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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2762/2022

JTAPI/900/2022 du 05.09.2022 ( LVD ) , ADMIS

Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2762/2022 LVD

JTAPI/900/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 5 septembre 2022

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Vanessa GREEN, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 26 août 2022, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée située, chemin C______, et de contacter ou de s'approcher de Madame A______ et des enfants D______, E______ et F______.

Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et indiquant notamment que M. B______ devrait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec une des institutions habilitées et convenir, d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 LVD), était motivée comme suit :

Description des dernières violences :

« en date du vendredi 19 août 2022, M. B______ aurait asséné trois coups de poings sur le crâne, côté droit, de son épouse. Peu après, Mme A______ a dit à son époux qu'il fallait qu'il quitte le domicile. Il a alors placé sa main sur la bouche de son épouse en l'empêchant de respirer tout en la menaçant de vouloir la tuer.

Description des violences précédentes : la plaignante a expliqué que depuis environ 14 ans son mari était violent (coups de poing, de pied et gifles) il avait également été violent envers leur fille, D______, au mois de mars 2022.

M. B______ démontrait par son comportement violent qu'il était nécessaire de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement administratif, afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes.

2.             Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 26 août 2022, que Mme A______ s'est présentée le même jour au poste de police de G______ afin de déposer une plainte pénale à l'encontre de son mari pour des faits de violences conjugales.

3.             Lors de son audition le même jour, elle a expliqué être victime de violences conjugales depuis 14 ans. Son mari avec lequel elle était mariée depuis 17 ans avait tendance à la frapper lors de leurs disputes. Son époux vivait depuis plus de 40 ans en Suisse, mais il était afghan comme elle. Tout s'était bien passé durant les trois premières années de leur mariage. Elle résidait alors à H______ et son mari venait la trouver trois mois par an. Il retournait en Suisse où il avait obtenu l'asile. Leur deux filles, D______ et E______, étaient nées à en Afghanistan, le 17 juin 2006 respectivement le 17 mars 2008. Le 20 décembre 2008, elle avait rejoint son mari à Genève avec leurs deux filles. Leur fils F______ était né le 30 septembre 2009 à Genève. La relation avec son époux avait commencé à se détériorer alors qu'elle était enceinte de leur fils. Elle s'était en effet rendue compte que son mari jouait au casino et qu'il dépensait leur argent. Les fins de mois avaient commencé à être difficiles et il leur arrivait de se disputer à ce sujet. Lors des disputes, il s'énervait en lui disant qu'elle n'avait pas à le contredire. De plus, il avait commencé à la frapper. Il lui donnait des gifles, des coups de poings fermés au niveau de la tête et des coups de pieds dans le dos au moment de sa grossesse. Elle n'avait jamais eu de marque de ces coups à faire constater. Depuis 2009, les disputes et les coups avaient été de plus en plus fréquents et violents. Son mari l'avait frappée devant les enfants à plusieurs reprises. Lorsqu'il la tapait, il lui arrivait de tomber au sol. Elle n'avait jamais perdu connaissance mais avait eu très souvent des courbatures et des maux de tête dus aux coups reçus. Elle n'avait pas de constat médical pour ces faits.

Cinq ou six ans plus tôt, elle avait dû se rendre chez son médecin car elle avait extrêmement mal aux cervicales et son médecin lui avait diagnostiqué une hernie cervicale due à un choc violent. Comme elle n'avait pas eu d'accident, son médecin, qui connaissait sa situation familiale, lui avait indiqué qu'il pouvait s'agir des coups reçus par son mari.

En mars 2022, une grosse dispute avait éclaté à leur domicile. Leur fille aînée, D______, avait pris sa défense ce que son mari n'avait pas supporté. Il avait donc asséné à leur fille une très forte gifle au niveau du bas droit du visage. Cette gifle avait entraîné un hématome. Elle avait eu tellement peur pour sa fille qu'elle s'était évanouie. Ce jour-là, son époux ne l'avait pas frappée.

Le 19 août 2022, suite à une altercation pour des motifs futiles, son époux s'en était pris à elle au motif qu'elle parlait trop avec des membres proches de sa famille. Elle n'avait pas accepté ce qu'il lui avait dit et elle s'était rebellée. Furieux, il lui avait asséné plusieurs gifles sur le visage. Au moment où elle lui avait demandé de sortir de chez eux, il lui avait donné trois gros coups de poings fermés au niveau du côté gauche de sa tête. Elle était alors tombée sur le canapé. Elle n'avait pas perdu connaissance mais avait eu et avait encore mal à la tête. Depuis, elle avait des nausées. Elle n'était pas allée voir le médecin n'en ayant pas eu le courage. Elle avait continué à lui dire qu'elle voulait qu'il parte. Il avait alors placé sa main sur sa bouche, sans obstruer son nez. Elle ne savait pas s'il voulait qu'elle se taise ou s'il voulait l'étouffer car elle nous pouvait plus respirer. Elle lui avait enlevé la main de la bouche. Il lui avait dit qu'il allait la tuer car il ne voulait pas qu'elle lui dise de partir. Finalement, il avait quitté la maison. Depuis, elle avait une douleur à l'annulaire gauche sans savoir comment cette douleur était survenue. Suite à cette altercation, elle ne lui avait plus adressé la parole.

Sur les conseils de la police, elle irait chez son médecin pour se faire ausculter et fournirait un constat médical. Son mari ne buvait pas d'alcool mais il se rendait au casino où il jouait tout leur argent.

Elle souhaitait que la police donne un délai d'environ un mois à son mari pour qu'il quitte le domicile. Maintenant, elle se sentait prête à appeler la police s'il s'en prenait à elle. Avant, elle en était incapable.

Son époux était incapable de la tuer. Il l'avait juste menacée.

Enfin pour ces faits, elle déposait une plainte pénale.

4.             Entendu par la police le même jour M. B______ a globalement nié les faits. Selon lui tout allait bien à la maison. Parfois, ils avaient des chicanes mais cela allait bien. Sa femme ne lui avait pas dit qu'elle avait déposé plainte contre lui. Jamais il n'aurait pensé que cela irait si loin. Ils avaient une grande différence d'âge. Maintenant que les enfants devenaient grands, elle s'ennuyait et créait des chicanes. Elle l'accusait de ne pas s'occuper d'elle ce qui n'était pas le cas. Il avait un revenu et s'occupait des enfants. Il aimait beaucoup ses enfants, surtout D______. Depuis que sa fille était adolescente, elle faisait des crises. Il pensait que cela passerait lorsqu'elle grandirait. Le problème était que quand il se disputait avec sa maman, elle intervenait, alors qu'il lui avait dit plusieurs fois qu'elle n'avait pas à le faire. Une fois elle s'était fâchée contre lui lorsqu'il lui avait dit de ne pas se mêler. Suite à sa réponse, il lui avait donné une petite gifle. Sa fille lui avait alors donné deux gifles en retour. Immédiatement, son épouse s'était interposée. Alors, il avait levé sa jambe pour éloigner son épouse. Sa fille avait saisi sa jambe et l'avait tirée en arrière, le faisant tomber par terre. Elle ne s'était jamais excusée. Il avait toujours mal au dos depuis ce jour. Cela s'était passé environ quatre mois plus tôt. Il a ajouté qu'il s'agissait de disputes familiales. C'était des chicanes. Sa fille ne lui parlait plus depuis ce jour.

Il contestait les accusations de sa femme. Il ne lui avait pas donné de gifles pour qu'elle perde ses dents, ou qu'elle saigne du nez ou qu'elle ait un œil au beurre noir. Il lui avait donné des gifles sur l'épaule. C'était des petites caresses afin de corriger lorsqu'elle disait des choses fausses. Il se disputait souvent avec son épouse parce qu'elle avait des envies plus élevées que ce que leur permettaient leurs économies. Cela faisait quatre ans qu'elle insistait pour changer les canapés alors qu'ils étaient neufs. Plusieurs fois, il lui avait proposé d'aller faire du camping avec les enfants. Elle refusait car elle voulait aller à l'hôtel comme tout le monde. Elle n'aimait pas faire du vélo ni marcher ni se promener. Elle ne souhaitait que faire les magasins. Lors des vacances scolaires, elle passait son temps à Balexert ou chez Ikéa. Jamais elle ne voulait aller au musée ou au bord du lac. Pour tout dire, il en avait marre de cette vie-là et il s'était inscrit au sein de l'établissement « les Campanules » ainsi qu'à l'IMAD d'afin de trouver un appartement pour personnes seniors. Sa femme savait qu'il souhaitait s'en aller. Peu de disputes avaient eu lieu devant les enfants. Il n'avait jamais levé la main sur son épouse devant les enfants. Concernant l'hernie cervicale de son épouse il a contesté l'avoir tapée. Il s'agissait probablement des conséquences du fait qu'elle dormait assise sur le canapé, avec la tête qui pendait de côté. Il la réveillait souvent pout qu'elle s'allonge car cela était mauvais pour le cou.

