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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/210/2024

JTAPI/57/2024 du 23.01.2024 ( LVD ) , REJETE

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/210/2024 LVD

JTAPI/57/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 23 janvier 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Gabriel RAGGENBASS, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Madame B______, représentée par Me Aurélie VALLETTA, avocate, avec élection de domicile

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Madame B______ s’est présentée au poste de police de l’aéroport le 19 janvier 2024 pour annoncer qu’elle avait été étranglée et enfermée dans la salle de bain par son mari, Monsieur A______.

2.             Lors de son audition du même jour, elle a notamment expliqué avoir rencontré son mari à Djibouti le 24 décembre 2021 et s’être mariée avec lui le 3 juillet 2022. Son mari était ensuite arrivé en Suisse le 10 juillet 2022 et avait emménagé dans son appartement à ______[GE].

Les disputes au sein du couple avaient débuté fin 2022 : à cette époque, elle parvenait à la fin de ses indemnités de chômage et les démarches en vue de créer une société afin de faire du business entre Djibouti et la Suisse – projet qu’ils avaient en commun - n’avançaient pas. Son mari refusait de travailler en attendant que la société fut créée et les factures à payer s’accumulaient : le couple vivait sur ses indemnités et sur ses économies, qu’elle avait aujourd’hui épuisées. Elle avait dû emprunter de l’argent auprès de sa famille.

Le week-end du 12 janvier 2024, sa fille, C______ n’était pas là, se trouvant avec son père. Elle-même avait refusé de discuter avec son mari car elle était fâchée à cause de leur situation financière et du refus de son mari d’avoir un emploi fixe. Son époux était venu la voir dans la chambre de sa fille – où elle dormait depuis trois semaines, son mari dormant dans le salon car il ne souhaitait pas dormir seul dans la chambre parentale - en lui disant que c’était le bon moment pour concevoir un enfant ensemble : elle avait refusé, il s’était énervé et avait essayé de la forcer à coucher avec lui. Il lui avait également saisi le bras violemment avec ses deux mains dans le but de la coucher sur le lit de sa fille pour avoir un rapport sexuel : alors qu’ils étaient couchés sur ce lit, elle avait essayé de le repousser mais il avait tenté de forcer en serrant fortement ses bras. Elle lui avait alors dit qu’elle allait appeler la police et il avait donc arrêté. Elle n’avait pas eu de marques sur le corps suite à cet évènement.

Plus tard dans la nuit, il était de nouveau venu la retrouver afin qu’elle vienne dans la chambre parentale : il était obsédé par le fait de concevoir un enfant mais elle avait continué à refuser jusqu’au matin. Entre temps, il y avait eu des insultes et des menaces. Son mari pensait qu’elle avait un autre homme.

Un second épisode de violence avait eu lieu la veille. En rentrant du travail – il travaillait à temps partiel – il lui avait dit qu’il avait demandé un crédit à son employeur et qu’il avait besoin du contrat de bail, qu’elle avait refusé de lui donner. Il lui avait également dit qu’il avait demandé à son employeur de lui verser les allocations familiales. Elle avait été choqué car C______ n’était pas sa fille, il n’avait pas le droit d’effectuer une telle demande. Il était hors de lui. Il avait commencé à lui demander si elle avait un autre homme et exiger qu’elle ouvre son ordinateur pour qu’elle lui donne les documents dont il avait besoin : elle avait refusé et il avait alors saisi un livre qu’elle avait dans la main et l’avait jeté sur elle, de manière violente. Il lui avait également saisi le cou avec ses deux mains et serré très fort, lui criant « tu m’appartiens » à plusieurs reprises : elle avait réagi en lui mordant le bras et avait crié, il avait alors lâché. Elle avait voulu s’enfuir mais il lui avait une nouvelle fois saisi le bras droit par derrière et l’avait tirée en arrière, ce qui lui avait fait très mal. Elle avait ensuite voulu quitter l’appartement mais elle était pieds nus, elle s’était alors rendue dans la salle de bain pour se passer de l’eau dans le cou et il était entré et les avait enfermés à l’intérieur en disant que de cette manière les voisins ne les entendraient pas : ils y étaient resté 5 minutes, il se sentait tout puissant.

Son mari avait des poursuites et il tentait de trouver une façon de payer, c’était la raison pour laquelle il voulait toucher les allocations familiales de sa fille et cherchait des crédits.

Le 18 janvier au soir, elle avait emmené sa fille au McDonald et il n’avait pas arrêté de l’appeler et lui envoyer des messages. A leur retour, il était venu dans la chambre de sa fille sans frapper et s’était installé pour lui demander pardon. Elle lui avait demandé de quitter la pièce car sa fille était sur le point de s’endormir mais il lui avait dit « et qui s’occupe de moi ? Je te laisserai si tu me promets de me pardonner ».

Le matin du 19 janvier 2024, il était de nouveau venu dans la chambre de sa fille pour s’excuser et demander les documents dont il avait besoin.

Sa fille ne voulait plus rester seule avec son mari. Elle lui avait dit que ce dernier avait été violent avec elle mais elle n’était pas au courant ; sa fille ne lui en avait parlé que la semaine précédente, ne souhaitant pas rendre sa mère triste.

Dès qu’elle confrontait son mari à ses mensonges, il l’insultait, la traitant de folle et de « trainée » ; il l’avait isolée de tout le monde. Il l’avait également traitée de « pute, conne, menteuse » en utilisant sa langue maternelle. Il avait également insulté ses parents. Quand elle parlait au téléphone avec son ex-mari, il pétait les plombs, il faisait de grosses crises de jalousie.

Elle voulait divorcer, ce qu’elle lui avait dit mais il l’avait alors menacée en lui disant « je te tue et ensuite je me tue si tu me quittes ». Elle souhaitait qu’il soit éloigné, lui ayant déjà demandé de partir. Il mentait beaucoup.

Une photographie de son visage a été prise.

3.             M. A______ a également été entendu le 19 janvier 2024 par la police. Il contestait tous les faits qui lui étaient reprochés.

Il avait emménagé avec sa femme dans son appartement après leur mariage ; il avait été mis au bénéfice d’un permis B.

Ses problèmes de couple avaient commencé du fait de leurs problèmes financiers. Sa femme avait emprunté de l’argent à sa sœur et elle voulait qu’il travaille à l’ambassade de Djibouti en Suisse. Il avait alors demandé l’aide de son père mais cela n’avait pas abouti. Depuis, sa femme n’arrêtait pas de lui parler argent, lui disant que sans argent il devait quitter le domicile.

A Noël 2023, sa femme était partie à Londres avec sa fille et depuis son retour elle dormait avec sa fille : elle lui avait dit que s’il voulait qu’elle lui parle et dorme à nouveau avec lui dans la chambre parentale il fallait qu’il règle leurs problèmes.

Sa femme ne lui parlait plus. Le 18 janvier, il était allé dans la chambre de sa belle-fille pour supplier sa femme de lui parler ; cette dernière l’avait poussé comme s’il était venu l’agresser. Elle lui avait dit que tant qu’il n’avait pas réglé « tout ça » il ne fallait pas lui parler, ils n’avaient rien à se dire. Sa femme était alors allée à la salle de bain pour appeler son frère et il était entré en même temps qu’elle en l’empêchant de fermer la porte, il voulait qu’elle appelle devant lui, ce qu’elle avait fait. Sa femme était sortie de l’appartement et il l’avait suivie jusqu’à Rive, essayant de la raisonner en lui disant qu’elle ne pouvait pas le quitter juste pour de l’argent. Il se demandait si elle n’avait pas un autre homme car tout cela n’avait pas de sens. Elle s’était arrêté et lui avait dit d’arrêter de la suivre autrement elle allait appeler la police et qu’il allait être expulsé.

Il avait tenté d’appeler son beau-frère mais il avait bloqué son numéro ; il avait aussi appelé sa belle-sœur.

Ce jour, ayant obtenu un délai de paiement pour les impôts à fin juillet, il avait tenté de joindre sa femme mais elle ne répondait pas. Il lui avait alors écrit un message en lui disant qu’elle ne pouvait pas gâcher leur vie et qu’elle ne gagnerait rien en le faisant souffrir. Elle lui avait répondu par message d’arrêter de la harceler. Il avait répondu en lui demandant par quel moyen il pouvait lui parler car il ne pouvait ni lui parler en face ni par message, mais elle n’avait pas répondu.

Il n’avait jamais saisi sa femme par le bras durant le week-end du 12 janvier 2024 ; il voulait concevoir un enfant avec elle et c’était le bon moment par rapport à ses ovulations. Il n’avait pas jeté le livre du coran sur sa femme la veille, ni enfermé cette dernière dans la salle de bain. Il avait effectivement traité sa femme de menteuse vis-à-vis de son problème qui n’était pas uniquement l’argent mais jamais de pute. Il n’avait jamais été violent avec C______ et ne lui avait jamais jeté un tapis de prière au visage ni un Sopalin.

Il avait dit à sa femme que si elle le quittait il n’avait plus rien à faire dans la vie ; il avait dit cela vis-à-vis de lui-même. Elle lui avait répondu qu’elle n’en avait « rien à foutre ».

Il n’avait jamais été violent avec sa femme et les actes violents décrits par elle n’avaient jamais existés. Il aimait sa femme et souhaitait rester avec elle ; si elle lui disait poliment qu’elle ne voulait plus rester avec lui, il accepterait la situation.

C’était sa femme qui accumulait des dettes et lui qui les payait.

4.             Par décision du 19 janvier 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée s’étendant du 19 janvier2024 à 21h30 au 29 janvier 2024 à 17h. à l'encontre de M. A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme B______, située ______[GE], et de la contacter ou de s'approcher d’elle.

5.             Cette décision décrivait les dernières violences comme suit :

« Le 18.01.2024, à la suite d'un différend avec sa femme, M. A______ a saisi un livre qu'il a lancé de manière violente sur sa femme avant de la saisir par le cou avec ses deux mains. A la suite de cette saisie, il lui a serré très fort la gorge en lui criant à plusieurs reprises "Tu m'appartiens". Mme B______ lui a mordu le bras et a criée [sic] dans le but de se défendre. Suite à cela, M. A______ a lâché son épouse. Elle a voulu fuir, mais son époux l’a alors à nouveau saisie [sic] le bras et l'a tirée vers l'arrière. Après cet événement, Mme B______ s'est rendue dans la salle de bain du domicile familial pour mettre de l'eau sur son cou, M. A______ l'a suivie afin de s'enfermer avec elle dans la salle de bain pour que les voisins ne les entendent pas. M. A______, a libéré Mme B______ après cinq minutes enfermée dans la salle de bain. »

Concernant les violences précédentes, il était indiqué :

« Le week-end du 12-15 janvier 2024, M. A______ a saisi les deux bras de Mme B______ alors qu'elle était couchée sur le lit de sa fille, pour la forcer à avoir un rapport sexuel, dans le but de faire un enfant. M. A______ a lâché Mme B______, sous la menace de cette dernière de faire appel à la police. »

6.             M. A______ a fait immédiatement opposition à cette décision devant les commissaires de police, soit le 20 janvier 2024 à 1h52.

7.             Le même jour, les commissaires de police ont envoyé leur dossier par courriel au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à 3h22.

8.             Le tribunal a tenu une audience le 23 janvier 2024.

a.       M. A______ a indiqué s'opposer à la mesure d'éloignement. Il avait pris contact avec l'association VIRES et avait rendez-vous jeudi. Il a confirmé contester l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés par son épouse. Il avait beaucoup tenté de discuter avec son épouse pour savoir ce qu'il se passait et il n’avait aucunement l'impression d'avoir mis une quelconque pression à son épouse. Les conflits avaient commencé en décembre 2023 ; ils étaient majoritairement en lien avec des problèmes financiers. Le comportement de sa femme avait par ailleurs totalement changé depuis son voyage à Londres à Noël 2023 : elle ne répondait pas à ses messages, à ses appels et quand elle lui parlait la seule question qu'elle lui posait était de savoir s’il avait de l'argent. Depuis le prononcé de la mesure, il n’avait pas tenté d'entrer en contact avec son épouse. Il n’avait jamais été mordu par sa femme : il avait montré ses bras à la police qui ne présentaient aucune marque. Il dormait dans un hôtel à Annemasse depuis le prononcé de la mesure et c'était un ami qui payait cet hôtel. Il aimait sa femme et il ne lui ferait jamais de mal. Il souhaitait rentrer à la maison et reprendre sa vie conjugale. Il ferait tout ce que sa femme lui demanderait pour régler leurs problèmes : il souhaitait juste retourner auprès de sa femme. Il n’avait jamais été violent avec sa belle-fille. Lorsqu’il s’était marié en juillet 2022, son épouse était déjà endettée : il s’était personnellement endetté afin de rembourser des dettes de sa femme (l'IFD et les primes d'assurance maladie). Cette dernière avait contacté son frère afin que leurs deux familles se rencontrent à Djibouti mais cette rencontre n'avait pas pu avoir lieu car sa femme avait ensuite dit à sa propre famille de ne pas répondre aux appels de sa famille et de lui-même. Il avait tenté personnellement de joindre son beau-frère mais il ne lui avait pas répondu. Il avait également tenté d'appeler sa belle-sœur mais elle n'avait pas voulu intervenir. Sur question du conseil de sa femme, il a indiqué qu’il n'envisageait pas de se séparer de sa femme : on ne peut pas se séparer uniquement pour des problèmes d'argent. Sur question du conseil de sa femme, il a confirmé être entré à plusieurs reprises dans la chambre de sa belle-fille alors que celle-ci dormait mais pas sa femme, pour discuter avec elle et essayer de la raisonner et comprendre ce qu'il se passait. Il avait effectivement tenté, avant le prononcé de la mesure d'éloignement d'entrer en contact avec sa femme tant verbalement que par messages, il avait besoin de lui parler en particulier depuis le changement d'attitude de Noël 2023 : en aucun cas il n’avait voulu la harceler mais il avait besoin de réponses. Il a précisé qu'il était arrivé que sa belle-fille vienne dormir dans leur lit. Il a contesté totalement les propos de sa femme. Il avait effectivement appelé à de nombreuses reprises sa femme lorsqu'elle était à Londres car il voulait qu'elle lui réponde et elle n'avait fait que lui dire qu'elle le rappellerait plus tard. Il n’avait jamais menacé sa femme ni sa fille de les tuer.

b.      Mme B______ a confirmé ses déclarations à la police. Lors de l'altercation du 18 janvier alors que son mari la tenait par le cou, elle l’avait mordu pour se dégager et il l'avait griffée : cette griffure apparaissait sur la photo prise par la police. Elle a contesté avoir changé de comportement depuis son voyage à Londres. Ils avaient rencontré des problèmes financiers, mais elle faisait également l'objet d'insultes et de dénigrement. Elle était en recherche d'emploi et régulièrement son mari dénigrait les personnes qu’elle rencontrait ou avec qui elle souhaitait entrer en contact. Son mari était très jaloux. Elle a confirmé que ce dernier n'avait pas tenté d'entrer en contact avec elle depuis le prononcé de la mesure. Le retour à la maison de son mari allait être très difficile. Elle se souvenait que son mari l’avait prise à la gorge en lui disant qu’elle allait mourir et qu’elle lui appartenait, elle ne pouvait pas se détacher de cette image et n'envisageait pas de reprendre la vie commune. Elle a rappelé que son mari avait été violent avec sa fille. Elle a contesté les dires de son mari concernant ses contacts avec sa famille et belle-famille : elle avait simplement téléphoné à son beau-frère afin qu'il dise à son mari de cesser d'appeler sa sœur qui était en deuil. Elle avait appris que son mari avait encore appelé sa sœur deux fois ce matin. Ses beaux-frères l’avaient également appelée plusieurs fois afin qu’elle retire sa plainte. Son mari avait été d'accord qu’elle parte à Londres, c'était son idée, mais une fois qu’elle avait fait la réservation, il avait changé lui disant qu’elle allait rencontrer des hommes là-bas : voyager sans lui ne se faisait pas. Elle était partie du 24 au matin au 25 après-midi. Il avait essayé de la joindre à de très nombreuses reprises alors qu’elle lui répondait qu’elle allait le recontacter le soir. Ce voyage devait être un moment entre sa fille et elle. Sur question de son conseil, elle a indiqué qu'à plusieurs reprises son mari avait menacé de la tuer et de se tuer car il ne voyait pas la vie autrement qu'en couple. Sur question de son conseil, elle a indiqué que son mari avait dit à sa fille à son retour de Londres qu'elle n'avait qu'à mourir mais leur fille n'avait pas compris car ce n'était pas dans sa langue. Sur question de son conseil, elle a indiqué avoir peur pour sa sécurité et pour celle de sa fille. A la maison, son mari était tout puissant et à l'audience de ce jour, elle ne le reconnaissait pas.

Son conseil a indiqué qu’il allait déposer une requête en mesures protectrices de l'union conjugale avec mesures superprovisionnelles urgentes et une mesure d'éloignement. Elle a déposé un chargé de pièces contenant différents échanges Whatsapp.

c.       Le représentant du commissaire de police a conclu à la confirmation de la décision.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, il ressort clairement du dossier que le couple traverse une période difficile, notamment en raison de problèmes financiers, et que la communication entre les époux est rompue.

Mme B______ a répété encore à l’audience de ce jour avoir peur de son mari, notamment après que celui-ci l’ait tenue par le cou, et vouloir se séparer de lui ; il était insultant, dénigrant, menaçant et très jaloux. A l’audience devant le tribunal, elle ne le reconnaissait pas, étant « tout puissant » à la maison. Quant à M. A______, il était conscient que le couple rencontrait des difficultés financières mais ne reconnaissait aucun des faits qui lui étaient reprochés par son épouse, expliquant ne jamais lui avoir fait de mal, ni à elle ni à sa fille, et souhaitant simplement rentrer chez lui et reprendre sa vie de couple.

Il ressort des déclarations des parties que M. A______, en particulier depuis Noël 2023, est extrêmement insistant auprès de sa femme pour avoir des discussions avec elle ; il reconnait être entré plusieurs fois dans la chambre où dormait sa femme pour discuter avec elle, l’avoir suivie en ville alors qu’elle avait quitté l’appartement et surtout avoir tenté de la joindre tant par téléphone que par messagerie à de très nombreuses reprises, notamment lorsqu’elle était à Londres. Si, certes, M. A______ indique n’avoir aucunement eu l’intention d’exercer sur sa femme une quelconque forme de pression ou même de la harceler, force est de constater que ses demandes répétées et insistantes à vouloir savoir ce qui se passait, et même la soupçonner de voir un autre homme, peut être particulier lourd à supporter, surtout au sein d’un couple en difficulté ; le fait que Mme B______ ait pu ressentir ce comportement comme étant une pression et un harcèlement insupportable peut apparaitre comme plausible.

La question n'est toutefois pas de savoir lequel des époux est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir, mais bien de séparer les conjoints en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile conjugal est lui aussi l'auteur de violences, qu’elles soient physiques ou psychologiques.

Vu la situation visiblement conflictuelle et complexe dans laquelle les deux époux se trouvent, de la tension, tout à fait palpable, qui entache leurs rapports, la pression et la peur dans lequel semble vivre Mme B______ depuis un certain temps, les épisodes de violence qu’elle décrit et le comportement insistant de M. A______, la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation. Cette mesure permettra tout de même à Mme B______ de ne plus recevoir d’appels et de messages de la part de son mari pendant la durée de la mesure et à M. A______ de cesser ses pressions et de lui permettre de prendre conscience de la situation dans laquelle se trouve son couple.

Par conséquent, étant rappelé, comme précisé plus haut, que les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante des violences physiques ou psychologiques et de la personne de leur auteur, le tribunal confirmera, en l'espèce, la mesure d'éloignement prononcée à l'égard de M. A______. Prise pour une durée de 10 jours, elle n'apparaît pas d'emblée disproportionnée.

6.             Par conséquent, l'opposition sera rejetée et la mesure d'éloignement confirmée dans son principe et sa durée.

7.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 20 janvier 2024 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 19 janvier 2024 pour une durée de dix jours ;

2.             la rejette ;

3.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

4.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties..

Genève, le

 

La greffière