Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/2617/2023

JTAPI/96/2024 du 06.02.2024 ( OCPM ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : REGROUPEMENT FAMILIAL
Normes : LEI.44; LEI.47; LEI.47.al3.letb; CEDH.8
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2617/2023

JTAPI/96/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 6 février 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, agissant en son nom et celui de sa fille mineure B______, représentés par Me Yves RAUSIS, avocat, avec élection de domicile

 

contre

 

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1963, est ressortissant libanais.

2.             Il est le père de trois enfants, (C______, D______ et B______), résidant au Liban, issus de sa relation avec Madame E______, dont il est divorcé depuis le ______ 2011.

3.             Le ______ 2016, à Meyrin, M. A______ a contracté mariage avec Madame F______, ressortissante suisse née le ______ 1950.

Dans le cadre de l’instruction de sa demande d’attestation en vue de mariage, M.  A______ avait précisé à l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM), par courrier du 29 mars 2016, qu’il était entré en Suisse au bénéfice d’un visa Schengen délivré par l’ambassade de France à Lomé (Togo) où il avait vécu dix-huit ans et travaillé durant douze comme directeur d’exploitation au G______. Mme F______ avait quant à elle indiqué par courrier du 22  juin 2015 qu’ils s’étaient rencontrés en décembre 2011 à Ferney-Voltaire (France) où il résidait au bénéfice d’un visa. Ils se fréquentaient depuis lors, sauf quand M.  A______ devait quitter la zone Schengen à cause de son visa.

4.             Le 7 juillet 2016, M. A______ a obtenu une autorisation de séjour (permis B), régulièrement renouvelée au titre de regroupement familial avec son épouse.

5.             Le 27 mars 2020, il a déposé auprès de l’OCPM une demande de regroupement familial (formulaire M) en faveur de sa fille B______, née le ______ 2006 à Ali Nahri (Liban). Dans la lettre de motivation accompagnant cette demande, il a expliqué que Mme E______ ne pouvait plus s’occuper de sa fille pour des raisons professionnelles.

6.             Le 5 avril 2022, M. A______ a obtenu une autorisation d’établissement (permis  C).

7.             Par courrier du 3 juin 2022, dans le cadre de l’examen de sa requête de regroupement familial, l’OCPM a demandé à M. A______ de lui fournir un certain nombre de pièces, notamment des justificatifs de ses moyens financiers, une copie d’un jugement lui octroyant l’autorité parentale et la garde exclusive de sa fille ainsi qu’une attestation de scolarité de cette dernière.

8.             En réponse, M. A______ a produit les pièces demandées, avec leurs traductions certifiées conformes, soit : un acte de cession de droit de garde du 27 juin 2022, établi devant le Maire de la localité d’Ali Nahri (Liban) selon lequel Mme E______ avait déclaré céder le droit de garde sur sa fille et autoriser cette dernière à voyager en vue de résider avec son père à l’étranger, où elle resterait sous sa garde ; une attestation de scolarité indiquant que B______ était inscrite en classe de première secondaire, pour l’année 2021/2022, au sein de l’Ecole Secondaire H______, district de Zahlé (Liban) ; un contrat de bail à loyer du 12 août 2022, cosigné par Mme F______, portant sur un appartement de quatre pièces sis rue ______(GE), au loyer mensuel de CHF 1'581.- charges comprises ; une attestation d’absence d’aide de l’Hospice général du 20 septembre 2022 ; un extrait (vierge) du registre des poursuites du 22 septembre 2022 et une copie du bilan 2021 de son entreprise  « I______ ».

9.             Par courrier du 24 février 2023, l’OCPM a fait part à M. A______ de son intention de ne pas donner une suite favorable à sa requête. Un délai de trente jours lui a été imparti pour exercer par écrit son droit d’être entendu.

10.         Par courrier du 27 mars 2023, M. A______ a fait valoir en substance que la mère de B______ avait quitté le Liban, pour des raisons professionnelles, et vivait désormais en Afrique. Suite à ce départ survenu quelques mois avant le dépôt de la demande de regroupement familial, B______ avait vécu chez sa grand-mère paternelle mais cette dernière était décédée en septembre 2022. Son grand-père était quant à lui décédé en 2000. Elle n’avait dès lors plus aucun membre de sa famille au Liban. Ses frères, majeurs, avaient leurs propres préoccupations personnelles et professionnelles, de sorte qu’ils ne pouvaient la prendre en charge. Même si elle était désormais âgée de 17 ans et que sa garde et son entretien étaient assurés, elle n’avait plus de domicile dans lequel elle pourrait vivre à l’abri et en sécurité. Enfin, la situation sociale et économique catastrophique que connaissait le Liban plaidait en faveur d’une exception au délai applicable au regroupement familial.

11.         Par décision du 15 juin 2023, l’OCPM a refusé de donner une suite favorable à la demande d’octroi d’une autorisation d’entrée et de séjour en faveur de B______.

La demande formulée le 27 mars 2020 était tardive, M. A______ disposant d’un délai d’un an à partir du ______ 2018 (anniversaire de douze ans de sa fille), soit au ______ 2019, pour la déposer. De plus, l’intéressé n’avait pas démontré l’existence de raisons familiales majeures permettant de justifier un regroupement familial différé. En particulier, ses déclarations n’étaient pas étayées et aucun justificatif n’avait été produit quant à l’impossibilité de la mère de B______ de s’occuper de sa fille. Certes, il y avait eu un changement de prise en charge suite au décès de la grand-mère paternelle avec laquelle B______ vivait, mais rien ne démontrait qu’elle ne pourrait pas vivre auprès de sa mère. Pour le surplus, âgée de dix-sept ans, elle devait être apte à se prendre en charge de manière autonome, ce d’autant que sa garde et son entretien étaient assurés. Enfin, l’argument de la situation socio-économique au Liban était de nature à faire présumer que la demande n’avait pas pour but d’assurer prioritairement une vie familiale en Suisse mais plutôt de faciliter l’établissement et l’accès au marché du travail de B______ sur le territoire helvétique.

S'agissant enfin de la prise en compte de l'intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l'art. 3 al. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 2  novembre 1989 (CDE ; RS 0,107), il convenait de retenir que B______ résidait actuellement au Liban, où elle était scolarisée et avait passé toute son enfance et son adolescence. Elle semblait parfaitement intégrée dans son pays d'origine et ne disposait d'aucun lien avec la Suisse. Par ailleurs, il n’était pas admissible que, par le biais de l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), une personne ne disposant d'aucun droit à faire venir sa famille proche en Suisse, puisse obtenir des autorisations de séjour pour celle-ci sans que les conditions posées par le droit interne ne soient réalisées.

12.         Par acte du 16 août 2023, sous la plume d’un conseil, M.  A______ et B______, agissant par son père, ont interjeté recours contre cette décision, concluant principalement, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à ce qu’une autorisation de séjour soit délivrée en faveur de la recourante. Cette dernière sollicitait par ailleurs son audition, le cas échéant par la représentation suisse au Liban.

Pour rappel, compte tenu des réitérés voyages de la mère de la recourante et de l’installation de cette dernière en Afrique durant plusieurs années, elle avait passé son enfance auprès de sa grand-mère paternelle, décédée en 2022. Aujourd’hui, sa mère était de retour au Liban mais elle habitait « dans une région éloignée » afin de s’occuper de sa propre mère infirme. Quant à ses deux frères, âgés respectivement de trente et vingt-quatre ans, ils vivaient au Liban mais peinaient à subvenir à leurs propres besoins de sorte qu’ils ne pouvaient pas la prendre en charge.

Après avoir travaillé pour divers employeurs suisses, le recourant avait créé en date du 2 janvier 2019 sa propre entreprise, I______, et cette activité lui permettait de dégager un salaire mensuel d’environ CHF 5’000.-. Quant à son épouse, elle était à la retraite et percevait une rente de l’assurance-vieillesse. Ils occupaient tous deux un appartement de quatre pièces à ______(GE).

Concernant les conditions du regroupement familial, le recourant avait déposé la demande dix mois seulement après l’échéance du délai légal. En comparaison, l’OCPM avait prononcé sa décision plus de trois ans après l’introduction de la requête. De plus, au moment du dépôt de la demande, la recourante était âgée de treize ans, ce qui était l’âge déterminant. Son âge actuel ne pouvait dès lors être retenu en sa défaveur. Un changement important de circonstances était en outre intervenu en cours de procédure, à savoir le décès de sa grand-mère paternelle le ______ 2022. Livrée à elle-même depuis cette date, les contacts avec son père étaient devenus le seul soutien dont elle bénéficiait. Sa mère, qui avait cédé ses droits parentaux à son père, ne souhaitait pas la prendre en charge ni s’occuper d’elle, préférant se consacrer à sa propre mère, dont l’état de santé nécessitait une présence et de soins permanents.

En raison de la situation du Liban, pays victime d’attentats et dévasté par une crise économique et humanitaire notoire, le recourant était très préoccupé pour la sécurité, voire la vie de sa fille. Il devenait dès lors urgent d’autoriser sa venue en en Suisse. Par ailleurs, l’ensemble des démarches entreprises depuis qu’elle avait treize ans démontraient que le but de la demande n’était pas d’éluder les prescriptions relatives au regroupement familial ou de faciliter son accès au marché du travail. Ces motifs étaient uniquement liés à la présence de son père et de sa belle-mère en Suisse. Une solution alternative de garde avait certes été mise en place au moment du décès de sa grand-mère puisque la recourante vivait depuis auprès de ses oncles paternels, en changeant régulièrement de lieu de domicile. Cette solution n’était cependant que provisoire et contraire à son bien-être. Pour le surplus, la recourante maitrisait le français et son intégration à Genève serait encore facilitée par la présence de sa belle-mère, ressortissante suisse. Compte tenu de ces éléments, il existait des raisons familiales majeures justifiant un regroupement familial différé.

