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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2314/2023

JTAPI/1456/2023 du 22.12.2023 ( OCPM ) , ADMIS

Descripteurs : AUTORISATION DE SÉJOUR;CAS DE RIGUEUR;FONCTIONNAIRE;ORGANISATION INTERNATIONALE;ADOLESCENT;CANADA
Normes : LEI.30.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2314/2023

JTAPI/1456/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 22 décembre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, agissant en son nom et en celui de ses filles B______ et C______, représentés par Me Stéphane REY, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______ né le ______ 1967 et son épouse Madame D______, née le ______ 1971, sont les parents de B______, née le ______ 2003 et d’C______, née le ______ 2005. Toute la famille est ressortissante du Canada.

2.             Mme D______ a travaillé pour l’ONU au Liban de 2009 à 2013, puis à Genève pour cette même organisation à compter de cette date. M. A______ l’y a alors rejointe avec ses enfants.

En raison de l’activité exercée par Mme D______, M. A______ et ses filles ont obtenu une carte de légitimation délivrée par le département fédéral des affaires étrangères (ci-après : DFAE), laquelle a expiré en mai 2020.

3.             Le 29 mai 2020, M. A______ a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande d’autorisation de séjour en sa faveur et celui de ses filles.

Le 5 mars précédent, Mme D______ avait dû se rendre à E______ (Kenya) dans le cadre de son travail pour une durée d’un an. Elle serait ensuite réintégrée à Genève. La Mission permanente de Suisse auprès de l’office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève (ci-après : la Mission) lui avait accordé, ainsi qu’à ses filles un délai de courtoisie au 31 juillet 2020. Tous trois souhaitaient pouvoir demeurer à Genève jusqu’à ce que la précitée rentre de sa mission temporaire.

4.             Par lettres des 16 juin 2020 et 18 janvier 2021, l’OCPM a notamment demandé à M. A______ qu’il lui transmette une attestation de l’ONU confirmant que le départ de son épouse était temporaire et qu’elle réintégrerait ses fonctions à Genève au terme de sa mission.

5.             Par lettre du 12 février 2021, l’intéressé a répondu à l’OCPM que son épouse souffrait d’une hernie discale cervicale. En raison de la pandémie de Covid-19 et de son état de santé, elle avait dû rentrer en urgence à Genève pour se faire soigner. Elle ne pourrait repartir pour E______ qu’au mois d’avril 2021.

6.             Le 6 avril 2021, l’OCPM a fait part à M. A______ que la Mission l’avait informé que son épouse avait été transférée de manière permanente au Kenya et qu’elle n’était ainsi plus rattachée à Genève. Puisque sa requête était basée sur le caractère temporaire de sa présence en Afrique, il était invité à préciser les motifs de sa demande d’autorisation de séjour. Il devait indiquer ce qui empêchait sa famille de la rejoindre au Kenya ou d’aller vivre au Canada.

7.             Le 7 juillet 2021, M. A______ a expliqué à l’OCPM que son épouse avait subi une intervention chirurgicale, la durée de sa convalescence étant estimée à six mois, voire une année. Ainsi, elle se trouvait en incapacité de travail complète. Elle avait besoin d’être suivie à Genève, les soins ne pouvant lui être dispensés en Afrique. Elle avait postulé pour être définitivement réaffectée à Genève. Cependant, la procédure de sélection interne à l’ONU pouvait durer plusieurs mois. Par économie de procédure, sa demande d’autorisation de séjour devait être suspendue.

8.             Le 17 décembre 2021, le précité a exposé à l’OCPM que son épouse se trouvait en incapacité de travail à raison de 60 %. Elle ne s’était rendue que durant une courte période à E______. Un retour en Afrique n’était pas envisageable en l’état. Elle avait en vain effectué des postulations à l’ONU. L’OCPM devait se prononcer sur sa demande d’autorisation de séjour pour cas de rigueur.

9.             Par courriel du 24 janvier 2022, l’OCPM a demandé à la Mission si elle avait l’intention de régulariser le séjour de Mme D______ notamment par le biais d’une carte de légitimation.

10.         Le 14 février 2022, la Mission a répondu à l’OCPM qu’elle avait requis des explications et des clarifications de la part de l’ONU.

11.         Par lettre du 24 mars 2023, l’OCPM a fait part à M. A______ de son intention de rejeter sa requête. Un délai lui a été accordé pour faire valoir son droit d’être entendu.

12.         L’intéressé s’est déterminé par lettre du 24 avril 2023.

13.         Par courriel du 1er juin 2023, la Mission a transmis à l’OCPM les informations qu’elle avait obtenues de l’ONU : Mme D______ avait été transférée à E______ de façon permanente le 8 mars 2020. Elle n’avait plus aucun lien avec son poste à Genève et ne pourrait y revenir que si elle était sélectionnée pour un nouveau poste.

14.         Par décision du 9 juin 2023, l’OCPM a refusé de soumettre le dossier de M. A______ et de ses filles au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) avec un préavis positif, afin que cette autorité leur délivre une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Il a également prononcé leur renvoi de Suisse.

Ils ne remplissaient pas les critères relatifs à un cas individuel d’extrême gravité. En effet, ils devaient suivre le titulaire de la carte de légitimation, à savoir Mme D______, qui avait été définitivement transférée à l’étranger. Par ailleurs, la durée de leur séjour passée au bénéfice d’une carte de légitimation n’était pas déterminante pour la reconnaissance d’un cas de rigueur. M. A______ n’avait pas démontré une intégration socioculturelle particulièrement remarquable, ni une intégration professionnelle exceptionnelle. B______ et C______ avaient passé toute leur adolescence en Suisse et y étaient bien intégrées. Leur réintégration au Canada ne serait ainsi pas aisée, mais elles pourraient compter sur le soutien de leur père. En outre, elles seraient en mesure de poursuivre des formations académiques et de se projeter professionnellement sans rencontrer d’obstacles insurmontables.

Enfin, il ne résultait pas du dossier que l’exécution de leur renvoi se révélerait impossible, illicite ou inexigible.

15.         Par acte du 7 juillet 2023, M. A______, agissant en son nom et en celui de ses filles et représenté par son conseil, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à l’annulation de la décision du 9 juin 2023 et à ce que le dossier de la famille soit transmis au SEM avec un préavis positif, le tout sous suite de frais et dépens.

Sa demande d’autorisation de séjour était principalement motivée par la situation de ses enfants. Or, la décision attaquée n’était que sommairement motivée à cet égard. L’OCPM reconnaissait que B______ et C______ avaient accompli leur scolarité en Suisse depuis l’âge de dix, respectivement sept ans. L’éventuel soutien d’un parent en cas de renvoi n’était pas pertinent. L’autorité intimée n’avait pas pris en compte l’intensité des liens qu’elles avaient tissés avec la Suisse, où elles avaient déjà acquis leur formation. En outre, elles y avaient vécu durant toute leur adolescence, soit une période de la vie déterminante pour l’acquisition de leurs liens socio-culturels.

Il était bien intégré, exerçait une activité lucrative permettant à sa famille de bénéficier d’un train de vie aisé. Il n’avait jamais fait appel à l’aide sociale, n’avait pas de dettes, n’avait jamais fait l’objet de condamnations pénales et jouissait d’une excellente réputation personnelle et professionnelle. Il effectuait du bénévolat et apportait de l’assistance aux personnes dans le besoin. Le centre de ses intérêts familiaux, affectifs, amicaux, professionnels et sociaux se trouvait à Genève.

Son renvoi ainsi que celui de ses filles n’était pas possible. Le refus de soumettre leur dossier au SEM avec un préavis positif se révélait ainsi arbitraire.

16.         Dans ses observations du 5 septembre 2023, l’OCPM a proposé le rejet du recours.

Le recourant ne remplissait pas les conditions strictes pour prétendre à l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Son séjour en Suisse semblait davantage relever de la convenance personnelle et non d’une nécessité au vu notamment du départ définitif de Suisse en 2020 de son épouse pour une mission à l’étranger. Quant à B______ et C______, même si elles avaient passé leur adolescence en Suisse et s’étaient vraisemblablement imprégnées du tissu socioculturel, l’on ne voyait pas en quoi un retour au Canada représenterait un déracinement pour elles, ce pays offrant des conditions de vie et d’éducation équivalentes à celles de la Suisse. En outre, leur séjour avait été passé au bénéfice d’une carte de légitimation, qui n’était pas déterminant selon la jurisprudence.

Enfin, l’institution du cas de rigueur serait vidée de son sens si elle permettait systématiquement aux titulaires de cartes de légitimation et à leurs enfants, à l’échéance de ces titres de séjour, de prolonger leur présence sous couvert du séjour passé légalement en Suisse grâce au statut de fonctionnaire international du titulaire principal.

17.         Par réplique du 17 octobre 2023, le recourant a fait valoir que la famille séjournait en Suisse légalement depuis dix ans. Conformément à la jurisprudence, il convenait de présumer que leurs relations étaient devenues si étroites que seules des raisons particulières étaient nécessaires pour mettre fin à leur séjour. B______ et C______ avaient passé toute leur adolescence en Suisse. De 2009 à 2013, elles avaient résidé au Liban. Elles ne connaissaient ainsi pas le Canada. Le renvoi de la famille vers ce pays n’était ainsi pas raisonnable.

18.         Dans sa duplique du 7 novembre 2023, l’OCPM a persisté dans les termes et les conclusions de la décision attaquée.

19.         Le contenu des pièces produites par les parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b).

5.             Les conditions de séjour des recourants sont régies par la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). En effet, Mme D______ a été transférée de manière permanente au Kenya, ce qui a mis un terme à sa carte de légitimation en Suisse et donc, à celle de sa famille (ATA/1299/2023 du 5 décembre 2023 consid. 4).

6.             La LEI et ses ordonnances d’exécution, en particulier l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants canadiens.

7.             Le recourant conteste le refus de l’OCPM de transmettre au SEM son dossier ainsi que celui de ses filles avec un préavis positif, afin que cette autorité leur délivre une autorisation de séjour pour cas de rigueur.

8.             Selon l'art. 30 al. 1 let. b LEI, il est possible de déroger aux conditions d'admission d'un étranger en Suisse pour tenir compte d'un cas individuel d'extrême gravité.

L'art. 31 al. 1 OASA précise cette disposition et prévoit qu'une autorisation de séjour peut être octroyée dans les cas individuels d'extrême gravité, l'autorité devant, lors de leur appréciation, tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f), ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g).

Le critère de l'intégration du requérant se base sur le respect de la sécurité et de l'ordre public, le respect des valeurs de la Constitution, les compétences linguistiques, la participation à la vie économique ou l'acquisition d'une formation (art. 58a LEI).

9.             Les critères de l’art. 58 LEI, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs (ATF 137 II 345 consid. 3.2.3), d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (ATA/1669/2019 du 12 novembre 2019 consid. 7b).

Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, de sorte que les conditions pour la reconnaissance de la situation qu'ils visent doivent être appréciées de manière restrictive et ne confèrent pas un droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4).

L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire le requérant aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique qu'il se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'il tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question, et auxquelles le requérant serait également exposé à son retour ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée. Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par le requérant à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 et 5).

La question n'est donc pas de savoir s'il est plus facile pour la personne concernée de vivre en Suisse, mais uniquement d'examiner si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (arrêt du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1).

La reconnaissance de l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité implique que les conditions de vie et d'existence de l'étranger doivent être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des étrangers. En d'autres termes, le refus de le soustraire à la réglementation ordinaire en matière d'admission doit comporter à son endroit de graves conséquences. Le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'il y soit bien intégré, tant socialement et professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité. Encore faut-il que sa relation avec la Suisse soit si étroite que l'on ne puisse exiger qu'il vive dans un autre pays, notamment celui dont il est originaire. À cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage qu'il a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exception (ATF 130 II 39 consid. 3).

10.         Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'une telle situation, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse et la situation des enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d'études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l'aide sociale ou des liens conservés avec le pays d'origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-2584/2019 du 11 décembre 2019 consid. 5.3).

Le Tribunal fédéral a considéré que l'on ne saurait inclure dans la notion de séjour légal les périodes où la présence de l'intéressé est seulement tolérée en Suisse et qu'après la révocation de l'autorisation de séjour, la procédure de recours engagée n'emporte pas non plus une telle conséquence sur le séjour (arrêt 2C_926/2010 du 21 juillet 2011).

11.         La jurisprudence retient qu’une carte de légitimation délivrée par le DFAE revêt un caractère temporaire et ne confère pas de droit de séjour durable en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_241/2021 du 16 mars 2021 consid. 3.4). Un étranger séjournant en Suisse au bénéfice d’une carte de légitimation doit savoir que sa présence en Suisse est liée à la fonction occupée par lui-même ou le membre de sa famille ; le statut du détenteur d’une carte de légitimation est ainsi moins stable que celui d’un étranger bénéficiant d’une autorisation du droit des étrangers ou d’une admission provisoire (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-3505/2021 du 17 avril 2023 consid. 7.2 et les références citées).

Ainsi, les titulaires d’une carte de légitimation ne peuvent en principe pas obtenir un titre de séjour fondé sur un cas de rigueur lorsque la mission pour laquelle un titre de séjour - d’emblée limité à ce but précis - leur a été délivré prend fin, sous réserve de circonstances tout à fait exceptionnelles ne découlant pas des seules années de présence en Suisse au bénéfice de ladite carte (ATF 124 II 110 consid. 3). La jurisprudence a retenu que tel était le cas d’une personne ayant séjourné vingt-sept ans en Suisse, dont la mère et les deux frères cadets, qui avaient engagé une procédure de naturalisation, bénéficiaient encore d’une carte de légitimation (arrêt du Tribunal fédéral 2A.321/2005 du 29 août 2005).

12.         S’agissant de l’intégration professionnelle, elle doit revêtir un caractère exceptionnel au point de justifier, à elle seule, l'octroi d'une autorisation de séjour en dérogation aux conditions d'admission. Le requérant doit posséder des connaissances professionnelles si spécifiques qu'il ne pourrait les utiliser dans son pays d'origine ou doit avoir réalisé une ascension professionnelle remarquable, circonstances susceptibles de justifier à certaines conditions l'octroi d'un permis humanitaire (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-3298/2017 du 12 mars 2019 consid. 7.4 et les références citées).

13.         D’une manière générale, lorsqu’un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse et y a seulement commencé sa scolarité, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d’origine, par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socioculturel suisse n’est alors pas si profonde et irréversible qu’un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-636/2010 du 14 décembre 2010 consid. 5.4 et la référence citée). Avec la scolarisation, l’intégration au milieu suisse s’accentue. Dans cette perspective, il convient de tenir compte de l’âge de l’enfant lors de son arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, de l’état d’avancement de la formation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d’exploiter, dans le pays d’origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. Un retour dans la patrie peut, en particulier, représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l’école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats. L’adolescence, une période comprise entre 12 et 16 ans, est en effet une période importante du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant souvent une intégration accrue dans un milieu déterminé (ATF 123 II 125 consid. 4b). Sous l’angle du cas de rigueur, il est considéré que cette pratique différenciée réalise la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant prescrite par l’art. 3 al. 1 de la convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (CDE - RS 0.107 ; ATF 135 I 153 consid. 2.2.2).

14.         Il est parfaitement normal qu'une personne, ayant effectué un séjour prolongé dans un pays tiers, s'y soit créé des attaches, se soit familiarisée avec le mode de vie de ce pays et maîtrise au moins l'une des langues nationales. Aussi, les relations d'amitié ou de voisinage, de même que les relations de travail que l'étranger a nouées durant son séjour sur le territoire helvétique, si elles sont certes prises en considération, ne sauraient constituer des éléments déterminants pour la reconnaissance d'une situation d'extrême gravité (ATF 130 II 39 consid. 3).

15.         Dans une affaire jugée le 5 décembre 2023 (ATA/1299/2023, non entré en force à ce jour) par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), un ressortissant ivoirien avait séjourné durant dix ans en Suisse au bénéfice d’une carte de légitimation avant de retourner dans son pays. Son épouse, ainsi que ses deux enfants nés en 2003 et 2014 avaient également obtenu un tel titre de séjour. L’aînée était arrivée à Genève à l’âge de dix ans et le cadet y avait vécu dès sa naissance. Leur mère avait sollicité une autorisation de séjour pour cas de rigueur en faveur d’elle-même et de ses enfants. La chambre administrative a admis son recours.

Elle a notamment retenu que la précitée ne pouvait tirer parti des années durant lesquelles elle avait séjourné en Suisse au bénéfice d’une carte de légitimation. Elle ne pouvait pas non plus se prévaloir d’une intégration sociale et professionnelle exceptionnelle. Son fils cadet, âgé de neuf ans, demeurait encore rattaché à la Côte d’Ivoire par le biais de sa mère.

La situation de l’aînée était cependant particulière. Elle avait vécu durant toute son adolescence en Suisse et avait effectué sa scolarité à Genève. Elle avait entamé un apprentissage durant l’année 2022-2023. Les attestations scolaires produites la décrivaient comme sérieuse, ayant obtenu de très bon résultats et s’investissant dans ses études. Il en allait de même de l’entreprise dans laquelle elle effectuait son apprentissage, où son travail donnait entière satisfaction et était apprécié de tous. Un retour en Côte d’Ivoire représenterait pour elle une rigueur excessive. Même si elle avait atteint l’âge de la majorité et que son sort ne devrait plus être nécessairement lié à celui de sa mère et de son jeune frère, elle se trouvait encore en formation et elle devait compter sur le soutien matériel et moral de la recourante. Dans la mesure où elle remplissait les conditions pour bénéficier d’une exception aux mesures de limitation, le renvoi de sa mère serait de nature à compromettre son intégration en Suisse, et la situation de son jeune frère ne pouvait suivre un sort différent.

16.         Dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration (art. 96 al. 1 LEI).

17.         En l’espèce, le recourant et ses filles sont arrivés à Genève en 2013 et ont été mis au bénéfice d’une carte de légitimation délivrée par le DFAE, après que Mme D______, épouse du précité a été engagée comme fonctionnaire auprès de l’ONU et a obtenu un tel titre de séjour. Bien que les intéressés résident en Suisse depuis dix ans – ce qui représente une longue durée – celle-ci n’est pas déterminante pour la reconnaissance d’un cas de rigueur. En effet, un séjour effectué au bénéfice d’une carte de légitimation comporte nécessairement une durée limitée et dépend du titulaire de la carte. Or, la mission de Mme D______ a Genève a pris fin puisqu’elle a été transférée à E______ depuis le 8 mars 2020, ainsi que la Mission l’a indiqué à l’OCPM par courriel du 1er juin 2023.

Le recourant n’a jamais fait appel à l’aide de l’Hospice général. L’OCPM a, au contraire, reconnu dans la décision attaquée que la famille était indépendante financièrement. Il ne fait pas non plus l’objet de poursuites pour dettes ni d’actes de défaut de biens et il ne résulte pas des pièces du dossier qu’il aurait été condamné pénalement. Cela étant, le fait de travailler, de ne pas dépendre de l’aide sociale et de ne pas faire l’objet de plaintes constitue un comportement ordinaire qui peut être attendu de tout étranger souhaitant obtenir la régularisation de ses conditions de séjour. Il ne s'agit pas de circonstances exceptionnelles permettant à elles seules de retenir l'existence d'une intégration particulièrement marquée susceptible de justifier la reconnaissance d'un cas de rigueur. Il en va de même s’agissant de l’absence de condamnations pénales.

Sur le plan de son intégration professionnelle, le recourant a créé son entreprise, F______, active dans les travaux informatiques, le développement des applications, la formation, archivage. Plusieurs lettres de clients attestent la qualité de son travail. Bien que la fondation de cette entreprise dénote l’intégration de l’intéressé, celle-ci ne peut pas encore être qualifiée d’exceptionnelle. En effet, une activité semblable peut être exercée au Canada. Par ailleurs, il convient d’observer qu’à elle seule, elle ne suffit pas à subvenir aux besoins du recourant puisqu’en 2021, il n’a réalisé qu’un bénéfice net de CHF 21'700.-.

B______ a obtenu sa maturité au Collège ______ et est actuellement immatriculée au programme de Baccalauréat universitaire en droit à l’Université de Genève. C______ est inscrite en troisième année au programme de maturité au Collège et École de commerce ______. Par ailleurs, toutes deux ont passé l’intégralité de leur adolescence à Genève, à savoir la période de la vie essentielle pour le développement de la personnalité et l'intégration socio-culturelle. En effet, âgée de vingt ans, l’aînée y réside depuis ses dix ans, tandis que sa sœur cadette, âgée de dix-huit ans y séjourne depuis ses huit ans. En revanche, elles ne connaissent que très peu du Canada, puisqu’elles ont quitté ce pays en 2009, à savoir à l’âge de six, respectivement quatre ans.

Ainsi, il convient de retenir qu’un renvoi de B______ et d’C______ dans leur pays d’origine représenterait pour elles une rigueur excessive. Quoiqu’étant majeures, leur sort ne peut être dissocié de celui de leur père. En effet, puisqu’elles suivent encore des études, elles doivent compter sur le soutien matériel et moral de celui-ci. Dès lors, renvoyer le recourant au Canada serait de nature à compromettre l’intégration de B______ et d’C______ en Suisse.

Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et le dossier renvoyé à l’OCPM afin qu’il le transmette au SEM avec un préavis favorable.

18.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui obtient gain de cause, est dispensé du paiement d’un émolument. L’avance de frais de CHF 500.-, versée à la suite du dépôt du recours, lui sera restituée.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

19.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 7 juillet 2023 par Monsieur A______, agissant en son nom et en celui de ses filles B______ et C______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 9 juin 2023 ;

2.             l'admet ;

3.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution au recourant de l’avance de frais de CHF 500.- ;

4.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’office cantonal de la population et des migrations une indemnité de procédure de CHF 1'000.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.


Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière