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Décisions | Chambre de surveillance

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C/14406/2023

DAS/109/2024 du 08.05.2024 sur DJP/294/2024 ( AJP ) , ADMIS

Normes : CC.554; CC.556; CC.559
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14406/2023 DAS/109/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 8 MAI 2024

Appel (C/14406/2023) formé le 20 mars 2024 par Madame A______, domiciliée ______ (Genève), représentée par Me Reynald P. BRUTTIN, avocat, et par Mesdames B______ et C______, domiciliées ______ (Genève), toutes deux représentées par
Me Nicolas WYSS, avocat, et par Mesdames D______ et E______, sans adresse ni domicile connus, et Monsieur F______, domicilié ______ (Genève), tous trois représentés par Me Matteo INAUDI, avocat.

* * * * *

Arrêt communiqué par plis recommandés du greffier
du 8 mai 2024 à :

- Madame A______
c/o Me Reynald P. BRUTTIN, avocat
Rue du Mont-de-Sion 8, 1206 Genève.

- Madame B______
Madame C
______
c/o Me Nicolas WYSS, avocat
Place Edouard-Claparède 5, case postale 292, 1211 Genève 12.


 

- Madame D______
Madame E
______
Monsieur F______
c/o Me Matteo INAUDI, avocat
Avenue Léon-Gaud, 1206 Genève.

- JUSTICE DE PAIX.


EN FAIT

A. Par décision DJP/294/2024, la Justice de paix a déclaré irrecevable la requête des héritiers de G______ de "mise sous administration d'office de la succession" et mis à sa charge un émolument de 1'000 fr.

En substance, la Justice de paix a considéré avoir déjà répondu par une décision négative du 7 décembre 2023, non frappée d'appel, à la même demande, vu l'absence de nécessité au prononcé de cette mesure, du fait de la désignation par les héritiers d'un représentant sous seing privé. Le fait que des établissements bancaires ne reconnaissaient pas ce représentant ne permettait pas de considérer que, par ailleurs, les conditions du prononcé de l'administration d'office sollicitée seraient réalisées.

B. Par acte du 20 mars 2024, A______, d'une part, B______ et C______, d'autre part, et F______, D______ et E______, en outre, ont recouru contre cette décision, dont ils sollicitent l’annulation et cela fait, la désignation d'un administrateur d'office à la succession de G______, H______, notaire, devant être désigné à cette fonction, sous suite de frais et dépens.

En substance, ils reprochent à la Justice de paix de ne pas avoir considéré le fait que le représentant sous seing privé désigné par eux ne puisse exercer son mandat à l'égard des tiers sans revêtir la fonction sollicitée comme un fait non pertinent, alors qu'au contraire, par rapport à l'état de fait de la première décision de rejet de la Justice de paix, il s'agissait bien d'un fait nouveau capital. Ils font grief dès lors à la Justice de paix d'avoir rendu une décision mettant en péril la succession, alors que les conditions matérielles au prononcé de l'administration sollicitée sont remplies, les héritiers s'opposant sur divers points de sa liquidation, l'une d'elle s'opposant par ailleurs à la délivrance de certificats d'héritiers. Ils rappellent enfin que la mesure est sollicitée par tous les héritiers.

Suite à quoi, la cause a été gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure:

a) G______, né le ______ 1937, originaire de I______ (Genève), domicilié de son vivant au chemin 1______ no. _____, [code postal] J______ (Genève), est décédé le ______ 2023 à Genève, en laissant des dispositions pour cause de mort.

Il a laissé pour héritiers légaux son épouse, A______, et ses enfants issus d'un premier lit, à savoir, B______ et K______.

A teneur de son testament, daté du 5 octobre 2022, le défunt a institué pour seuls héritiers de sa succession, à parts égales entre eux, sa fille, B______, la fille de cette dernière, C______, son fils, K______, et le fils de celui-ci, F______.

G______ a laissé à son épouse sa part réservataire à titre de legs, l'usufruit de deux villas, ainsi qu'une rente mensuelle de 5'000 fr.

K______ est décédé deux semaines après son père, le ______ 2023, et a laissé pour héritiers légaux sa veuve, D______, ainsi que ses deux enfants, F______, né d'un premier lit, et la mineure E______, issue d'un deuxième lit.

b) A______ a, le 31 juillet 2023, sollicité le bénéfice d'inventaire, ordonné par la Justice de paix le 15 septembre 2023, décision contestée auprès de la Cour, laquelle a suspendu la procédure en question dans l'attente de droit jugé par le Tribunal de première instance sur la qualité d'héritière de A______ ou jusqu'à l'expiration des délais pour intenter action.

c) A______ a formé opposition à la délivrance d'un certificat d'héritiers le 17 août 2023.

d) Par requêtes séparées des 15 septembre, 20 et 25 octobre 2023, puis par courrier commun du 14 novembre 2023, les intéressés à la succession ont demandé à la Justice de paix la désignation d'un administrateur d'office du fait que la gestion de l'importante succession devait pouvoir être effectuée nonobstant l'opposition à la délivrance de certificats d'héritiers et la contestation de la validité du testament.

e) Par décision du 7 décembre 2023 (DJP/1037/2023), la Justice de paix a rejeté la demande de mise sous administration d'office de la succession de G______, considérant en substance que les conditions légales du prononcé de cette mesure n'étaient pas remplies. La Justice de paix a suggéré aux parties de mandater sous seing privé le notaire H______, en l'absence de mésentente des intéressés sur la question de la gestion.

f) Les appelants disent avoir procédé de la sorte, mais constatant que le notaire mandaté ne pouvait exercer sa mission sur cette seule base, ont requis de la Justice de paix une nouvelle décision, celle-ci ayant rendu la décision présentement attaquée.

