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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/971/2023

JTAPI/358/2023 du 28.03.2023 ( MC ) , ADMIS

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION
Normes : LEI.75.al1.ch1; LEI.76.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/971/2023 MC

JTAPI/358/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 28 mars 2023

 

dans la cause

 

M. A______

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


 

EN FAIT

1.             M. A______, né le 1er janvier 1995, a été identifié comme étant originaire du Nigeria à la suite de son audition par une délégation de ce pays organisée à Berne le 18 octobre 2022.

Il est arrivé en Suisse, pour la première fois, le 20 décembre 2013 en tant que requérant d’asile, sa demande ayant toutefois été rejetée par le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : le SEM) le 10 avril 2014 et son expulsion de Suisse ordonnée.

2.             Le 4 avril 2022, M. A______ et quatre autres personnes séjournant illégalement en Suisse ont été appréhendés par les services de police genevois dans un appartement. Dans ses affaires personnelles, la police a saisi un total de 209,8 gr brut de cocaïne conditionnée sous différentes formes.

Lors de son audition, M. A______ a admis s'adonner trafic de cocaïne en vendant cette drogue dans les rues. Il agissait de la sorte afin de payer les frais médicaux de sa mère atteinte d'un cancer. Il n’avait aucun moyen légal de subsistance, ni famille ou attaches particulières en Suisse et à Genève.

3.             Par jugement du 24 août 2022, le Tribunal pénal de Genève a déclaré
M. A______ coupable d'infractions à l’art. 19 al. 1 let. c et d de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) et à l’art. 115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). Il a été condamné à une peine privative de liberté de huit mois, sous déduction de cent quarante-trois jours de détention avant jugement, la peine privative de liberté ayant été prononcée avec sursis. Le Tribunal pénal a également ordonné l’expulsion de Suisse de
M. A______ pour une durée de trois ans, selon l’art. 66abis al. 1 du code pénal suisse (CP – 311.0).

4.             Auparavant, M. A______ a été condamné à six reprises pour la période du
2 janvier 2015 au 25 février 2021, pour des infractions à la LStup, entrées et séjours illégaux au sens de la LEI, ou encore empêchement d’accomplir un acte officiel au sens de l’art. 286 al. 1 CP.

5.             Le 1er janvier 2023, M. A______ a été libéré par les autorités pénales et remis entre les mains des services de police en vue de son refoulement ; au bénéfice d'un laissez-passer, il était inscrit sur un vol pour le Nigeria au départ de Genève le
9 janvier 2023.

6.             Le même jour, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de trois mois.

7.             Entendu par le tribunal le 3 janvier 2023 dans le cadre du contrôle judiciaire de cette décision, M. A______ a déclaré notamment que sa situation était très mauvaise et compliquée. Il ignorait que les autorités nigérianes avaient établi un laissez-passer en sa faveur. De même, il n'était pas au courant du fait qu'une expulsion pénale avait été prononcée à son encontre par le tribunal de police. Il avait appris qu'un vol à destination du Nigéria lui avait été réservé, mais il n’en connaissait pas la raison. Il était d'accord de prendre ce vol. Il était exact qu’en avril 2022 il avait été impliqué dans le trafic de cocaïne en raison de la maladie de sa mère, qui souffrait d'un cancer. Durant sa détention, on l'avait toutefois informé que cette dernière était décédée.

8.             Le conseil de M. A______ a conclu à l'annulation de l'ordre de mise en détention du 1er janvier 2023 et à ce qu'une mesure d'assignation territoriale soit prononcée à son encontre. Il a, en substance, relevé que l’infraction à la Lstup pour laquelle son mandant avait été condamné ne remplissait pas les critères d’intensité requis par la jurisprudence. De même, la participation à un trafic de stupéfiants était un acte isolé en lien avec la maladie de la mère de
M. A______. Contrairement à ce que les autorités pénales avaient retenues, le pronostic futur n’était pas défavorable. De même, dès lors que M. A______ avait accepté de prendre place dans le vol réservé pour lui le 9 janvier 2023, il n’y avait pas de risque de fuite. Ainsi, du point de vue de la proportionnalité, une mesure d’assignation à un territoire apparaissait plus appropriée.

9.             Par jugement JTAPI/1/2023 du 3 janvier 2003, le tribunal de céans a néanmoins confirmé l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police à l’encontre de M. A______ pour une durée de trois mois, soit jusqu'au 31 mars 2023.

10.         Par requête du 25 janvier 2023 reçue par le tribunal le 27 janvier 2023, M. A______ a déposé une demande de mise en liberté, exprimant le fait qu'il était « totalement contre l'idée de partir en Afrique » et qu'il souhaitait quitter rapidement le territoire suisse.

11.         Lors de sa comparution devant le tribunal, M. A______ a expliqué, s'agissant des raisons de sa demande de mise en liberté et en plus de sa requête écrite, qu'il n'avait pas été opposé à retourner en Afrique jusqu'à ce qu'on le présente à une délégation d'un pays africain. Il n'avait pas très bien compris ce qui s'était passé à ce moment-là. Depuis lors, même s'il ne prétendait plus vouloir rester en Suisse, il souhaitait se rendre dans un autre pays européen, plus spécifiquement en Espagne, où il avait un enfant en bas âge. Il avait déposé une demande d'asile dans ce pays, puis une autre en Suisse, et depuis lors était retourné à quelques reprises en Espagne, mais il avait également résidé en France. Il souhaitait à présent retourner en Espagne. Il n'avait pas formellement reçu d'autorisation de séjour en Espagne, mais une demande à ce sujet était en cours avant son arrestation à Genève en avril de l'année précédente.

12.         La représentante de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a indiqué, sur question du tribunal, que le vol du 9 janvier 2023 avait été annulé en raison du refus de M. A______ d'embarquer dans l'avion et un nouveau vol, cette fois avec escorte policière, était prévu pour le 22 février 2023.

13.         Par jugement JTAPI/124/2023 du 31 janvier 2023, le TAPI a rejeté et confirmé en tant que de besoin la détention administrative de l'intéressé jusqu'au 31 mars 2023, retenant notamment qu'aucun changement significatif n'était intervenu dans les circonstances que le tribunal avait déjà appréciées en confirmant la détention par jugement du 3 janvier 2023. Par ailleurs, il existait toujours un intérêt public à l'exécution de son expulsion judiciaire. Enfin, il avait démontré par ses précédentes condamnations pénales qu'il n'était pas particulièrement enclin à respecter l'ordre juridique, puis avait refusé de prendre place à bord du vol prévu pour lui le 9 janvier 2023, tout en continuant à affirmer ne pas vouloir retourner dans un pays d'Afrique, mais vouloir se rendre dans un pays d'Europe sans toutefois disposer d'un titre quelconque l'y autorisant. Par conséquent, aucune mesure moins incisive que sa détention administrative ne paraissait pouvoir assurer l'exécution de son expulsion.

14.         Le 15 février 2023, M. A______ a déposé une demande d'asile auprès du SEM.

15.         Au vu de l'ouverture de cette procédure, le vol avec escorte policière (DEPA) en direction du Nigéria prévu le 22 février 2023 a dû être annulé.

16.         A ce jour, l'OCPM est dans l'attente d'une réponse du SEM par rapport à la demande d'asile de l'intéressé.

17.         Par requête motivée du 20 mars 2023, l'OCPM a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois, soit jusqu'au 31 juillet 2023, inclus.

18.         Devant le tribunal, lors de l'audience de ce jour, M. A______ a déclaré n'avoir pas encore reçu de la part du SEM, de réponse à sa demande d'asile du 15 février 2023.

La représentante de l'OCPM a confirmé qu'aucune réponse à la demande d'asile déposée le 15 février 2023 par M. A______ n'avait été donnée. Sur question du conseil de l'intéressé, l'OCPM était d'autant moins enclin à proposer des mesures subsidiaires à la détention administrative que la demande d'asile telle que déposée par M. A______ constituait un motif prévu par la loi de prononcer une détention administrative. Elle a précisé que le laissez-passer délivré par les autorités du Nigéria n'était valable que jusqu'au 6 avril 2023, et qu'il faudrait donc vraisemblablement en solliciter un autre. Elle ne pouvait pas indiquer au tribunal quel serait le délai nécessaire pour ce nouveau laissez-passer. Elle a conclu à l'admission de la demande de prolongation de la détention administrative de M. A______.

Le conseil de M. A______ a plaidé et conclu principalement au rejet de la demande de prolongation de la détention administrative et à la mise en liberté immédiate de son mandant, et subsidiairement, à ce qu'une mesure d'assignation territoriale soit prononcée à son encontre, assortie d'une obligation de se présenter régulièrement devant les autorités compétentes.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour prolonger la détention administrative en vue de renvoi ou d'expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. e de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             S'il entend demander la prolongation de la détention en vue du renvoi, l'OCPM doit saisir le tribunal d'une requête écrite et motivée dans ce sens au plus tard huit jours ouvrables avant l’expiration de la détention (art. 7 al. 1 let. d et 8 al. 4 LaLEtr).

3.             En l'occurrence, le 20 mars 2023, le tribunal a été valablement saisi, dans le délai légal précité, d'une requête de l'OCPM tendant à la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois.

4.             Statuant ce jour, le tribunal respecte le délai fixé par l'art. 9 al. 4 LaLEtr, qui stipule qu'il lui incombe de statuer dans les huit jours ouvrables qui suivent sa saisine, étant précisé que, le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger.

5.             En l'occurrence, s'agissant du principe de la détention administrative de M. A______, les circonstances qui ont conduit le tribunal, dans son jugement JTAPI/1/2023 du 3 janvier 2023, à retenir que les conditions de sa détention étaient remplies quant à son principe (à savoir sa participation réitérée au trafic de stupéfiants) existent toujours, de sorte qu'il n'y a pas lieu de revenir sur cette conclusion. Les seuls changements de circonstances notables depuis ce jugement tiennent dans le fait, d'une part, que M. A______ a refusé de prendre un vol à destination du Nigéria le 9 janvier 2023 et, d'autre part, qu'il a déposé une demande d'asile le 15 février 2023, alors que sa demande précédente avait été rejetée en 2014 et qu'il n'a entretemps plus entrepris de démarches en ce sens, sauf au moment de sa détention administrative. Ces deux éléments correspondent à des critères de détention supplémentaires (art. 75 al. 1 let. f et art. 76 al. 1 let. b ch. 1 et ch. 3 et 4 LEI).

6.             Quant à la proportionnalité de sa détention, elle a été examinée et confirmée une première fois dans le jugement JTAPI/1/2023 du 3 janvier 2023, puis à nouveau dans le jugement JTAPI/124/2023 du 31 janvier 2023, sans qu'aucune des circonstances nouvelles intervenues depuis lors ne justifient à présent une autre appréciation. En effet, contrairement à ce que semble soutenir M. A______, le dépôt d'une demande d'asile en Suisse, s'il suspend provisoirement la possibilité d'exécuter son expulsion, ne saurait être considéré en lui-même comme une circonstance repoussant pour une durée indéterminée l'échéance de son expulsion. Comme souligné lors de la plaidoirie de la représentante de l'OCPM, s'il est exact que le traitement des demandes d'asile est actuellement ralenti par le dépôt d'un nombre élevé de requêtes liées à la guerre en cours en Ukraine, cela ne fait qu'augmenter quelque peu le délai habituel d'environ deux mois des requêtes telles que celles de M. A______. Ainsi, même si cette augmentation devait doubler ou même tripler la durée normale de traitement de la procédure, on serait encore loin d'une situation où le moment de l'exécution de l'expulsion peut non seulement être potentiellement repoussé de nombreux mois, mais devient en outre fortement aléatoire.

7.             En outre, le dépôt de la demande d'asile de M. A______ ne rend pas moins vraisemblable le risque qu'il ne disparaisse dans la clandestinité s'il devait être remis en liberté, au contraire.

8.             Enfin, s'agissant de la durée de la prolongation requise, elle ne s'étend que sur quatre mois au-delà du terme de la détention en cours, ce qui, en soi, ne paraît pas excessif, et l'est d'autant moins dans les circonstances du cas d'espèce, où le SEM doit d'abord statuer sur la demande d'asile de M. A______ et où, dans l'hypothèse où la réponse serait négative, un nouveau laisser-passer devra être sollicité, puis un nouveau vol réservé – à supposer encore que M. A______ ne fasse pas recours contre cet hypothétique refus auprès du Tribunal administratif fédéral.

9.             Au vu de ce qui précède, la demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ sera admise pour une durée de quatre mois, soit jusqu'au 31 juillet 2023, inclus.

10.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et à l’OCPM. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ formée le 20 mars 2023 par l’office cantonal de la population et des migrations ;

2.             prolonge la détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois, soit jusqu'au 31 juillet 2023, inclus ;

3.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à M. A______, à son avocat, à l’office cantonal de la population et des migrations et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le 28 mars 2023

 

La greffière