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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1041/2021

JTAPI/296/2021 du 24.03.2021 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL);VIOLENCE DOMESTIQUE;PROLONGATION
Normes : LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1041/2021 LVD

JTAPI/296/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 24 mars 2021

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Daniela LINHARES, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 16 mars 2021, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située rue C______ 1______, 2______ D______, et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

Selon cette décision, M. B______ était présumé avoir porté un coup au visage de sa femme et avoir menacé cette dernière, le 15 mars 2020. Des violences physiques auraient également eu lieu environ dix ans plus tôt.

2.             Lors de son audition par la police, le même jour, M. B______ a notamment admis avoir menacé Mme A______ lors d’une dispute. Sa femme était dépressive et il avait parfois du mal à la supporter. Il n’avait pas pensé à divorcer car cela coutait cher mais il pensait qu’il faudrait faire une pause dans leur couple car ils étaient sans arrêt en train de se disputer. Il n’avait pas levé la main sur sa femme. Des disputes avaient déjà eu lieu il y a une dizaine d’année. Il était suivi pour ses problèmes d’alcool et abstinent depuis une année et trois mois.

Mme A______ a, pour sa part, indiqué que son mari l’avait insultée puis lui avait mis un coup sur le visage. Elle ne savait plus si c’était avec son poing ou avec le balai qu’il avait dans les mains. Elle avait un hématome sur la lèvre supérieure qu’elle avait fait constaté par certificat médical. Les violences duraient depuis 39 ans. Il l’avait notamment étranglée en 2019 et la police était venue à deux reprises chez eux. Elle avait déposé plainte contre son mari, plainte qu’elle avait toutefois retirée. Elle souhaitait désormais aller de l’avant. Son mari la détruisait psychologiquement.

3.             M. B______ ne s'est pas opposé à la mesure d'éloignement du commissaire de police.

4.             Par acte du 22 mars 2021, déposé au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______, agissant sous la plume d’un conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours, en expliquant en substance qu'elle craignait d’être à nouveau victime de violences, menaces ou injures de la part de son époux, lequel l’avait déjà frappée à plusieurs reprises par le passé, notamment sous l'influence de l'alcool. Elle souhaitait pouvoir mettre en place la séparation dans le calme et entendait déposer ces prochains jours une requête en mesures protectrices de l’union conjugale (MPUC).

5.             Vu l'urgence, le tribunal a informé les parties par téléphone du 22 mars 2021 de l'audience qui se tiendrait le mercredi 24 mars 2021 à 9h.

6.             Lors de l'audience de comparution personnelle du 24 mars 2021, Mme A______ a confirmé les termes de sa requête pour les motifs invoqués dans cette dernière.

Son conseil a précisé que la demande de MPUC était pratiquement prête et qu’elle serait déposée vendredi.

M. B______ a indiqué qu’il était d’accord avec l'éloignement demandé par Mme A______ pour une durée de trente jours. De toutes les manières, il ne serait pas à Genève ces prochains jours et ensuite, il respecterait l'éloignement requis.

7.             Il ressort notamment du dossier de police transmis au tribunal que M. B______ a participé à un entretien socio-thérapeutique avec l'association VIRES le 18 mars 2021.

8.             Il ressort par ailleurs d’un certificat médical du 15 mars 2021, qu’à l’examen clinique de Mme A______, un hématome de la lèvre supérieure avec une plaie à la face interne avait été constaté lors de la consultation du même jour.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, il ressort clairement du dossier que Mme A______ fait l’objet de violences physiques et psychologiques de la part de son époux, depuis plusieurs années déjà. Celui-ci a notamment admis l’avoir giflée à 3 ou 4 reprises lorsqu’ils étaient jeunes mariés et les filles du couple ont confirmé des éléments récurrents de violence psychologique et des menaces de violence physique et de mort de la part de leur père envers leur mère, selon un certificat médical du 2 novembre 2018.

La situation dans laquelle se trouve le couple encore aujourd'hui apparait très difficile au point que la demanderesse souhaite désormais la séparation et qu'elle s'apprête à déposer une demande de MPUC auprès du Tribunal de première instance. La demanderesse a également souligné sa peur de vivre de nouvelles violences et sa détresse s'est pleinement ressentie lors de l'audience devant le tribunal. Les conditions d'une prolongation de la mesure d'éloignement sont donc réalisées sur le principe. M. B______ a pour sa part indiqué qu’il ne s’y opposait pas et qu’il respecterait la mesure d’éloignement.

Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de trente jours, laquelle est en l'état utile, nécessaire et proportionnée. Elle le sera sous la menace de l'art. 292 CP, dont la teneur figure ci-dessus. Elle prendra donc fin le 25 avril 2021 à midi.

5.             Il ne sera pas perçu d'émolument ni alloué d’indemnité (art. 87 al. 1 LPA).

6.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 22 mars 2021 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 16 mars 2021 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 25 avril 2021 à midi, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit que la procédure est franche d'émolument ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

La greffière