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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3750/2022

JTAPI/458/2023 du 27.04.2023 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : PLAN DIRECTEUR;AUTORISATION DÉROGATOIRE(EN GÉNÉRAL);EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION;PRISE DE POSITION DE L'AUTORITÉ
Normes : LCI.59.al4; LCI.59.al4bis; LPA.61.al1.leta
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3750/2022 LCI

JTAPI/458/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 27 avril 2023

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Rodrigue SPERISEN, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             Par requête enregistrée auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département) le 29 juillet 2022 sous numéro DD/1______/1, A______ SA a déposé auprès de cette autorité une demande d'autorisation pour la construction d'une villa mitoyenne avec garage et pour la modification d'une villa contiguë existante sur la parcelle n° 2______ de la commune de Versoix, située en 5ème zone villa à l'adresse chemin B______.

2.             Selon la requête, la surface brute de plancher (SBP) de la nouvelle villa correspondrait à 30 % de celle de la parcelle et la modification de la villa existante porterait la SBP à 40 % de la surface de la parcelle.

3.             Par préavis du 17 août 2022, l'office des autorisations de construire (OAC) a demandé la production de pièces complémentaires et des modifications du projet. La requérante était invitée à fournir des plans et coupes signées par un géomètre officiel, qui indiquerait les zones inconstructibles, notamment s'agissant de la lisière forestière. Par ailleurs, une place de parking devant le bâtiment existant devait être attribuée à ce dernier, cette information devant être ajoutée sur les plans. Quant à la salle de douche au premier étage, elle ne respectait pas les distances et vues droites. Les dérogations nécessaires, à savoir concernant la proximité de la construction par rapport à la lisière de la forêt et par rapport au cours d'eau voisins, seraient laissées à l'appréciation des instances spécialisées.

4.             Par préavis du 17 août 2022, l'office cantonal de l'agriculture et de la nature (OCAN) a demandé à la requérante qu'elle fournisse une requête en autorisation d'abattage ainsi qu'un plan d'abattage concernant la végétation arborée. Elle était également invitée à fournir un plan d'aménagement paysager en adéquation avec la structure naturelle du site et proposant un positionnement plus irrégulier des nouvelles plantations.

5.             Par préavis du 17 août 2022, la commune de C______ (ci-après : la commune) a rendu un préavis défavorable. La mutation parcellaire prévoyait un taux pour la villa existante de 52 % non compatible avec la zone villa ; le total des SBP sur l'ensemble de la parcelle existante représentait un taux de 35 % pour lequel une dérogation était nécessaire ; une partie de la nouvelle villa se situerait au-delà de la distance minimum à la lisière de la forêt ; enfin, « dans l'attente des conclusions de l'étude de stratégie de la zone 5 permettant de définir un développement cohérent et qualitatif de la zone 5, la Commune décide de préaviser défavorablement toute demande d'autorisation en zone villa ».

6.             Par décision du 13 octobre 2022, le département a rejeté la requête en autorisation. Le projet portait sur la réalisation d'une villa mitoyenne d'un standard de très haute performance énergétique avec un indice d'utilisation du sol de 30 % et entraînant la modification du taux de la villa contiguë existante, qui passerait de 17 à 40 %. Dans cette mesure, un préavis favorable de la commune apparaissait nécessaire. Or, la commune, qui ne bénéficiait pas encore d'un plan directeur communal définissant la stratégie de densification de sa cinquième zone, s'était opposée au projet. Par conséquent, le département n'avait pas d'autre choix que de refuser de délivrer l'autorisation sollicitée.

7.             Cette décision était accompagnée d'une facture n° 3______du 13 octobre 2022 prononçant un émolument de CHF 1'250.-.

8.             Par courriel du 1er novembre 2022, A______ SA a demandé à la commune de détailler les motifs de son préavis négatif, étant donné que la densification prévue par le projet était conforme aux limites prévues par la loi.

9.             En réponse, par courriel du 2 novembre 2022, la commune a expliqué que les calculs de densification n'étaient pas en cause, mais que « L'étude de stratégie de développement de la zone villa, qui a pour but de définir les secteurs dans lesquels une dérogation à la densité est possible, est actuellement en cours au sein de la commune. Tant que les principes directeurs de cette stratégie ne sont pas définis, la commune préavise défavorablement, avec un effet contraignant, toute demande de dérogation à l'art. 59 LCI ».

10.         Par acte du 11 novembre 2022, A______ SA a recouru contre le refus d'autorisation et contre l'émolument auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à l'annulation de ces deux décisions.

En substance, le refus d'autorisation découlait d'une violation du pouvoir d'appréciation de la commune dans le cadre du préavis qu'elle avait rendu le 5 septembre 2022, par un excès négatif de ce pouvoir.

Quant à la facture d'émolument, elle n'était pas justifiée, puisque le refus d'autorisation dont elle découlait ne l'était pas.

11.         Par écritures du 16 janvier 2023, le département a conclu au rejet du recours. En substance, il ne disposait d'aucune marge de manœuvre sur la décision à rendre, puisqu'il était lié, jusqu'au 31 décembre 2022, par les préavis négatifs que pouvaient rendre les communes.

12.         A______ SA a répliqué le 10 février 2023 en reprenant pour l'essentiel son argumentation précédente et en soulignant pour le surplus que la plateforme en ligne de la commune affirmait que cette dernière préavisait défavorablement toute demande de construction de logement, avec ou sans dérogation, dans l'attente des conclusions de l'étude de stratégie de la zone 5.

13.         Le département a dupliqué le 7 mars 2023 en persistant dans ses écritures précédentes.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             La recourante fait grief à la décision litigieuse de se fonder sur un préavis défavorable de la commune qui ne serait lui-même pas légitime en regard de l'art. 59 al. 4 et al. 4bis LCI. En effet, selon la recourante, la commune ne pouvait pas décider, au motif qu'elle n'avait pas encore défini de stratégie de développement de la zone 5 dans son plan directeur communal (PDCom), qu'elle refuserait systématiquement toute demande de dérogation au sens de l'art. 59 al 4 LCI. Il s'agissait d'une position politique et non juridique par laquelle la commune démontrait qu'elle renonçait d'emblée à exercer son pouvoir d'appréciation, en violation de l'art. 61 al. 1 let. a LPA.

4.             L'art. 59 al. 4 LCI, dont le but est de favoriser la densification de l'habitat en zone villa, prévoit que dans les périmètres de densification accrue définis par un plan directeur communal approuvé par le Conseil d'État et lorsque cette mesure est compatible avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, le département :

a) peut autoriser, après consultation de la commune et de la commission d’architecture, un projet de construction en ordre contigu ou sous forme d’habitat groupé dont la surface de plancher habitable n’excède pas 44% de la surface du terrain, 48% lorsque la construction est conforme à un standard de très haute performance énergétique (TPHE), reconnue comme telle par le service compétent;

b) peut autoriser exceptionnellement, lorsque la surface totale de la parcelle ou d’un ensemble de parcelles contiguës est supérieure à 5 000 m2, avec l’accord de la commune exprimé sous la forme d’une délibération municipale et après la consultation de la commission d’architecture, un projet de construction en ordre contigu ou sous forme d’habitat groupé dont la surface de plancher habitable n’excède pas 55% de la surface du terrain, 60% lorsque la construction est conforme à un standard de très haute performance énergétique (TPHE), reconnue comme telle par le service compétent.

L'art 59 al. 4bis LCI, entré en vigueur le 28 novembre 2020, prévoit que dans les communes qui n’ont pas défini de périmètres de densification accrue dans leur plan directeur communal, lorsque les circonstances le justifient et que cette mesure est compatible avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, le département peut accorder des dérogations conformes aux pourcentages et aux conditions de l’alinéa 4, lettres a et b. Pour toutes les demandes d’autorisation de construire déposées avant le 1er janvier 2023 un préavis communal favorable est nécessaire.

5.             S'agissant de cette dernière disposition, le tribunal a eu l'occasion de retenir dans un jugement du 16 novembre 2022 (JTAPI/1229/2022) auquel se réfèrent les parties, qu'elle a pour but d'aménager une période transitoire laissant aux communes le temps nécessaire pour procéder à l'établissement des périmètres de densification. Cette période transitoire signifie que, passée la date du 31 décembre 2022, « le département pourrait autoriser des constructions dans les cas où les communes n'auraient pas défini ses périmètres ou qu'il y aurait un désaccord. Si les communes refusent ou que le département n'est pas d'accord avec la manière dont les choses ont été faites, le département peut émettre une réserve à l'approbation du PDCom et donnerait par la suite des autorisations en fonction des critères sur lesquels ils travaillent actuellement pour améliorer la qualité des projets » (rapport PL 12566-A p. 15 ; https://ge.ch/grandconseil/data/texte/PL12566A.pdf).

6.             Selon l'art 61 al. 1 let. a LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation.

Selon la jurisprudence, commet un excès positif de son pouvoir d'appréciation, l'autorité qui exerce son appréciation alors que la loi l'exclut, ou qui, au lieu de choisir entre les deux solutions possibles, en adopte une troisième. Il y a également excès du pouvoir d'appréciation dans le cas où l'excès du pouvoir est négatif, soit lorsque l'autorité considère qu'elle est liée, alors que la loi l'autorise à statuer selon son appréciation, ou qu'elle renonce d'emblée en tout ou partie à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 73 ; 116 V 307 consid. 2 p. 310 et réf. cit).

7.             En l'occurrence, la recourante ne prétend pas, à juste titre, que la commune concernée dans le cadre du présent litige disposait, lorsqu'elle a rendu son préavis du 5 septembre 2022, d'une stratégie de densification de la zone 5, situation qui aurait en soi exclu la possibilité de fonder un préavis négatif sur l'art. 59 al. 4bis LCI, comme dans le cadre de l'affaire qui a donné lieu au JTAPI/1229/2022 du 16 novembre 2022 cité plus haut. À cet égard, le tribunal relèvera qu'en effet, au moment des travaux législatifs qui ont donné lieu à l'art. 59 al. 4bis LCI, la commune faisait partie des onze communes, sur les vingt-huit concernées, qui n'avaient pas encore initié l'élaboration d'une telle stratégie (rapport PL 12566-A pp. 57-58). Au moment de rendre son préavis, la commune n'avait pas encore défini de périmètres de densification accrue dans son plan directeur communal, au sens de l'art. 59 al. 4bis LCI. Pour toute demande d'autorisation de construire déposée jusqu'au 31 décembre 2022, son accord était donc nécessaire pour un projet de densification au sens de l'art. 59 al. 4 LCI.

8.             Reste donc la question de savoir si, en préavisant négativement le projet litigieux, la commune a commis un excès négatif de son pouvoir d'appréciation au sens de l'art. 61 al. 1 let. a LPA et de la jurisprudence rappelée ci-dessus.

Le préavis en question relève que la mutation parcellaire prévoit un taux pour la villa existante de 52 % non compatible avec la zone villa, que le total des SBP sur l'ensemble de la parcelle existante représente un taux de 35 % pour lequel une dérogation à l'art. 59 LCI est nécessaire, qu'une partie de la nouvelle villa se situerait au-delà de la distance minimum à la lisière de la forêt, et enfin que, « dans l'attente des conclusions de l'étude de stratégie de la zone 5 permettant de définir un développement cohérent et qualitatif de la zone 5, la Commune décide de préaviser défavorablement toute demande d'autorisation en zone villa ».

Il convient par ailleurs de rappeler que de son côté, l'OAC, dans son préavis du 17 août 2022, a requis la production de documents complémentaires, à savoir notamment des plans et coupes signées par un géomètre officiel qui devraient indiquer les zones inconstructibles, notamment par rapport à la lisière forestière. Une dérogation pour une construction à proximité de la lisière forestière serait laissée à l'appréciation des instances spécialisées.

Au vu de ce qui précède, il n'est pas possible de suivre la recourante sur son argumentation relative au fait que la commune n'aurait pas exercé son pouvoir d'appréciation de manière concrète sur le projet litigieux, puisqu'elle a relevé notamment que celui-ci ne respectait pas la distance minimum à la lisière de la forêt, telle que définie par l'art. 11 de la loi sur les forêts du 20 mai 1999 (LForêts - M 5 10). Certes, elle a ajouté à cela le fait qu'elle entendait s'opposer à toute demande d'autorisation en zone villa [impliquant l'application de l'art. 59 al. 4 LCI], mais force est de constater qu'il ne s'agit pas du seul élément sur lequel elle a fondé son préavis négatif.

9.             Dans cette mesure, l'argumentation de la recourante tombe à faux et, pour la même raison, il importe peu que la commune ait indiqué, soit dans son courriel du 2 novembre 2022 adressé à la recourante, soit sur son site internet, qu'elle entendait s'opposer à toute densification de la zone 5 jusqu'à l'approbation de sa stratégie de densification de cette zone.

10.         Il convient encore de préciser que le fait qu'au jour du présent jugement, soit au-delà de l'échéance du 1er janvier 2023 prévue par l'art. 59 al. 4bis LCI, le PDCom de la commune n'intègre toujours pas une stratégie de densification de la zone 5 dûment approuvée par le Conseil d'État (https://www.versoix.ch/ sites/travaux/strategie-de-densification-de-la-zone-5-5231#:~:text=La%20loi% 20sur%20les%20constructions,tr%C3%A8s%20haute%20performance%20%C3%A9nerg%C3%A9tique%20THPE).), ne change rien à ce qui précède, dès lors que la requête en autorisation litigieuse a été déposée avant cette échéance.

11.         Il en ira cependant différemment si la recourante dépose un nouveau projet.

12.         Au vu de ce qui précède, le recours devra être rejeté en tant qu'il conclut à l'annulation du refus d'autorisation de construire DD/1______/1 du 13 octobre 2022.

13.         S'agissant de la facture d'émolument n° 3______du 13 octobre 2022, la recourante ne la conteste que dans la mesure où elle est rattachée à une décision qu'elle demande au tribunal d'annuler. Elle ne soutient pas, dans l'hypothèse où cette décision serait au contraire confirmée, que l'émolument question serait illégal pour un autre motif.

Dans la mesure où le tribunal confirme le refus d'autorisation de construire DD/1______/1 du 13 octobre 2022, il ne peut que confirmer la décision d'émolument litigieuse et rejeter le recours également en tant qu'il concluait à son annulation.

14.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais de même montant versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 11 novembre 2022 par A______ SA contre la décision du département du territoire du 13 octobre 2022 rejetant sa requête d'autorisation DD/1______/1 et contre la facture d'émolument n° 3______du 13 octobre 2022 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Saskia RICHARDET VOLPI et Patrick BLASER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

 

Genève, le

 

La greffière