Il contestait que sa fille ait eu un hématome après la dispute du mois de mars 2022. Il ne l'avait pas frappée fort, il avait caressé son visage. Par contre, elle lui avait donné deux gifles. Comme il faut. Elle était forte pour son âge. L'année dernière, elle avait agressé un camarade d'école dans le bus. Elle était assez violente. C'était son caractère et c'était normal à son âge de réagir comme ça.

Il contestait avoir frappé sa femme le 19 août 2022. Elle prenait des médicaments pour la thyroïde et lorsqu'ils ne faisaient pas effet, elle perdait l'équilibre. Elle s'était ensuite allongée et était dans les nuages. Il pensait que c'était dû au fait qu'elle avait oublié de prendre ses médicaments. Elle faisait également des apnées du sommeil. Il ne lui avait jamais donné de coups de poing ni donné de gifles qui faisaient mal. Il l'avait souvent poussée dans le dos ou depuis les épaules. Il l'avait déjà saisie par les deux bras mais dans le but dans s'en aller pour ne pas rester face à elle. Il ne reconnaissait pas lui avoir donné des coups de pieds. Il contestait avoir frappé ses enfants.

5.             Par acte du 31 août 2022, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 1er septembre 2022, Mme A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours, en expliquant qu'elle avait vraiment très peur de son mari et très peur qu'il ne récidive. Elle subissait des coups depuis de nombreuses années et leur violence ne cessait d'augmenter. Elle avait besoin de ce temps pour pouvoir entamer des mesures de séparation en toute sécurité.

6.             Vu l'urgence, le tribunal a informé les parties par téléphone du 1er septembre 2022, de l'audience qui se tiendrait le 2 septembre 2022.

7.             Lors de l'audience du 2 septembre 2022, Mme A______ a confirmé sa demande de prolongation de la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de son mari pour une durée de trente jours en ce qui la concernait ainsi que les trois enfants.

Elle persistait dans ses déclarations à la police. Tout s'était bien passé entre le couple tant qu'elle avait vécu en Afghanistan, et que son mari venait la voir ainsi que leurs filles, trois mois par année. Les violences physiques avaient commencé depuis qu'elle était venue le rejoindre avec ses filles à Genève.

Mme A______ a remis au tribunal un constat médical établi le 29 août 2022. Suite à la remarque du tribunal relevant que ce constat ne révélait pas de lésions particulières, elle a souligné que la violente dispute, au cours de laquelle son mari lui avait notamment donné trois coups de poing, avait eu lieu le 19 août 2022, soit dix jours plus tôt. Cela étant, le constat indiquait que l’examen clinique était compatible avec ses allégations. Le 19 août 2022, elle avait essayé de contacter son médecin qui n’était pas là et elle n'avait pas eu le courage d’aller jusqu’aux Grangettes. Elle avait néanmoins longuement réfléchi durant la semaine qui avait suivi et s'était décidée d’aller dénoncer ces faits à la police.

Toujours concernant l'altercation du 19 août 2022, elle avait demandé à sa fille qui se trouvait dans sa chambre pourquoi elle n’était pas intervenue lors de la dispute. Celle-ci lui avait alors répondu qu’elle avait eu peur d’être battue à son tour. Mme A______ a rappelé à ce sujet que son mari avait frappé sa fille en mars 2022. Elle n’avait pas fait constater de lésions.

Mme A______ a expliqué que lors de la dispute du 22 mars 2022, sa fille avait pris sa défense en disant à son père que sa maman avait aussi le droit de sortir avec ses amies. Son père s'était alors emporté et il avait frappé D______. Celle-ci lui avait dit qu’elle ne l’avait pas frappé mais qu'elle l'avait repoussé.

Mme A______ a indiqué que E______ et F______ avaient peur de leur père et qu'ils restaient très discrets.

Mme A______ a ajouté que désormais, elle ne souhaitait plus reprendre la vie conjugale et entendait se séparer de son mari. Elle ne voulait plus vivre de nouveaux épisodes de violences.

Elle a par ailleurs confirmé que son époux avait respecté la mesure d'éloignement.

M. B______ a indiqué qu'il s'opposait à la prolongation de la mesure. Ils étaient mariés depuis 2005, ils avaient trois enfants en bas âge et la mesure de dix jours lui avait déjà semblé une éternité.

Il a expliqué que la famille de son épouse et la sienne étaient liées. Ainsi, le père de sa femme était son cousin germain et quand il se rendait en Afghanistan, il logeait chez eux.

Il contestait les violences dénoncées par sa femme et considérait que leur relation conjugale allait très bien. Pour sa part, il ne souhaitait pas de séparation et aimerait continuer de vivre en famille. Toutefois, lors des diverses disputes, son épouse lui avait demandé de partir et il avait commencé à chercher un centre d’hébergement pour séniors.

M. B______ a admis que depuis environ six ans, les époux avaient de fréquentes disputes. Il soulignait que sa femme passait quatre heures par jour au téléphone, ce qu'il trouvait peu intelligeant et ce qui l'énervait. Leurs enfants passaient également aussi énormément de temps devant les écrans. Malgré le fait qu'il leur demandait de stopper leur téléphone, ils ne l'écoutaient pas vraiment.

M. B______ a reconnu que lors de la dispute du 19 août 2022, il avait poussé sa femme qui était tombée sur le canapé. Il contestait toutefois lui avoir donné des coups de poing.

Concernant l’épisode du mois de mars 2022, il a confirmé ses déclarations à la police. Sa fille avait essayé de s’interposer entre lui et sa femme durant une dispute. Il avait alors levé la main contre sa fille D______, mais c'était elle qui lui avait donné deux gifles. Il ne l'avait pas frappée. À la remarque du tribunal sur le fait qu'il venait de dire qu'il avait donné une gifle à sa fille. Il a indiqué qu'il retirait ce que qu'il avait dit.

Par ailleurs, il a expliqué que D______ avait tendance à la violence et relaté que lorsqu’elle avait quinze ans, elle avait frappé un camarade.

Il contestait être un père sévère. Mais, pour le bien des enfants et pour sauver la famille, il s'engageait, à partir d’aujourd’hui, à s'adapter à la culture européenne et à les laisser faire tout ce qu’ils souhaitaient.

M. B______ a indiqué qu'il ne croyait pas sa femme lorsque celle-ci disait avoir peur de lui. Il relevait à ce propos qu'elle avait toujours rempli ses tâches ménagères et familiales et quant à lui, il faisait tout pour qu’elle ait une vie confortable.

M. B______ a ajouté qu'il pouvait donner des garanties à sa femme que les disputes ne se reproduiraient plus jamais.

Depuis le prononcé de la mesure, il logeait au foyer du Pertuis et n'avait pas cherché à contacter sa femme ou ses enfants. Si la mesure devait être prolongée par le tribunal, il n'aurait pas d’autre choix que de rester au foyer. Aucun membre de sa famille n’avait de place pour l’accueillir. Même son fils lui avait dit qu’il ne pouvait pas le loger.

Sur question du tribunal, il a répondu qu'il ne s'était pas rendu chez VIRES car il voulait préalablement consulter un avocat. Il ne s'était toutefois pas opposé à la mesure prononcée le 26 août 2022.

Mme A______ a tenu à ajouter que ses enfants lui avaient indiqué qu’ils préféraient que leur père ne revienne pas à la maison. Ils aspiraient à une vie tranquille sans dispute. Les deux plus jeunes souhaitait toutefois revoir leur père et pouvoir lui téléphoner. À ce sujet, elle n'était pas contre le fait que E______ et F______ entretiennent des relations avec leur père à l’extérieur du domicile familial. Elle était d’accord qu’ils se téléphonent et qu’ils se rencontrent dans un autre lieu que la maison.

M. B______ a indiqué qu'il craignait que ses enfants ne soient manipulés. Il a encore ajouté qu'il avait besoin de récupérer différents documents qu'il devait présenter à la police d’ici au 10 septembre 2022.

Le conseil de Mme A______ a déclaré être d’accord de servir d’intermédiaire entre M. B______ et sa cliente pour lui remettre ces documents.

Sur quoi, le tribunal a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, face aux déclarations contradictoires des époux, on ne parvient pas à déterminer ce qui s'est réellement passé au domicile de ces derniers le 19 août 2022, en mars 2022 ainsi qu'au cours des mois, voire des années qui ont précédé cette date. Une procédure pénale est d'ailleurs en cours à cet égard.

Selon la demanderesse, les violences physiques auraient déjà fait leur apparition au sein du couple à la naissance de leur troisième enfant en 2009.

Quant à M. B______ quand bien même il minimise la situation et conteste toute violence de sa part, il reconnait de fréquentes disputes avec sa femme depuis plusieurs années, et également l'avoir poussée et fait tomber sur le canapé et l'avoir saisie par les bras. Concernant la dispute du 22 mars 2022, avec sa fille D______, il a admis l'avoir giflée, devant la police puis devant le tribunal, avant de se rétracter sur ce point. En outre, la description qu'il a faite de la scène lors de son audition par la police, révèle une violence certaine, même s'il l'impute exclusivement à sa fille.

De plus, la version défendue par M. B______ selon lequel tout irait bien dans le couple ne résiste pas aux déclarations tout à fait opposées de son épouse. En effet, on ne saurait qualifier de bonne la situation d'un couple dans laquelle l'un des partenaires déclare subir des violences physiques depuis de nombreuses années, craindre son conjoint et en arriver à souhaiter la séparation. Manifestement, M. B______ est dans le déni de la crise que vit son couple et il n'est dès lors pas possible de faire autrement que de retenir qu'il est également dans le déni de la menace qu'il représente aux yeux de son épouse. A ce sujet, le tribunal relèvera que M. B______ n'a pas totalement respecté la mesure d'éloignement, en ne prenant pas rendez-vous avec une institution habilitée à recevoir les auteurs présumés de violence domestique pour un entretien socio-thérapeutique et juridique tel qu'ordonné dans la mesure du 26 août 2022.

À partir de là, il est indéniable qu'une forte tension s'est installée au sein du couple depuis plusieurs mois si ce n'est depuis des années, qui se traduit également par le fait que désormais la demanderesse entend entamer une procédure de séparation, voire de divorce et que M. B______ envisage de trouver un nouveau logement.

La situation n'a guère évolué depuis le prononcé de la mesure litigieuse. L'écoulement d'une dizaine de jours depuis la survenance des derniers actes de violence ne suffit pas pour écarter le risque que de nouveaux actes, quelle que soit leur nature, se reproduisent, si les époux devaient se retrouver sous le même toit dès le 5 septembre 2022. Cette éventualité apparaît toujours suffisamment réelle et concrète pour justifier que ceux-ci demeurent éloignés pendant un temps encore, ce qui, sur le principe, tend à admettre le bien-fondé de la demande formulée par Mme A______.

À toutes fins utiles, il sera rappelé que la mesure d'éloignement a pour objectif d'empêcher la réitération d'actes de violence, mais non de permettre aux personnes concernées de s'organiser pour modifier le cadre et les modalités de leur relation personnelle.

S'agissant des enfants du couple, il est pris note que Mme A______ n'a pas d'objection sur le principe que son mari entretienne des relations personnelles avec E______ et F______ hors du domicile familial, mais pas avec D______. Il appartiendra donc aux intéressés, par l'intermédiaire de leurs avocats ou avec l'aide de tiers, de convenir des modalités d'éventuels contacts et/ou visites, lesquelles échappent à la compétence et au pouvoir d'intervention du tribunal.

En conclusion, le tribunal prolongera la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours. Elle le sera sous la menace de l'art. 292 CP, dont la teneur figure ci-dessus. Elle prendra donc fin le 5 octobre 2022 à 19h00.

Il sera ainsi toujours interdit à M. B______ de contacter et de s'approcher de son épouse et de D______ jusqu'à cette date, ainsi que de s'approcher et de pénétrer au domicile de la famille. Si cette prolongation, qui apparaît utile, nécessaire et opportune, comporte à l'évidence des désagréments pour celui-ci, en particulier le fait qu'il soit contraint de trouver des solutions d'hébergement précaires, l'atteinte à sa liberté personnelle en résultant demeure acceptable, étant observé qu'aucune autre mesure moins incisive ne serait envisageable pour atteindre le but fixé par la LVD (cf. ATA/619/2020 du 23 juin 2020 consid. 9 ; ATA/527/2020 du 26 mai 2020 consid. 10).

Par ailleurs, il sera souligné que ce dernier a toujours l'obligation de prendre contact et de convenir d'un entretien avec l'association VIRES, institution habilitée à recevoir les auteurs présumés de violence domestique, dont les coordonnées lui ont été dûment communiquées par le commissaire de police lors de la notification de la mesure (art. 10 LVD).

De plus, il sera rappelé que le défendeur pourra, cas échéant, venir chercher dans l'appartement conjugal, ses effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties par l'intermédiaire de l'avocat de Mme A______ et accompagné de la police.

5.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

6.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

 

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 31 août 2022 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 26 août 2022 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet dans le sens des considérants ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 5 octobre 2022 à 19h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

5.             dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

7.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

 

Genève, le

 

La greffière