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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/4086/2019

JTAPI/142/2021 du 11.02.2021 ( ICC ) , ADMIS

Descripteurs : DROITS DE MUTATION;DROIT DE SUPERFICIE;DIRECTION DU FONDS DE PLACEMENT;FONDS DE PLACEMENT;CONTRAT FIDUCIAIRE
Normes : LDE.33; LDE.45; LDE.46
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4086/2019 ICC

JTAPI/142/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 11 février 2021

 

dans la cause

 

A______ SA et Maître B______, représentés par Mes Alexandre FALTIN et Lysandre PAPADOPOULOS, avocats, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne les droits d'enregistrement.

2.             A______ SA, dont le siège se trouve à C______ (Vaud), a pour but : « la gestion de fortune pour des clients suisses et étrangers, privés et institutionnels ; la gestion et distribution de placements collectifs de capitaux en vertu de la loi sur les placements collectifs de capitaux (LPCC) ; la création, la direction et l'administration de placements collectifs immobiliers de droit suisse au sens de la LPCC ; le conseil financier à des investisseurs suisses et étrangers, privés et institutionnels ».

3.             D______ est un fonds de placement immobilier qui a été établi par la société E______ SA et qui possède des immeubles en propriété directe, notamment dans le canton de Genève.

La direction du fonds, qui devait être exercée par A______ SA, a d'abord été assumée par E______ SA (ci-après : le fonds), qui seule disposait de l'autorisation en la matière délivrée par l'autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (ci-après : FINMA).

4.             Par contrat du ______ 2018, E______ SA et A______ SA sont convenues que la direction du fonds serait reprise au ______ 2018 (sic) par cette dernière société, sous réserve de l'accord de la FINMA.

5.             Le ______ 2019, E______ SA et A______ SA ont reporté la date de changement de direction du fonds au ______ 2019 au plus tôt, sous réserve de l'agrément de la FINMA.

6.             Par décision du ______ 2019, la FINMA a approuvé la date du changement de direction du fonds au ______ 2019.

7.             Par acte authentique instrumenté le 1_____ 2019 par Maître B______ (ci-après : le notaire), E______ SA a cédé à A______ SA le feuillet DDP 2______ immatriculé au Registre foncier (ci-après : RF), sur lequel E______ SA bénéficiait d'une servitude de droit de superficie distinct et permanent que lui avait concédé la commune française d'F______ - et portant sur un immeuble sis à G______. Une mention au RF indiquait que le fonds était bénéficiaire du feuillet. A______ SA reprenait tous les droits et obligations de E______ SA au jour de la cession, dont l'obligation d'acquitter la rente se rapportant au droit de superficie d'un montant annuel de CHF 188'877.-. Il était rappelé que E______ SA avait signé des contrats d'entreprise en vue de construire des ouvrages sur le feuillet en question.

Enfin, il était rappelé que, selon la loi fédérale sur les placements collectifs de capitaux du 23 juin 2006 (LPCC - RS 951.31) A______ SA déclarait agir pour le compte du fonds.

8.             Le 10 juillet 2019, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a notifié au notaire un bordereau de droits d'enregistrement d'un montant de CHF 187'976.40. L'impôt dû se déterminait comme suit :

Opérations

Val. / nbre

Droits

Cent. add.

Total

Droit de superf. cessible

3'777'540.00

113'326.20

0.00

113'326.20

Contrat d'entreprise

23'850'000.00

74'625.00

0.00

74'625.00

Autres actes et opér.

6

12.00

13.20

25.20

187'976.40

9.             Le 9 septembre 2019, le notaire et A______ SA ont élevé réclamation à l'encontre de ce bordereau, en concluant à son annulation en tant qu'il prévoyait la perception de droits de CHF 113'326.40, ainsi qu'à l'émission d'un nouveau bordereau ne fixant qu'un droit fixe de CHF 2.-.

Il n'existait pas d'acte translatif de propriété, car l'immeuble, à savoir le droit distinct et permanent, demeurait inclus dans le patrimoine du fonds. En outre, la condition de « titre onéreux » n'était pas non plus réalisée, puisque E______ SA n'avait pas vendu l'immeuble en question. En conséquence, la perception de droits d'enregistrement enfreignait le principe de la légalité.

10.         Par décision du 2 octobre 2019, l'AFC-GE a rejeté la réclamation.

Le formalisme de la LDE la contraignait à examiner le changement de direction du fonds uniquement sous l'angle juridique, qui impliquait nécessairement une réquisition d'inscription au registre foncier de l'ancienne à la nouvelle entité juridique et, par conséquent, un transfert de propriété. Si l'opération n'était pas réalisée à titre onéreux, l'art. 33 al. 2 de la loi sur les droits d'enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30) s'appliquait, pour le cas où le transfert ne constituait ni une donation, ni un partage, ni un échange.

11.         Par acte du 1er novembre 2019, le notaire et A______ SA ont interjeté recours devant Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l'encontre de cette décision en concluant, sous suite de dépens, à son annulation et à ce qu'aucun droit d'enregistrement ne soit perçu consécutivement au changement de direction du fonds, subsidiairement au prélèvement d'un droit fixe de CHF 2.-.

L'art. 33 al. 1 LDE n'était pas applicable, étant donné que le changement de direction du fonds n'était pas intervenu à titre onéreux. Les conditions de l'art. 33 al. 2 LDE n'étaient pas non plus réalisées, puisqu'aucun transfert de propriété n'avait eu lieu. L'immeuble, en tant que droit distinct et permanent, était demeuré dans le patrimoine du fonds. L'enregistrement au registre foncier n'emportait pas transfert de propriété. Les immeubles n'étaient pas attribuables à la direction, mais au fonds lui-même.

La perception de droits d'enregistrement violait le principe de la légalité. Elle enfreignait également celui de la liberté économique en ce sens que le prélèvement d'un droit de mutation reviendrait à taxer le changement de direction du fonds. Cette intervention étatique rendrait excessivement onéreuse pour une direction, la reprise d'une activité d'un concurrent.

12.         Dans sa réponse du 10 février 2020, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Suivre les recourants conduirait à une violation des dispositions du Code civil et reviendrait à ignorer le caractère formaliste des droits d'enregistrement.

Compte tenu des indications figurant dans l'acte notarié du 1______ 2019, qui devait être qualifié d'acte indépendant, un transfert de la propriété immobilière avait été effectué. Le changement de direction du fonds avait entraîné un changement de propriétaire au registre foncier et donc un transfert de propriété. En cas de revente, A______ SA agirait en qualité de propriétaire à l'encontre d'un acheteur potentiel. Enfin, la doctrine précisait également que selon le droit en vigueur, le changement de direction d'un fonds immobilier impliquait le paiement de droits de mutation.

13.         Par réplique du 3 avril 2020, les contribuables ont maintenu leur recours.

Ainsi qu'il découlait de pièces annexées, les immeubles du fonds ne figuraient pas au bilan de la direction du fonds, mais dans le compte de fortune du fonds.

Les autorités fiscales des cantons de Vaud, Valais, Bâle-Ville avaient informé la recourante qu'à la suite du changement de la direction du fonds, aucun droit de mutation ne serait perçu. En outre, par décision sur réclamation du 10 février 2020 dont il sera fait état ci-après, le fisc soleurois (ci-après : AFC-SO) avait également accepté de ne pas prélever de droits d'enregistrement.

La doctrine citée par l'AFC-GE préconisait de tenir compte des particularités de l'impôt de chaque canton. Les cantons précités avaient examiné les particularités de la cause avant de conclure que le changement de direction et l'inscription au registre foncier ne déclenchaient pas la perception des droits de mutation.

Le prélèvement de droits d'enregistrement en cas de changement de direction du fonds contrevenait au principe la liberté économique. Sous l'angle de la neutralité concurrentielle, les sociétés d'investissement à capital variable (ci-après : SICAV) étaient des placements collectifs ouverts au même titre que les fonds contractuels. Or, un changement de direction au sein d'une SICAV à gestion externe, dès lors qu'elle était dotée de la personnalité juridique, n'était pas concernée par les droits de mutation. Le traitement fiscal différent entre la recourante et les SICAV ne se conformait pas à l'égalité de traitement entre les concurrents.

14.         Dans sa duplique du 8 mai 2020, l'AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse. Les recourants ne s'appuyaient sur aucune jurisprudence ni sur aucune référence de doctrine pour étayer leur position.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l'espèce, contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 179 al. 1 LDE).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 63 al. 1 et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) étant précisé que le notaire, débiteur des droits, a qualité pour recourir (art. 161 al. 1 let. a et 179 al. 1 LDE).

3.             Les recourants contestent le droit de l'AFC-GE de percevoir des droits d'enregistrement consécutivement au changement de direction du fonds. Ils se plaignent d'une violation des principes de la légalité et de la liberté économique, principalement au motif que selon eux, le transfert du droit de superficie d'une direction du fonds à l'autre ne revêt pas les caractéristiques d'un transfert au sens de la loi sur les droits d'enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30), compte tenu du fait que la direction du fonds détient est titulaire du droit de superficie à titre fiduciaire, pour le compte du fonds lui-même.

4.             A cet argument, l'autorité intimée, s'appuyant sur la doctrine, oppose en substance le point de vue selon lequel la LDE ne fait pas de différence dans la perception des droits, selon que l'objet du transfert appartient au propriétaire économique ou à un propriétaire à titre fiduciaire.

5.             Le principe de la légalité gouverne l'ensemble de l'activité de l'État (art. 5 al. 1 et 36 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 -Cst. - RS 101). Il revêt une importance particulière en droit fiscal où il est érigé en droit constitutionnel indépendant à l'art. 127 al. 1 Cst., qui prévoit que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l'objet de l'impôt et son mode de calcul doivent être définis par la loi (ATF 135 I 130 consid. 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_858/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1). Il exige non seulement que le cercle des contribuables mais également que les exceptions à l'assujettissement soient définies dans une loi au sens formel (ATF 122 I 305 consid. 6b/dd ; 103 Ia 505 consid. 3a).

6.             Aux termes de l'art. 1 al. 1 LDE, les droits d'enregistrement sont un impôt qui frappe toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et en général toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, dénommées dans la présente loi : « actes et opérations », soumises soit obligatoirement soit facultativement à la formalité de l'enregistrement.

Selon l'art. 3 let. a LDE, sont soumis obligatoirement à l'enregistrement les actes authentiques dressés dans le canton de Genève par les notaires et par toute autre autorité compétente, ainsi que les vidimus.

Est déterminante pour la fixation des droits, la nature réelle des actes et opérations ainsi que celle des stipulations qui y sont contenues. Lorsque dans un acte ou une opération quelconque, il existe plusieurs dispositions indépendantes ou ne découlant pas nécessairement les unes des autres, chacune d'elles, selon sa nature, est soumise au droit fixé par la présente loi (art. 8 al. 1 et 2 LDE).

Les droits proportionnels et progressifs sont calculés sur les sommes et valeurs indiquées dans les actes et opérations soumis à l'enregistrement (art. 9 al. 1 LDE).

7.             Selon l'art. 33 LDE, sont soumis obligatoirement au droit de 3%, sous réserve des exceptions prévues par la présente loi, tous les actes translatifs à titre onéreux de la propriété, de la nue-propriété ou de l'usufruit de biens immobiliers sis dans le canton de Genève, notamment les ventes, substitutions d'acquéreur, adjudications, apports et reprises de biens (al. 1). Les cessions et reprises de biens immobiliers qui ne constituent pas une donation, un échange ou un partage, sont soumises au droit prévu pour les actes translatifs à titre onéreux de la propriété immobilière (al. 2).

8.             L'art. 45 LDE concerne le droit de superficie. Selon l'al. 1 de cette disposition légale, lors de la constitution ou du transfert d'un droit de superficie distinct et permanent ou d'une servitude de superficie personnelle et cessible, d'une durée de trente ans au moins, le droit de vente au taux de 3 % prévu à l'art. 33 est perçu sur la valeur de l'immeuble (terrain et bâtiment) sur lequel s'exerce le droit ou la servitude. L'al. 3 de l'art. 45 LDE dispose que la valeur de l'immeuble est déterminée par capitalisation au taux de 5 % de la rente foncière.

9.             L'art. 46 al. 1 LDE prévoit qu'il est perçu un droit fixe de CHF 5.-, lors de la constitution d'une servitude de superficie personnelle et incessible ou constituée en faveur d'un fonds dominant ; néanmoins, si la constitution de cette servitude donne lieu à un prix ou à une prestation quelconque, le droit de vente prévu à l'art. 33 est exigible. Il en est de même lors de la constitution ou du transfert d'une servitude de superficie personnelle et cessible, si sa durée est inférieure à trente ans (art. 46 al. 2 LDE).

10.         Les droits afférents à tous actes et opérations comportant translation de la propriété, de la nue-propriété ou de l'exercice de l'usufruit de biens meubles ou immeubles sont supportés par les nouveaux propriétaires ou titulaires. Les droits afférents à une soulte dans les actes d'échange sont à la charge du débiteur de celle-ci (art. 163 al. 1 LDE).

11.         Par décision sur réclamation du 10 février 2020 produite par les recourants, l'AFC-SO a retenu que le changement de direction du fonds n'était pas soumis aux droits de mutation en rappelant d'une part que la direction du fonds n'est propriétaire qu'à titre fiduciaire des valeurs patrimoniales investies (arrêt du Tribunal fédéral 2C_684/2010 du 24 mai 2011 consid. 2.5.1 ; cf. également ATF 101 II 154 consid. 1 p. 159), ce dont il découle que le pouvoir de disposition effectif et juridique sur les immeubles appartient au fonds, et, d'autre part, que selon l'art. 86 al. 2bis 1ère phr. de l'ordonnance sur les placements collectifs de capitaux du 22 novembre 2006 (OPCC - RS 951.311), les immeubles sont enregistrés au RF au nom de la direction avec une mention indiquant qu'ils font partie du fonds immobilier. Ce dernier point rappelle en particulier aux investisseurs, créanciers de la direction du fonds, que l'éventuelle faillite de cette dernière ne fait pas rentrer ces biens dans sa masse. D'après le § 84 al. 1 let. g de la loi fiscale soleuroise [qui équivaut à l'art. 20 al. 1 2ème phr. de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14], les placements collectifs qui possèdent des immeubles en propriété directe au sens de l'art. 58 LPCC sont assimilés aux autres personnes morales, ce qui en fait des sujets de droit fiscal à part entière.

L'AFC-SO en conclut qu'en raison de la conception juridique de la relation entre la direction du fonds et le fonds, la propriété foncière, tant du point de vue du droit civil que du droit fiscal, doit être attribuée au fonds et non à la société qui dirige le fonds. Le transfert de direction à une autre entité juridique n'a ainsi pas pour conséquence le transfert de propriété de l'immeuble du fonds, de sorte qu'aucun droit de mutation n'est dû.

Cela étant, il convient de préciser que tout le raisonnement développé par l'autorité soleuroise fait suite à une remarque préalable au sujet de la disposition cantonale sur les droits de mutation en cas de transfert de la propriété, interprétée par la jurisprudence comme ne s'appliquant pas.

12.         C'est bien ce dernier point qui constitue le coeur du problème dans la présente procédure, car les dispositions précitées de la LDE ne font a priori aucune distinction entre une propriété détenue à titre fiduciaire et une propriété détenue directement par le propriétaire économique. À ce titre, l'autorité intimée souligne l'avis exprimé par Michel ABT (Loi sur les placements collectifs, Commentaire Stämpfli 2012, § 3 Les types de placements collectifs ouverts / Les fonds immobiliers / I - III, p. 343), qui relève qu'à teneur du droit en vigueur, « le changement de direction d'un fonds immobilier implique toutefois le paiement de droits de mutation. Un tel impôt dissuade bien souvent le fonds d'opérer un tel changement. Ce droit de mutation est dû en raison du fait que la direction de fonds est inscrite au registre foncier en qualité de propriétaire des immeubles avec une annotation relevant que ceux-ci font partie d'un fonds de placement (art. 86 OPCC). Selon la pratique actuelle de la plupart des autorités fiscales cantonales, le changement de direction de fonds implique une mutation de propriétaire soumise à la perception des droits, quand bien même la direction de fonds ne détient ces biens qu'à titre fiduciaire pour le compte des investisseurs ».

13.         Quoi qu'en dise l'autorité intimée, cet auteur s'exprime de manière tout à fait neutre par rapport à cette pratique et n'y apporte aucun appui juridique. Le tribunal de céans ne saurait donc retenir qu'il s'agirait d'un avis de doctrine à prendre en considération.

14.         L'élément décisif pour trancher la question litigieuse semble en réalité résider dans l'art. 33 LDE lui-même. En effet, l'al. 1 de cette disposition soumet au droit d'enregistrement les actes translatifs de la propriété, de la nue-propriété ou de l'usufruit de biens immobiliers qui sont faits à titre onéreux. A priori, un acte translatif de la propriété qui n'est pas fait à titre onéreux échappe ainsi au droit d'enregistrement. L'al. 2 restreint cependant la possibilité qu'une telle hypothèse ne se réalise, en prévoyant que les cessions et reprises de biens immobiliers qui ne constituent pas une donation, un échange ou un partage, sont soumises au droit prévue pour les actes translatifs à titre onéreux de la propriété immobilière. En d'autres termes, cette dernière disposition ne soumet un transfert non onéreux de la propriété immobilière au droit d'enregistrement, que lorsque ce transfert découle d'une cession ou d'une reprise de biens immobiliers - à moins qu'il ne s'agisse d'une donation, d'un échange ou d'un partage. Dans tous les cas, l'art. 33 al. 1 et 2 LDE ne concerne que la propriété au sens de l'art. 641 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), qui donne au propriétaire de la chose le droit d'en disposer librement, et notamment de l'aliéner à son tour, de constituer des droits réels et de modifier la destination de la chose (art. 648 al. 2 CC).

15.         A la différence du propriétaire d'une chose au sens du droit civil, la direction d'un fonds de placement n'en dispose pas entièrement à sa guise, mais se doit d'en garantir la gestion dans le meilleur intérêt des investisseurs (art. 20 al. 1 let. a LPCC). Si elle peut certes, dans ce cadre, acquérir ou aliéner des avoirs (art. 21 al. 2 LPCC), elle ne peut cependant acquérir ou céder des placements pour son propre compte qu'au prix du marché (art. 21 al. 3 LPCC).

16.         Par ailleurs, la loi fédérale sur les établissements financiers du 15 juin 2018 (LEFin - RS 954.1) prévoit la possibilité d'un transfert des droits et obligations d'une direction de fonds auprès d'une autre direction de fonds, moyennant l'approbation de la FINMA (art. 39 al. 1 LEFin).

17.         Il en découle qu'il faut distinguer deux hypothèses. Dans la première, le transfert de propriété d'un immeuble a lieu dans le cadre de la gestion du fonds de placement : une direction de fonds décide qu'il est dans l'intérêt des investisseurs de réaliser un bien dont elle a la gestion. De la sorte, l'immeuble en cause sort de la fortune du fonds et le transfert de propriété a lieu en faveur d'un tiers, désormais inscrit au registre foncier de manière exclusive, avec suppression de la mention rattachant l'immeuble au fonds. Dans la seconde hypothèse, le transfert de propriété ne concerne que son aspect fiduciaire, c'est-à-dire qu'il accompagne automatiquement le changement de direction du fonds. Pour autant, ce dernier demeure le propriétaire économique de l'immeuble.

18.         Rien ne justifie de traiter ces deux hypothèses de la même manière sous l'angle des droits d'enregistrement, même en faisant abstraction du caractère onéreux du transfert dans la première hypothèse et de son caractère en principe non onéreux dans la seconde. Ce qui s'avère déterminant, c'est que le propriétaire économique demeure le même dans la seconde hypothèse et que le propriétaire inscrit comme tel au registre foncier n'est en fait qu'un gérant de fortune et qu'il n'a pas l'entière liberté de disposer de son bien qui caractérise la propriété au sens de l'art. 641 al. 1 CC. Dans ces conditions, taxer le transfert formel de propriété lors du changement de direction d'un fonds de placement apparaît contraire à l'esprit de l'art. 33 LDE.

Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis et le dossier, renvoyé à l'AFC-GE pour nouvelle taxation.

19.         En application des art. 87 al. 1 de la LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, qui obtiennent gain de cause, sont dispensés du paiement d'un émolument. L'avance de frais de CHF 700.-, versée à la suite du dépôt du recours, leur est restituée.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'200.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l'administration fiscale cantonale, sera aux recourants (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 1er novembre 2019 par Maître B______ et A______ SA contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 2 octobre 2019 ;

2.             l'admet ;

3.             renvoie le dossier à l'administration fiscale cantonale pour nouvelle décision de taxation ;

4.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution aux recourants de l'avance de frais de CHF 700.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l'administration fiscale cantonale, à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1'200.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Alia CHAKER MANGEAT et Laurence DEMATRAZ, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière