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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/729/2021

JTAPI/1064/2021 du 18.10.2021 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : DÉDUCTION DU REVENU(DROIT FISCAL);FRAIS SUPPLÉMENTAIRES CAUSÉS PAR L'INVALIDITÉ;INVALIDITÉ(INFIRMITÉ)
Normes : LIFD.33.al1.lethbis; LIPP.32.letc; LIFD.34.leta; LIPP.38.leta
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/729/2021 ICCIFD

JTAPI/1064/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 18 octobre 2021

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Bernard REYMANN, curateur, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FEDERALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne l’impôt cantonal et communal (ICC) et l’impôt fédéral direct (IFD) 2019.

2.             Dans sa déclaration fiscale 2019, Madame A______ (ci-après : la contribuable ou la recourante), sous la plume de son curateur, a porté en déduction de ses revenus un montant de CHF 114'326.- au titre de frais liés au handicap, code 59.40, nature : « AIDE SOIGNANTE PRIVÉE ET AIDE PRATIQUE B______ ».

3.             Par bordereaux de taxation datés du 30 novembre 2020, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a fixé l’ICC 2019 à CHF 70'522.25 sur la base d’un revenu imposable de CHF 141'178.- et d’une fortune imposable de CHF 14'937'707.-. Calculé sur un revenu imposable de CHF 151'600.-, l’IFD 2019 s’est élevé à CHF 7'709.55.-.

Selon les avis de taxation annexés à ces bordereaux, l'AFC-GE a admis la déduction d'un montant de CHF 83’785.- au titre de frais liés au handicap, pour les motifs suivants : « Les frais pour le personnel de maison ainsi que pour le personnel médical au domicile sont en partie déductibles. Ils sont à limiter au prix annuel d’un EMS [établissement médico-social] genevois de haut standing, soit CHF 269.-/jour (ATF 2C_479/2016 du 12 janvier 2017). Du montant retenu, il faudra déduire la part qui dépasse les frais d’entretien que le contribuable aurait eu s’il était resté chez lui, à savoir annuellement : CHF 14'400.- pour une personne seule ».

4.             Par courrier de son curateur du 16 décembre 2020, la contribuable a élevé réclamation à l’encontre de ces bordereaux de taxation ICC et IFD 2019, concluant à la déduction de l’intégralité des frais déclarés liés au handicap.

Elle a indiqué avoir fait le choix de ne pas aller dans un EMS et de rester vivre chez elle. Toutefois, souffrant de la maladie d’Alzheimer, elle ne pouvait pas rester seule sans se mettre en danger. Son état de santé la rendait complètement dépendante pour les actes de la vie quotidienne. Une aide-soignante indépendante venait tous les jours s’occuper d’elle à son domicile à raison de huit heures par jour, mais un peu moins longtemps les week-ends. L’B______ lui apportait aussi une aide pratique durant une heure par semaine.

Ce revirement de pratique de l’AFC-GE, découlant d’un arrêt du Tribunal fédéral du 12 janvier 2017 (2C_479/2016), était contesté, dès lors que sa situation n’était absolument pas comparable à l’état de fait de cette jurisprudence. Celle-ci ne pouvait pas s’appliquer dans le cas présent.

5.             Par deux décisions du 25 janvier 2021, l’AFC-GE a rejeté la réclamation en reprenant les motifs mentionnés dans les avis de taxation du 30 novembre 2020.

6.             Par acte du 25 février 2021, sous la plume de son curateur, la contribuable a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre ces décisions sur réclamation, concluant, sous suite de frais et de dépens, à leur annulation et à la déduction d’un montant de CHF 114'326.- au titre de frais liés à son handicap.

L’AFC-GE n’avait jusqu’alors jamais limité à un montant spécifique les frais liés à un handicap. Ceux-ci étaient intégralement admis en déduction.

L’AFC-GE avait considéré que la nécessité médicale de recevoir des soins à domicile n’avait pas été prouvée. Selon le fisc, ces soins auraient également pu être fournis dans un EMS, de sorte qu’il se justifiait de limiter la déduction des frais liés au handicap à concurrence des frais de soins dans une institution spécialisée.

L’arrêt du Tribunal fédéral était critiquable sur deux points. Premièrement, les personnes handicapées demeurant à domicile assumaient déjà des frais inhérents à leur train de vie quotidien en sus des frais liés à leur handicap. Soustraire ces frais d’entretien courant du prix de l’EMS le plus cher du canton revenait à pénaliser deux fois ces personnes et ne les placerait pas sur un pied d’égalité avec celles résidant en EMS. En second lieu, le critère de la nécessité médicale empiétait sur le libre choix des personnes handicapées à demeurer à leur domicile.

Les justificatifs de ses frais de handicap 2019 (relevé annuel des factures B______ et factures mensuelles avec le détail des heures et tâches effectuées par l’aide-soignante privée) étaient annexés au recours. Ils faisaient état notamment d’heures facturées pour l’entretien de l’appartement, la préparation des repas, l’organisation de promenades, d’accompagnements pour sorties et visites, etc.

7.             Dans sa réponse du 7 mai 2021, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Dans l’arrêt du 12 janvier 2017 précité, le Tribunal fédéral avait estimé que l’autorité précédente avait appliqué des critères objectifs pour fixer le montant de la déduction admissible. La situation économique d’un contribuable ne saurait être déterminante pour fixer l’étendue de la déduction, sans risquer de tomber dans une discrimination, le but de la déduction ne devant pas entraîner un privilège illicite. La personne conservait néanmoins sa liberté d’action, en restant libre de choisir de demeurer chez elle ou d’aller en EMS.

Le principe de la nécessité médicale était confirmé dans un arrêt du 15 septembre 2020 (2C_450/2020). Le tribunal de céans s’était lui aussi récemment prononcé sur la même problématique (JTAPI/228/2021 du 8 mars 2021) et avait conclu au rejet du recours.

8.             Par réplique du 3 juin 2021, la recourante a persisté dans les conclusions de son recours. Le libre choix de son lieu de vie devait l’emporter sur l’obligation de démontrer la nécessité médicale de demeurer chez soi. Il n’y avait pas de privilège contraire à l’égalité de traitement à pouvoir déduire l’intégralité de ses frais liés à son handicap.

9.             Dans sa duplique du 25 juin 2021, l’AFC-GE a également persisté dans les conclusions de sa réponse du 7 mai 2021.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             La recourante conclut à la déduction de la totalité de ses frais effectifs liés à son handicap, celui-ci n’étant pas contesté.

4.             Selon l’art. 33 al. 1 let. hbis LIFD, sont déduits du revenu les frais liés au handicap du contribuable ou d’une personne à l’entretien de laquelle il subvient lorsque le contribuable ou cette personne est handicapé au sens de la loi du 13 décembre 2002 sur l’égalité pour les handicapés et que le contribuable supporte lui-même les frais.

5.             Au niveau cantonal, l’art. 32 let. c de la loi genevoise sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP – D 3 08) est d’une teneur similaire.

6.             Le 31 août 2005, l'administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) a adopté la circulaire n. 11 intitulée « Déductibilité des frais de maladie et d'accident et des frais liés à un handicap » (ci-après: la circulaire).

La circulaire prévoit notamment ce qui suit: « Les frais sont liés à un handicap lorsqu'ils sont occasionnés (lien de cause à effet) par un handicap [...] et qu'ils ne constituent ni des frais d'entretien courant, ni des dépenses somptuaires. Les frais d'entretien courant sont les dépenses servant à satisfaire les besoins individuels, parmi lesquelles figurent les frais usuels d'alimentation, d'habillement, de logement, de soins corporels, de loisirs et de divertissements. Les dépenses engagées par simple souci de confort personnel ou excessivement élevées qui excèdent ce qui est usuel et nécessaire (dépenses somptuaires telles l'achat d'un fauteuil roulant de course ou l'aménagement d'une piscine) ne sont pas déductibles » (ch. 4.2).  

« Les frais de transformation, d'aménagement ou d'entretien particulier du logement occasionnés par un handicap (ex.: installation d'un monte-rampe d'escalier, d'une rampe d'accès pour fauteuil roulant, de toilettes pour handicapés) sont déductibles [...] » (ch. 4.3.9.

7.             En tant qu'ordonnance administrative, la circulaire n. 11 n'est pas juridiquement contraignante pour les tribunaux. Toutefois, le Tribunal fédéral ne s'écarte pas sans raison valable d'une ordonnance administrative légale, pour autant qu'elle permette une interprétation des dispositions légales applicables adaptée et équitable au cas d'espèce et qu'elle contienne une concrétisation convaincante des exigences légales (cf. ATF 145 V 84 consid. 6.1.1 ; 142 V 442 consid. 5.2).

8.             Par arrêt du 12 janvier 2017, le Tribunal fédéral a rappelé le principe selon lequel seuls les frais directement liés au handicap sont déductibles. Il s'est référé à la circulaire selon laquelle la déduction des frais d'entretien courant et dépenses somptuaires est refusée. Après avoir rappelé que la loi ne fixe pas de plafond aux frais déductibles, il a confirmé la limitation faite par l'instance cantonale de Bâle-Ville au coût de l'EMS le plus élevé, sous déduction des frais inhérents au train de vie, au motif que le contribuable concerné avait démontré le besoin de soins intensifs, mais pas le fait que ceux-ci ne pouvaient pas être prodigués dans une institution dont le coût avait été pris comme référence (arrêt 2C_479/2016 du 12 janvier 2017consid. 3.4, 3.5 et 3.6). Ce principe a été confirmé dans un arrêt du 15 septembre 2020, précisant que, dans un tel cas, le surcoût de dépenses pour le maintien à domicile doit être qualifié de somptuaire (arrêt 2C_450/2020 du 15 septembre 2020 consid. 3.4.4).

9.             En l’espèce, l'AFC-GE considère que la nécessité médicale de demeurer à domicile n’a pas été prouvée, la recourante n’ayant pas démontré que les soins dont elle avait besoin ne pouvaient pas lui être prodigués dans un EMS.

Se référant aux deux arrêts du Tribunal fédéral précités (2C_479/2016 et 2C_450/2020), l’AFC-GE estime que la déduction litigieuse doit être plafonnée au coût de l'EMS le plus élevé, après déduction des frais inhérents au train de vie.

10.         Dans ses écritures, la recourante soutient que le critère de la nécessité médicale utilisé par le Tribunal fédéral empiète sur son libre choix de demeurer à son domicile, alors qu'elle conserve une capacité de discernement suffisante pour se prononcer sur son lieu de vie. Elle s’estime pénalisée en raison de ce choix. En outre, elle soutient avoir payé des sommes d’impôts extrêmement importantes durant toute sa vie, de sorte que ce ne serait que justice et respect de l’égalité de traitement de pouvoir déduire l’intégralité de ses frais liés à son handicap.

11.         Sur ce dernier point tout d’abord, le Tribunal fédéral a souligné que la déduction des frais de handicap n’est pas liée au revenu et à la fortune du contribuable, de sorte que sa situation économique est sans incidence sur le montant admissible. Les dépenses qui peuvent être déduites du revenu en tant que coûts liés au handicap ne doivent pas être décidées selon des critères subjectifs (arrêt 2C_479/2016 du 12 janvier 2017 consid. 3.7).

12.         S’agissant du critère de la nécessité médicale, la recourante ne démontre, ni n'allègue, que les soins dont elle a besoin ne peuvent pas lui être prodigués dans un EMS.

13.         Les factures qu’elle a produites permettent de constater que les prestations de l’aide-soignante ne sont pas toutes dans un lien de causalité direct avec son handicap, dans la mesure où elles concernent des frais d'entretien courants (entretien de l’appartement, préparation des repas, organisation de promenades, d’accompagnements pour sorties et visites, etc.) et/ou ont été fournies pour des raisons de confort personnel.

14.         Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, la détermination du montant des frais liés au handicap sur la base du coût de l’EMS le plus élevé du canton, sous déduction des frais inhérents au train de vie, tend à prendre en compte des critères objectifs, afin de respecter le principe de l’égalité de traitement entre les contribuables, sachant que les frais d’entretien du contribuable ne sont pas déductibles (art. 34 let. a LIFD et 38 let. a LIPP).

15.         Par ailleurs, le calcul de l’AFC-GE, fondé sur la référence des EMS reconnus dans le canton de Genève, n’étant en soi pas contesté, il n’y a pas lieu de l’examiner.

16.         Enfin, à toutes fins utiles, le tribunal entend rappeler que, si la recourante ne peut pas déduire comme bon lui semble tous les frais qu’elle considère liés à son handicap, elle demeure bien évidemment libre de choisir son lieu de vie.

17.         En conséquence, mal fondé, le recours sera rejeté.

18.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 25 février 2021 par Madame A______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 25 janvier 2021 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, Jean-Marie HAINAUT et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

 

 

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière