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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2437/2021

JTAPI/16/2022 du 10.01.2022 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : DROITS DE MUTATION;DONATION;IMPÔT FORFAITAIRE;RÉVOCATION(EN GÉNÉRAL)
Normes : LDE.11.al1; LDE.27A; CO.239; CO.249
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2437/2021 ICC

JTAPI/16/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 janvier 2022

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par SETT FIDUCIAIRE SA, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Dans une « Attestation à qui de droit » datée du 30 mars 2021, Monsieur B______ a déclaré qu’il annulait irrévocablement le prêt de CHF 1'532'000.- qu’il avait consenti à sa fille, Madame A______, le 22 juillet 2009.

2.             Le 19 avril 2021, M. C______ a déclaré à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE), au moyen de la formule ad hoc, l’annulation du prêt accordé à sa fille.

3.             Par pli du 22 avril 2021 adressé aux époux B______, l’AFC-GE a pris note que ces derniers renonçaient définitivement à l’imposition selon la dépense dès le 1er janvier 2021.

4.             Le 3 mai 2021, l’AFC-GE a notifié à Mme A______ (ci-après : la contribuable) un bordereau de droits d’enregistrement d’un montant de CHF 83'374.-, frappant la donation reçue de son père.

5.             La précitée a élevé réclamation par lettre du 3 juin 2021 en sollicitant la « rectification » du bordereau de droits d’enregistrement, faisant valoir que ses parents n’étaient plus soumis à l’impôt selon la dépense depuis le 1er janvier précédent et que selon l’art. 110A de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05), elle était exonérée de l’impôt sur les successions.

6.             Par décision du 14 juin 2021, l’AFC-GE a rejeté la réclamation. La contribuable n’était pas exonérée des droits d’enregistrement, étant donné que ses parents avaient été imposés sur la dépense jusqu’au 31 décembre 2020. Par ailleurs, l’art. 110A LCP ne s’appliquait ni aux droits de donation, ni aux droits de succession.

7.             Par acte du 15 juillet 2021, la contribuable, sous la plume de son mandataire, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de cette décision

Ses parents avaient été imposés selon la dépense depuis 1966. En 2009, son père lui avait financé l’achat d’un appartement et lui avait prêté la somme de CHF 1'532'000.- sans intérêts. Désirant organiser sa succession, il lui avait fait donation des fonds consentis initialement sous forme de prêt. Toutefois, en raison d’une détérioration de leur situation patrimoniale, ses parents avaient renoncé à leur imposition sur la dépense. Disposant de la capacité financière de rembourser tout ou partie du prêt, elle avait convenue avec son père de renoncer à la donation.

Elle a produit une attestation co-signée par elle-même et son père, le 13 juillet 2021, faisant état de leur intention de proroger le prêt de CHF 1'532'000.-, consenti le 22 juillet 2009, en vue de préserver le patrimoine de M. B______.

8.             Dans sa réponse du 20 septembre 2021, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours. Le 19 avril 2021, M. B______ avait accordé une donation à sa fille, laquelle ne prétendait plus que cet acte était exonéré de droits d’enregistrement. La prorogation du prêt devait être écartée, car l’annonce était intervenue au moment du dépôt de l’acte de recours.

9.             Par réplique du 29 octobre 2021, la contribuable a maintenu son recours. Elle avait toujours vécu très modestement et avait très régulièrement bénéficié de l’aide financières de ses parents. Lorsque ceux-ci avaient renoncé au prêt, ils ignoraient que, dans l’intervalle, elle était solvable, à la suite de la vente de son appartement parisien en mars 2020. Dès que M. B______ eut pris connaissance de la possibilité de remboursement du prêt consenti, il avait souhaité que celui-ci soit reconduit. Il entendait requérir des acomptes substantiels à valoir sur ce prêt, en fonction de ses besoins personnels et de ceux de son épouse.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l'espèce, contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale en matière de droits d'enregistrement (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 179 al. 1 et 2 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 - LDE - D 3 30).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 62 al. 1 let. a et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             La recourante demande en substance l’annulation du bordereau de droits d’enregistrements du 3 mai 2021, en se prévalant de l’attestation du 13 juillet 2021, constatant la prorogation du prêt que son père lui avait consenti en 2009.

4.             Les droits d’enregistrement sont un impôt qui frappe toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et en général toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, dénommées dans la présente loi : « actes et opérations », soumises soit obligatoirement soit facultativement à la formalité de l’enregistrement (art. 1 al. 1 LDE).

Selon l’art. 3 let. h LDE, sont soumis obligatoirement à l’enregistrement les donations et autres avantages semblables que les dispositions du titre IV (donations entre vifs) assujettissent à cette obligation, sous réserve des donations faites aux personnes morales ayant leur siège en Suisse qui sont exonérées des impôts sur le bénéfice et sur le capital, en raison de leur but de service public, d’utilité publique, cultuel, à la Confédération, aux cantons, aux communes et à leurs établissements. Les donations de biens mobiliers faits postérieurement à la constitution de l’institution de prévoyance en faveur du personnel ne sont également soumis à aucun droit.

Sous réserve des exceptions mentionnées aux art. 6 let. u et v, 28 et 29 al. 5 LDE, toute disposition entre vifs par laquelle une personne physique ou morale cède, sans contrepartie correspondante, à une autre personne physique ou morale, tout ou partie de ses biens ou de ses droits, en propriété, en nue-propriété ou en usufruit, est, en tant que donation, soumise obligatoirement aux droits d’enregistrement (art. 11 al. 1 LDE).

5.             À teneur de l’art. 27A al. 1 let. b LDE, sont exemptes de tous droits les donations ultérieures à l'entrée en vigueur de la présente disposition faites par le donateur à ses parents en ligne directe ; l'enfant adopté au sens du code civil suisse a le statut d'un enfant de l'adoptant.

L’al. 1 n'est pas applicable lorsque, selon l'une ou l'autre des trois dernières décisions de taxation définitives au moment de la donation, le donateur était au bénéfice d'une imposition d'après la dépense au sens de l’art. 14 de la loi sur l’imposition des personnes physiques, du 27 septembre 2009 (art. 27A al. 2 LDE).

Cette disposition est entrée en vigueur le 1er janvier 2004.

6.             Le Tribunal fédéral a jugé que l’art. 27A LDE ne violait ni le principe d’égalité de traitement, ni celui de la généralité de l'imposition, ni celui de l’imposition selon la capacité contributive, ni non plus celui de la force dérogatoire du droit fédéral (arrêt 2C_164/2015 du 5 avril 2016).

7.             Selon l’art. 239 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), la donation est la disposition entre vifs par laquelle une personne cède tout ou partie de ses biens à une autre sans contre-prestation correspondante.

Une créance peut faire l’objet d’une donation (art. 248 al. 2 in fine CO).

La donation est un contrat unilatéral - car une seule des parties s’oblige - et un acte bilatéral, car la concordance des volontés est exigée (art. 1 et 239 CO).

8.             La concordance des volontés des parties s’exprime par la volonté du donateur et du donataire de conclure un contrat selon lequel le donateur consent à faire une attribution à titre gratuit que le donataire est prêt à accepter. Le donateur et le donataire doivent être conscients des éléments du contrat, qui sont objectivement et subjectivement essentiels pour l’un d’eux ou pour les deux. Sans cette concordance des volontés, la donation n’est pas valable. La donation se caractérise par un élément subjectif, soit la volonté du donateur de donner sans contre-prestation correspondante, et par deux critères objectifs, la diminution du patrimoine du donateur et l'enrichissement du donataire (Margareta BADDELEY, in Luc THÉVENOZ, Franz WERRO, Commentaire romand du Code des obligations I, 2021, art. 239, § 8 à 37 p. 1824 et ss.).

La volonté de donner doit se manifester par l’appauvrissement du donateur, qui est la contrepartie de l’enrichissement du donataire. Le donateur est appauvri notamment par les actes suivants : la renonciation au remboursement de dettes, la donation faite à titre d’avancement d’hoirie, ainsi que les autres libéralités du donateur à l'un de ses futurs successeurs (malgré l’éventualité du rapport et de la réduction de l’attribution pendant la liquidation de la succession), (arrêt du Tribunal fédéral 2C_961/2010 du 30 janvier 2012 consid. 5.2).

9.             Selon l'art. 249 CO, le donateur peut révoquer les dons manuels et les promesses de donner qu’il a exécutées et actionner en restitution jusqu’à concurrence de l’enrichissement actuel de l’autre partie lorsque le donataire a commis une infraction pénale grave contre le donateur ou l’un de ses proches (ch. 1) ; lorsqu’il a gravement failli aux devoirs que la loi lui impose envers le donateur ou sa famille (ch. 2) ; lorsqu’il n’exécute pas, sans cause légitime, les charges grevant la donation (ch. 3). La révocation peut avoir lieu dans l’année à compter du jour où le donateur a eu connaissance de la cause de révocation (art. 251 al. 1 CO).

10.         Selon la jurisprudence (arrêts du Tribunal fédéral 2C_152/2015 du 31 juillet 2015 consid. 4.2 ; 2C_116/2010 du 21 juin 2010 consid. 2.2 in RDAF 2010 II 474), la créance d'impôt naît sitôt que les faits générateurs prévus par la loi sont réalisés. La créance fiscale prend naissance ex lege, sans aucune autre intervention extérieure : la doctrine parle de la naissance immédiate de la créance fiscale. La taxation n'a aucun effet constitutif, elle n'est pas une condition de l'existence de la créance d'impôt. L'existence et le contenu de la créance fiscale sont fixés par la loi, raison pour laquelle dite créance est en principe irrévocable : dès l'instant où une créance fiscale est née, elle ne peut être réduite à néant par une opération destinée à effacer les faits générateurs lui ayant donné naissance. La naissance ex lege de la créance fiscale a également pour conséquence que le moment de la réalisation du revenu ne saurait dépendre de la seule volonté du contribuable ; si tel était le cas, le contribuable pourrait différer et, par-là, déterminer lui-même en fonction de ses convenances personnelles à quel moment ce revenu est imposable.

11.         En présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l’intéressé a données en premier lieu, alors qu’il en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (arrêt du Tribunal fédéral 9C_728/2013 du 16 janvier 2014 consid. 4.1.2).

12.         Selon la jurisprudence, un contrat de prêt conclu entre membres de la famille, transformé ultérieurement en contrat de donation, ne constitue pas un abandon de créance soumis à l’impôt sur le revenu, mais une donation qui en est exonérée (JTAPI/813/2019 du 2 septembre 2019).

13.         En l’espèce, le 30 mars 2021, le père de la recourante a « annulé » le prêt de CHF 1'532'000.- qu’il lui avait consenti en 2009 et a déclaré, au moyen de la formule ad hoc, cette libéralité comme donation à l’AFC-GE. Conformément à la jurisprudence, celle-ci constitue indubitablement une donation. D’ailleurs, la précitée le reconnaît dans son recours. En conséquence, elle doit être taxée en application de l’art. 11 LDE. La recourante ne peut se prévaloir de l’exonération prévue par l’art. 27A LDE, puisque jusqu’au 31 décembre 2020, son père était imposé sur la dépense.

Cela étant, la recourante objecte implicitement que l’attestation du 13 juillet 2021, par laquelle elle-même et son père sont convenus de proroger le prêt du 22 juillet 2009, emporte révocation de la donation.

Cette argumentation doit être rejetée.

En effet, il convient de relever que ce document a été établi postérieurement à la décision sur réclamation. Il apparaît donc qu’il été rédigé pour les besoins de la cause et plus spécifiquement, afin d’accréditer la nouvelle théorie juridique plaidée par la recourante devant le tribunal. En effet, celle-ci renonce désormais à soutenir – en contradiction à ce qu’elle plaidait devant l’AFC-GE – que la donation est exonérée de droits d’enregistrement en application de l’art. 27A LDE. Quoi qu’il en soit, l’intéressée méconnaît la règle suivant laquelle la créance d’impôt naît ex lege et ne peut être réduite à néant par une opération destinée à en effacer les faits générateurs. En l’occurrence, la créance fiscale a pris naissance par la donation du 30 mars 2021 et ne saurait être anéantie par la seule volonté de recourante, à savoir par l’attestation du 13 juillet 2021. Au surplus, la prénommée ne prétend pas que la donation aurait été révoquée pour les motifs prévus à l’art. 249 CO.

14.         Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté.

15.         En application des art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

 


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 15 juillet 2021 par Madame A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 14 juin 2021 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Caroline GOETTE et Stéphane TANNER, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière