Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/565/2022

JTAPI/1105/2022 du 19.10.2022 ( OCPM ) , ADMIS

Descripteurs : AUTORISATION DE SÉJOUR;CANTON;CHANGEMENT DE DOMICILE
Normes : LEI.37
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/565/2022 OCPM

JTAPI/1105/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 octobre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Daniel MEYER, avocat, avec élection de domicile

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.                  Monsieur A______, né le ______1991, est ressortissant de Turquie.

2.                  Il est entré en Suisse le 26 janvier 2012 en vue de suivre des cours de français à Genève.

3.                  Le 25 mars 2013, l'office cantonal de la population et des migrations du (ci-après : OCPM) lui a délivré une autorisation de séjour pour études, valable jusqu'au 30 juin 2015.

4.                  Le 14 novembre 2016, à Lausanne (VD), M. A______ a épousé Madame B______, ressortissante suisse, née le ______ 1989.

5.                  Suite à cette union, le Service de la population du canton de Vaud (ci-après : le SPOP) lui a délivré une autorisation de séjour, régulièrement renouvelée jusqu'au 13 novembre 2021.

6.                  Le couple s'est séparé durant l'été 2019.

7.                  Entendu par le SPOP le 23 janvier 2020 au sujet de sa situation personnelle,
M. A______ a notamment déclaré qu'il était séparé de son épouse depuis le mois d'août 2019 et travaillait depuis le 1er septembre 2017 en tant que vendeur à temps partiel dans l'épicerie/buvette de sa sœur, M______, à Genève. En Turquie, il avait obtenu un diplôme d'électricien. Il aurait préféré travailler dans ce domaine mais devait s'occuper du commerce de sa sœur car celle-ci avait des problèmes de santé.

8.                  Par lettre du 29 janvier 2020, le SPOP a fait part à M. A______ de son intention de ne pas prolonger son autorisation de séjour, au motif que les conditions relatives au maintien de ladite autorisation après dissolution de la vie conjugale n'étaient pas remplies.

9.                  Invité à se déterminer, l'intéressé a requis, en date du 1er mai 2020, une suspension de la procédure pour une durée de six mois aux motifs que le prononcé de son divorce était imminent et qu'il avait l'intention d'épouser Madame C______, une ressortissante suisse.

10.              Le SPOP a suspendu la procédure jusqu'au 12 décembre 2020.

11.              Par jugement du 14 juillet 2020, définitif et exécutoire depuis le 15 septembre 2020, le Tribunal civil de l'arrondissement de Lausanne a prononcé le divorce des époux A______.

12.              Le 13 janvier 2020, le SPOP a informé M. A______ que sa requête tendant à la prolongation, pour une durée de six mois, de la suspension accordée, était refusée et lui a imparti un bref délai pour faire valoir ses arguments.

13.              Par courrier du 20 janvier 2021, sous la plume de son mandataire, M. A______ a informé le SPOP que sa relation avec sa fiancée avait pris fin mais qu'il était néanmoins très bien intégré en Suisse.

14.              Par décision du 18 février 2021, le SPOP a révoqué l'autorisation de séjour de M.  A______ et prononcé son renvoi de Suisse, au motif que les conditions de la poursuite de son séjour sur le territoire helvétique après dissolution de la famille n'étaient pas remplies.

Le SPOP avait retenu que la vie commune entre l'intéressé et son ex-épouse avait duré moins de trois ans et qu'aucune raison personnelle majeure ne pouvait justifier la poursuite de son séjour en Suisse.

15.              En date du 22 mars 2021, M. A______ a déposé une opposition contre cette décision.

16.              Par décision du 31 mars 2021, le SPOP a rejeté l'opposition de M.  A______ et confirmé la décision du 18 février 2021, tout en lui impartissant un nouveau délai de départ.

17.              Par acte du 30 avril 2021, sous la plume de son conseil, M. A______ a interjeté recours contre cette décision.

18.              Le 6 mai 2021, sous la plume de son conseil, M. A______ a déposé auprès de l'OCPM une demande d'autorisation de séjour avec activité lucrative, « sous forme de permis B », dans le canton de Genève.

À cette occasion, l'intéressé a notamment indiqué qu'il était domicilié à Bellevue (GE) depuis le 15 février 2021 et qu'il travaillait « depuis le 1er octobre 2021 » en qualité de collaborateur de vente au sein de l'épicerie fine et salon de thé « M______ Sàrl » à Bellevue, dont sa sœur, Madame D______, était associée-gérante.

19.         Par courrier du 5 juillet 2021, l'OCPM lui a demandé des pièces complémentaires, soit un formulaire M dûment complété, une attestation de départ du canton de Vaud et une attestation des services sociaux vaudois.

20.         Par pli du 5 août 2021, par l'intermédiaire de son mandataire, M. A______ a fait parvenir à l'OCPM les documents suivants :

-          un formulaire M dûment complété et signé en sa faveur par M______ Sàrl pour une prise d'emploi à compter du 1er octobre 2021, au salaire de
CHF 4'182.75 pour quarante-deux heures de travail par semaine ;

-          un contrat de travail conclu avec M______ Sàrl le 1er octobre 2020, avec prise d'effet à la même date, pour un poste de « collaborateur de vente » ;

-          une attestation du service social de la Ville de Lausanne du 13 juillet 2021 indiquant qu'il avait perçu des prestations du revenu d'insertion à hauteur de CHF 2092.40 ;

-          une attestation d'établissement de la commune de Bussigny (VD) indiquant son départ de Prilly (VD) vers Bellevue (Ge) en date du 1er mai 2021.

21.         Par arrêt du 29 septembre 2021, entré en force, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après : la Cour de droit administratif) a rejeté le recours interjeté par M. A______ et confirmé la décision sur opposition rendue par le SPOP le 31 mars 2021.

22.         L'intéressé ne remplissait pas les conditions de maintien de son autorisation de séjour suite à la dissolution de l'union conjugale en application de l'art. 50 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). Il ne réalisait pas non plus les critères de reconnaissance d'un cas de rigueur au sens des art. 30 al. 1 let. b LEI et 31 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Enfin, il ne pouvait se prévaloir de l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) pour s'opposer à son renvoi.

23.         Par courrier du 13 décembre 2021, le SPOP a imparti à M. A______ un nouveau délai de départ au 13 janvier 2022.

En cas de non-observation dudit délai, son service était susceptible d'ordonner des mesures de contrainte impliquant une détention administrative en vue du renvoi de Suisse, conformément aux articles 76 et ss LEI.

24.         Par courrier du 10 janvier 2022, par l'intermédiaire de son conseil, M. A______ a informé le SPOP qu'une demande d'autorisation de séjour avait été déposée dans le canton de Genève et qu'il sollicitait dès lors la suspension de son renvoi.

25.         Par courrier réponse du 18 janvier 2022, le SPOP a indiqué à M. A______ que, dans la mesure où ce dernier était domicilié à Genève, son service n'était plus compétent pour régler ses conditions de séjour ni pour exécuter son renvoi.

26.         Par décision du 18 janvier 2022, l'OCPM a refusé d'entrer en matière sur la demande d'autorisation de séjour de M. A______ tout en lui rappelant qu'il était tenu de se conformer à la décision de renvoi rendue par les autorités vaudoises.

L'intéressé s'était vu révoquer son autorisation de séjour délivrée par les autorités du canton de Vaud et cette décision était entrée en force de chose jugée par arrêt du 29 septembre 2021. Par ailleurs, le SPOP lui avait fixé un nouveau délai de départ au 13 janvier 2022. Par conséquent, l'art. 37 LEI ne lui était pas applicable. Dans son arrêt rendu le 29 septembre 2021, la Cour de droit administratif avait retenu qu'il ne remplissait pas les conditions du maintien de son autorisation de séjour selon l'art. 50 LEI, qu'il ne pouvait se prévaloir de l'art.
30 al. 1 let. b LEI ni de l'art. 8 CEDH et que son renvoi en Turquie était possible, licite et exigible. Pour toutes ces raisons, l'OCPM ne pouvait que constater qu'il ne remplissait aucun motif d'octroi d'une autorisation de séjour et qu'il aurait déjà dû quitter la Suisse depuis cinq jours.

27.         Par acte du 17 février 2022, sous la plume de son conseil, M. A______ a interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant principalement, sous suite de frais et dépens, à ce qu'il soit ordonné à l'autorité de lui délivrer une autorisation de séjour, subsidiairement, à ce qu'il soit dit et constaté que l'exécution de son renvoi n'était pas possible, ni licite ni raisonnablement exigible au sens de l'art. 83 LEI et à ce qu'il soit mis au bénéfice d'une admission provisoire.

La décision querellée était en contradiction avec le courrier du SPOP du
18 janvier 2022, dans la mesure où l'OCPM ne pouvait lui ordonner de se conformer à une décision rendue par une autorité vaudoise « se considérant elle-même comme étant incompétente ». Par consquent, la révocation de son autorisation de séjour et la décision prononçant son renvoi devaient être considérées comme nulles et sans objet.

Par ailleurs, il n'avait pas pu exercer son droit d'être entendu avant que l'OCPM ne rende la décision litigieuse et se voyait dès lors contrait de déposer le présent recours. Par conséquent, le tribunal devait annuler la décision de l'OCPM du
18 janvier 2022 et ordonner à l'autorité intimée de lui délivrer une autorisation de séjour et de travail.

Sur le fond, l'OCPM avait refusé d'entrer en matière sur sa demande en invoquant la révocation de son autorisation de séjour par les autorités vaudoises. Or, à teneur du courrier du SPOP du 18 janvier 2022, la révocation de son autorisation de séjour était nulle, le SPOP n'étant plus compétent pour régler ses conditions de séjour. L'autorité intimée ne pouvait dès lors motiver son refus sur la base de la décision vaudoise. Pour le surplus, au moment où il avait déposé sa demande auprès de l'OCPM, la décision de révocation prononcée par le SPOP n'était pas encore entrée en force.

S'agissant de la délivrance d'une autorisation de séjour, il remplissait les conditions de l'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEI dans la mesure où il résidait sur le territoire helvétique depuis plus de dix ans, qu'il était très bien intégré et que ses parents et sa sœur vivaient également en Suisse. Il n'avait en outre plus de famille ni de connaissances proches dans son pays d'origine et un renvoi en Turquie constituerait un véritable déracinement. Sa réintégration serait ainsi fortement compromise, voire impossible. Au vu de tous les éléments exposés, la poursuite de son séjour s'imposait pour des raisons personnelles majeures.

Au vu de la durée de son séjour en Suisse et de la présence de membres de sa famille proche, il pouvait en outre se prévaloir de l'art. 8 CEDH en lien avec la protection de sa vie tant privée que familiale pour obtenir un titre de séjour. Ainsi, en ayant fait fi des explications données concernant ses attaches familiales à Genève ainsi que de son intégration, l'OCPM avait rendu une décision arbitraire qui contrevenait à l'art. 8 CEDH et qui devait également être annulée pour ce motif.

Ainsi, l’exécution de cette mesure était inexigible et illicite de sorte qu’il devait être ordonné au secrétariat d’Etat aux migrations (ci-après : SEM) de le mettre au bénéfice d’une admission provisoire.

De même, il était installé à Genève depuis plus de dix ans et y disposait d'un emploi stable lui permettant d'assumer ses charges. A la différence de la population se trouvant en Turquie, il ne disposait d'aucun réseau, d'aucune connaissance ou ami, ni d'aucun soutien qui lui permettraient d'intégrer à court ou moyen terme le marché du travail en cas de renvoi dans son pays.

La situation sanitaire avait par ailleurs fortement impacté le marché du travail de l'ensemble des pays touchés par la pandémie et contribuait à faire obstacle à toute recherches dans le domaine de la construction dans lequel il était actif.

De plus, en cas de renvoi, il se retrouverait seul en Turquie et dépourvu de toute ressource, à tout le moins pendant plusieurs mois. Cette situation l'exposerait dès lors à un grave danger dans la mesure où elle ferait naître un risque concret et réel pour son intégrité, tant physique que psychique, au vu de la précarité dans laquelle il se trouverait. Le renvoi mettrait ainsi en péril ses conditions de subsistance et ne pouvait, pour cette raison déjà, être raisonnablement exigé.

28.         Dans ses observations du 14 avril 2022, l'OCPM a conclu au rejet du recours, les arguments invoqués n'étant pas de nature à modifier sa position.

Il n'avait pas à entrer en matière sur les motifs de séjour allégués par le recourant, ceux-ci ayant déjà été examinés et définitivement tranchés par la Cour vaudoise de droit administratif dans son arrêt du 29 septembre 2021.

Par ailleurs, le recourant ne pouvait être suivi lorsqu'il arguait que la portée de la décision vaudoise serait devenue nulle en raison du contenu de la lettre du SPOP du 18 janvier 2022. En effet, l'autorité migratoire vaudoise n'avait fait que relever le fait qu'il séjournait désormais dans le canton de Genève et que, par conséquent, seules les autorités genevoises étaient compétentes pour exécuter le renvoi, si nécessaire par la voie de mesures de contrainte (art. 69 ss LEI). Enfin, au vu de l'ensemble des circonstances du dossier, les manœuvres du recourant s'apparentaient à un procédé dilatoire, voire à de l'abus de droit.

29.         Le recourant a répliqué le 20 mai 2022, sous la plume de son conseil.

L'autorité intimée avait considéré à tort que les motifs soulevés avaient déjà été examinés par la Cour de droit administratif, dans la mesure où son recours reposait sur des faits postérieurs au jugement de ladite Cour, notamment sa prise d'activité lucrative auprès de son nouvel employeur et le dépôt de son autorisation de séjour dans le canton de Genève.

Il ne pouvait se conformer à la décision de renvoi prononcée par les autorités vaudoises, le SPOP n'étant plus compétent pour exécuter ledit renvoi. Si l'autorité intimée considérait qu'il ne remplissait pas les conditions d'une autorisation de séjour, elle aurait dû refuser sa requête, ce qu'elle n'avait pas fait, se contentant de le renvoyer à la décision de renvoi prononcée par le canton de Vaud.

Enfin, il était désormais suivi par un psychiatre et avait subi un profond traumatisme, son père s'étant suicidé peu après son départ pour la Suisse. Depuis, il était atteint d'un fort sentiment de culpabilité et les contacts avec son pays lui rappelaient cet évènement tragique. Cet élément nouveau devait être pris en compte dans l'examen de la question de son renvoi et des raisons personnelles majeures sous l'angle de la réintégration sociale dans son pays, en lien avec l'art. 50 al. 1 let. b et 50 al. 2 LEI.

Sous l'angle de l'exigibilité du renvoi, son retour en Turquie équivaudrait à le mettre concrètement en danger en raison de sa situation personnelle et des évènements traumatisants qu'il avait vécus, de nature à développer une symptomatologie traumatique. Ce n'était qu'en étant resté éloigné de son pays et de ses souvenirs traumatisants qu'il avait été en mesure de se reconstruire et de travailler durant toutes ces années, étant relevé que le contexte traumatique de son pays ne pouvait être masqué par un traitement médicamenteux. Par conséquent, son renvoi serait de nature à l'exposer à un risque grave pour sa santé psychique.

Pour le surplus, compte tenu de sa situation, il ne serait pas en mesure d'exercer une activité lucrative en Turquie et se trouverait donc dans l'incapacité d'assurer sa survie.

Compte tenu de ces éléments, son renvoi était non exigible et des raisons personnelles majeures imposaient la poursuite de son séjour en Suisse, sa réintégration dans son pays apparaissant fortement compromise.

30.         Par pli du 25 mai 2022, M. A______ a fait parvenir au tribunal un certificat médical établi le 20 mai 2022 par le Dr. E______, psychiatre, indiquant qu'il ne pouvait rentrer en Turquie pour des raisons de santé et qu'un tel retour « aurait des conséquences catastrophiques pour son état de santé psychique avec une décompensation massive compromettant son pronostic vital ».

31.         L'OCPM a dupliqué en date du 22 juin 2022.

Le recourant alléguait désormais des motifs d'inexigibilité du renvoi pour motifs médicaux sous l'angle de l'art. 83 al 4 LEI. Outre le fait que les circonstances particulières du cas d'espèce pouvaient laisser penser que le certificat médical du 20 mai 2022 avait été produit pour les besoins de la cause, il n'avait en tout état aucunement démontré que son retour en Turquie mettrait sa vie en danger de manière inexorable en raison de son affection psychique. Il était en effet notoire que la Turquie était un pays moderne disposant d'infrastructures médicales qui permettraient la prise en charge du recourant, tant d'un point de vue du suivi médical que du traitement médicamenteux dont il aurait besoin, cela ayant été en outre confirmé par un consulting médical du SEM du 10 décembre 2012 (annexé). Il était au surplus loisible au recourant de s'organiser avec son médecin traitant afin que celui-ci lui prépare une réserve de médicaments à emporter lors de son départ et le mette en relation avec des professionnels de la santé mentale en Turquie en vue d'assurer une continuité dans sa prise en charge. Le renvoi du recourant était donc exigible.

Pour le surplus, l'OCPM renvoyait à ses précédentes observations ainsi qu'à la décision entreprise et confirmait que le recours devait être rejeté.

32.         Par formulaire M reçu par office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) le 6 juillet 2022, M______, sous la signature de Mme A______, a sollicité une autorisation temporaire de travail en faveur du recourant.

33.         Par courriel du 11 juillet 2022, l’OCIRT a informé Mme A______ qu'aucune autorisation temporaire de travail ne pouvait lui être délivrée.

34.         Par lettre datée du 12 juillet 2022, l'entreprise M______, a licencié M.  A______ avec effet immédiat.


 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

3.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/1166/2021 du 2 novembre 2021 consid. 2).

4.             A titre préalable, le recourant invoque une violation de son droit d’être entendu, faute d'avoir été invité à se déterminer avant le prononcé de la décision attaquée.

5.             Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit, pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités). Cela étant, dans une procédure initiée sur requête d’un administré, celui-ci est censé motiver sa requête en apportant tous les éléments pertinents ; il n’a donc pas un droit à être encore entendu par l’autorité avant que celle-ci ne prenne sa décision, afin de pouvoir présenter des observations complémentaires, l’hypothèse où l’autorité entendrait fonder sa décision sur des éléments auxquels l’intéressé ne pouvait s’attendre restant réservé (ATA/266/2021 du 2 mars 2021 consid. 3c et les références citées).

La jurisprudence admet qu’une violation du droit d’être entendu en instance inférieure peut être réparée lorsque l’intéressé a la faculté de se faire entendre en instance supérieure par une autorité disposant d’un plein pouvoir d’examen en fait et en droit et si l’examen de ces questions ne relève pas de l’opportunité, car l’autorité de recours ne peut alors substituer son pouvoir d’examen à celui de l’autorité de première instance (ATF 145 I 167 consid. 4.4). Une telle réparation dépend de la gravité et de l’étendue de l’atteinte portée au droit d’être entendu et doit rester l’exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019 consid. 3.8). Elle peut cependant se justifier en présence d’un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C/72/2019 du 13 mai 2019 consid. 3.1). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/779/2021 du 27 juillet 2021 consid. 4b).

6.             En l’occurrence, la question de savoir si l'autorité intimée aurait dû inviter le recourant à se déterminer avant le prononcé de la décision litigieuse pourra rester ouverte dans la mesure où une éventuelle violation du droit d'être entendu a été réparée dans le cadre de la présente procédure. En effet, le recourant a pu se déterminer et faire valoir ses arguments de façon détaillée – dans son recours, puis dans sa réplique du 20 mai 2022 – par-devant le tribunal de céans qui dispose du même pouvoir d’examen que l’OCPM, étant relevé que la question litigieuse ne relève pas de l’opportunité.

7.             Dans ces circonstances, le grief tiré de la violation du droit d’être entendu sera écarté.

8.             La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (cf. art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants de Turquie.

9.             Selon l'art. 37 LEI, si le titulaire d’une autorisation de courte durée ou de séjour veut déplacer son lieu de résidence dans un autre canton, il doit solliciter au préalable une autorisation de ce dernier (al. 1). Le titulaire d’une autorisation de séjour a droit au changement de canton s’il n’est pas au chômage et qu’il n’existe aucun motif de révocation au sens de l’art. 62, al. 1 LEI (al. 2). Un séjour temporaire dans un autre canton ne nécessite pas d’autorisation (al. 4).

10.         Selon les directives du SEM (Directives LEI, Domaine des étrangers, octobre 2013, état au 1er octobre 2022 ; ci-après : Directives LEI), l’autorisation de courte durée, de séjour ou d’établissement n’est valable que dans le canton qui l’a établie. Le titulaire d’une autorisation de courte durée ou de séjour qui entend changer de canton doit d'abord avoir obtenu une nouvelle autorisation (art. 37 LEI). Il en va de même du titulaire d’établissement. Les titulaires d’une autorisation de séjour ont le droit de changer de canton à condition qu'ils ne soient pas au chômage et qu'aucun motif de révocation au sens de l’art. 62 LEI n'existe. Les titulaires d’une autorisation d’établissement y ont droit en l’absence de motif de révocation au sens de l’art. 63 LEI. Il n’est pas nécessaire que la révocation ait été notifiée ou qu’elle soit exécutoire pour que l’autorisation puisse être refusée dans le nouveau canton. Un motif de révocation suffit et la révocation doit être proportionnée compte tenu de l’ensemble des circonstances (ancien droit : cf. ATF 127 II 177 ; message concernant la loi sur les étrangers: FF 2002 3469, p. 3547).

Cependant, l’autorisation ne pourra être refusée dans le nouveau canton au seul motif que le requérant peut rester dans l’actuel canton de domicile. Il doit exister un motif de révocation justifiant un renvoi de Suisse (ancien droit : cf. ATF 105 Ib 234). Pour cette raison, le nouveau canton est tenu d’examiner s’il existe un motif de révocation et si une expulsion de Suisse constituerait une mesure proportionnelle. Les personnes séjournant dans un nouveau canton sans en avoir fait la demande au préalable peuvent être renvoyées dans l’ancien canton de domicile si le changement de canton est refusé. En vertu de l’art. 61 al. 1 let. b LEI, l’autorisation dans l’ancien canton ne prend pas fin. C’est l’ancien canton qui est compétent pour décider du renvoi de l’étranger. Lorsqu’une procédure de révocation ou de non prolongation d’une autorisation est en suspens dans l’ancien canton, le nouveau canton peut suspendre une demande de changement de canton tant que la procédure n’a pas abouti à une décision exécutoire. L’ancien canton doit alors poursuivre la procédure et, en cas de décision négative entrée en force, exécuter le renvoi. Cette règle vaut tant pour les titulaires d’une autorisation de séjour que pour les titulaires d’une autorisation d’établissement.

11.         Conformément à l’art. 37 al. 2 et 3 LEI, l’étranger a certes, en principe, le droit de changer de canton, mais il ne doit exister aucun motif de révocation. Cette disposition n’a pas pour objectif de permettre que deux ou plusieurs procédures menées en parallèle ne tranchent la même affaire ou que différentes demandes de changement de canton ne se succèdent. Une procédure est considérée comme engagée ou en suspens à partir du moment où le droit d’être entendu a été accordé à l’intéressé (cf. arrêt 2C_155/2014 du 28 octobre 2014 consid. 3.2 et les références citées).

12.         Le nouveau canton est tenu d'examiner s'il existe un motif de révocation et (conditions cumulatives) si un renvoi de Suisse constituerait une mesure proportionnelle et raisonnablement exigible compte tenu de l'ensemble des circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 2D_47/2015 du 4 décembre 2015 consid. 5.2 et les références citées ; Directives LEI ch. 3.1.8.2).

13.         Dans un arrêt 2C_322/2019 du 15 avril 2019, le Tribunal fédéral a eu l'occasion de rappeler qu'il ressortait du texte clair de l'art. 37 al. 1 et 2 LEI que le changement de canton présupposait que l'étranger demandeur soit titulaire d'une autorisation de séjour valable. Lorsque l'étranger procédait au changement effectif de son lieu de résidence dans un autre canton et que, dans l'intervalle, l'autorisation de séjour qui lui avait été délivrée par son canton de provenance arrivait à échéance, sa situation devait être traitée, du point de vue du droit des étrangers, comme une demande d'octroi d'une nouvelle autorisation de séjour. Or, conformément aux dispositions de la LEI et de l'OASA, seul le canton de résidence est compétent pour octroyer une autorisation de séjour (cf. art. 36 et 40 al. 1 LEI; art. 66 OASA). Il appartenait donc au canton où se trouvait le nouveau lieu de résidence de l'étranger, à l'exclusion du canton de provenance, de se prononcer sur l'octroi d'une nouvelle autorisation de séjour, indépendamment de la question de savoir si celle-ci était fondée sur le regroupement familial notamment (cf. arrêt 2C_322/2019 précité consid. 3.1 à 3.3; cf. également arrêts 2C_896/2020 du 11 mars 2021 consid. 3.1; 2C_1115/2015 précité consid. 1.3.2).

14.         En l'occurrence, lors du dépôt de sa demande de changement de canton auprès de l'OCPM, le 6 mai 2021, l'autorisation de séjour délivrée au recourant par son canton de provenance, à savoir le canton de Vaud, était encore valable, la décision du SPOP n'étant à cette date pas encore entrée en force.

15.         Son autorisation de séjour a toutefois été révoquée et son renvoi de Suisse prononcé par décision du SPOP du 18 février 2021, confirmée par arrêt de la Cour de droit administratif du 29 septembre 2021, soit avant le prononcé de la décision de refus de l'OCPM du 18 janvier 2022. En d'autres termes, au moment où l'autorité intimée a statué sur la demande du recourant, ce dernier n'était plus au bénéfice d'un titre de séjour valable en Suisse et faisait l'objet d'une décision de renvoi, exécutoire. Un changement de canton apparaissait partant d'emblée exclu. C'est dès lors à juste titre que l'OCPM a retenu que l'art. 37 LEI n'était pas applicable et qu'il a refusé de lui délivrer une autorisation de séjour en application de cette disposition.

16.         Concernant la délivrance d'une nouvelle autorisation de séjour au recourant, l'OCPM a refusé d'entrer en matière, aux motifs que la Cour de droit administratif avait considéré dans son arrêt du 29 septembre 2021 qu'il ne remplissait pas les conditions de prolongation de son autorisation de séjour (que ce soit en application des art. 50 al. 1 let. b et 50 al. 2 LEI, 30 al. 1 let. b LEI ou 8 CEDH) et avait prononcé son renvoi de Suisse en application de l'art. 64 al. 1 let. c LEI.

17.         Or, dans la mesure où le recourant réside à Bellevue (GE) depuis le mois de février 2021, qu'il n'est plus bénéficiaire d'un titre de séjour dans le canton de Vaud – dans lequel il ne peut donc être renvoyé – et qu'il a déposé une nouvelle demande autorisation de séjour avec activité lucrative dans le canton de Genève, accompagnée d'un formulaire M dûment rempli par son employeur, l'OCPM aurait dû statuer sur ladite demande. Pour le surplus, eu égard au droit du recourant au double degré de juridiction, il n'appartient pas au tribunal de céans de statuer, en première instance, sur cette demande.

18.         Compte tenu de ce qui précède, le recours sera admis.

19.         La décision attaquée sera annulée et la cause renvoyée à l'OCPM afin qu'il entre en matière sur la demande déposée par le recourant.

20.         Vu l'issue de la procédure, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, de sorte que l'avance de frais CHF 500.- versée lors du dépôt du recours lui sera restituée (art. 87 al. 1 et 3 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 800.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

21.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au SEM.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 17 février 2022 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de la population du 18 janvier 2022 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision du 18 janvier 2022 et renvoie la cause à l'office cantonal de la population et des migrations afin qu'il entre en matière sur la demande du recourant ;

4.             ordonne la restitution au recourant de l'avance de frais de CHF 500.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l'office cantonal de la population et des migrations, à verser au recourant une indemnité de procédure de CHF 800.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Endri GEGA

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière