Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/2739/2021

JTAPI/838/2021 du 26.08.2021 ( LVD ) , REJETE

Descripteurs : OPPOSITION(PROCÉDURE);VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2739/2021 LVD

JTAPI/838/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 26 août 2021

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

Madame B______ et Monsieur C______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 23 août 2021, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée située 1______, chemin D______, de contacter ou de s'approcher de Madame B______ et de Monsieur C______, ses parents, et ordonnant à cette fin le séquestre des moyens donnant accès au domicile susmentionné.

Selon cette décision, l’intéressé était présumé avoir, le 22 août 2021, poussé au sol Mme B______ et lui avoir donné un coup sur les bras gauche et droit. Il était par ailleurs indiqué qu’il avait insulté et menacé de mort à maintes reprises ses parents depuis le printemps 2020 et qu’il avait blessé son père au pouce gauche au mois de septembre 2020.

Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), indiquait notamment que ce dernier devrait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec une association habilitée, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 LVD).

2.             Selon le rapport d’arrestation du 22 août 2021, la police s'était rendue au domicile de la famille C______, le jour en question à 11h50, à E______, suite à un appel de la CECAL pour un conflit familial. Sur place, ils avaient été mis en présence des époux C______ et de leurs trois fils, dont A______. L’un des fils leur avait expliqué qu'une dispute avait eu lieu entre A______ et sa mère. Lors de ce conflit, ce dernier avait retourné toute sa chambre, ainsi que celle de son frère, avant de violement saisir le bras gauche de sa mère et de la faire tomber au sol. Une bagarre s’en était suivie entre les deux frères au cours de laquelle Mme B______ avait été blessée au bras droit par A______, en tentant de les séparer. L'intéressé avait quitté les lieux avant leur arrivée. M. C______ était ensuite arrivé et leur avait fait part du contexte invivable dans lequel vivait sa famille. Depuis le début de la pandémie COVID 19, leur fils, qui présentait un trouble du comportement, notamment mental caractérisé par une paranoïa et une méfiance envahissante à l’égard des autres, était devenu ingérable. Il avait déjà séjourné dans l'établissement psychiatrique de Belle-Idée et il était suivi par le Dr. F______. Toutefois, il refusait de prendre les médicaments qui lui avaient été prescrits. Mme B______ leur avait encore indiqué que son fils avait collé différents post-it sur lesquels il faisait preuve, selon elle, d'un égocentrisme démesuré. De surcroît, il se montrait constamment violent à leur égard, notamment en les insultant et en les menaçant de mort au quotidien. Au cours du mois de septembre 2020, M. C______ avait été blessé au pouce lors d’une altercation entre A______ et l’un de ses frères. Quelques heures après leur intervention, ils étaient retournés au domicile de la famille C______, ayant été informés du retour de A______. Ce dernier leur avait expliqué que ses parents refusaient de lui ouvrir la porte. D'emblée, ils avaient remarqué que la discussion était difficile avec l’intéressé lequel s’était montré peu collaborant, refusant notamment de les laisser parler et haussant fortement la voix. Il avait également ajouté que toute sa famille le persécutait depuis de nombreux mois et que tout le monde lui en voulait, ceci pour une raison qu'il n'avait pas été en mesure de leur fournir. Les parents de l’intéressé ayant décidé de déposer plainte contre ce dernier, ils s’étaient rendus au poste de police de G______ pour la suite de la procédure. L’intéressé avait refusé de signer ses droits et obligations en tant que prévenu, prétextant qu'il n'avait rien fait. Dans un second temps, il s'était aussi abstenu de répondre à leurs questions et de signer le procès-verbal d'audition. Par ailleurs, dans un premier temps très calme, il s’était soudainement agité, tapant sans aucune retenue contre la porte de la salle d'audition à l'aide de ses mains et ne cessant de hurler. Il s’était ensuite subitement apaisé, avant de recommencer à vociférer à tue-tête et refusant d'entendre leurs explications. Les époux C______ souhaitaient faire partir leur fils du domicile familial. Finalement, lors des trois dernières années, ils avaient pu constater, dans leur main courante électronique, que huit interventions de police avaient eu lieu au domicile de la famille C______ pour ces mêmes motifs, à savoir les 23 mai, 3, 8, 9 juillet, 5 septembre 2020, 1, 2 juillet et 22 août 2021.

Des photos des chambres saccagées par l'intéressé ainsi que du bras gauche de Mme B______ étaient jointes.

3.             Lors de son audition par la police, Mme B______ a en substance indiqué que depuis mars 2020 la relation avec son fils avait fortement dégénéré. Son comportement était devenu étrange. A titre d’exemples, il avait commencé à faire de nombreux trous avec des clous dans les murs, il s'était rasé les jambes et il avait commencé à coller partout des affiches, sur lesquelles il était noté qu’il était le plus beau, le plus fort, etc. Au début de l'été 2020, il avait commencé à devenir très violent et à casser de nombreuses choses. Très rapidement sa colère avait commencé à se diriger vers elle, son mari et leur deuxième fils. Il n’avait jamais été violent avec leur fils cadet. Elle vivait un calvaire depuis une année et était suivie par une psychologue, pour dépression. Son fils n'arrêtait pas de lui demander de l'argent, l’accusait régulièrement de lui voler ses affaires et de lui détruire sa vie. Lorsqu’elle était à la maison, il la suivait comme son ombre et observait tout ce qu’elle faisait. Elle ne supportait plus qu’il exerce une telle pression sur elle. Lorsque son fils était en colère et qu'un conflit éclatait, il n'hésitait pas à la menacer lui disant « Je vais vous tabasser », « je vais vous tuer ». De plus, il l’avait injuriée à de nombreuses reprises durant les conflits, la traitant notamment de « sorcière » « grosse merde ». En juillet 2020, son fils avait été hospitalisé suite à des problèmes psychologiques (internement non volontaire). Depuis, il était régulièrement suivi et avait pris un traitement, qu’il avait toutefois interrompu en accord avec sa psychologue. Durant quelques mois, leur relation avait été bonne. En juin 2021, la situation avait toutefois complétement dégénéré. Cela était peut-être lié à la fin de son contrat de travail. La police ainsi qu’une ambulance avaient dû intervenir et son fils avait été hospitalisé quelques jours. Le 19 août 2021, il avait commencé à tenir des propos incohérents. Le 21 août 2021, il les avait menacés et le 22 août 2021 avaient eu lieu les faits, qu’elle a décrits, ayant conduit à son éloignement. Elle a encore précisé que la nuit ils s’enfermaient tous dans leurs chambres, car ils avaient peur de A______. Ils avaient également convenu que ses frères restaient dans leurs chambres lorsqu’il s'énervait pour éviter d'aggraver le conflit. Elle avait peur de son fils, souhaitait qu’il soit éloigné et déposait plainte pénale contre lui.

M. C______ a confirmé que depuis le courant du mois de mars 2020, la situation s'est fortement dégradée avec leur fils. Ce dernier avait arrêté de travailler en raison de la crise sanitaire et depuis lors, il avait directement constaté un changement au niveau de son comportement. Dès que leurs regards se croisaient, il s'énervait fortement et pensait sans cesse qu’ils lui volaient ses affaires. D'autres fois, pour des raisons inconnues, il se mettait à crier et devenait violent en cassant tout dans l’appartement. A une reprise, au mois de septembre 2020, il avait dû se battre avec son fils car il cognait sur son frère. Il avait été blessé à cette occasion. Cet été, une énième dispute avait eu lieu à leur domicile. Sans aucune raison, leur fils était soudainement devenu très agité et s'était mis à taper de toutes ses forces sur son frère. La police était intervenue et il avait été acheminé aux urgences psychiatriques des HUG puis transféré à l’unité hospitalière de Belle-Idée où il était resté une semaine. A son retour, il avait été plus calme pendant environ une semaine, puis, d'un jour à l'autre, il avait recommencé à croire qu’ils lui volaient des choses. Il faisait des crises de paranoïa. Il y avait comme plusieurs personnalités en lui. Son regard leur faisait peur au quotidien. Il a détaillé les faits survenus les 21 et 22 août 2021. La situation était invivable et il ne l'acceptait pas. Il fallait que les choses changent. Il ne savait plus vers qui se tourner pour demander de l'aide. Ils avaient eu plusieurs entretiens avec le Dr F______. Malheureusement, son fils refusait de prendre ses médicaments et rien ne s'arrangeait. Il souhaitait qu’il ne remette jamais les pieds chez eux. Il se sentait en danger lorsqu'il était là. Pour ces faits, il déposait plainte pénale.

Egalement auditionné à cette occasion, M. A______ a refusé de répondre aux questions posées.

4.             M. A______ a fait opposition immédiatement à la décision précitée, devant le commissaire de police, le 23 août 2021.

5.             Lors d'un contact téléphonique du 26 août 2021, le tribunal a confirmé à M. C______ l'audience de ce jour à 9h00. À cette occasion, ce dernier a indiqué n'avoir jamais reçu la convocation du tribunal, ne pas être en mesure de se rendre à l'audience et que son fils A______ était hospitalisé à Belle-Idée depuis deux jours. Il a confirmé que Mme B______ viendrait à l'audience.

6.             A l'audience du 26 août 2021 devant le tribunal, Mme B______ a confirmé que son fils A______ était hospitalisé depuis deux jours à Belle-Idée. Elle ne savait pas jusqu'à quand. Elle était en contact avec le Dr F______, son médecin-traitant, lequel était au courant de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police pour dix jours. Elle ne savait pas si son fils serait à même de se trouver un logement à sa sortie de Belle-Idée. Elle pensait toutefois que son hospitalisation serait de plus de dix jours, car son fils n'était vraiment pas bien. Elle en avait parlé avec le Dr F______ qui lui avait dit qu’ils regarderaient cela en temps utile. Elle a confirmé ce qu’elle avait dit à la police s'agissant des évènements du 22 août 2021 et des violences antérieures. Elle voulait simplement que son fils se soigne car il n’allait pas bien. Elle a conclu au rejet de l'opposition.

La représentante du commissaire de police a également conclu au rejet de l’opposition et sollicité la confirmation de la mesure.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, au vu des déclarations que les parties ont faites à la police et des pièces figurant au dossier, le tribunal parvient à la conclusion que les faits survenus le 22 août 2021 et qui ont donné lieu au prononcé de la mesure querellée sont établis et correspondent à la notion de violence domestique, au sens défini plus haut. Il ressort par ailleurs des déclarations des parents de M. A______ que leur relation avec leur fils est conflictuelle et parsemée d'actes de violence, physique et psychologique, depuis mars 2000, actes qui ont donné lieu à plusieurs interventions de la police ainsi qu’à l’internement de l’intéressé. L’intéressé est suivi par un psychiatre en raison de ses problèmes comportementaux et, depuis deux jours, il est à nouveau interné à Belle-Idée. La situation est connue de son médecin traitant, lequel est actuellement en contact avec les parents de l’intéressé.

Compte tenu des circonstances, en particulier de la nature, de l'intensité et du caractère récent des derniers actes, qui ont donné lieu au dépôt de deux plaintes pénales et au prononcé de la mesure d'éloignement litigieuse, du sentiment de peur que les parents de M. A______ ont indiqué éprouver, de la situation visiblement difficile dans laquelle la famille se trouve et de la détresse, perceptible à l'audience, que Mme B______ éprouve quant à l'état de santé de son fils, la perspective qu’ils se retrouvent sous le même toit apparaît inopportune en l'état, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne leur permettra pas de régler la situation, ce dont la mère de l’intéressé est parfaitement consciente. Il y a en effet lieu de penser que s'ils devaient être réunis dès à présent, de nouveaux actes de violence domestique, psychologiques et/ou physiques, pourraient se reproduire, ce constat devant être fait même si pour l’instant M. A______ est hospitalisé.

Pour le surplus, la durée de la mesure a été arrêtée à dix jours, de sorte qu'elle respecte le principe de la proportionnalité.

6.             Compte tenu de ce qui précède, l'opposition de M. A______ sera rejetée.

7.             Au vu des circonstances, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 23 août 2021 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 23 août 2021 pour une durée de dix jours ;

2.             la rejette ;

3.             dit qu'il est statué sans frais ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties ainsi que pour information au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant.

Genève, le

 

La greffière