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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/780/2024

JTAPI/204/2024 du 07.03.2024 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL);PROLONGATION
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/780/2024 LVD

JTAPI/204/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 7 mars 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Le 29 février 2024, la police est intervenue au domicile de Messieurs A______ et B______ au ______[GE] pour un conflit de couple.

Elle avait été appelée par Madame C______, amie de M. A______, lequel lui avait dit s’être fait violenter dans son logement par son conjoint et lui avait demandé de venir la chercher.

2.             M. A______ a été entendu par la police le 29 février 2024. Des photos de ses blessures ont été prises.

Il avait eu une discussion avec son ami à son retour du travail et le ton était monté. Son ami avait commencé à préparer une valise pour quitter le domicile et il avait alors « explosé ». Il l’avait poussé, lui avait donné une dizaine de « baffes » et l’avait ensuite poussé sur le lit. Il lui avait également donné une dizaine de coups de pied alors qu’il était allongé sur le lit. Lui-même lui avait alors attrapé les jambes et lui avait dit d’arrêter. M. B______ lui avait alors bloqué les jambes et lui avait mis des claques au visage et au cou, une dizaine selon lui ; c’était vraiment très fort et très violent. Il avait alors réussi à le neutraliser ; il lui avait saisi les deux bras à la hauteur des coudes. Son conjoint avait toutefois réussi à le mordre à quatre reprises aux bras.

Son conjoint avait alors saisi un pistolet de massage et l’avait frappé à la tête au moins deux ou trois fois ; l’appareil s’était cassé. C’était à ce moment-là qu’il s’était défendu, il avait réussi à se libérer et était allé en direction du couloir mais il avait été rattrapé et son conjoint lui avait donné des claques sur l’arrière de la tête.

Il avait alors appelé son amie. Il avait ensuite un trou de mémoire mais la dispute avait continué. M. B______ avait pris des médicaments. Pour terminer, ce dernier les avait alors enfermés dans l’appartement.

Il s’agissait environ de la 5è fois qu’il était victime de violence de la part de M. B______. Il se faisait régulièrement insulter.

Il lui avait donné des claques pour se défendre. Il lui était déjà arrivé une fois de le frapper pour se défendre mais il ne se souvenait plus quand cela s’était passé.

Leur couple n’allait pas bien et il s’était rendu compte qu’il acceptait de se faire frapper, ce qu’il ne pouvait continuer à faire.

3.             Lors de son audition par la police le même jour, M. B______ a notamment indiqué qu’un conflit de couple avait éclaté au sujet d’infidélités que soupçonnait son conjoint. Il reconnaissait lui avoir donné une dizaine de « baffes », l’avoir poussé, lui avoir donné des coups de pied et l’avoir mordu à quatre reprises, pour se défendre. Il avait lancé un appareil de massage sur une valise mais ne croyait pas avoir touchée son copain. Il avait également enfermé ce dernier dans l’appartement pour ne pas qu’il fasse de bêtises – soit se faire du mal ou trainer dans les bars.

Il leur arrivait de se frapper mutuellement mais c’était équitable car ils étaient deux hommes.

Le couple allait se séparer, lui-même ayant des appartements à visiter.

4.             Par décision du 29 février 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de M. B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de M. A______, située, ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celui-ci.

Selon cette décision, M. B______, par ses agissements à l’encontre de M. A______ s’était rendu coupable de lésions corporelles simples, voies de faits, injures et contrainte. Selon la victime, les violences seraient récurrentes, néanmoins, aucun dossier d’antécédents ne ressortait des archives de la police.

5.             M. B______ ne s’est pas opposé à la mesure d’éloignement.

6.             Par acte du 6 mars 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, M. A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours, en expliquant que, malgré la mesure, M. B______ avait, à plusieurs reprises, tenté de le joindre par téléphone ou par messages, notamment les 29 février, et 2 et 4 mars 2024.

M. B______ n’étant pas titulaire du bail, il s’était résolu à procéder au changement des serrures de son appartement, par peur que M. B______ eut fait des doubles des clefs à son insu.

Il vivait dans la peur profonde que M. B______ put l’approcher à nouveau. Outre le fait que ce dernier ait déjà tenté de le joindre, la violence des coups qu’il lui avait portés le 29 février 2023 lui faisait craindre une escalade dans son comportement instable.

7.             Vu l'urgence, le tribunal a informé par téléphone du 6 mars 2024 de l'audience qui se tiendrait le 7 mars 2024.

8.             Lors de l’audience du 7 mars 2024 devant le tribunal, M. A______ a confirmé sa demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours. Il avait averti plusieurs fois son compagnon que son comportement n'était pas admissible, mais il y avait quand même eu la violence du 29 février dernier. Il ne savait pas aujourd'hui quel allait être l'avenir de son couple. Il ne pouvait pas en l'état envisager que M. B______ revienne au domicile le 10 mars prochain déjà, il avait besoin d'un peu de temps. Il n’était pas opposé à ce que M. B______ récupère ses affaires, c’était les siennes et il en avait besoin : une tierce personne pouvait sans problème venir les récupérer. Il n’était pas fermé à discuter avec M. B______ mais c'était encore trop tôt. Il avait de la peine à gérer la situation émotionnellement. Il était difficile pour lui de voir M. B______ ici à côté de lui à l'audience, il avait encore des sentiments pour lui. Il n’était actuellement pas serein ni tranquille, ses journées étaient « catastrophiques ». M. B______ avait des réactions disproportionnées; il entendait toutefois la difficulté de sa situation et il vivait aussi une situation difficile.

M. B______ a indiqué s'opposer à la demande de prolongation de la mesure d'éloignement. Il n’avait pas contacté d'institution habilitée à recevoir les personnes éloignées car il n’avait pas compris les démarches qu’il devait entreprendre. Il n’était pas sûr d'avoir reçu la liste desdites institutions. Il a pris note qu’il devait impérativement contacter une de ces institutions. Il avait tenté de contacter M. A______ pour s'excuser et tenter d'apaiser les choses. Il a pris note qu’il avait la formelle interdiction de le contacter au vue de la mesure prise à son encontre. Il était conscient de la peur dans laquelle M. A______ vivait, il vivait également dans la peur. Il allait chercher un appartement ou une sous-location car actuellement il habitait chez M. A______. Ce dernier l’avait déjà précédemment mis à la porte de l'appartement; il avait besoin d'avoir un lieu à lui. C’était très difficile pour lui de vivre avec M. A______ car il était très rationnel et lui émotionnel. Pour lui, leur couple n'était pas terminé mais il avait besoin de discuter avec M. A______ de la situation. Il entendait que M. A______ avait besoin de temps, il ne le comprenait pas mais il devait le respecter. Il prenait des antidépresseurs et des médicaments contre l'anxiété et il ne pouvait pas attendre un mois avant de parler avec M. A______. Si la mesure n'était pas prolongée, il s’engageait à ne pas contacter M. A______ et était disposé à attendre que lui le contacte quand il serait prêt. Il n’allait pas arriver à ne pas pouvoir contacter M. A______ pendant 30 jours, c'était trop long.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l’espèce, les deux parties ne contestent pas le déroulement des faits ayant entrainé le prononcé de la mesure d’éloignement. M. B______ reconnait effectivement avoir usé de violence envers son compagnon lors de la dispute qui a éclaté le 29 février dernier et ce dernier s’est effectivement défendu.

Il ressort des déclarations des parties en audience devant le tribunal que chacune d’elle a déposé plainte pénale à l’encontre de l’autre et qu’une audience est appointée le 10 avril 2024. M. B______ reconnait ne pas avoir encore contacté une institution habilitée à l’entretien thérapeutique et juridique, expliquant ne pas avoir compris qu’il devait le faire. Il a par ailleurs, et en enfreignant la mesure, tenté de contacter M. A______ à plusieurs reprises, souhaitant discuter avec lui pour apaiser la situation et s’excuser.

Il apparait que les deux conjoints souhaitent que les choses s’apaisent et qu’ils puissent discuter de leur couple. Toutefois, M. A______ indique ne pas encore être prêt à se retrouver en face de son compagnon ou sous le même toit, ayant encore peur de lui ; il indique avoir de la peine à gérer émotionnellement la situation. Quant à M. B______, il explique vouloir trouver un logement séparé et ne pas avoir l’intention de venir revivre auprès de son compagnon, mais souhaite toutefois pouvoir continuer sa vie de couple et surtout contacter M. A______ pour discuter et apaiser les choses : c’était la raison pour laquelle il avait tenté de contacter son compagnon malgré la mesure d’éloignement. Il lui paraissait surtout impossible d’attendre un mois avant de pouvoir le recontacter.

Au vu de la situation, notamment de la violence subie le 29 février 2024, de la peur clairement encore exprimée par M. A______ et la difficulté pour M. B______ de comprendre que son compagnon a besoin de temps avant de pouvoir discuter avec lui et qu’il ne doit pas précipiter les choses, le tribunal estime prématuré que les deux parties puissent à nouveau se rencontrer, voire se retrouver dans un domicile commun – même si M. B______ a indiqué vouloir se constituer un domicile séparé – le 10 mars 2024 déjà. Une prolongation de trente jours comme sollicitée apparait cependant disproportionnée, raison pour laquelle elle sera prononcée pour une durée de dix jours, durée permettant encore à chacun d’apaiser ses peurs et pouvoir envisager de se revoir et entamer des discussions le plus sereinement possible.

5.             Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de dix jours, soit jusqu’au 20 mars 2024 à 17h00.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA-GE - E 5 10).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Monsieur A______ le 6 mars 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 29 février 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de dix jours, soit jusqu'au 20 mars 2024 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information..

Genève, le

 

La greffière