Précédemment, le notaire mandaté par les parties leur avait fait parvenir un courrier le 26 février 2024, relatant que certaines institutions n'acceptaient pas sa procuration sous seing privé et sollicitant des intéressés d'insister auprès de la Justice de paix pour obtenir le prononcé de l'administration d'office.


 

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions du juge de paix qui relèvent de la juridiction gracieuse et sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. e CPC), sont susceptibles d’un appel ou d’un recours à la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 2 LOJ), dans un délai de dix jours (art. 314 al. 1 et 321 al. 2 CPC) selon que la valeur litigieuse est ou non d’au moins 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

1.2 En l’espèce, la cause est de nature pécuniaire et la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., au regard notamment des biens immobiliers figurant au procès-verbal d’inventaire du 18 janvier 2018.

L’appel a été formé dans le délai et selon les formes prescrits par la loi par les destinataires de la décision, de sorte qu’il est recevable.

1.3 Dans le cadre d’un appel, la Cour dispose d’un plein pouvoir d’examen, tant en fait qu’en droit (art. 310 CPC).

2. Bien que personne ne se préoccupe de la question de savoir si la Justice de paix pouvait déclarer irrecevable la requête au motif que sa précédente décision était en force, il doit être constaté que tel n'est pas le cas dans la mesure où les mesures de l'art. 556 al. 3 CC sont provisoires et peuvent être modifiées en tout temps (Meier/Reymond-Eniaeva, CR-CC II no 13 ad art. 556 CC).

Il faut dès lors partir du principe que, par la décision querellée, la Justice de paix a, à nouveau, rejeté la requête.

2.1 Selon l'art. 551 CC, l'autorité compétente est tenue de prendre d'office les mesures nécessaires pour assurer la dévolution de l'hérédité (al. 1). Ces mesures sont notamment, dans les cas prévus par la loi, l'apposition des scellés, l'inventaire, l'administration d'office et l'ouverture des testaments (al. 2). Les mesures de sûreté sont prises dans une procédure gracieuse destinée uniquement à assurer la dévolution des biens de la succession, et non à trancher les litiges entre ayants droit (PIOTET, Droit successoral, Traité de droit privé suisse, 1975, p. 623, arrêt TF 5A_763/2012 c. 5.1.1).

Aux termes de l'art. 554 al. 1 CC, l'autorité ordonne l'administration d'office de la succession en cas d'absence prolongée d'un héritier qui n'a pas laissé de fondé de pouvoirs, si cette mesure est commandée par l'intérêt de l'absent (ch. 1), lorsqu'aucun de ceux qui prétendent à la succession ne peut apporter une preuve suffisante de ses droits ou s'il est incertain qu'il y ait un héritier (ch. 2), lorsque tous les héritiers du défunt ne sont pas connus (ch. 3), ainsi que dans les autres cas prévus par la loi (ch. 4).

L'administration d'office ne peut être ordonnée que dans les cas prévus de manière exhaustive par le droit civil fédéral (TF 5A_841/2013 c.6.3.1).

Après la remise du testament, l'autorité envoie les héritiers légaux en possession provisoire des biens ou ordonne l'administration d'office; si possible, les intéressés seront entendus (art. 556 al. 3 CC).

L'autorité doit ordonner l'administration d'office à défaut d'héritiers légaux auxquels l'administration des biens peut être confiée ou lorsqu'elle considère que la gestion provisoire par les héritiers légaux ou par l'exécuteur testamentaire représente un risque particulier pour la délivrance de biens aux héritiers. L'administration d'office doit par exemple être ordonnée lorsqu'il y a un désaccord entre les héritiers, que la situation de ceux-ci n'est pas claire ou que l'on peut craindre que les héritiers légaux lèsent une personne qui a été favorisée à leur détriment. L'autorité compétente doit prendre en considération toutes les circonstances du cas particulier pour évaluer le risque d'atteinte à la dévolution de l'hérédité en cas de gestion provisoire par les héritiers légaux ou par l'exécuteur testamentaire (Meier/Reymond-Eniaeva, CR-CC II n. 15 ad art. 556 CC).

Selon le principe de la saisine, les héritiers légaux acquièrent la succession dès l'ouverture de celle-ci (art. 560 al. 1 CC). Cela signifie que les héritiers légaux acquièrent la possession provisoire des biens du de cujus si l'autorité ne prend pas de mesure particulière. Il en découle qu'à défaut d'administration d'office, les héritiers légaux sont laissés en possession provisoire des biens de la succession et continuent à les administrer. Il n'y a pas, contrairement au libellé français de l'art. 556 al. 3 CC, à proprement parler d'envoi en possession. L'autorité n'a pas la possibilité, par ailleurs, de confier la gestion provisoire aux héritiers institués, ni en concours avec les héritiers légaux ni à eux seuls. Contrairement à d'autres situations dans lesquelles la loi impose des mesures de sûreté, l'autorité dispose ici d'un certain pouvoir d'appréciation pour prendre sa décision. Dans le doute, elle ordonnera l'administration d'office (Meier/Reymond-Eniaeva, CR-CC ad art. 556 nos 12 à15).

L'opposition à la délivrance d'un certificat d'héritier ne déclenche pas une procédure tendant à déterminer le droit matériel des héritiers dans la succession. Il appartient aux héritiers qui s'estiment lésés d'ouvrir l'action en nullité des dispositions testamentaires ou en réduction dans les délais légaux (art. 521 al. 1 et 533 al. 1 CC) (arrêt du TF 5A_841/2013 c.5.2.1).

Cela étant, l'administration d'office peut également être prononcée lorsque la qualité des héritiers institués est contestée par les autres prétendants à la succession (art. 559 al. 1 CC).

2.2 En l'espèce, tous les héritiers, légaux et institués, appelants, sont d'accord sur le fait que la succession, malgré les différends qui oppose la veuve du défunt aux autres héritiers, doit être administrée.

Reste à savoir par qui et si les conditions du prononcé d'une mesure de sûreté, aux sens des dispositions rappelées, sont réalisées.

Les trois premiers cas visés par l'art. 554 al. 1 CC ne sont pas réalisés. Le ch. 4 dudit alinéa renvoie toutefois à l'art. 556 al. 3 CC qui impose à l'autorité, suite à la remise du testament, de faire un choix entre l'envoi en possession provisoire des héritiers légaux, ou l'institution de l'administration d'office.

Comme déjà dit, les mesures de sûreté sont destinées uniquement à assurer la dévolution successorale et à protéger les droits des héritiers (not. institués). L'administration d'office n'est dès lors prononcée que s'il existe un risque que l'administration par les héritiers légaux nuise à la sauvegarde des intérêts des héritiers institués, l'autorité devant avoir "confiance" dans la gestion des héritiers légaux.

Dans le cas présent, la Justice de paix a estimé que dans la mesure où les parties s'accordaient sur la nécessité d'administrer la succession, elles pouvaient désigner sous seing privé un représentant, comme elle l'a soutenu dans sa première décision et rappelé dans la décision présentement attaquée.

Se pose la question de savoir si les héritiers légaux peuvent se voir "envoyés en possession" (art. 556 al. 3 CC), à défaut de prononcé l'administration d'office, à savoir si l'administration de la succession peut leur être laissée (en commun: art. 560 al. 1 CC).

Tel n'est pas le cas. En effet, bien que la Justice de paix ait relevé à juste titre que les parties intéressées étaient toutes d'accord avec la nécessité d'une administration conservatoire de la succession, notamment au vu de sa composition, force est de constater que les héritiers légaux sont en conflit quant à la validité des dispositions testamentaires laissées par le défunt. Si certes, le fait que la veuve de celui-ci s'oppose à la délivrance des certificats d'héritiers n'est pas en soit un motif suffisant pour ordonner une administration d'office de la succession, l'on ne peut envisager de laisser la gestion de la succession aux héritiers légaux, au vu du contentieux entre eux portant sur la validité ou non du testament du défunt, et de faire supporter aux héritiers institués un risque dans le cadre de la dévolution de la succession, qui pourrait être pallié par la désignation d'un administrateur d'office.

Par conséquent, en tant que la condition fixée par l'art. 554 al. 1 ch. 4 CC, cum 556 al. 3 et 559 al. 1 CC, est remplie, le juge de paix devait, à défaut de pouvoir "envoyer en possession provisoire" les héritiers légaux, prononcer l'administration d'office de la succession.

Dès lors, la décision querellée sera annulée et la cause renvoyée au juge de paix pour qu'il prononce l'administration d'office.

3. La procédure n'est pas gratuite (art. 19 LaCC). Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., seront laissés à la charge de l'Etat, vu l'issue de la procédure. L'avance de frais versée sera restituée aux appelants.

Il n'est pas alloué de dépens (art. 107 al. 2 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 20 mars 2024 par A______, B______, C______, D______, E______ et F______ contre la décision DJP/294/2024 rendue le 5 mars 2024 par la Justice de paix dans la cause C/14406/2023.

Au fond :

Annule cette décision.

Renvoie la cause au juge de paix pour nouvelle décision au sens des considérants.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 500 fr., et les laisse à la charge de l'Etat de Genève.

Ordonne aux Services financiers du Pouvoir judiciaire la restitution à A______, B______, C______, D______, E______ et F______ de l'avance de frais versée.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE et Stéphanie MUSY, juges; Madame Carmen FRAGA, greffière.

 

 

 

 

Voie de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, les moyens étant limités en application de l'art. 98 LTF.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.