Enfin, compte tenu des circonstances déjà exposées, le refus prononcé par l’OCPM contrevenait aux art. 3 al. 1 CDE et 8 CEDH, étant relevé que sa vie familiale ne pouvait être entretenue avec son père depuis le Liban, compte tenu de la distance et de l’instabilité et l’insécurité patentes de ce pays. Depuis son arrivée en Suisse, son père avait entrepris toutes les démarches possibles en vue de maintenir le lien avec elle, par des contacts quotidiens et des visites au Liban plusieurs fois par an. Des documents en attestant seraient fournis prochainement. Le retard pris pour le dépôt de la demande s’expliquait uniquement par le fait que le recourant avait préféré attendre de bénéficier des moyens financiers suffisants pour assurer la prise en charge de sa fille en Suisse.

Ils ont joint un chargé de pièces dont, notamment, une copie de l’acte de naissance de la recourante, un extrait du registre du commerce genevois de l’entreprise individuelle I______ inscrite le ______ 2019, une copie du bilan et du compte de résultat de cette entreprise au 31 décembre 2021 et une lettre de Mme F______ du 14 août 2023 appuyant le regroupement familial.

13.         Dans ses observations 17 octobre 2022, l’OCPM a conclu au rejet du recours,

Le regroupement familial différé devait être autorisé avec retenue et demeurer l’exception.

En l’occurrence, actuellement âgée de 17 ans révolus, la recourante était en bonne santé et avait grandi au Liban où résidait toute sa famille, à l’exception de son père. En outre, vu son âge, elle devrait bientôt être capable de vivre de manière autonome, le cas échéant avec l'appui financier du recourant depuis la Suisse, lequel l'avait toujours aidée économiquement. Par ailleurs, il ne ressortait pas du dossier que, suite au décès de sa grand-mère paternelle en 2022, aucune solution alternative de garde ne pourrait être trouvée dans son pays, étant relevé qu’elle était actuellement prise en charge par ses oncles et qu’il n’apparaissait pas qu’elle n’aurait pas de contacts ou relations avec ses frères ainés. Il n’était donc pas établi à satisfaction de droit qu’il n’existait aucune solution de garde de la recourante pour une année supplémentaire.

14.         Les recourants ont répliqué le 10 novembre 2023, sous la plume de leur conseil.

Divers facteurs avaient empêché le recourant de respecter les délais légaux du regroupement familial, notamment des conditions financières et logistiques. Il avait ainsi décidé de stabiliser sa situation avec son épouse avant d'organiser la venue de sa fille en Suisse. Disposant d'une situation plus confortable, notamment professionnelle suite de la création de sa société à Genève, ils souhaitaient, avec son épouse, que l’opportunité leur soit donnée de vivre avec la recourante.

Concernant l’existence de raisons familiale majeures, l’appréciation de l’autorité était erronée. Depuis le décès de sa grand-mère paternelle, la recourante était ballottée entre les foyers de ses oncles paternels, lesquels la prenaient en charge provisoirement, voire alternativement, sans réelle structure familiale stable. Elle évoluait ainsi dans un environnement familial particulièrement difficile, caractérisé par un désintérêt généralisé des membres de sa famille, en particulier de sa mère et de ses frères. Il n’existait pas d’alternative autre que de faire perdurer cette situation insatisfaisante, seul son père étant en mesure de prendre soin et de lui fournir de l’affection. Pour rappel, Mme E______ ne pouvait s'occuper de sa fille, car elle se dévouait à sa propre mère à Beyrouth, profondément atteinte dans sa santé.

Les liens familiaux entretenus entre le recourant et sa fille étaient d’une intensité rare, en dépit d’une séparation qui leur avait été imposée durant de longues années, et entrait dans le champ d’application de l’art. 8 CEDH.

Par ailleurs, le tribunal devait prendre en considération, la situation géopolitique et sociale du Liban, qu’ils rappelaient, et en particulier le fait que, selon les us et coutumes de ce pays, une femme célibataire devait vivre dans le giron familial. Enfin, au regard de la CDE, le bien-être de la recourante ne pouvait être garanti que par le regroupement familial avec son père. Contrainte de grandir sans parent ni soutien familial, elle se trouvait en effet dans une situation douloureuse qui impactait sa construction personnelle et identitaire. Compte tenu de ce contexte, le recourant était inquiet pour l’intégrité physique et psychique de sa fille, étant souligné qu’elle habitait à J______, village du District de Bekka, situés à quelques kilomètres de la frontière syrienne.

A l’appui de leurs écritures, ils ont produit un chargé de pièces complémentaires, notamment : une lettre de la recourante expliquant sa situation, les liens forts la liant à son père et les raisons pour lesquelles elle souhaitait venir en Suisse, des copies traduites des actes de décès de son grand-père et de sa grand-mère paternels et une attestation (traduite) du 6 novembre 2023 de Monsieur K______, Maire D'J______, indiquant que Mme E______ était, depuis plus de cinq ans, le seul soutien de sa mère handicapée, dans sa maison sise à Beyrouth, et que sa fille B______ vivait avec son oncle, Monsieur L______, depuis le décès de sa grand-mère.

15.         Par duplique du 22 novembre 2023, l’OCPM a indiqué qu’il n’avait pas d’observations complémentaires à formuler.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.                  Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b).

5.                  A titre préalable, la recourante sollicite son audition, le cas échéant par la représentation suisse au Liban.

6.                  Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit, pour l’intéressé, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Toutefois, le juge peut renoncer à l’administration de certaines preuves offertes, lorsque le fait dont les parties veulent rapporter l’authenticité n’est pas important pour la solution du cas, lorsque les preuves résultent déjà de constatations versées au dossier ou lorsqu’il parvient à la conclusion qu’elles ne sont pas décisives pour la solution du litige ou qu’elles ne pourraient l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_576/2021 du 1er avril 2021 consid. 3.1 ; 2C_946/2020 du 18 février 2021 consid. 3.1).

En revanche, le droit d’être entendu ne confère pas celui de l’être oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_381/2021 du 17 décembre 2021 consid. 3.2 ; cf. aussi art. 41 in fine LPA).

7.                  La CDE prévoit que les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité (art. 12 al. 1 CDE). A cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale (art. 12 al. 2 CDE).

A l'instar de ce qui prévaut pour l'art. 29 Cst., cette norme conventionnelle ne confère cependant pas à l'enfant le droit inconditionnel d'être entendu oralement et personnellement dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant. Elle garantit seulement qu'il puisse faire valoir d'une manière appropriée son point de vue, par exemple dans une prise de position écrite de son représentant (ATF 124 Il 361 consid. 3 et 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A 432/2012 du 23 juillet 2012 consid.'3.2). Tribunal fédéral 5A 432/2012 du 23 juillet 2012 consid. 3.2). Ces dernières considérations valent aussi pour l'art. 47 al. 4 LEI qui prévoit à sa deuxième phrase que « si nécessaire, les enfants de plus de quatorze ans sont entendus » (arrêts du Tribunal fédéral 2C_303/2014 du 20 février 2015 consid. 5.1 ; 2C_192/201 1 du 14 septembre 2011 consid. 3.3.2).

8.                  En l’occurrence, le tribunal estime que le dossier contient les éléments suffisants et nécessaires pour statuer en toute connaissance de cause sur le litige, de sorte qu’il n’apparaît pas utile de procéder à l’audition de la recourante. En tout état, représentée par son père et leur mandataire, elle a pu faire valoir ses arguments, dans le cadre du recours et des écritures subséquentes, notamment la réplique du 10  novembre 2023 et sa lettre de motivation l’accompagnant, et produire tout moyen de preuve utile, sans qu’elle n’explique ce qui, dans la procédure écrite, l’aurait empêchée d’exprimer ses arguments de manière pertinente et complète.

Dès lors, la demande d’audition de la recourante par la représentation suisse au Liban, en soi non obligatoire, sera rejetée.

9.                  La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l’OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (cf. art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants du Liban.

10.              Selon l'art. 44 al. 1 LEI, le conjoint étranger du titulaire d'une autorisation de séjour ainsi que ses enfants étrangers de moins de 18 ans peuvent obtenir une autorisation de séjour et la prolongation de celle-ci aux conditions cumulatives suivantes : ils vivent en ménage commun avec lui (let. a) ; ils disposent d'un logement approprié (let. b) ; ils ne dépendent pas de l'aide sociale (let. c) ; ils sont aptes à communiquer dans la langue nationale parlée au lieu de domicile (let. d) ; la personne à l'origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30) ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial (let. e).

11.              L’art. 44 LEI, par sa formulation potestative, ne confère pas un droit au regroupement familial (ATF 137 I 284 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_548/2019 du 13 juin 2019 consid. 4), l'octroi d'une autorisation de séjour étant laissé à l'appréciation de l'autorité (ATF 139 I 330 consid. 1.2 ; 137 I 284 consid. 1.2).

12.              Le regroupement familial doit être demandé dans un délai de cinq ans (art. 47 al. 1 LEI). Pour les enfants de plus 12 ans, le regroupement doit intervenir dans un délai de douze mois. Pour les membres de la famille d’étrangers, les délais commencent à courir lors de l’octroi de l’autorisation de séjour ou lors de l’établissement du lien familial (art. 47 al. 3 let. b LEI). Il est respecté si la demande de regroupement familial est déposée avant son échéance (ATA/1109/2023 du 10 octobre 2023 consid. 2.2 et les références citées). Selon le texte clair de la disposition et conformément à la volonté du législateur, le délai de l'art. 47 al. 1 LEI s'applique également au conjoint du regroupant (principe confirmé in arrêt du Tribunal fédéral 2C_323/2018 du 21 septembre 2018 consid. 4.2.2 et 4.2.4 et les références citées). Les délais fixés par la législation sur les personnes étrangères ne sont pas de simples prescriptions d’ordre, mais des délais impératifs, dont la stricte application ne relève pas d’un formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_285/2015 du 23 juillet 2015 consid. 2.3).

13.              Selon la jurisprudence, la survenance d'une circonstance ouvrant à l'étranger un véritable droit au regroupement familial (telle la délivrance d'une autorisation d'établissement ou l'octroi de la nationalité suisse à un étranger jusque-là titulaire d'une autorisation de séjour) fait courir un nouveau délai à compter de l'ouverture de ce droit, pour autant qu'une première demande (demeurée infructueuse) ait été déposée dans les délais prévus par l'art. 47 al. 1 et al. 3 LEI et que la seconde demande intervienne également dans ces délais (cf. ATF 137 II 393 consid. 3.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_409/2018 du 23 janvier 2019 consid. 3.10, 2C_323/2018 du 21 septembre 2018 consid. 3 ; 2C_259/2018 du 9 novembre 2018 consid. 3.1, 2C_787/2016 du 18 janvier 2017 consid. 5 et la jurisprudence citée).

14.              Le moment déterminant du point de vue de l'âge comme condition du droit au regroupement familial en faveur d'un enfant (art. 42 ss LEI) est celui du dépôt de la demande (ATF 136 II 497 consid. 3.7 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_409/2018 du 23 janvier 2019 consid. 3.1). La condition est réalisée et le droit doit être reconnu si, à ce moment, l'enfant n'a pas atteint l'âge limite. Le droit au regroupement ne disparaît pas lorsque l'enfant atteint cet âge pendant la suite de la procédure, avant que l'autorisation ne lui soit octroyée (ATF 136 II 497 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_84/2010 du 1er octobre 2010 ; ATA/313/2019 du 26 mars 2019 consid. 7b).

15.              Les délais prévus à l’art. 47 LEI visent à permettre une intégration précoce (ATF 133 II 6 consid. 5.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1176/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.2.) et ont également pour objectif la régulation de l’afflux d’étrangers (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.2). Ces buts étatiques légitimes sont compatibles avec la CEDH (ATF 142 II 35 consid. 6.1). Le Tribunal fédéral a précisé que même si le législateur a voulu soutenir une intégration des enfants le plus tôt possible, les délais fixés par la loi sur les étrangers ne sont pas de simples prescriptions d'ordre, mais des délais impératifs, leur stricte application ne relevant dès lors pas d'un formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_289/2019 du 28 mars 2019 consid. 5).

16.              En l’espèce, titulaire d’une autorisation de séjour lors du dépôt de sa demande, le recourant devait solliciter le regroupement familial sur la base de l’art. 44 al. 1 LEI au plus tard une année suivant le douzième anniversaire de la recourante, soit le ______ 2019. Déposée le 27 mars 2020, sa demande est donc tardive, ce qui n’est pas contesté, étant souligné que, conformément aux principes susmentionnés, la délivrance d’une autorisation d’établissement au recourant, le 5 avril 2022, n’a pas fait courir un nouveau délai.

17.              Passé le délai de l’art. 47 al. 1 LEI, l’autorisation sollicité ne peut être délivrée que pour des raisons familiales majeures (al. 4).

18.              Les raisons familiales majeures au sens des art. 47 al. 4 LEI et 73 al. 3 OASA peuvent être invoquées, selon l'art. 75 OASA, lorsque le bien de l'enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse. C'est l'intérêt de l'enfant, non les intérêts économiques (prise d'une activité lucrative en Suisse), qui prime. Selon la jurisprudence, il faut prendre en considération tous les éléments pertinents du cas particulier. Il y a lieu de tenir compte du sens et des buts de l'art. 47 LEI. Il s'agit également d'éviter que des demandes de regroupement familial différé soient déposées peu avant l'âge auquel une activité lucrative peut être exercée lorsque celles-ci permettent principalement une admission facilitée au marché du travail plutôt que la formation d'une véritable communauté familiale. D'une façon générale, il ne doit être fait usage de l'art. 47 al. 4 LEI qu'avec retenue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.3 et les références citées).

19.              Des raisons familiales majeures sont données au sens de l'art. 47 al. 4 LEI notamment le cas lorsque des enfants se trouveraient livrés à eux-mêmes dans leur pays d'origine, par exemple en cas de décès ou de maladie de la personne qui en a la charge (arrêt du Tribunal fédéral (2C_1025/2017 du 22 mai 2018 consid. 6.1).

Quand le regroupement familial est demandé en raison de changements importants des circonstances à l'étranger, il convient d'examiner s'il existe des solutions alternatives permettant à l'enfant de rester où il vit. De telles solutions correspondent en effet mieux au bien-être de l'enfant, parce qu'elles permettent d'éviter que celui-ci ne soit arraché à son milieu et à son réseau de relations de confiance. Cette exigence est d'autant plus importante pour les adolescents qui ont toujours vécu dans leur pays d'origine dès lors que plus un enfant est âgé, plus les difficultés d'intégration qui le menacent apparaissent importantes. Il ne serait toutefois pas compatible avec l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) de n'admettre le regroupement familial différé qu'en l'absence d'alternative. Simplement, une telle alternative doit être d'autant plus sérieusement envisagée et soigneusement examinée que l'âge de l'enfant est avancé et que la relation avec le parent vivant en Suisse n'est pas (encore) trop étroite. La question de la garde ne joue ainsi plus de rôle spécifique s'agissant d'enfants devenus majeurs (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1172/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.3.2 et les références citées).

20.              Les motifs (et les preuves) susceptibles de justifier le regroupement familial tardif d'un enfant sont soumis à des exigences d'autant plus élevées que l'enfant est avancé en âge, a vécu longtemps séparé de son parent établi en Suisse et a accompli une partie importante de sa scolarité dans son pays d'origine (ATF 136 II 78 consid. 4.1).

21.              En cas de regroupement familial ultérieur, l'âge des enfants concernés et les années qu'ils ont passées à l'étranger doivent être pris en compte afin de favoriser le regroupement en Suisse des enfants en bas âge. En règle générale, ces derniers ont conservé des liens plus étroits avec le parent vivant en Suisse que ceux qui sont déjà plus âgés et ont passé de nombreuses années à l'étranger. A cela s'ajoute que les enfants en bas âge sont plus à même de s'adapter à un nouvel environnement familial, social et culturel (nouvelles personnes de référence à la maison et à l'école, nouveau mode de vie, acquisition d'une nouvelle langue, éventuellement rattrapage de programmes scolaires, etc.). En effet, ils sont moins enclins à rencontrer des difficultés d'intégration dues au déracinement que les jeunes et les adolescents (ATF  133 II 6 consid. 5.3).

22.              Selon la jurisprudence, le regroupement familial suppose que le parent établi en Suisse ait maintenu avec ses enfants une relation familiale prépondérante en dépit de la séparation et de la distance (ATF 133 II 6 consid. 3.1). On peut notamment admettre qu'il y a une relation familiale prépondérante entre les enfants et le parent vivant en Suisse lorsque celui-ci a continué d'assumer de manière effective pendant toute la période de son absence la responsabilité principale de leur éducation, en intervenant à distance de manière décisive pour régler leur existence sur les questions essentielles, au point de reléguer le rôle de l'autre parent à l'arrière-plan. Pour autant, le maintien d'une telle relation ne signifie pas encore que le parent établi en Suisse puisse faire venir ses enfants à tout moment et dans n'importe quelles conditions. Il faut, comme dans le cas où les deux parents vivent en Suisse séparés de leurs enfants depuis plusieurs années, réserver les situations d'abus de droit, soit notamment celles dans lesquelles la demande de regroupement vise en priorité une finalité autre que la réunion de la famille sous le même toit. Par ailleurs, indépendamment de ces situations d'abus, il convient, surtout lorsque la demande de regroupement familial intervient après de nombreuses années de séparation, de procéder à un examen de l'ensemble des circonstances portant en particulier sur la situation personnelle et familiale de l'enfant et sur ses réelles possibilités et chances de s'intégrer en Suisse et d'y vivre convenablement. Pour en juger, il y a notamment lieu de tenir compte de son âge, de son niveau de formation et de ses connaissances linguistiques. Un soudain déplacement de son centre de vie peut en effet constituer un véritable déracinement pour lui et s'accompagner de grandes difficultés d'intégration dans le nouveau cadre de vie ; celles-ci seront d'autant plus probables et potentiellement importantes que son âge sera avancé (ATF 133 II 6 consid. 3.1.1).

