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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1086/2022

JTAPI/911/2022 du 06.09.2022 ( OCPM ) , ADMIS

Descripteurs : ADMISSION PROVISOIRE;AUTORISATION DE SÉJOUR;MALADIE;INVALIDITÉ(INFIRMITÉ);INTÉGRATION SOCIALE;ARMÉNIE
Normes : LEI.84.al5; LEI.58a.al2; OASA.77f
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1086/2022

JTAPI/911/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 6 septembre 2022

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______, représentés par ELISA ASILE, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Le 8 septembre 2015, Madame A______ et son mari, Monsieur A______, ressortissants arméniens nés respectivement les 7 mai 1961 et 24 décembre 1957, sont entrés en Suisse et ont déposé une demande d’asile après que leur fils eut été tué dans leur pays d’origine.

2.             Les époux A______ ont été attribués au canton de Genève.

3.             Par décision du 5 août 2016, le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) a rejeté leur requête, pour le motif qu’ils n’avaient pas rendu vraisemblable leur qualité de réfugiés.

Toutefois, le SEM a considéré que leur renvoi en Arménie n’était pas raisonnablement exigible au vu de leur situation personnelle. En conséquence, il a prononcé leur admission provisoire (permis F).

4.             Leur admission provisoire a été régulièrement renouvelée jusqu’au 8 juillet 2022.

5.             Par décision du 18 juin 2020, l’office cantonal des assurances sociales (ci-après : OCAS) a rejeté la demande de rente AI déposée par M. A______. Sa capacité de travail était nulle pour toute activité professionnelle avant son arrivée en Suisse et son degré d’invalidité, total. Il n’avait cependant pas droit à une rente, dès lors qu’il ne comptait pas trois années de cotisations.

6.             Le 13 octobre 2020, les époux A______ ont sollicité de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une autorisation de séjour.

Ils s’efforçaient de participer à la vie de leur nouveau lieu de résidence malgré leurs handicaps. Malheureusement, l’état de santé de M. A______ ne leur permettait pas de s’absenter de leur logement et requérait la présence de son épouse. Au vu de ces contraintes médicales, ils n’avaient pas été en mesure de s’améliorer en français et ils n’avaient pu exercer une activité lucrative. Ils dépendaient ainsi de l’Hospice général. Ils ne faisaient pas l’objet de poursuites pour dettes et leur casier judiciaire respectif ne comportait aucune inscription.

7.             Le 9 juin 2021, les époux A______ ont invité l’OCPM à accélérer le traitement de leur requête du 13 octobre précédent, se prévalant du mauvais état de santé de M. A______.

8.             Le 11 août 2021, l’OCPM a répondu qu’il devait instruire toutes les demandes avec la plus grande attention et équité.

9.             Le 18 janvier 2022, l’OCPM a fait part aux précités de son intention de refuser d’accéder à leur requête et de soumettre leur dossier au SEM avec un préavis favorable. Un délai leur a été accordé pour faire valoir leur droit d’être entendu.

10.         Par pli du 17 février 2022, les époux ont exposé qu’au vu de l’état de santé de M. A______, il ne saurait lui être reproché de ne pas travailler, ni de ne pas exercer une activité bénévole, ni de ne pas participer à des manifestations culturelles ou sportives. Sa dépendance à l’Hospice général ne pouvait être reconnue contre lui. Par ailleurs, se déplacer pour apprendre le français lui était très pénible. Âgé de plus de cinquante-cinq ans, des cours de français n’étaient pas proposés par l’Hospice général.

Étant le principale proche aidant de son mari et s’occupant de lui quotidiennement et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, Mme A______ n’était pas en mesure d’exercer une activité lucrative. En raison de cette aide quotidienne, elle n’avait pas été en mesure de participer à des cours de français. Il ne pouvait pas non plus lui être reproché de ne pas avoir travaillé, ni de dépendre de l’Hospice général, ni de ne pas s’être investie dans des activités bénévoles ou dans des manifestations culturelles ou sportives.

En outre, à leur arrivée en Suisse, ils avaient déjà atteint un certain âge, de sorte qu’en dépit de leur bonne volonté, leur insertion sur le marché du travail se révélait très difficile. En conséquence, ils remplissaient la condition d’une durée de cinq ans [au bénéfice d’un permis F].

11.         Par décision du 3 mars 2022, l’OCPM a refusé de délivrer une autorisation de séjour aux époux A______ et, par conséquent, de soumettre leur dossier au SEM avec un préavis positif.

Pour pouvoir obtenir une autorisation de séjour, ils devaient faire preuve d’une bonne intégration. Or, il n’existait aucune perspective d’amélioration de leur situation personnelle, professionnelle et financière à court et à long terme, qui pouvait justifier la nécessiter de leur délivrer un permis B. Le fait que M. A______ ait été reconnu en incapacité totale d’exercer une activité lucrative n’y changeait rien.

Au demeurant, un éventuel renvoi dans leur pays d’origine n’était pas d’actualité et la poursuite de leur séjour en Suisse n’était pas remise en cause. En effet, le SEM n’avait ni levé leur admission provisoire, ni même envisagé de le faire. Dès lors, il n’existait pas de raison objectivable [sic] à l’octroi d’un permis B.

12.         Par acte du 4 avril 2022, M. et Mme A______, sous la plume de leur conseil, ont interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à l’annulation de la décision du 3 mars précédent et à l’octroi d’une autorisation de séjour, le tout sous suite de frais et dépens. Ils ont repris, en les développant, les arguments exposés dans leur lettre du 17 février 2022.

Résidant en Suisse depuis plus de six ans, ils remplissaient la condition de durée de résidence pour obtenir une autorisation de séjour.

Il convenait de prendre en compte leur situation personnelle. Le recourant était gravement malade et l’OCAS avait reconnu son invalidité totale. Au vu de son âge, l’Hospice général ne lui proposait pas de cours de français. La recourante, dont la qualité de proche aidant de son mari avait été reconnue comme un emploi à 100 % selon un certificat du 15 mars 2022 annexé, devait assister ce dernier dans toutes les tâches du quotidien. De plus, elle souffrait d’un état dépressif engendrant des troubles de la concentration suite au décès de leur fils. Son état psychique constituait un réel obstacle à l’apprentissage d’une nouvelle langue. Au vu de leur âge avancé, à savoir soixante-quatre et soixante ans, il était improbable qu’ils parviennent à s’insérer sur le marché du travail avant d’atteindre l’âge de la retraite.

Leur intégration ne pouvait être considérée comme insuffisante, puisqu’elle ne résultait pas d’un comportement fautif de leur part. Conformément à la jurisprudence (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5560/2015 du 6 janvier 2016), leur situation devait être prise en compte dans l’examen de leur situation financière.

Selon l’autorité intimée, puisque la poursuite de leur séjour n’était pas remise en cause, il n’existait pas de raison plaidant en faveur de l’octroi d’un permis B. Cette argumentation contrevenait à la jurisprudence (arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 5 août 2020, cause PE.2019.0291 consid. 5) et les condamnait à rester au bénéfice d’un permis F jusqu’à la fin de leurs vies. Le fait que leur admission provisoire ne prendrait pas prochainement fin devait constituer un élément de plus penchant pour la délivrance d’un permis B. Leur âge, leurs problèmes de santé et les traumatismes liés à leur pays d’origine excluaient toute possibilité de réintégration en Arménie.

En annexe, ils ont produit un chargé de pièces.

13.         Dans ses observations du 3 juin 2022, l’OCPM a proposé le rejet du recours.

Les époux A______ ne satisfaisaient pas aux strictes conditions nécessaires à la transformation de leur permis F en un permis B.

L’OCPM a produit son dossier.

14.         Par réplique du 30 juin 2022, les recourants ont repris les arguments exposés dans leur recours. S’agissant de leur intégration, ils ont rappelé qu’à teneur de l’art. 58a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), la situation des personnes qui, du fait d’un handicap ou d’une maladie ou pour d’autres raisons personnelles majeures, ne remplissaient pas ou remplissent difficilement les critères d’intégration prévus à l’al. 1 let. c et d, était prise en compte de manière appropriée.

15.         Le 4 juillet 2022, les recourants ont produit une lettre et des témoignages de soutien.

16.         Dans sa duplique du 26 juillet 2022, l’OCPM a informé le tribunal qu’il n’avait pas d’observations complémentaires à formuler.

17.         Le contenu des pièces produites sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b).

5.             La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (cf. art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas en l’espèce.

6.             Les recourants, au bénéfice d’une admission provisoire, contestent le refus de l’OCPM de leur délivrer une autorisation de séjour.

7.              Aux termes de l'art. 84 al. 5 LEI, les demandes d'autorisation de séjour déposées par un étranger admis provisoirement et résidant en Suisse depuis plus de cinq ans sont examinées de manière approfondie en fonction de son niveau d'intégration, de sa situation familiale et de l'exigibilité d'un retour dans son pays de provenance.

8.              L'étranger admis provisoirement qui sollicite une autorisation de séjour en application de l'art. 84 al. 5 LEI n'a toutefois pas droit à la délivrance d'une telle autorisation (ATF 126 II 335 consid. 1c/bb). Cette disposition ne constitue d'ailleurs pas en soi un fondement juridique autorisant l'octroi d'une autorisation de séjour ; celle-ci est, dans un tel cas, délivrée sur la base de l'art. 30 al. 1 let. b LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_84/2020 du 24 janvier 2020 consid. 3).

Cette disposition présente un caractère exceptionnel et les conditions qu'elles posent doivent être appréciées de manière restrictive (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-929/2016 du 6 juin 2017 consid. 5.1) et l'autorité cantonale compétente dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans ce cadre (arrêt du Tribunal fédéral 2C_276/2017 du 4 avril 2017 consid. 2.1).

9.             L'art. 31 OASA fixe les critères d'appréciation communs à l'examen des demandes d'autorisations de séjour déposées sous l'angle de l'art. 30 al. 1 let. b LEI, de l'art. 50 al. 1 let. b LEI et de l'art. 84 al. 5 LEI (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-4727/2017 du 15 mars 2019 consid. 5.2).

L'art. 31 al. 1 OASA prévoit qu'une autorisation de séjour peut être octroyée dans les cas individuels d'extrême gravité. Lors de l'appréciation, il convient de tenir compte notamment :

a. de l’intégration du requérant sur la base des critères d’intégration définis à l’art. 58a al. 1 LEI ;

c. de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants ;

d. de la situation financière ;

e. de la durée de la présence en Suisse ;

f. de l’état de santé ;

g. des possibilités de réintégration dans l’État de provenance.

10.         À teneur de l’art. 58a al. 1 LEI, pour évaluer l’intégration, l’autorité compétente tient compte des critères suivants :

a.    le respect de la sécurité et de l’ordre publics ;

b.    le respect des valeurs de la Constitution ;

c.    les compétences linguistiques ;

d.   la participation à la vie économique ou l’acquisition d’une formation.

La situation des personnes qui, du fait d’un handicap ou d’une maladie ou pour d’autres raisons personnelles majeures, ne remplissent pas ou remplissent difficilement les critères d’intégration prévus à l’al. 1 let. c et d est prise en compte de manière appropriée (art. 58a al. 2 LEI).

11.         L’art. 77f OASA précise l’art. 58a al. 2 LEI, en disposant que l’autorité compétente tient compte de manière appropriée de la situation particulière de l’étranger lors de l’appréciation des critères d’intégration énumérés à l’art. 58a al. 1 let. c et d LEI.

Il est notamment possible de déroger à ces critères lorsque l’étranger ne peut pas les remplir ou ne peut les remplir que difficilement :

a.    en raison d’un handicap physique, mental ou psychique ;

b.    en raison d’une maladie grave ou de longue durée ;

c.    pour d’autres raisons personnelles majeures, telles que :

1.    de grandes difficultés à apprendre, à lire et à écrire,

2.    une situation de pauvreté malgré un emploi,

3.    des charges d’assistance familiale à assumer.

12.         L'art. 84 al. 5 LEI ne mentionne explicitement que trois critères d'examen, à savoir le niveau d'intégration, la situation familiale et l'exigibilité d'un retour dans le pays de provenance. Le Tribunal administratif fédéral a eu l'occasion de se déterminer sur le pouvoir d'examen de l'autorité dans ce contexte et sur le caractère non-limitatif de ces critères. Il a retenu que les conditions auxquelles un cas individuel d'une extrême gravité peut être reconnu en faveur d'étrangers admis provisoirement en Suisse ne diffèrent pas fondamentalement des critères retenus pour l'octroi d'une dérogation aux conditions d'admission au sens de l'art. 30 al. 1 let. b LEI). Tout en s'inscrivant dans le contexte plus général de cette dernière disposition et de la jurisprudence y relative, elles intégreront néanmoins naturellement la situation particulière inhérente au statut résultant de l'admission provisoire (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-4727/2017 du 15 mars 2019 consid. 5.3 et les réf.).

13.         D’après la jurisprudence (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5718/2010 du 27 janvier 2012 consid. 6.1.2), le fait qu'un étranger n'arrive pas ou plus à gérer sa situation financière de manière autonome et dépende, dans une large mesure, de la collectivité publique représente indéniablement un échec au niveau de l'intégration. Toutefois, selon la doctrine, une telle situation ne permet pas encore, à elle seule, de refuser à l'étranger concerné l'octroi d'une autorisation de séjour fondée sur l'art. 84 al. 5 LEI. En effet, pour juger d'une intégration insuffisante d'un étranger, il convient encore d'examiner si cette situation résulte d'un comportement fautif.

Dans le cas d’espèce, la situation socio-professionnelle précaire dans laquelle se trouvait le recourant ne résultait pas d'une mauvaise volonté de sa part, mais découlait essentiellement de son état de santé, attestée médicalement, ainsi que de l'absence d'une autorisation de séjour et de travail valable.

Cela étant, sa situation professionnelle avait évolué positivement après le dépôt de sa demande d’une rente AI. Il avait pu intégrer un atelier de coiffure et indiquait qu’il était fort probable que cette activité lui permettrait, à terme, de récupérer sa capacité de travail et de se réinsérer dans la vie active, à condition toutefois que sa situation soit stabilisée sur le plan administratif. Le Tribunal administratif fédéral a ainsi retenu que le recourant avait entrepris tout ce qui était en son pouvoir aux fins de faciliter sa réintégration dans le marché de l'emploi et qu'il ne pouvait pas être tenu pour responsable de son état de santé, qui ne lui permettait de travailler que dans un contexte adapté. Il disposait ainsi d'un niveau d'intégration professionnelle suffisant en Suisse pour justifier l'octroi d'une autorisation de séjour en application de l'art. 84 al. 5 LEI.

14.         L’arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après : la Cour de droit administratif) du 5 août 2020, (cause PE.2019.0291) cité par les recourants, concerne le cas d’une ressortissante de Bosnie-Herzégovine, dont la demande d’asile a été rejetée, mais qui a été mise au bénéfice d’une admission provisoire, en raison de l’inexigibilité de son renvoi.

Le service de la population vaudois (ci-après : SPOP), avait refusé de lui délivrer une autorisation de séjour pour cas de rigueur, en invoquant notamment son absence d’intégration professionnelle, ainsi que son manque de connaissance de la langue française. L’intéressée avait fui la guerre dans les Balkans avec ses enfants âgés de dix-neuf et de quatorze ans et dont elle avait continué à s’occuper lors de son arrivée en Suisse. Malgré un séjour en Suisse de vingt ans, elle était incapable de s’exprimer en français.

La Cour de droit administratif a relevé que l’appréciation du SPOP faisait fi du contexte dans lequel la recourante et sa famille étaient arrivés en Suisse. Compte tenu de l'âge des enfants, qui étaient en pleine adolescence, un tel changement représentait pour eux un déracinement important comportant de nombreux risques en matière d'intégration dans le pays d'accueil si une structure familiale n'était pas maintenue. On ne pouvait donc faire grief à la recourante d'avoir privilégié à ce moment-là l'assistance à ses enfants, plutôt que sa propre intégration professionnelle.

La Cour de droit administratif a en outre relevé que l’intéressée séjournait depuis une durée bien plus longue que celle prévue dans la loi, ce qui devait être pris en considération. Par ailleurs, elle était au bénéfice de rente de vieillesse et de prestation complémentaires, de sorte qu’elle n’était plus dépendante financièrement.

Enfin, il n’existait aucun élément qui permettait d’affirmer que son admission provisoire prendrait fin prochainement au motif que son renvoi serait exigible, ce qui constituait un élément de plus en faveur d’une autorisation de séjour.

15.         En l’espèce, l’OCPM considère que les recourants ne remplissent pas les conditions requises pour se voir délivrer une autorisation de séjour. Ils ne font pas preuve d’une bonne intégration et il n’existe aucune perspective d’une amélioration de leur situation personnelle et professionnelle à court ni à long terme. De toute manière, selon l’autorité intimée, la poursuite de leur séjour n’est pas remise en cause, étant donné que le SEM n’envisage pas de lever leur admission provisoire.

De leur côté, les recourants se prévalent des art. 58a al. 2 LEI et 77f OASA. D’après eux, leur manque d’intégration sur le marché de l’emploi, ainsi que leurs lacunes linguistiques s’expliquent par l’âge auquel ils sont arrivés en Suisse, ainsi que par leur état de santé.

16.         En ce qui concerne l’arrêt de la Cour de droit administratif du 5 août 2020 susmentionné dont ils se prévalent, il convient au préalable de rappeler que le droit des étrangers constitue un domaine où il est très difficile d’effectuer des comparaisons, les particularités du cas d'espèce étant déterminantes (arrêt du Tribunal fédéral 2A.305/2006 du 2 août 2006 consid. 5.3).

De toute manière, bien que leur situation présente des similitudes avec celle de la recourante ayant saisi la justice vaudoise, elle comporte également de notables différences, de sorte qu’ils ne peuvent tirer aucun avantage de la solution retenue par l’arrêt du 5 août 2020 susmentionné. En effet, alors que la précitée résidait en Suisse depuis vingt ans, ils n’y séjournent que depuis quelque sept ans, ce qui ne peut être considéré comme une durée bien plus longe que celle prévue dans la loi (à savoir cinq ans, comme il est mentionné à l’art. 84 al. 5 LEI). En outre, tandis que l’intéressée bénéficiait d’une rente de vieillesse et de prestations complémentaires et que, de ce fait, elle n’était plus dépendante financièrement, les recourants sont actuellement entièrement pris en charge par l’Hospice général, ainsi qu’il ressort d’une attestation du 10 janvier 2022, produite par l’OCPM.

17.         Du fait de leur dépendance totale à l’aide sociale, ils ne peuvent être considérés comme intégrés en Suisse. Cette situation ne suffit toutefois pas à elle seule pour leur refuser une autorisation de séjour sous l’angle de l’art. 84 al. 5 LEI. En effet, encore convient-il d’examiner si leur défaut d’intégration résulte d’un comportement fautif de leur part.

M. A______ n’a jamais occupé d’emploi depuis qu’il séjourne en Suisse. Aucun reproche ne peut cependant lui être adressé à cet égard. En effet, ainsi que l’a retenu l’OCAS dans sa décision du 18 mai 2020, sa capacité de travail était nulle avant son arrivée en Suisse déjà et son degré d’invalidité était total. En outre, il atteindra l’âge de l’AVS en décembre 2022.

Son épouse n’a, elle non plus, jamais exercé d’activité lucrative. Toutefois, à l’instar de son mari, aucun grief ne peut être formulé à son encontre. En effet, ainsi qu’il résulte d’un certificat médical établi le 15 mars 2022 par le Dr B______ des Hôpitaux universitaires de Genève, elle est le principal proche aidant de son mari. Ce document précise en outre que celui-ci présente une altération importante de sa santé depuis 2015, avec notamment une insuffisance cardiaque avancée, une diminution importante de la fraction d’éjection du ventricule gauche à 20 %, BPCO, diabète type 2, insuffisance artérielle des MI. Il en résulte une fatigabilité importante, dyspnée à l’effort et une diminution du périmètre de marche avec une claudication à dix minutes. Son épouse l’aide dans ses activités de la vie quotidienne : préparation des repas, faire les courses, ménages, aide au déplacements externes, aide pour l’hygiène corporelle. Le besoin de proche aidant est quotidien, à savoir vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept et pour une durée indéterminée, tant qu’il peut rester à domicile. Cette charge peut être considérée comme équivalant à un emploi.

Compte tenu de la situation d’invalidité complète de M. A______ et de la situation de proche aidant de son épouse, qui doit s’occuper de lui à temps plein, le fait qu’ils aient toujours émargé à l’aide sociale ne procède pas d’un comportement fautif de leur part. Pour la même raison, l’on ne peut leur reprocher un défaut d’intégration sur le plan socioculturel et en particulier leur méconnaissance de la langue française. Au vu de ce qui précède, le tribunal considère qu’il convient, en faveur des recourants, de déroger aux critères d’intégration exigés par l’art. 58a al. 1 LEI (art. 58a al. 2 LEI et 77f OASA).

Dans sa décision, l’OCPM admet que la poursuite du séjour en Suisse des recourants n’est pas remise en cause, le SEM n’envisageant pas de lever leur admission provisoire. Il en conclut qu’il n’existe pas de raison plaidant pour l’octroi d’une autorisation de séjour aux intéressés. Cette conclusion est erronée. En effet, contrairement à ce que soutient l’autorité intimée, l'inexigibilité ou la faible exigibilité d'un retour de l’étranger dans son pays de provenance constitue un critère militant en faveur de l’octroi d’une autorisation de séjour. Cette interprétation ne découle certes pas directement du texte de l’art. 84 al. 5 LEI, mais de son but, cette disposition ayant été édictée en vue d’encourager la régularisation des conditions de séjour des personnes admises provisoirement en Suisse dont le séjour était appelé à se prolonger (arrêt du Tribunal fédéral 1D_3/2014 du 11 mars 2015 consid. 5.2.4 in fine).

En l’occurrence le séjour en Suisse des recourants est amené à perdurer et aucun élément du dossier ne donne à penser que leur retour en Arménie serait exigible ou qu’ils auraient l’intention de regagner leur pays d’origine. Ces éléments constituent autant de circonstances militant en faveur de la délivrance d’un permis B aux recourants.

18.         Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis et la cause, renvoyée à l’OCPM afin que celui-ci transmette le dossier des intéressés au SEM avec un préavis favorable.

19.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, qui obtiennent gain de cause, sont dispensés du paiement d’un émolument.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

20.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au SEM.

 


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 4 avril 2022 par Madame A______ et Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 3 mars 2022 ;

2.             l'admet ;

3.             renvoie le dossier à l’office cantonal de la population et des migrations pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

4.             renonce à percevoir un émolument ;

5.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’office cantonal de la population et des migrations à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1'000.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière