. 118). Les mêmes principes s'appliquent en cas de défaut de toute notification d'une décision administrative (arrêts du Tribunal fédéral 9C_202/2014 du 11 juillet 2014 consid. 4.2 et les références ; 8C_188/2007 du 4 mars 2008 consid. 4.1.2 et la référence citée ; ATA/1299/2020 du 15 décembre 2020 consid. 7 ; ATA/1383/2017 du 10 octobre 2017 consid. 5b).

9.             Dans le cas d'espèce, la recourante affirme avoir eu connaissance de la décision de l'OCIRT au moment où elle a reçu celle de l'OCPM du 16 octobre 2023, soit le 17 octobre 2023. Elle s'est ensuite adjointe l'aide d'un avocat afin de l'assister dans le cadre de la présente procédure. Or, à ce jour, soit près de six mois après avoir eu connaissance de l'existence de la décision de l'OCIRT du 6 septembre 2023, la recourante, bien qu'assistée depuis plus de quatre mois par un mandataire professionnellement qualifié, n'a manifestement fait aucune démarche pour se procurer cette décision et n'a en tout état pas recouru à son encontre. Conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus, il lui appartenait pourtant, en application du principe de la bonne foi, de se renseigner sur le contenu de cette décision et de la déférer au juge dans un délai raisonnable. À défaut, la décision de l'OCIRT du 6 septembre 2023 est désormais entrée en force également à son égard, le grief de sa nullité s'avérant infondé au vu de ce qui vient d'être rappelé.

10.         Par voie de conséquence, dans la mesure où il reposait sur le présupposé de la nullité de la décision de l'OCIRT, le grief de nullité de la décision de l'OCPM du 16 octobre 2023 s'avère lui aussi infondé.

11.         Enfin, il convient de rappeler que lorsqu'un étranger ne possède pas de droit à l'exercice d'une activité lucrative, comme c'est le cas en l'occurrence, une décision cantonale préalable concernant le marché du travail est nécessaire pour l'admettre en vue de l'exercice d'une activité lucrative, ainsi que pour l'autoriser à changer d'emploi ou à passer d'une activité lucrative salariée à une activité lucrative indépendante (art. 40 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20).

La compétence pour rendre une telle décision est attribuée à l'OCIRT (art. 2 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10 et art. 6 al. 4 du règlement d'application de la loi fédérale sur les étrangers, du 17 mars 2009 - RaLEtr - F 2 10.01), dont la décision préalable lie l'OCPM (art. 6 al. 6 RaLEtr ; cf. aussi directives et circulaires du secrétariat d'État aux migrations, domaine des étrangers, état au 1er janvier 2021, ch. 1.2.3.2).

12.         En l'espèce, compte tenu de ce qui vient d'être rappelé, la présente procédure ne permet pas de revenir sur la décision préalable de l'OCIRT.

L’autorité intimée n’étant pas compétente pour se prononcer sur une demande d’autorisation de séjour avec activité lucrative, elle ne pouvait donc donner suite à la demande de la recourante. En tant qu’elle refuse ladite autorisation de séjour, la décision querellée était ainsi conforme au droit.

13.         Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation (ATA/1065/2021 du 12 octobre 2021 consid. 5a et les arrêts cités). Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI).

14.         En l'espèce, dès lors que la recourante ne dispose d’aucun titre de séjour, l'autorité intimée devait prononcer son renvoi. Pour le surplus, aucun motif ne permet de retenir que le renvoi de la recourante ne serait pas possible, licite ou ne pourrait raisonnablement être exigé.

15.         Enfin, s'agissant du fait que la décision litigieuse prononce son renvoi du territoire des États de l'Union européenne ou associés à Schengen, ce que la recourante conteste en raison du fait qu'elle dispose d'un titre de séjour italien, il convient d'observer que cette décision prévoit expressément une réserve pour le cas où la personne concernée dispose d'un droit de séjour sur le territoire de l'un de ces États. Par conséquent, sous cet angle également, la décision litigieuse s'avère conforme au droit.

16.         Mal fondé, le recours sera rejeté.

17.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais de même montant versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

18.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 15 novembre 2023 par Madame A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 16 octobre 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève,

 

La greffière