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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2125/2022

JTAPI/699/2022 du 30.06.2022 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;PROLONGATION;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2125/2022 LVD

JTAPI/699/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 juin 2022

 

dans la cause

 

Madame A______, agissant en son nom et pour le compte de ses enfants mineurs B______, C______, D______ et E______ et F______, représentés par Me Gianmarco CALIRI DELGADO, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur G______

 


 

EN FAIT

1.             Le 22 juin 2022, Madame A______ s’est rendue au poste de police de H______ pour déposer plainte pénale contre son mari, Monsieur G______ pour plusieurs épisodes de violences conjugales qu’elle aurait subis entre mars et le 22 juin 2022.

2.             Lors de son audition par la police le même jour, elle a expliqué qu’en 2017, elle avait déposé une plainte pénale à l’encontre de son mari pour violences conjugales. Son mari s’était alors enfui en Albanie jusqu’en 2019. A son retour, la police l’avait pris en charge et elle n’avait pas eu de nouvelles pendant quelques semaines. A son retour à la maison, elle lui avait pardonné et ils s’étaient mariés.

Depuis leur mariage et jusqu’en mars 2022, la situation était redevenue calme, sans épisodes de violence. Ils avaient toujours eu de petites disputes mais sans gravité.

En mars 2022, la situation s’était dégradée et il lui avait jeté une spatule sur la poitrine. Depuis lors, ils ne dormaient plus ensemble. Elle avait contacté un avocat en avril ou mai 2022 pour entamer une procédure de divorce.

Le 8 juin 2022, son mari l’avait giflée et menacée que si elle appelait la police, il allait lui « planter les jambes ». Il avait ensuite lancé deux couteaux en direction du mur, vers le plan de travail et un verre s’était cassé. Il était ensuite parti dans la chambre en lui demandant de nettoyer son vomi, ce qu’elle avait fait. Elle pensait que le fait qu’elle veuille divorcer lui faisait peur ; il avait peur de perdre son permis.

Le 12 juin 2022, il avait pris son téléphone alors qu’elle était aux toilettes et l’avait jeté par terre : il s’était cassé et il avait continué à l’écraser avec son pied.

Le 21 juin 2022, vers 9h15, elle avait refusé d’aller lui acheter des cigarettes et lorsqu’elle était revenue à la maison avec ses enfants, sans avoir acheté de cigarettes, il avait lancé sa tasse de café dans sa direction, sans toutefois la toucher ou toucher les enfants.

Son mari n’avait jamais fait preuve de violence envers leurs enfants. En mai 2022 toutefois, il s’était fâché contre C______ car il avait eu des mauvaises notes.

L’ambiance à la maison n’était pas bonne, son mari ayant souvent des hauts et des bas. Il essayait de se faire pardonner mais le lendemain il avait de nouveau des accès de colère. Elle essayait de ne pas être dans la même pièce que lui pour éviter les conflits.

Elle avait peur de lui, il l’avait déjà menacée et n’avait pas hésité à lui dire qu’il pourrait faire pire si la police était au courant de la situation.

3.             Suite à cette audition, M. G______ a été interpellé par la police le jour même.

4.             Il a été auditionné le 22 juin 2022 également, contestant tous les faits qui lui étaient reprochés.

En 2017, c’était sa femme qui était venue dans sa chambre pour le frapper ; il l’avait prise par les mains pour la réveiller mais elle s’était blessée toute seule. Il était ensuite resté un mois en Suisse puis était parti en Albanie jusqu’en 2019, pour la laisser tranquille. A son retour, il avait été détenu une semaine à Champ-Dollon suite à la plainte pénale de sa femme.

Sa femme ne lui avait jamais dit en mai-juin 2022 qu’elle voulait divorcer. Il n’avait jamais été violent avec elle, par contre elle était très jalouse. Il ne l’avait pas giflée le 8 juin 2022 et n’avait pas cassé son téléphone portable le 12 juin 2022. Le 21 juin 2022, il s’était levé à 11h et sa femme, pour une fois, avait cuisiné : il n’avait toutefois pas mangé car elle ne savait pas cuisiner et ce n’était pas bon. Il était allé avec ses enfants à la piscine. Sa femme mentait sur les événements du 21 juin 2022, faisant tout cela pour avoir la garde des enfants. Il n’était aucunement dur dans ses propos envers sa femme.

S’il quittait la maison, il ne savait pas qui s’occuperait des enfants.

5.             Par décision du 23 juin 2022, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de M. G______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme A______ et des enfants mineurs B______, C______, D______ et E______ et F______ située, chemin des I______ 1______, 2______ J______, et de contacter ou de s'approcher de ceux-ci.

Selon cette décision, M. G______ était présumé avoir lancé une tasse et une boite de monnaie sur Mme A______ le 21 juin 2022 et des violences avaient déjà eu lieu en mars 2022 ainsi que les 8 et 12 juin 2022.

6.             M. G______ ne s’est pas opposé à cette mesure.

7.             Par acte du 29 juin 2022, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______, sous la plume de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours.

Elle avait subi plusieurs formes de violence conjugales de la part de M. G______ qui avaient justifié le prononcé de la mesure.

M. G______ avait par ailleurs tendance à se comporter de manière inadéquate devant ses enfants lorsqu’il était ivre, ce qui était récurrent. Ses comportements consistaient notamment à crier, à demander à ses fils de le taper pour leur montrer des techniques de luttes et insulter Mme A______.

8.             Vu l'urgence, le tribunal a informé M. G______ et Mme A______ par téléphone du 29 juin 2022 de l'audience qui se tiendrait le 30 juin 2022 à 9h00.

9.             Lors de cette audience, Mme A______ a confirmé sa demande. Suite à sa plainte pénale déposée en 2018, elle avait été contactée par le SPMi. Actuellement son fils B______ était suivi notamment du fait de ses problèmes scolaires et de ses craintes suite à leur mariage, craintes qu'il avait confiées à l'infirmière scolaire. C______ et son papa avaient eu des contacts téléphoniques depuis le prononcé de la mesure d'éloignement et C______ avait passé son téléphone à son frère B______. Elle craignait des violences de la part de son mari en cas de retour au domicile conjugal. Lorsque sa situation conjugale sera stabilisée, elle cherchera un emploi. Elle ajouté que M. G______ était parti deux ans. Elle souhaitait prendre en charge ses enfants comme elle l’avait fait lors de l'absence de leur papa.

M. G______ a déclaré qu’il ne souhaitait plus jamais voir son épouse, que ce soit au domicile conjugal ou devant le tribunal. Sur le fond, il ne s’opposait pas à cette prolongation. Il n’avait jamais été condamné pour violences conjugales. Sur question de la magistrate, il ne souhaitait pas indiquer s’il avait déjà fait l'objet de condamnation pénale. Une nuit à 3h du matin, alors qu’il faisait l'objet de la mesure d'éloignement, sa femme lui avait téléphoné pour qu’il ramène leur fils qui était sorti. Il l’avait ramené à la maison et était resté dans le salon car il n’avait plus de bus pour rentrer à K______, ville dans laquelle il dormait depuis le prononcé de la mesure d'éloignement. Il y a deux jours, il avait tenté de joindre sa femme car à nouveau leur fils était dehors à 4h du matin, mais il n’avait pas réussi. Il n’avait pas pris contact avec une association, ayant complètement oublié. Il contestait l'entier des accusations de violences conjugales, n’ayant jamais été violent envers sa femme. Il n’avait jamais lancé d'objets sur sa femme, ils avaient simplement eu quelques disputes. Il n’avait eu qu'un contact avec son fils lorsque ce dernier était dehors au milieu de la nuit. Tous les contacts téléphoniques qu’il avait échangés avec sa femme et ses enfants avaient été déclenchés par sa femme, qui l’avait appelé au milieu de la nuit à propos d'C______. Il ne voulait plus voir sa femme, il souhaitait se marier avec une autre femme. Il voulait reprendre tous les habits et les affaires qu’il avait achetés, il y en avait beaucoup, qui étaient actuellement au domicile conjugal. Il n’avait aucune activité professionnelle. Il avait le projet de partir en Albanie très rapidement, il ne savait pas pour combien de temps : il allait en discuter lendemain lors de sa rencontre avec le SPMi. Il a ajouté qu’il était parti moins d'une année en Albanie entre 2018 et 2019. Il était surpris que son épouse se souvienne précisément de dates, alors qu'elle ne connaissait même pas le prix d'un litre de lait.

Le conseil de Mme A______ a indiqué être nommé d'office pour une procédure en mesures protectrices de l'union conjugale. Il représentait également les enfants dans la présente procédure. Ils allaient déposer dans le courant de la semaine prochaine une requête en mesures protectrices de l'union conjugale.

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, il est indéniable que les conjoints connaissent des difficultés au sein de leur couple. Selon la demanderesse, les violences conjugales ont déjà eu lieu en 2017 l’ayant conduit à déposer plainte pénale. Elles ont repris en mars 2022 et se sont intensifiées en juin 2022.

M. G______, lors de l’audience, s’est montré agressif dans ses propos et son comportement. Il conteste depuis le début tous les faits qui lui sont reprochés, affirmant ne jamais avoir fait preuve de violence envers sa femme et que cette dernière ment. Il a froidement affirmé en audience ne plus jamais vouloir revoir sa femme et souhaiter partir en Albaine pour trouver une nouvelle femme sans vraiment se soucier de l’avenir de sa famille et notamment de ses cinq enfants, qui sont encore jeunes et qui, semble-t-il, rencontrent déjà des difficultés dans leur scolarité – certains d’entre eux étant suivis par le SPMi. Il n’a par ailleurs pas contacté une d’institution habilitée pour convenir d’un entretien socio-thérapeutique et juridique comme la loi l’y oblige.

Compte tenu de la situation sus-décrite et de l’accord de M. G______ à une prolongation, le tribunal estime qu’un retour de ce dernier au domicile conjugal dès le 3 juillet 2022 n’est pas adéquat.

En conclusion, le tribunal prolongera la mesure d'éloignement en cause jusqu'au 3 août 2022. Partant, pendant cette nouvelle période de trente jours, il sera toujours interdit à M. G______ de contacter et de s'approcher de sa femme et de ses enfants, ainsi que de s'approcher et de pénétrer au domicile de la famille sis chemin des I______, 1______ au J______.

L’attention de Mme A______ est par ailleurs attirée sur le fait qu’elle ne doit également pas prendre contact avec M. G______ pendant toute la période d’éloignement.

Enfin, il sera rappelé que M. G______ pourra, cas échéant, venir chercher dans l'appartement conjugal, ses effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties et accompagné de la police.

5.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

6.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

 

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 29 juin 2022 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 23 juin 2022 à l’encontre de Monsieur G______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 3 août 2022, à 1h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.


Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi que pour information au commissaire de police, au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant et au Service de protection des mineurs.

Genève, le

 

La greffière