Aller au contenu principal

Décisions | Chambre de surveillance

1 resultats
C/14668/2023

DAS/154/2024 du 03.07.2024 sur DJP/685/2024 ( AJP ) , REJETE

Normes : CC.554.al1.ch3; CC.555
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14668/2023 DAS/154/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 3 JUILLET 2024

 

Appel (C/14668/2023) formé le 17 juin 2024 par Madame A______, domiciliée ______ (Genève), et par Madame B______, domiciliée ______ (Genève), toutes deux représentées par Me Olivier RIVOIRE, avocat.

* * * * *

Arrêt communiqué par plis recommandés du greffier
du 3 juillet 2024 à :

 

- Madame A______
Madame B
______
c/o Me Olivier RIVOIRE, avocat
Rue du Général Dufour 11, 1204 Genève.

- Maître C______
______, ______.

- JUSTICE DE PAIX.

 


EN FAIT

A.              a. E______, né le ______ 1930, originaire de D______ (Genève) est décédé dans ce canton le ______ 2023.

Il était l’époux, depuis le ______ 1972, de A______, née [A______] le ______ 1947. Le couple a donné naissance à une fille, B______, née le ______ 1973.

Il résulte de la procédure que E______ a été marié, durant une période indéterminée, avec F______, dont il a divorcé le ______ décembre 1961, puis avec G______, dont il a divorcé le ______ octobre 1971.

b. Le 10 août 2023, l’étude de notaires H______ a informé la Justice de paix de ce qu’elle détenait un testament olographe du ______ janvier 1961 de E______.

La teneur de ce document est la suivante: « 1) Je révoque toute disposition testamentaire antérieure aux présentes; 2) Je soumets ma succession aux lois en vigueur en France, mon pays d’origine; 3) J’institue pour ma seule héritière à titre universel mon épouse née F______, ou à son défaut, la fille de cette dernière, née d’un premier mariage. Telles sont mes dernières volontés. Fait en entier de ma main, à Genève le ______ janvier 1961 ».

c. Par deux publications successives dans la Feuille d’avis officielle de la République et Canton de Genève (FAO), les ______ et ______ février 2024, F______ ou à défaut sa fille, sans domicile connu, ont été avisées des dispositions testamentaires laissées par E______ et du fait qu’elles pouvaient en prendre connaissance chez le notaire. Ces publications n’ont donné aucun résultat.

d. Par courrier du 22 avril 2024 adressé à la Justice de paix, A______ et B______, respectivement veuve et fille de E______, ont soutenu que le testament du ______  janvier 1961 était caduc de plein droit, le défunt ayant divorcé de F______ plus de cinquante ans auparavant. Il n’y avait dès lors pas lieu de notifier le testament à cette personne, ni à sa fille; il n’apparaissait pas davantage nécessaire de procéder à des recherches supplémentaires afin de les localiser, puisqu’elles ne s’étaient pas manifestées après les publications dans la FAO. I______, notaire, se chargerait de rédiger le certificat d’héritiers.

e. Par courrier du 24 mai 2024, la Justice de paix a indiqué au conseil de A______ et B______ qu’elle se bornait à constater, prima facie, si les dispositions testamentaires étaient manifestement nulles ou si, au contraire, elles déployaient des effets. En l’espèce, la disposition testamentaire visée ne semblait pas être manifestement nulle et il appartenait aux héritiers de l’interpréter et, en cas de désaccord, de porter l’affaire devant l’autorité compétente, soit le Tribunal de première instance.

f. Selon l’avis de taxation du 6 mars 2024 de l’Administration fiscale, portant sur les impôts cantonaux et communaux 2023, la fortune brute des époux E______ et A______ s’élevait à 498'472, la fortune nette, après la déduction sociale, étant de 331’675 fr.

B. Par décision DJP/685/2024 du 29 mai 2024, la Justice de paix a ordonné l’administration d’office de la succession de E______ (chiffre 1 du dispositif), désigné C______ aux fonctions d’administrateur d’office (ch. 2), dit que l’administrateur d’office ne procédera qu’aux actes administratifs et conservatoires nécessaires, à l’exception de tout autre acte de disposition, qui ne pourra s’effectuer qu’avec l’accord préalable de la Justice de paix (ch. 3), invité l’administrateur d’office à lui adresser, d’ici quatre mois, un état des actifs et passifs de la succession, dressé, le cas échéant, en collaboration avec l’administration fiscale (ch. 4), invité l’administrateur d’office à rechercher l’héritière instituée (ch. 5) et mis les frais exposés par le greffe et un émolument de 250 fr. à la charge de la succession (ch. 6).

En substance, la Justice de paix a retenu que, conformément à l’art. 120 al. 3 CC, F______ avait certes perdu tout avantage résultant de la disposition pour cause de mort faite par son ex-époux. Toutefois, la disposition n’en était pas pour autant viciée ou annulée et il y avait lieu de considérer, prima facie et en l’absence de volonté claire contraire du disposant, que la succession devait échoir à la fille de F______, née d’un précédent mariage, en raison de la substitution vulgaire prévue. Ainsi, lorsque, comme en l’espèce, tous les héritiers n’étaient pas connus, il y avait lieu d’ordonner l’administration d’office de la succession.

C.                a. Le 17 juin 2024, A______ et B______, ont formé appel auprès de la Cour de justice contre la décision du 29 mai 2024 de la Justice de paix, reçue le 5 juin 2024.

Les appelantes ont conclu, préalablement, à ce qu’il soit dit et constaté que le testament de E______ du ______ janvier 1961 était caduc, tant en ce qui concernait F______ que la fille de celle-ci, qu’il soit dit et constaté qu’elles sont les seules héritières de E______ et qu’une administration d’office de la succession n’est pas nécessaire. Principalement, les appelantes ont conclu à l’annulation de la décision attaquée, avec suite de frais judiciaires et dépens à la charge de l’Etat.

A l’appui de leurs conclusions, les appelantes ont exposé que le défunt avait divorcé de F______ quelques mois après la rédaction du testament litigieux; le défunt n’était par ailleurs pas le père de la fille de F______. Les appelantes n’avaient pas connaissance de l’existence du testament du ______  janvier 1961; elles ne connaissaient ni F______, si sa fille et ignoraient si celles-ci étaient encore en vie. Il était hautement vraisemblable que E______ ait purement et simplement oublié l’existence du testament qu’il avait rédigé durant une période de sa vie totalement révolue. Le défunt n’avait pas souhaité rédiger un testament en faveur des appelantes, indiquant que cela n’était pas nécessaire, car, de par la loi, sa succession leur reviendrait.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions du juge de paix, qui relèvent de la juridiction gracieuse et sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. e CPC), sont susceptibles d'un appel dans le délai de dix jours (art. 314 al. 1 CPC) à la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 2 LOJ), si la valeur litigieuse est égale ou supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

L'appel doit être motivé (art. 311 al. 1 CPC).

1.2 En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., compte tenu de la valeur de la succession de feu E______, telle qu’elle peut être déduite de l’avis de taxation versé à la procédure.

Formé dans le délai (art. 142 al. 3 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC), par la veuve et la fille du défunt, l'appel est formellement recevable.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit, avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2. Les appelantes ont pris des conclusions préalables tendant à faire constater la caducité du testament du défunt et leur qualité de seules héritières de celui-ci.

2.1 La Justice de paix est compétente pour assurer la dévolution des successions au sens de la Loi d’application du Code civil (ci-après: LaCC), lorsque la personne décédée était domiciliée à Genève.

Selon l'art. 551 CC, l'autorité compétente est tenue de prendre d'office les mesures nécessaires pour assurer la dévolution de l'hérédité (al. 1). Ces mesures sont notamment, dans les cas prévus par la loi, l'apposition des scellés, l'inventaire, l'administration d'office et l'ouverture des testaments (al. 2). Les mesures de sûreté sont prises dans une procédure gracieuse destinée uniquement à assurer la dévolution des biens de la succession, et non à trancher les litiges entre ayants droit (PIOTET, Droit successoral, Traité de droit privé suisse, 1975, p. 623, arrêt du Tribunal fédéral 5A_763/2012 consid. 5.1.1).

Le juge de paix ne peut pas statuer sur les questions de droit matériel qui relèvent du juge ordinaire. Il appartient en effet au juge civil de statuer sur la validité d'un testament qui serait contesté et de déterminer définitivement à qui revient la qualité d'héritier (SJ 2001 I 519).

2.2 En l’espèce et conformément à ce que la Justice de paix avait déjà relevé dans le courrier qu’elle a adressé au conseil des appelantes le 24 mai 2024, il n’appartenait pas à cette juridiction de se prononcer sur la validité du testament litigieux, ni sur la question de savoir si les appelantes sont, ou pas, les seules héritières du défunt. Par voie de conséquence, la Cour de céans ne saurait trancher ces questions dans le cadre de l’appel formé contre une décision de la Justice de paix, laquelle, à juste titre, ne s’est pas prononcée sur ces points. Il appartient dès lors aux appelantes, si elles s’estiment fondées à le faire, de saisir le Tribunal de première instance, seul compétent pour statuer sur la validité du testament et sur la qualité d’héritier.

3. Reste à déterminer si c’est à juste titre que la Justice de paix a ordonné l’administration d’office de la succession de feu E______.

3.1.1 Cette mesure est destinée à conserver la substance de la succession lorsque la gestion ordinaire par les héritiers présenterait un risque particulier. L’art. 554 al. 1 prévoit quatre cas où l’administration d’office doit être ordonnée de par le droit fédéral. Il s’agit surtout de situations dans lesquelles il est impossible, pour des motifs d’ordre extérieur, d’obtenir le concours de tous les héritiers à la gestion de la succession (Steinauer, Le droit des successions, 2ème éd., 2015, n. 870, 871).

L’art. 554 al. 1 ch. 3 prévoit que l'autorité ordonne l'administration d'office de la succession notamment lorsque tous les héritiers du défunt ne sont pas connus.

3.1.2 Lorsque l’autorité ignore si le défunt a laissé des héritiers ou lorsqu’elle n’a pas la certitude de les connaître tous, elle invite les ayants droit, par sommation dûment publiée, à faire leur déclaration d’héritier dans l’année (art. 555 al. 1 CC). La succession passe au canton ou à la commune, si l’autorité ne reçoit aucune déclaration dans ce délai et s’il n’y a pas d’héritiers connus d’elle; l’action en pétition d’hérédité demeure réservée (art. 555 al. 2 CC).

Lorsque l’administration d’office de la succession a été ordonnée en raison d’une incertitude sur les héritiers au sens de l’art. 554 al. 1 ch. 2 in fine et 3, l’autorité compétente doit s’efforcer de clarifier la situation. Elle doit pour cela procéder à un appel public aux héritiers (art. 555 al. 1 CC) (Steinauer, op. cit. n. 880).

L’appel doit être publié, généralement deux ou trois fois, de manière appropriée au vu de l’incertitude à lever (par exemple, dans un journal de la région où vit la famille de l’héritier en Suisse et dans un journal du pays où pourrait se trouver un héritier) (Steinauer, op. cit. n. 880b).

Si aucun ayant droit ne s’est annoncé, l’autorité lève l’administration d’office et remet la succession soit aux héritiers qui lui sont connus, soit, à défaut, à la collectivité publique (art. 555 al. 2 1ère phrase).

3.2 En l’espèce, le testament rédigé par le défunt le ______ janvier 1961 à Genève, institue héritière son épouse d’alors, F______ ou, à défaut, la fille de cette dernière, issue d’une première union et dont le nom ne figure pas dans le testament, lequel ne semble toutefois pas nul, prima facie, ce que les appelantes n’ont d’ailleurs pas soutenu, puisqu’elles ont invoqué sa caducité. Le défunt a par ailleurs laissé, en qualité d’héritières légales, sa veuve et sa fille, soit les appelantes.

Il résulte de ce qui précède que tous les héritiers du défunt ne sont pas connus, puisque la fille de F______, dont l’identité est, en l’état du dossier, inconnue, n’a pas pu être localisée.

Conformément à l’art. 554 al. 1 ch. 3 CC, la Justice de paix n’avait d’autre choix que d’ordonner l’administration d’office de la succession, afin d’en conserver la substance, jusqu’à ce que la situation soit éclaircie.

Des publications dans la FAO ont certes été faites à deux reprises en février 2024 afin de tenter de localiser F______ ainsi que sa fille, apparemment sans succès. Cela étant, le dossier ne contenant aucun renseignement utile sur ces dernières, il n’est pas exclu qu’une simple publication dans le canton de Genève ne soit pas suffisante s’il devait apparaître des recherches que l’administrateur d’office a été invité à effectuer que F______ et sa fille n’ont, soit, jamais vécu à Genève, soit ont quitté ce canton il y a de nombreuses années déjà pour s’établir ailleurs en Suisse ou à l’étranger. Le délai d’une année prévu par l’art. 555 al. 1 CC n’étant pas encore écoulé, il apparaîtrait prématuré de renoncer à l’administration d’office ordonnée et de remettre la succession aux appelantes.

Au vu de ce qui précède, l’appel est infondé; la décision attaquée sera par conséquent confirmée.

4.                  Les frais judiciaires de la procédure d'appel, arrêtés à 500 fr. (art. 26, 35 à 37 RTFMC), seront mis conjointement et solidairement à la charge des appelantes, qui succombent (art. 106 al. 1 CPC).

Ils seront compensés avec l’avance de même montant, qui reste acquise à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il n’y a pas lieu à l’allocation de dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé par A______ et B______ contre la décision DJP/685/2024 rendue le 29 mai 2024 par la Justice de paix dans la cause C/14668/2023.

Au fond :

Confirme la décision attaquée.

Déboute les appelantes de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais d'appel à 500 fr., les met conjointement et solidairement à la charge de A______ et de B______ et les compense avec l’avance versée, qui reste acquise à l’Etat de Genève.

Dit qu'il n'y a pas lieu à l’allocation de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Paola CAMPOMAGNANI et Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, juges; Madame Carmen FRAGA, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, les moyens étant limités en application de l'art. 98 LTF.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.