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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3788/2023

JTAPI/1297/2023 du 20.11.2023 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : MESURE D'ÉLOIGNEMENT(DROIT DES ÉTRANGERS);VIOLENCE DOMESTIQUE;PROLONGATION
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3788/2023 LVD

JTAPI/1297/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 20 novembre 2023

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Virginie JAQUIERY, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 9 novembre 2023, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de onze jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée, située 1______, C______, et de contacter ou de s'approcher de Madame A______.

Selon cette décision, M. B______ était présumé avoir exercé un chantage psychologique sur Mme A______ en lui indiquant qu'il lui couperait les vivres si elle demandait le divorce ou qu'il mettrait fin à ses jours.

Il aurait exercé un harcèlement psychologique continu en dénigrant son épouse et en l'injuriant. À trois reprises, il l'aurait étranglée, dont une fois avec une telle violence que cette dernière avait cru perdre connaissance. Il lui aurait asséné plusieurs gifles et un coup de pied lors d'une dispute survenue il y avait plusieurs années. Il lui aurait également craché au visage, à une reprise, en présence des enfants et l'avait régulièrement rabaissée devant ces derniers.

2.             M. B______ ne s'est pas opposé à la mesure d'éloignement.

3.             Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 9 novembre 2023 que le jour en question, Mme A______ s'était présentée au poste de police de C______ en compagnie d'une personne de confiance, afin d'établir une main courante au sujet d'un conflit de longue date l'opposant à son mari. Il était apparu lors de l'entretien que les faits impactant la requérante étaient plus conséquents et dès lors une procédure pénale avait été ouverte. En substance, elle avait expliqué que depuis environ treize ans, elle subissait régulièrement des traitements humiliants et du harcèlement psychologique sur sa personne de la part de son mari. Les enfants du couple auraient assisté à certains des faits, sans en être la cible. En sus, elle avait décrit quatre épisodes de violences physiques sans pouvoir les situer précisément dans le temps. Elle n'avait pas pu produire de certificats médicaux ni de photographies attestant de ses blessures et elle n'avait fait appel à la police qu'une seule fois, suite à un conflit en 2013.

Entendu à son tour, M. B______ a entièrement contesté les faits. Selon lui, sa vie de couple et familiale était idéale et c'était seulement depuis une dizaine de jours que sa femme lui aurait déclaré ne plus l'aimer et l'aurait incité à quitter le domicile conjugal.

4.             Il ressort en substance du procès-verbal d'audition de Mme A______ du 9 novembre 2023 que le couple était marié depuis seize ans et que de leur union étaient nés deux enfants, D______, 11 ans et E______, 9 ans.

Durant les trois premières années de leur mariage, jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte, la relation se passait bien. Alors qu'elle devait avoir atteint le cinquième mois de sa grossesse, son mari avait complètement changé de manière brutale. Elle se souvenait que la mère de son époux était venue leur rendre visite depuis la Macédoine et qu'un soir, elle avait demandé à son fils de lui payer un voyage en Turquie. Elle avait été très énervée par cette demande, car son mari avait eu une histoire de famille compliquée. Son père était mort alors qu'il avait 16 mois et sa mère l'avait abandonné. C'était ainsi ses grands-parents qui l'avaient élevé. Elle avait donc réagi à la demande de la mère de son mari en lui disant qu'elle ne méritait pas d'avoir de l'argent car elle avait abandonné son fils. B______ avait très mal réagi à sa remarque et avait appelé son frère pour qu'elle se calme. La mère avait ensuite dit à son fils qu'il devrait se trouver une autre femme plus respectueuse et le fait qu'elle soit enceinte faisait qu'il serait toujours lié à elle d'une certaine manière. Suite à cette remarque, B______ lui avait demandé d'avorter ce qu'elle avait refusé. Son frère était venu sur place pour calmer la situation et l'histoire en était restée là. À la suite de cette discussion, il y avait eu une véritable rupture au sein du couple et elle s'était mise à consulter une psychologue pour l'aider. Durant la suite de sa grossesse, son mari était devenu impulsif pour tout et rien et tout devenait sujet à conflit à la maison. Il se montrait violent dans ses paroles et psychologiquement. Il la rabaissait sur son physique, en la traitant notamment de vache ou de dinde. Lors des discussions, il lui arrivait de la bousculer légèrement avec les mains pour la mettre dans un coin de l'appartement afin de l'intimider. Elle était dans un état émotionnel déplorable. L'accouchement de D______ avait été très difficile et puis sa fille avait eu du mal à faire ses nuits et pleurait beaucoup, c'était une enfant fragile. Tout cela agaçait fortement son mari qui faisait peser le poids de cette situation sur ses épaules. Selon lui, si l'enfant n'était pas bien, c'était de la faute de la mère. Il n'avait de cesse de la rabaisser tous les jours. Elle était quelqu'un de naïf qui n'avait pas beaucoup confiance en elle et il en jouait pour la tourmenter.

Son mari sortait beaucoup le soir. Au début, cela lui déplaisait car elle aurait souhaité qu'il passe du temps avec elle et la soutienne, mais avec le temps, elle en était venue apprécier ces moments de tranquillité. Au final, elle s'était habituée à ces violences psychologiques, qui étaient devenues une banalité pour elle.

Elle se souvenait aussi d'un jour, durant l'année 2013, où son mari l'avait poussée fortement avec ses deux mains et elle avait failli tomber. De plus, il lui avait jeté une boîte métallique dessus qui avait atterri sur son bras et causé une blessure. C'était ce jour qu'elle avait appelé la police et qu'une patrouille était venue sur place. Elle avait demandé à ce qu'une main courante soit établie.

Lorsque D______ avait six mois environ, son mari qui avait continué à changer, était devenu violent physiquement à son égard. Lors de leurs nombreuses disputes, pour des sujets divers, son mari l'avait étranglée à trois reprises. Elle ne se souvenait plus des dates, mais à deux reprises il lui avait serré la gorge suffisamment fort pour lui faire mal. Il l'intimidait et une fois il avait serré si fort qu'elle avait cru qu'elle allait s'évanouir. Elle n'avait plus osé appeler la police depuis cet épisode car son mari la menaçait de la quitter si elle le faisait. De plus, elle avait peur de lui.

Elle tenait à préciser qu'elle était issue d'une famille albanaise traditionaliste et que pour beaucoup d'entre elles, un divorce aurait été dévastateur dans sa position. Elle savait que si elle divorçait tout le monde lui tournerait le dos.

Elle n'avait jamais eu de marque visible de ces violences et n'avait jamais fait établir un constat médical. Les violences psychologiques n'avaient jamais cessé.

Elle avait eu envie d'un deuxième enfant, notamment pour permettre à sa fille de se sentir bien et son mari était indifférent à ce sujet. Elle était tombée enceinte de son deuxième enfant, qui avait actuellement huit ans. La grossesse s'était bien passée car dès qu'elle avait appris qu'elle était enceinte, ne voulant pas que la situation se répète comme durant sa première grossesse, elle avait demandé à son mari de vivre séparément ce qu'il avait accepté. Il dormait alors dans ce qui était actuellement la chambre des enfants et D______ dormait avec elle. Son mari avait accepté et tout s'était bien passé, même si son comportement n'avait pas vraiment évolué, ils ne faisaient que de s'éviter et il n'y avait aucune communication entre eux.

Peu après la naissance de E______, elle avait voulu divorcer mais avant d'avoir pu en parler à son mari, l'enfant avait fait un arrêt respiratoire et elle avait complètement mis sa situation de côté pour s'occuper de l'enfant.

Chaque année, ils allaient en Macédoine pour voir la famille de son mari avec les enfants ce qui était vraiment très difficile pour elle, car il faisait le nécessaire pour qu'elle se conforme scrupuleusement aux règles établies dans sa famille afin de passer pour une « bonne » femme. Il la rabaissait et était méchant dans ses propos. Par exemple, lorsqu'ils étaient sur place en Macédoine, il faisait comme il voulait avec les enfants et faisait en sorte de passer le moins de temps ensemble.

Six ou sept ans plus tôt, elle avait invité sa famille pour célébrer son anniversaire dans leur appartement. Elle était très contente ce jour-là même si son mari s'était montré très froid. En effet, il ne s'était pas levé une seule fois pour accueillir un membre de sa famille. À la fin de la réception, quand tout le monde était parti, elle lui en avait fait la remarque. Suite à cela, il était devenu hors de contrôle. Il lui avait asséné plusieurs gifles au niveau du visage et lui avait donné un coup de pied dans le dos. Elle ne se souvenait plus exactement de ce qui s'était passé mais elle avait protégé son visage avec les mains. C'était horrible. Elle n'avait pas eu de marque de ces violences. Si elle en avait eues, elle les aurait cachées. Les enfants n'avaient pas assisté à cette dispute.

Durant la pandémie, il y avait quatre ans environ, son mari avait voulu rendre visite à son oncle en Allemagne, ce avec quoi elle n'était pas d'accord. Ils étaient allés à Europa Park avec sa sœur et les enfants. Sur place, son mari avait reparlé de son envie d'aller voir son oncle et s'était énervé de ne pas y aller, étant donné qu'ils étaient déjà en Allemagne. Il avait piqué une crise alors qu'il y avait du monde autour d'eux et s'était mis à l'insulter en disant des horreurs sur sa famille comme « je baise ta conne de mère » et de « salope ». Sa sœur avait été très choquée.

Deux ans plus tard, ils s'étaient une nouvelle fois rendus à Europa Park et son mari avait de nouveau insisté pour aller voir son grand-oncle ce qu'elle avait refusé. Il lui avait alors dit qu'elle n'avait pas le choix et que c'était lui qui commandait. Finalement, il avait accepté de rentrer en Suisse mais sur le trajet de retour, il lui avait fait payer son refus en l'insultant et en la menaçant qu'il allait la quitter et l'abandonner. Ces enfants qui avaient 9 et 6 ans avaient été témoins de la scène. Une fois arrivés à Genève, son mari était parti et n'avait donné aucune nouvelle pendant trois jours. Elle s'était retrouvée démunie et seule pour s'occuper des enfants. À son retour, il lui avait craché au visage en présence des enfants et il avait ajouté qu'il ne l'avait jamais aimée, qu'il ne l'aimerait jamais et qu'il restait uniquement pour les enfants. Encore aujourd'hui, les enfants assistaient fréquemment à ses sautes d'humeur. Pourtant, il ne s'était jamais montré violent à leur encontre et elle pouvait dire que c'était un père aimant.

L'an passé, alors qu'ils étaient en Macédoine, elle s'était rendue seule au domicile de ses parents afin de leur dire au revoir étant donné qu'ils retournaient en Suisse le lendemain. Revenue auprès de son mari, plus tard dans la soirée, elle l'avait retrouvé furieux. Il avait appelé son père pour lui dire qu'il avait une sale fille et l'avait insulté de tous les noms. Puis, il avait cassé son téléphone portable de rage. C'était D______ qui avait dû s'interposer entre eux car elle avait eu peur. Le conflit en était resté là. Par la suite, son mari lui avait racheté un portable mais son geste était inadmissible.

Les injures n'avaient fait que de s'intensifier durant les cinq dernières semaines. Il ne cessait de dire « je nique ton père », « je nique ta mère », «je nique tes morts ». Il n'avait plus aucun respect pour elle en tant qu'être humain. Lorsqu'elle avait émis l'idée de divorcer, son mari s'était énervé et répété qu'elle serait toujours sous son contrôle.

Le 8 novembre 2023, ils s'étaient encore disputés et il avait préparé une valise, menaçant de partir en Macédoine. Il l'avait insultée pendant dix minutes puis il lui avait ordonné d'aller dans la chambre ou alors il la frapperait.

Il s'était mis à pleurer et à crier jusqu'à tard dans la nuit et cela avait réveillé les enfants. Il répétait sans cesse que le divorce était de sa faute et qu'elle allait l'éloigner de ses enfants.

Au bout d'un moment, elle était sortie de la chambre et avait essayé de le raisonner en lui disant que c'était normal de divorcer lorsque la situation n'allait pas bien. Il lui avait répondu qu'il avait envie de la frapper mais qu'il s'abstenait, car il n'avait pas envie qu'elle appelle la police. Il a ajouté qu'il ne payerait plus sa part pour l'appartement ni son assurance-maladie. Étant femme au foyer, elle dépendait de lui. Il avait également indiqué que même s'ils divorçaient personne ne le forcerait à quitter la maison et qu'il y resterait toujours. Enfin, il avait menacé de mettre fin à ses jours si elle demandait le divorce.

Elle a précisé qu'elle-même ne renchérissait pas aux insultes de son mari. Elle n'avait jamais levé la main sur lui spontanément mais essayait plutôt de se débattre lorsqu'il s'approchait trop d'elle et elle ne l'avait jamais menacé.

Selon une note au rapport d'audition, Mme A______ n'avait pas réussi à contenir ses larmes et semblait très affectée par la situation.

5.             Également entendu le même jour, M. B______ a contesté l'intégralité des faits reprochés par sa femme. Celle-ci n'avait pas de preuve et ses enfants pourraient attester de son innocence. Il n'avait pas grand-chose à répondre aux accusations formulées, comme le fait qu'il aurait de l'emprise sur elle. Pour lui, elle devait aller se faire soigner chez un psychologue. Tout était faux. Il demandait des preuves.

Concernant le souhait de sa femme de divorcer, elle pouvait très bien divorcer mais il couvrait quand même toutes ses dépenses. Jusqu'au divorce, elle aurait le train de vie qu'elle avait toujours eu mais après ce ne serait plus pareil. Sa femme lui avait proposé de quitter l'appartement ce qu'il avait refusé.

Il n'y avait jamais eu de problème entre eux jusqu'à environ dix jours plus tôt et ils avaient une vie heureuse. Un jour, en rentrant du travail, sa femme l'attendait à la maison et lui avait dit sans raison qu'elle ne l'aimait plus et qu'elle voulait qu'il quitte l'appartement. Il maintenait que cela s'était passé ainsi. La situation familiale était très bonne, il travaillait la semaine, le week-end, il s'occupait de sa femme et des enfants. Il lui arrivait effectivement de sortir le soir en semaine pour se relaxer car il travaillait du lundi au vendredi de 10 heures à 19 heures. Depuis qu'elle lui avait dit qu'elle ne l'aimait plus, il avait compris et il s'était fait une raison. Il acceptait son choix. Des années plus tôt, sa femme lui avait dit que le jour où elle ne l'aimerait plus, elle le lui dirait. Il contestait exercer une emprise sur sa femme. Elle menait une vie normale de femme émancipée, chose qu'elle n'aurait pas forcément Macédoine.

6.             Par acte du 15 novembre 2023, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______, par l’intermédiaire de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de vingt jours.

Elle faisait l'objet de violences physiques et psychiques exercées à son encontre par son époux depuis plusieurs années qui se traduisaient notamment sous la forme d'un harcèlement continu. Outre des événements de violence physique, son mari n'avait de cesse de la dénigrer, rabaisser, humilier et insulter. Elle n'avait pas accès à l'argent du ménage. Elle souffrait de cette situation et se trouvait actuellement dans une détresse psychologique importante.

Elle n'entendait plus reprendre la vie commune et souhaitait déposer une requête de mesures protectrices de l'union conjugale. Si son mari devait retourner au domicile conjugal, la perspective d'une prochaine procédure civile ne ferait qu'amplifier les tensions existant au sein du couple et de la famille, exposant ses membres un risque de réitération de violences psychologiques voire physiques. La mesure d'éloignement était nécessaire afin qu'elle et ses enfants retrouvent un climat familial apaisé. Ceci était d'autant plus vrai que malgré l'interdiction signifiée à M. B______, ce dernier n'avait pas hésité à appeler à maintes reprises sa fille et à lui adresser un message par l'intermédiaire de sa fille ou de sa famille. Ce comportement était inacceptable.

7.             Lors de l'audience du 17 novembre 2023, Mme A______ a confirmé sa demande de prolongation pour une durée de vingt jours.

M. B______ a indiqué qu’il n’était pas opposé à la prolongation de la mesure dès lors qu’il avait un logement séparé. Il avait trouvé un logement à son nom. Son domicile se trouvait ainsi à l'avenue 1______, F______. Toutefois, si son épouse était d'accord, il retournerait vivre au domicile familial.

Il a confirmé sa position défendue devant le commissaire de police en ce sens qu’il contestait tous les reproches et accusations formulés par son épouse. De son point de vue, ils avaient vécu quinze belles années ensemble et il y a quinze jours, sa femme avait complètement changé en lui demandant de quitter le domicile conjugal. Cela n'avait pas été facile pour lui. Il ne comprenait pas les raisons de son épouse. Pour lui, sa réaction était tout à fait soudaine et inattendue. Si comme elle le disait, sa femme vivait un enfer depuis treize ans, il ne comprenait pas comment ils avaient pu avoir deux enfants et partir chaque année en vacances. Elle aurait également pu requérir l'intervention de la police si elle l'avait estimé nécessaire.

Mme A______ a pour sa part confirmé la totalité de ses déclarations à la police. En effet, les violences psychologiques avaient débuté alors qu’elle attendait leur fille D______ en 2011. Elle avait également subi plusieurs violences physiques qu’elle avait relatées devant la police, mais c'était surtout de violences psychologiques qu’elle souffrait. Concernant ses enfants, elle n’avait jamais constaté de violence de la part de son mari sur eux. Il lui avait été rapporté qu’à une reprise deux claques aurait été données par son mari à D______ alors que celle-ci allait s'engager sur la route sans permission. Elle a confirmé également avoir fait l'objet de multiples insultes de la part de son mari, lequel insultait également sa famille et les défunts de sa famille.

Désormais, elle souhaitait divorcer, elle n’en pouvait plus de cette situation. Elle avait fait ce pas malgré la désapprobation de sa famille. Depuis que son mari avait quitté la maison, elle avait l'impression qu'il avait emporté avec lui un poids énorme. Elle avait dû arrêter le collège du soir car elle n’allait vraiment pas bien, ce qu'avaient d'ailleurs remarqué les professeurs. Elle a ajouté que le matin avant que son mari parte au travail, elle faisait tout pour l'éviter en sortant faire un tour après avoir emmené les enfants à l'école.

M. B______ a contesté totalement toutes insultes à l'encontre de la famille de son épouse. D'ailleurs, il travaillait avec sa famille depuis quinze ans. Il mangeait et buvait avec eux régulièrement. Par rapport à l'événement rapporté par son épouse au sujet de deux claques données à sa fille, il a contesté l'avoir giflée sur le visage mais a indiqué lui avoir donné effectivement deux tapes sur les cuisses. Il avait réagi ainsi par peur qu'elle se fasse écraser par une voiture. Une dame ayant assisté à cet événement avait appelé la police. Il avait d’ailleurs attendu la police et lui avait expliqué ce qui s'était passé. Le policier avait fait preuve de grande compréhension à son égard.

Il a ajouté qu’il avait pris rendez-vous avec VIRES jeudi 23 octobre 2023. Il était exact que depuis le prononcé de la mesure il avait souvent appelé sa fille D______, car il n’avait pas du tout l'habitude d'être éloigné de ses enfants. Il n’avait pas cherché à communiquer avec sa femme par l'intermédiaire de sa fille à l'exception d'une requête visant l'obtention de divers papiers tels que le contrat de bail.

Mme A______ a indiqué que son époux avait cherché à la joindre par l'intermédiaire de sa fille notamment concernant divers papiers. Il avait appelé leur fille à tant de reprises qu’elle avait été s’en plaindre à la police le lundi 13 novembre 2023.

M. B______ a précisé que la police lui avait effectivement reproché les nombreux téléphones à sa fille. Il en avait pris bonne note. Désormais, il ne la contactait qu'une ou deux fois par jour. Depuis, il avait pu expliquer la situation à ses enfants et que désormais il vivait ailleurs. Il avait également pu les rencontrer deux ou trois fois. Ses enfants étaient venus le voir à son travail ainsi que chez leur oncle maternel.

Mme A______ a souligné qu’elle n'était pas du tout opposée au maintien des relations personnelles entre ses enfants et leur père. D'ailleurs, elle avait elle-même amené E______ et D______ à proximité de la cordonnerie où travaillait son mari. Ce soir encore elle laisserait ses enfants aller manger dans le nouveau logement de leur papa.

Les sautes d’humeur de son mari n’étaient pas dues à une quelconque consommation. Il ne buvait pas et ne consommait pas de drogue. Pour elle, ses difficultés étaient liées à une enfance douloureuse. Elle lui avait suggéré de consulter mais il n'avait jamais accepté.

M. B______ a indiqué que ce qui s’était passé dans son enfance, c'était précisément alors qu’il était enfant. Désormais, il était un adulte et n’avait pas la nécessité de consulter.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, face aux déclarations totalement contradictoires des époux, on ne parvient pas à déterminer ce qui s'est réellement passé au domicile de ces derniers le 8 novembre 2023, ainsi qu'au cours des mois, voire des années qui ont précédé cette date. Une procédure pénale est d'ailleurs en cours à cet égard.

Selon la demanderesse, les violences physiques et psychologiques de la part de M. B______ auraient déjà fait leur apparition en octobre 2011.

Quant à M. B______, il conteste toute violence de sa part, et considère que leur vie conjugale était heureuse jusqu'à tout récemment lorsque sa femme lui a indiqué souhaiter qu'il quitte le domicile conjugal sans qu'il en comprenne les raisons.

Cela étant, la version défendue par ce dernier, selon lequel tout irait bien dans le couple ne résiste pas aux déclarations tout à fait opposées de son épouse. En effet, on ne saurait qualifier de bonne la situation d'un couple dans laquelle l'un des partenaires déclare subir des violences physiques et psychologiques depuis des années, craindre son conjoint et en arriver à souhaiter la séparation. Manifestement, M. B______ est dans le déni de la crise que vit son couple et il n'est dès lors pas possible de faire autrement que de retenir qu'il est également dans le déni de la peur qu'il inspire à son épouse.

Compte tenu en outre de la perspective d'une prochaine séparation, des démarches envisagées à cette fin et de la volonté de ne plus reprendre la vie commune exprimée par la demanderesse, la période paraît peu propice à un retour de M. B______ au domicile conjugal dès le 20 novembre 2023. Ce dernier accepte au demeurant la prolongation de la mesure d'éloignement.

En conclusion, même si, certes, la mesure d'éloignement, a fortiori sa prolongation, n'a pas pour objectif de donner du temps aux personnes concernées, pour qu'elles organisent leur vie séparée, prenant acte de la volonté exprimée par chacune des deux parties, à laquelle il convient de donner suite, le tribunal prolongera la mesure d'éloignement en cause jusqu'au 10 décembre 2023, 18h00 (pour éviter un éventuel retour au cœur de la nuit). Partant, pendant cette nouvelle période de vingt jours, il sera toujours interdit à M. B______ de contacter et de s'approcher de Mme A______, ainsi que de s'approcher et de pénétrer au domicile conjugal.

Enfin, il sera rappelé que le défendeur pourra, cas échéant, venir chercher dans l'appartement conjugal, ses effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties et accompagné de la police.

5.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

6.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 15 novembre 2023 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 9 novembre 2023 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de vingt jours, soit jusqu'au 10 décembre 2023 à 18h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit que la procédure est franche d'émolument ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police et au tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant pour information.

 

Genève, le

 

La greffière