Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/4206/2023

JTAPI/1446/2023 du 21.12.2023 ( MC ) , ADMIS

REJETE par ATA/34/2024

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);INTERDICTION DE PÉNÉTRER DANS UNE ZONE;CONDAMNATION;RÉVISION(DÉCISION)
Normes : LEI.74.al1.leta; LEI.74.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4206/2023 MC

JTAPI/1446/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 21 décembre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate, avec élection de domicile

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, ressortissant français né le ______ 1993, est domicilié à Annemasse (France). Il est inconnu de la justice pénale suisse.

2.             Le 22 septembre 2023, M. A______ a été interpellé par la police genevoise, dans le quartier des Pâquis, après avoir été observé en train de participer à la vente de 2,8 grammes de marijuana contre la somme de CHF 40.- à un tiers.

L’intéressé, alors en possession de 0.34 gramme de shit et de la somme de CHF 38,70, a nié avoir participé à la vente en question et a précisé que la drogue trouvée sur lui était destinée à sa consommation personnelle.

3.            Prévenu d’infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; trafic et consommation), M. A______ a été mis à disposition du Ministère public sur ordre du commissaire de police.

4.            Le 23 septembre 2023, le Ministère public a condamné M. A______ en raison des faits précités et l’a remis en mains des services de police.

5.            Le même jour, en application de l'art. 74 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au canton de Genève) pour une durée de six mois.

6.             Par courrier du 2 octobre 2023 adressé au Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI ou le tribunal), M. A______ a, sous la plume de son conseil, formé opposition contre cette décision, opposition qu’il a toutefois retirée le 11 octobre 2023.

7.            Par décision RTAPI/406/2023, le tribunal a pris acte du retrait de l’opposition et a rayé la cause du rôle.

8.            Par ordonnance de classement du 14 décembre 2023, le Ministère public, après avoir entendu M. A______, a mis à néant l’ordonnance pénale du 23 septembre 2023 vu la prévention pénale insuffisante s’agissant de la vente de produits stupéfiants et la faible quantité de cannabis - destiné à sa propre consommation - détenue.

9.            Par courrier daté du 15 décembre 2023, M. A______ a, sous la plume de son conseil, demandé la levée de la mesure d’interdiction de pénétrer prise le 23 septembre 2023, les raisons pour lesquelles cette mesure était apparue justifiée ayant disparu.

10.        Lors de l'audience de ce jour devant le tribunal, M. A______ a confirmé sa demande de levée de la mesure d'interdiction du 23 septembre 2023. Il souhaitait pouvoir continuer à se rendre à Genève, afin d'y trouver un emploi. Il cherchait du travail dans la restauration. Il avait déposé son CV, durant l'été 2023, auprès de B______ et de C______ et était dans l'attente de réponses.

Son conseil a plaidé et conclu à la levée de la mesure d'interdiction du 23 septembre 2023 pour les motifs exposés dans ses écritures du 15 décembre 2023, rappelant que son client était français et souhaitait travailler à Genève.

La représentante du commissaire de police a plaidé et conclu au maintien de la mesure d'interdiction du 23 septembre 2023, des mesures d'éloignement pouvant être prononcées indépendamment du prononcé d'une ordonnance pénale en présence d'indices concrets suffisants d'atteinte à l'ordre public. En l'espèce, l'ordonnance pénale du 23 septembre 2023 se fondait sur les observations de policiers assermentés. Par ailleurs, M. A______ avait admis être consommateur de drogues douces. Il n'avait enfin pas démontré ses recherches d'emploi à Genève.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Selon l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée dans les cas suivants :

a. l'étranger n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants ;

b. l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire ;

c. l'exécution du renvoi ou de l'expulsion a été reportée (art. 69, al. 3).

3.             L'art. 74 al. 3 LEI prévoit que ces mesures peuvent faire l'objet d'un recours auprès d'une autorité judiciaire cantonale. Le recours n'a pas d'effet suspensif.

4.             Selon l'art. 7 al. 4 let. c LaLEtr, le tribunal est compétent pour statuer sur les demandes de levée d'interdiction de quitter un territoire assigné ou de pénétrer dans une région déterminée déposées par l'étranger.

5.             Il résulte des dispositions fédérales et cantonale qui précèdent, que le droit fédéral prévoit uniquement la possibilité d'un recours contre une décision d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, mais non la possibilité d'en demander ultérieurement la levée, tandis que le droit cantonal donne au tribunal de céans la compétence de statuer sur des demandes de levée d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée. De la sorte, le droit cantonal institue en faveur de l'étranger une possibilité qui n'est pas prévue par le droit fédéral de remettre en cause une telle décision. La jurisprudence fédérale admet cependant la possibilité pour l'étranger de requérir en tout temps la levée de l'assignation d'un lieu de résidence (arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.3 renvoyant à un arrêt 2A.193/1995 du 13 juillet 1995 cité par Gregor CHATTON et Laurent MERZ in Code annoté de droit des migrations, vol. II, ad art. 74 p. 745 ch. 42), et l'on ne voit pas, dans la mesure où l'assignation d'un lieu de résidence ainsi que l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée découlent de la même base légale, ce qui empêcherait de considérer que la jurisprudence précitée s'appliquerait en réalité aussi bien à l'une qu'à l'autre de ces mesures.

6.             L'art. 8 al. 1 LaLEtr prévoit que les interdictions de quitter un territoire assigné ou de pénétrer dans une région déterminée peuvent faire l'objet d'une opposition auprès du tribunal, dans un délai de 10 jours à compter de leur notification, pour contrôle de leur légalité et de leur adéquation. L'art. 8 al. 3 LaLEtr prévoit quant à lui que les demandes de levée de détention et de levée d'interdiction de quitter un territoire assigné ou de pénétrer dans une région déterminée doivent être adressées par écrit au tribunal, sans qu'aucun délai ne soit mentionné.

7.             Si une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée peut être contestée par la voie d'une « opposition » (mais en réalité d'un recours) dans un délai déterminé, la possibilité d'en demander la levée en tout temps ne peut être comprise que dans la mesure où une telle demande se fonde sur des éléments que la personne concernée ne connaissait pas au moment où elle a fait - ou aurait pu faire - opposition, ou sur des circonstances qui se sont modifiées depuis lors. En effet, si l'on devait admettre la possibilité qu'une demande de levée d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée puisse se fonder sur des motifs que la personne concernée aurait déjà pu faire valoir dans le délai d'« opposition », cela reviendrait à priver de son sens l'institution même de l' « opposition » et surtout du délai qui lui est lié. Au demeurant, la jurisprudence fédérale susmentionnée concerne l'hypothèse d'une levée de l'assignation lorsque l'étranger apporte la preuve qu'il ne représente plus de danger pour l'ordre public ou qu'il se conformera à son obligation de partir (G. CHATTON/L. MERZ, eod. loc.), motifs qui traduisent un changement de circonstances par rapport à celles qui ont conduit au prononcé de la mesure.

8.             Le tribunal de céans a déjà jugé que le prononcé d’une ordonnance de classement constituait un fait nouveau pouvant fonder une demande de levée de la mesure d’interdiction (JTAPI/313/2023 du 16 mars 2013 confirmé par ATA/273/2023 du 13 avril 2023).

9.             Selon l’art. 9 al. 2 LaLEtr, le tribunal statue dans les 96 heures au plus qui suivent sa saisine sur les demandes de levée d'interdiction déposées par l'étranger.

10.         Statuant ce jour, le tribunal respecte le délai précité.

Pour le surplus, si des soupçons d’une menace pour l'ordre et la sécurité public existaient au moment du prononcé de la mesure d’interdiction, force est de constater qu'ils ont été levés par l'ordonnance de classement du 14 décembre 2023, quand bien même cette dernière n’est pas en force. Pour prononcer cette dernière, mettant à néant l’ordonnance pénale du 23 septembre 2023, le Ministère public a non seulement entendu l’intéressé mais s’est également fondé sur l’ensemble de son dossier pénal, dont le procès-verbal d’audition devant la police du 22 septembre 2023. Le tribunal retiendra dès lors que les conditions d’une mesure d’interdiction fondée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne sont plus remplies.

11.         Partant, le tribunal prononcera la levée de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise à l'encontre de M. A______.

12.         Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA).

13.         Vu l'issue du litige, il y a lieu d'allouer à M. A______ une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA ; 11 et 13 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

14.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______ et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

15.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande de levée d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 23 septembre 2023 pour une durée de six mois formée le 18 décembre 2023 par Monsieur A______ ;

2.             l'admet ;

3.             ordonne la levée de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 23 septembre 2023 à l'encontre de Monsieur A______  pour une durée de six mois ;

4.             condamne l'État de Genève, soit pour lui le commissaire de police, à verser à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 500.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier