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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1020/2024

JTAPI/274/2024 du 26.03.2024 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1020/2024 LVD

JTAPI/274/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 26 mars 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Marc LIRONI, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 14 mars 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de douze jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située, ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci, ainsi que de C______ et D______.

2.             Selon cette décision, M. B______ était présumé avoir donné des coups à Mme A______ et, lors d'épisodes de violence précédent, l'avoir étranglée.

3.             Selon rapport de renseignement du 14 mars 2024, une patrouille de police était intervenue la veille à l'adresse susmentionnée en raison d'un conflit de couple. Sur place, Mme A______ avait ouvert la porte de l'appartement aux policiers qui avaient immédiatement constaté qu'elle présentait des blessures au niveau du visage, ainsi que la présence de gouttes de sang au sol dans le hall d'entrée. Il y avait des traces de lutte, notamment des objets cassés au sol dans le salon/cuisine. Elle avait expliqué avoir été violentée par son concubin, M. B______, dont elle avait reçu des coups de pied. Elle avait également été giflée et saisie avec force par le bras. M. B______ s'était frappé violemment lui-même avec un appareil à chauffer des paninis et une casserole. Quant à M. B______, il avait déclaré qu'une dispute avait éclaté avec sa concubine qui l'avait frappé en premier en lui donnant un coup sur la tête avec une casserole, suivi de coups échangés. Des photographies de l'état de l'appartement et des blessures des deux personnes étaient annexées au rapport. Lors du conflit, le fils du couple, C______, âgé de quatre ans, était présent et avait assisté à toute la dispute.

4.             Mme A______ et M. B______ ont été emmenés au poste de police, où ils ont été entendus le 13 mars 2024.

5.             Entendue en premier, Mme A______ a expliqué que le jour du conflit, elle avait envoyé à M. B______ un message pour lui souhaiter une bonne journée et il en avait fait de même. Alors qu'elle était au travail, il avait commencé à lui envoyer de nombreux appels téléphoniques, car il pensait qu'elle avait terminé. Dans l'un de ses messages, il lui avait demandé de le soutenir face à son addiction à la drogue. Cela faisait des années qu'il était dépendant, notamment à la cocaïne. Elle avait ensuite demandé de cesser de la harceler. Il ne cessait de la culpabiliser pour tout. À une reprise, il l'avait trompée, mais c'était de sa faute. Une fois, il l'avait frappé, mais c'était de sa faute également. Il lui attribuait à elle ses propres problèmes. Concernant son addiction, elle l'avait toujours soutenu afin qu'il cesse de se droguer. Il le lui avait toujours promis, depuis qu'ils avaient eu leur premier enfant en 2019. Il ne l'avait cependant jamais fait et elle lui avait donc envoyé un message en lui disant qu'elle allait arrêter de se sentir coupable de ses problèmes et addictions. Lorsqu'elle était arrivée à leur domicile, il ne lui avait pas adressé la parole mais avait embrassé leur fils. Plus tard, M. B______ avait commencé à lui parler, puis à lui reprocher qu'elle le trompait avec une personne qui lui « déglinguait la chatte ». Elle lui avait répondu qu'elle pouvait aller voir un gynécologue pour qu'il l'examine et indique si c'était vrai. Il lui avait alors jeté un torchon humide au visage et leur fils s'était mis à pleurer. M. B______ était parti sur le balcon pour finir sa cigarette en disant à leur fils qu'il ne verrait plus son père. Elle lui avait demandé comment il pouvait dire une chose pareille, puis il s'était mis à la regarder avec un air méchant, était venu vers elle et l'avait frappée avec sa main ouverte au niveau du visage du côté droit, à la hauteur de l'oreille. Elle n'avait pas vraiment senti le coup, car elle avait tenté de l'esquiver. Elle avait immédiatement dit à leur fils « Bébé, tu as vu que papa m'a tapé ». M. B______ s'était alors mis à se frapper tout seul avec un appareil à chauffer des paninis, cassant l'objet en deux. Ensuite, il s'était frappé avec une casserole sur la tête. Elle lui criait d'arrêter. Elle avait pris son fils et s'était installée sur le canapé à côté de la cuisine. M. B______ était venu sur elle et l'avait saisie avec force par le bras, se mettant à lui donner des coups de poing au niveau du visage et des coups de pied au niveau du ventre. Il l'avait poussée plusieurs fois contre la porte des WC, contre la porte d'entrée, et contre la porte de la voisine. C'était à ce moment-là qu'elle avait appelé la police. M. B______ ne l'avait ensuite plus touchée lorsqu'elle lui avait dit que la police était en route, mais s'était mis à nettoyer un peu l'appartement. Elle avait encore oublié de mentionner le fait qu'avant qu'elle appelle la police, il lui avait lancé une fruitière en verre qu'elle avait réussi à esquiver, puis il s'était mis à lui jeter des pommes dessus, mais aucune ne l'avait touchée. Puis sur la question de savoir si M. B______ l'avait menacée, elle a répondu négativement. En revanche, il l'avait injuriée en la traitant en français de « salope » et en espagnol de « pétasse ». Elle a admis avoir frappé M. B______ en se défendant et en le frappant au visage à plusieurs reprises avec des gifles. Sur question de savoir s'il y avait eu d'autres scènes de violence dans le passé, elle a répondu que la dernière fois qu'il l'avait frappée, c'était avant la naissance de leur deuxième enfant, environ trois ans auparavant. Il l'avait frappée avec une télécommande sur une partie du corps. Au début de leur relation, il avait commencé à se montrer jaloux à la suite d'une nuit passée en discothèque et s'était mis sur elle sur le lit et l'avait étranglée avec sa main, lui coupant la respiration pendant de longues secondes. Il avait même jeté un radiateur par la fenêtre. Elle n'avait pas fait appel à la police. Ils s'étaient rencontrés en tant que collègue de travail en 2016 et s'étaient mis en couple au début de l'année 2018. M. B______ buvait de l'alcool tous les jours, à raison d'au moins deux bières. En 2018, il l'avait trompée avec une cliente, alors qu'elle était enceinte de trois mois. Elle avait fait semblant de ne pas connaître cette histoire jusqu'à peu de temps auparavant. À la fin de l'année 2018, elle lui avait annoncé qu'elle était enceinte et il avait soupçonné de l'avoir trompé. Ce jour-là, il avait jeté son téléphone par la fenêtre et l'avait étranglée dans leur chambre, sur un matelas posé au sol. Elle avait fait appel à une ambulance, car elle ne se sentait pas bien. Le conflit avait commencé, car une amie avait laissé son sac à main chez elle et il s'y trouvait des préservatifs. Il avait cru que c'était l'un des sacs de sa concubine et l'avait accusée de le tromper. Ils avaient même fini par se faire « virer » de l'appartement à cause de leurs disputes. Il y avait ensuite eu une période d'accalmie, mais en 2020, elle avait commencé à voir le vrai visage de M. B______ et en avait eu assez de son comportement. De temps en temps, il faisait venir ses amis et ensemble, ils fumaient un peu des joints. Pour elle, fumer des joints de temps en temps n'était pas un problème, par contre, son compagnon consommait de l'alcool quotidiennement et était ivre tous les jours. Il buvait surtout de la bière et adorait ça. Son amour pour lui s'était petit à petit estompé. En 2021, ils avaient eu un deuxième enfant et il l'avait trompée une nouvelle fois. Elle avait arrêté son travail à la fin de l'année 2021 et s'était mise au chômage afin de profiter de ses enfants. Elle avait plus de temps pour elle et se faisait belle. Pendant l'année 2022, il avait commencé à lui reprocher sans cesse de le tromper, alors que cela n'était pas vrai. Le 31 janvier 2024, il était rentré à la maison et avait jeté une casserole de bolognaise contre le mur en renversant la nourriture. Il criait en disant n'importe quoi. Comme elle était en train de dormir, il l'avait réveillée en hurlant et en lui disant que la nourriture qu'elle avait préparée était de la « merde ». Elle avait toujours reproché à M. B______ ses addictions à l'alcool et à la drogue. Leurs enfants entendaient les disputes verbales mais n'avaient jamais assisté à des gestes violents, sauf ce jour même où C______ avait tout vu. Sur question de la police, elle a expliqué qu'elle n'avait jamais vu M. B______ consommer de la drogue à la maison, mais par contre au travail. En tant que père, elle n'avait rien à lui reprocher. Il avait toujours été très correct et attentionné avec ses enfants et n'avait jamais levé la main sur eux. Elle souhaitait que M. B______ soit éloigné de l'appartement quelque temps pour qu'il se calme.

6.             Suite à cette audition, M. B______ a expliqué pour sa part que depuis un certain temps, il avait l'impression que Mme A______ le trompait et il était devenu très jaloux. Il avait découvert sur son téléphone portable plusieurs photos d'elle nue, qu'elle ne lui avait jamais envoyé. Lorsqu'il lui avait demandé à qui elles étaient destinées, elle lui avait dit qu'elle les avait faites pour lui. Le 13 mars 2024, il était rentré du travail vers 16 heures et Mme A______ vers 17 heures. Il lui avait alors demandé si elle le trompait. Comme à son habitude, elle était devenue très hystérique et ne cessait de crier en lui disant qu'il la dégoûtait, que c'était toujours la même chose et qu'il lui « cassait les couilles ». De ce fait, il avait saisi un verre avec de l'eau et l'avait aspergée. Elle était venue vers lui et lui avait donné un coup sur le visage avec sa main droite ouverte en le griffant, puis lui avait poussé la tête en arrière. Suite à cela, il lui avait donné un coup pour la repousser, puis elle avait saisi un objet, peut-être le téléphone, et lui avait donné un coup sur la tête. Il l'avait encore repoussée et ensuite ils s'étaient battus. Depuis un certain temps, elle ne cessait de le provoquer pour qu'ils en arrivent là. Il avait vu que leur fils C______ ne cessait de pleurer et avait par conséquent par arrêter la dispute. Mme A______ avait fait remarquer à leur fils que son père la frappait. Concernant les objets cassés découverts par terre par la police, notamment une machine électrique à paninis, il a expliqué que Mme A______ avait saisi cet objet pour le frapper et qu'il avait essayé de le saisir. Ils étaient tous deux en train d'essayer de le prendre. Les hématomes que présentait Mme A______ au visage étaient probablement due à un coup de poing qu'il lui avait asséné lorsqu'ils étaient en train de se battre. Quant à la blessure sanglante qu'elle avait au niveau du doigt, elle l'avait certainement reçue en lui cassant une fruitière en verre contre la tête. Il admettait avoir donné des coups de poing à Mme A______, mais il avait essayé de la stopper avec sa jambe lorsqu'elle venait contre lui pour l'agresser. Il avait déjà eu plusieurs fois des conflits de la même intensité avec Mme A______. Elle l'avait déjà menacé à plusieurs reprises avec un couteau. Un jour, elle allait le poignarder. Pendant une certaine période, il n'osait même pas dormir, car il pensait qu'elle allait le poignarder pendant son sommeil. S'agissant du fait qu'il avait tenté de l'étrangler auparavant, il se souvenait de cette dispute qui avait eu lieu en janvier 2024. Il n'avait cependant pas tenté de l'étrangler, mais lui avait fait une clé pour la maîtriser. Elle lui avait asséné deux coups de pieds au niveau des côtes et il avait eu très mal pendant environ un mois et demi. Il était allé travailler tous les jours avec les douleurs par peur de perdre son emploi. C'était toujours lui qui faisait à manger et préparait le repas de sa compagne pour qu'elle puisse le prendre au travail. C'était le « bordel » à la maison, car elle n'y était jamais. Mme A______ variait constamment dans son attitude, l'insultant la veille et lui envoyant le lendemain un gentil message. Pour sa part, il lui avait envoyé le jour même un message pour lui dire qu'il se sentait seul dans son quotidien et seul à faire des efforts pour sauver leur couple. Ils n'avaient aucun réconfort. Concernant sa consommation de cocaïne, ils en avaient discuté à plusieurs reprises et il lui avait demandé de l'aider. Toutefois, une amie à elle venait très souvent à la maison et en amenait. Quand il faisait la fête, ils en consommaient ensemble avec sa compagne. Il lui avait fait part de son intention d'arrêter, mais elle débarquait avec de la drogue. Il contestait par ailleurs s'être frappé seul sur la tête avec une casserole et avec la machine à paninis ou l'avoir poussée contre les portes de l'appartement, même s'il était vrai qu'il l'avait repoussée avec un coup de pied lorsqu'elle venait vers lui. Il était vrai qu'il avait consommé de la cocaïne aujourd'hui même vers 11 heures. Il en consommait environ un jour sur deux.

7.             Entendue à nouveau après l'audition de M. B______, toujours le 13 mars 2024, Mme A______ a contesté avoir frappé son compagnon en premier. Il ne lui avait pas jeté de l'eau, mais bien un torchon humide. Elle ne l'avait pas frappé avec un objet sur la tête et n'avait pas touché la machine à paninis. C'était lui-même qui s'était frappé avec cet objet, de même qu'elle n'avait pas frappé M. B______ avec la fruitière en verre, avec laquelle il s'était lui-même frappé dans un premier temps, avant de la jeter au sol. La fruitière ne l'avait jamais touchée. Elle a également contesté avoir dans le passé menacé M. B______ avec un couteau. Quant à la scène d'étranglement, elle n'avait pas eu lieu au mois de janvier, mais avant les fêtes de fin d'année 2023. Il était lui-même couché dans le lit et quand elle était arrivée dans la chambre, il avait commencé à la traiter de « pute », puis il lui avait dit que sa mère était également une « pute ». Elle était montée sur le lit, debout à côté de lui et elle lui avait dit d'arrêter cela ou sinon elle allait également traiter sa mère de la même manière. Puis elle lui avait donné un coup de pied sur la côte gauche et il avait eu mal pendant quelques jours. Sa réaction avait été de la prendre par les cheveux, puis il lui avait fait une clé au niveau du cou en la serrant très fort. Après, il l'avait lâchée en la jetant par terre et elle était sortie de la chambre. Cela en était resté là. Concernant le fait qu'une amie à elle venait souvent à la maison et amenait de la cocaïne, Mme A______ a expliqué que cette amie venait avec sa consommation personnelle. Elle en proposait à M. B______ , mais elle ne lui mettait pas un couteau sous la gorge pour le forcer à en prendre. Elle ne lui en vendait pas, mais partageait. Elle-même en consommait de manière festive, mais cela n'avait pas été le cas depuis plus de quatre mois.

8.             Au rapport de renseignement susmentionné sont annexées deux attestations médicales établies le 13 mars 2024 par un médecin appelé au poste de police, pour chacun des deux concubins. S'agissant de Mme A______, il est constaté un hématome d'environ 5 cm sur le fond à droite, un autre d'environ 5 cm sur la joue à gauche, une phlyctène hémorragique au majeur de la main gauche, une trace de sang frais sur la joue gauche et sur le nez à gauche, ainsi qu'une griffure périunguéale. S'agissant de M. B______ il est constaté une contusion temporo-pariétale étendue à droite, une griffure linéaire sur la joue gauche sous l'œil et la mandibule, un hématome sur la face postérieure de la jambe droite, une contusion de l'articulation temporo-mandibulaire à gauche, sans limitation fonctionnelle, qui s'étendait sur la région temporale à gauche

9.             Par acte du 21 mars 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 26 mars 2024, Mme A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours, en expliquant que M. B______ avait continué à lui envoyer des messages, notamment le 16 mars 2024 à 04 h 47, messages qu'il avait par la suite effacés sans qu'elle ait eu la possibilité d'en prendre connaissance. Elle vivait toujours dans la peur que M. B______ la contacte ou lui fasse subir de nouvelles violences s'il pouvait rentrer au domicile conjugal. Elle était en train de chercher un nouvel appartement pour se constituer un nouveau domicile et ne plus revivre les violences qu'elle avait subies jusqu'à récemment. Elle était angoissée de rester dans l'appartement actuel qui avait été le lieu de plusieurs actes traumatisants.

10.         Vu l'urgence, le tribunal a informé M. B______ par téléphone du 26 mars 2024, de l'audience qui se tiendrait le même jour.

11.         Lors de cette audience, Mme A______ a sollicité la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours. Sur demande du tribunal, elle a confirmé qu'elle souhaitait effectivement quitter elle-même le domicile qu'elle occupait actuellement, car elle y avait vécu trop de choses négatives. Concrètement, elle s'était déjà adressée à la Fondation HLM. Elle a ajouté qu'elle avait repris un travail en 2022 en tant que serveuse dans la restauration.

M. B______ a indiqué qu'il avait de la difficulté à se déterminer par rapport à la demande de Mme A______ car il venait de recevoir copie du dossier et qu'il n'avait pas vraiment pu en prendre connaissance.

Cela étant, il comprenait que sa compagne ait besoin de calme durant une période un peu plus longue et il acceptait sa demande de prolongation mais il souhaiterait, par contre, pouvoir voir ses enfants et récupérer quelques affaires au domicile du couple.

Le tribunal a donné acte aux parties du fait qu'elles pouvaient passer par exemple par l'intermédiaire de la mère de M. B______ pour ce qui concernerait les contacts de ce dernier avec ses enfants et la possibilité de récupérer les affaires dont il aurait besoin.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, le tribunal constate sur la base du dossier que les violences au sein du couple sont admises par chacun des protagonistes et qu'elles sont bilatérales. Cela étant, il n'est pas nécessaire en l'état de déterminer à qui incombe leurs responsabilités, M. B______ ayant adhéré à la demande de prolongation de la mesure d'éloignement formulée par Mme A______.

En revanche, s'agissant des enfants, le tribunal constatera que la mesure d'éloignement était infondée en ce qu'elle interdisait à leur père d'avoir des contacts avec eux, étant donné qu'il ressort clairement des déclarations de Mme A______ que M. B______ a avec eux des rapports attentionnés et non violents. Par conséquent, la demande de prolongation de la mesure d'éloignement ne concernera pas les enfants C______ et D______.

Il sera donné acte à leurs parents de ce qu'ils passeront par une personne intermédiaire pour permettre aux enfants de passer de l'un de leur parent à l'autre.

 

5.             Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de trente jours, excepté en ce qui concerne les enfants C______ et D______.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 21 mars 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 14 mars 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet partiellement;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 25 avril 2024 à 17h, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit que cette mesure d'éloignement cesse de déployer ses effets dès ce jour en ce qui concerne les contacts entre Monsieur B______ et ses enfants C______ et D______ ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information, et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

Genève, le

 

La greffière