23.              Le désir – pour compréhensible qu'il soit – de voir (tous) les membres de la famille réunis en Suisse, souhait qui est à la base de toute demande de regroupement familial et représente même une condition d'un tel regroupement, ne constitue pas en soi une raison familiale majeure. Lorsque la demande de regroupement familial est déposée hors délai et que la famille a vécu séparée volontairement, d'autres raisons sont nécessaires (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1025/2017 du 22 mai 2018 consid. 6.1 et 6.2 et la jurisprudence citée).

24.              Les circonstances (politiques, économiques, sécuritaires, sociales, etc.) affectant l'ensemble de la population ne sauraient justifier, de manière générale, une autorisation fondée sur des raisons familiales majeures au sens de l'art. 47 al. 4 LEI (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_767/2013 du 6 mars 2014 consid. 3.5 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral F-3819/2014 du 1er novembre 2016 consid. 6.3.3 ; C-5312/2011 du 15 janvier 2013 consid. 6.5).

25.              Aux termes de l'art. 8 par. 1 CEDH, toute personne a notamment droit au respect de sa vie privée et familiale. Pour autant, les liens familiaux ne sauraient conférer de manière absolue un droit d'entrée et de séjour en Suisse, ni non plus, pour un étranger, le droit de choisir le lieu de domicile de sa famille (cf. ATF 142 II 35 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 5.1). Une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'art. 8 par. 1 CEDH est en effet possible aux conditions de l'art. 8 par. 2 CEDH. La question de savoir si, dans un cas d'espèce, les autorités compétentes sont tenues d'accorder une autorisation de séjour fondée sur l'art. 8 CEDH doit être résolue sur la base d'une pesée de tous les intérêts publics et privés en présence (cf. ATF 137 I 284 consid. 2.1 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 5.1). S'agissant d'un regroupement familial, auquel peut notamment prétendre le conjoint de l'étranger qui possède le droit de résider durablement en Suisse (cf. ATF 146 I 185 consid. 6.1 et les arrêts cités), il convient notamment de tenir compte dans la pesée des intérêts des exigences auxquelles le droit interne soumet celui-ci. Il n'est en effet pas concevable que, par le biais de l'art. 8 CEDH, un étranger qui ne dispose, en vertu de la législation interne, d'aucun droit à faire venir sa famille proche en Suisse, puisse obtenir des autorisations de séjour pour celle-ci sans que les conditions posées par les art. 42 ss LEI ne soient réalisées (cf. ATF 146 I 185 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 5.1 ; 2C_153/2018 du 25 juin 2018 consid. 5.3 et les arrêts cités). Il faut ajouter à cela le respect des délais légaux imposés par l'art. 47 LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 5.1).

26.              En résumé, un droit durable à une autorisation de séjour fondé sur l'art. 8 CEDH donne en principe droit au regroupement familial, pour autant que les conditions posées par le droit interne - en l'espèce les art. 43 et 47 LEI - à ce regroupement soient remplies (cf. ATF 146 I 185 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 5.1 in fine).

27.              La jurisprudence relative à l'art. 8 CEDH dans le cadre du regroupement familial partiel relève que le parent qui a librement décidé de venir en Suisse et d'y vivre séparé de sa famille pendant de nombreuses années ne peut normalement pas se prévaloir d'un droit au regroupement familial en faveur de ses enfants restés au pays lorsqu'il entretient avec ceux-ci des contacts moins étroits que l'autre parent ou les membres de la famille qui en prennent soin, et qu'il peut maintenir les relations existantes (ATF 133 II 6 consid. 3.1.2 p. 10 et les arrêts cités; ATF 2C_941/2010 du 10 mai 2011).

28.              Il faut également tenir compte de l'intérêt de l'enfant à maintenir des contacts réguliers avec ses parents, ainsi que l'exige l'art. 3 § 1 CDE, étant précisé que les dispositions de la convention ne font toutefois pas de l'intérêt de l'enfant un critère exclusif, mais un élément d'appréciation dont l'autorité doit tenir compte lorsqu'il s'agit de mettre en balance les différents intérêts en présence (ATF 139 I 315 consid.  2.4).

29.              En préambule, le tribunal relèvera que l'objet du présent litige ne permet pas de tenir compte du souhait exprimé des recourants, aussi compréhensible soit-il, de vivre réunis en Suisse. En effet, cette question ne pourrait être examinée que dans le cadre d'un regroupement familial déposé dans les délais prévus par l'art. 47 al. 1 LEI, tandis que le regroupement familial différé prévu par l'art. 47 al. 4 LEI oblige à ne prendre en considération que des raisons qui, selon la jurisprudence rappelée plus haut, trouvent essentiellement leur source dans le pays où vit la personne pour laquelle le regroupement est sollicité.

A cet égard, les recourants font valoir l’absence de possibilité de prise en charge de B______ dans son pays, suite à l’abandon de sa mère et au décès de sa grand-mère paternelle et la situation politique et économique existant au Liban. Or, il ressort du dossier que la mère de la recourante réside (à nouveau) au Liban, de même que ses deux frères majeurs et ses oncles. Les allégations qu’aucun d’eux ne pourrait s’occuper d’elle et que sa mère l’aurait « abandonnée » pour s’occuper exclusivement de sa propre mère à Beyrouth - au demeurant étayées par aucune pièce - ne sont pas suffisantes pour justifier un regroupement familial différé en Suisse, ce d’autant plus qu’une solution de prise en charge alternative a été trouvée. En effet, à teneur du dossier, notamment de l’attestation du Maire D'J______ du 6 novembre 2023, la recourante vit dans son village natal chez son oncle paternel, L______, depuis le décès de sa grand-mère. Or, il n’est nullement fait état que cette solution serait provisoire, respectivement insatisfaisante. On ne saurait dès lors retenir comme établi qu’aucune solution de prise en charge de la recourante ne serait possible au Liban ou que la jeune femme s’y trouverait livrée à elle-même.

Quoiqu'il en soit, âgée aujourd'hui de dix-sept ans et neuf mois, et donc proche de la majorité, la recourante ne nécessite plus le même encadrement qu’un enfant plus jeune ou au début de l’adolescence. À ce jour, rien ne permet non plus de considérer qu’elle ne pourrait continuer à vivre et poursuivre ses études dans son pays, sous la supervision des membres de sa famille sur place et avec l’aide financière de son père depuis la Suisse, comme elle l’a fait jusqu’ici. De plus, compte tenu de son âge, il est douteux qu'il serait véritablement dans son intérêt de déplacer son centre de vie en Suisse. Son départ pourrait au contraire constituer un véritable déracinement, susceptible de s'accompagner de grandes difficultés d'intégration, étant rappelé que la jeune femme a passé toute son existence, dont les années essentielles pour son développement personnel, notamment son adolescence, au Liban. Il est donc indéniable que ses principales attaches socio-culturelles se trouvent dans ce pays, où résident notamment sa mère, ses frères, ses oncles et certainement ses amis. Enfin, au vu des circonstances du cas d'espèce, on ne saurait écarter l'idée que la demande de regroupement familial aurait également - voire principalement - pour but de donner à la recourante l'opportunité de suivre une formation en Suisse et de lui assurer de meilleures conditions de vie qu’au Liban, compte tenu notamment de la situation politico-économique que connait ce pays. La demande ne parait donc pas motivée uniquement par la volonté du recourant d'être réuni avec sa fille dont il vit séparé à tout le moins depuis 2011, date de sa rencontre avec son épouse en France voisine. Or, de telles raisons, certes honorables, ne sauraient être prises en compte dans le cadre du regroupement familial, qui plus est différé, dont le but n'est pas d'assurer aux enfants un avenir plus favorable en Suisse que dans leur pays. Pour le surplus, rien, dans le dossier, ne permet de soutenir que les recourants ne seraient plus en mesure de poursuivre leur relation comme jusqu’alors, par le biais des moyens de communication actuels et de visites réciproques.

Au vu de ce qui précède, force est de retenir que les conditions restrictives posées au regroupement familial différé par l'art. 47 al. 4 LEI, en relation avec les art. 73 al. 3 et 75 OASA, ne sont pas réunies.

30.         L'application des art. 8 CEDH et 13 Cst., en lien avec l'art. 96 LEI, ne conduit pas à un résultat différent. En effet, comme indiqué plus haut, l'art. 47 al. 4 LEI doit demeurer l'exception et le fait de conditionner le regroupement familial différé aux conditions posées par le droit interne, en particulier la présence de raisons familiales majeures, est compatible avec le droit au respect de la vie familiale garanti à l'art. 8 CEDH. Au demeurant, le recourant n'a pas demandé le regroupement familial dans le délai légal, ni démontré avoir entretenu une relation véritablement étroite et effective, au sens où l'entend la jurisprudence, avec sa fille dont il vit séparé depuis de nombreuses années. Ces éléments impliquent déjà que le recourant ne peut pas invoquer l'art. 8 CEDH pour obtenir une autorisation de séjour en faveur de sa fille. En tout état, dans la mesure où le recourant aurait été libre de déposer sa demande de regroupement dès l’obtention de son autorisation de séjour en 2016, mais qu’il ne l’a pas fait avant mars 2020, il n'apparaît pas disproportionné d'attendre de lui et de sa fille qu'ils continuent à vivre leur relation comme ils l’ont fait jusqu’à présent, soit en résidant dans des pays différents. 

31.         La décision litigieuse est aussi conforme à la CDE qui n'accorde aucun droit au regroupement familial.

32.         Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté et la décision contestée confirmée.

33.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

34.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 16 août 2023 par Monsieur A______, agissant en son nom et celui de sa fille mineure B______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 15 juin 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève,

 

La greffière