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Décisions | Chambre de surveillance

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C/14136/2021

DAS/208/2022 du 27.09.2022 sur DTAE/5740/2022 ( PAE ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14136/2021-CS DAS/208/2022

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance

DU MARDI 27 SEPTEMBRE 2022

 

Recours (C/14136/2021-CS) formé en date du 17 septembre 2022 par Madame A______, domiciliée ______[GE], comparant en personne.

* * * * *

Décision communiquée par plis recommandés du greffier
du 27 septembre 2022 à :

- Madame A______
______[GE].

- Madame B______
Monsieur C______
SERVICE DE PROTECTION DE L'ADULTE
Case postale 5011, 1211 Genève 11.

- TRIBUNAL DE PROTECTION DE L'ADULTE
ET DE L'ENFANT
.

Pour information :

-       Maître D______
Place _____[GE].

-       Direction de la Clinique E______
______[GE] (dispositif uniquement).

 


EN FAIT

A.           a) La situation de A______, née le ______ 1960, célibataire sans enfant, a été signalée au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : le Tribunal de protection) par un courrier du 24 juin 2021 de la Régie F______ SA (ci-après également : la Régie) gérante de l’immeuble dans lequel elle était locataire. Depuis quelques mois, l’intéressée semblait désorientée et perturbait la vie des autres habitants de l’immeuble. La police avait été appelée à plusieurs reprises pour tapage et nuisances sonores ; A______ s’était montrée agressive, physiquement et verbalement à l’encontre d’autres locataires ; elle chantait et criait dans l’allée, ce qui effrayait les jeunes enfants et elle allait sonner aux portes en quémandant compassion et attention. A______ semblait par ailleurs très isolée socialement et la Régie n’était pas parvenue à entrer en contact avec elle.

b) A la demande du Tribunal de protection, la police s’est rendue au domicile de A______. Selon un rapport du 23 septembre 2021, son appartement était sombre et en désordre. L’intéressée avait expliqué souffrir de solitude, la combler en buvant de la bière et canaliser ses envies de violence sur autrui par la lecture. Elle n’avait ni famille, ni amis proches. Elle ne parvenait pas à gérer ses affaires administratives et avait besoin d’aide pour accomplir des démarches en lien avec l’héritage de ses parents. Elle vivait grâce à son deuxième pilier. Elle n’avait plus revu son médecin généraliste depuis plusieurs mois et était disposée à bénéficier d’un suivi médical et d’une aide pour ses affaires administratives.

Toujours selon le rapport de police, une procédure d’expulsion était pendante devant le Tribunal des baux et loyers. Des patrouilles de police étaient intervenues à quatre reprises au domicile de l’intéressée depuis le mois de mai 2021 et avaient constaté le bruit excessif qu’elle produisait.

c) Par décision du 18 octobre 2021, le Tribunal de protection a désigné D______, avocate, en qualité de curatrice d’office de A______, son mandat étant limité à sa représentation dans la procédure pendante devant lui.

d) Par courrier du 18 novembre 2021 adressé au Tribunal de protection, D______ a exposé ne pas être parvenue à rencontrer A______, laquelle ne faisait l’objet d’aucune poursuite et était à jour dans le paiement de son loyer. Elle ne réceptionnait en revanche pas les courriers recommandés et ne s’était pas présentée à l’audience du Tribunal des baux et loyers du 14 octobre 2021.

e) Le Tribunal de protection a tenu une audience le 9 décembre 2021, à laquelle A______ ne s’est pas présentée.

La représentante de la Régie a précisé que le contrat de bail de A______ avait été résilié notamment en raison des nuisances sonores qu’elle provoquait. Elle était à jour dans le paiement de son loyer, mais tel n’avait pas été le cas durant l’été précédent. L’intéressée devenait de plus en plus agressive à l’égard de ses voisins, qu’elle considérait responsables des procédures à son égard.

Selon sa curatrice, A______ avait besoin d’une mesure de protection dans le domaine médical, ainsi que d’être représentée dans le cadre de la procédure pendante devant le Tribunal des baux et loyers.

f) Par ordonnance du 13 décembre 2021, le Tribunal de protection, statuant sur mesures provisionnelles, a institué une curatelle de représentation et de gestion en faveur de A______, désigné deux intervenants en protection de l’adulte aux fonctions de curateurs, ceux-ci ayant pour tâches de représenter l’intéressée dans ses rapports avec les tiers, en particulier en matière d’affaires administratives et juridiques, de gérer ses revenus et biens et d’administrer ses affaires courantes, de veiller à son bien-être social et de la représenter pour tous les actes nécessaires dans ce cadres et de veiller à son état de santé, mettre en place les soins nécessaires et, en cas d’incapacité de discernement, la représenter dans le domaine médical.

Le recours formé contre cette ordonnance par A______ a été déclaré irrecevable, pour cause de tardiveté, par décision de la Chambre de surveillance de la Cour de justice du 8 mars 2022.

g) Par ordonnance du 13 décembre 2021, le Tribunal de protection a par ailleurs ordonné l’expertise psychiatrique de A______, commettant à ces fins le Dr G______, médecin ______, ______ de l’Unité de psychiatrie légale auprès du Centre universitaire romand de médecine légale.

h) Par courrier du 2 mars 2022, l’expert a informé le Tribunal de protection de ce qu’il n’avait pas pu rencontrer A______. La question d'un placement de l’intéressée à des fins d’expertise se posait.

i) Par courrier du 25 mars 2022, le Tribunal de protection a transmis à la curatrice de représentation et au Service de protection de l’adulte le courrier de l’expert du 2 mars 2022, en indiquant qu’il envisageait d’ordonner le placement de A______ aux fins d’expertise. Un délai au 11 avril 2022 était imparti pour leurs éventuelles observations.

j) Par courrier du 29 mars 2022, A______ a indiqué au Tribunal de protection qu’elle se sentait « calme, en bonne forme » et qu’elle redevenait active. Elle avait connu une période difficile. Elle n’était pas d’une nature agressive et appréciait les contacts. Elle ne ressentait plus le besoin de s’exprimer haut et fort ; il lui arrivait de consommer de l’alcool, mais avec modération, afin de garder sa lucidité. Elle n’éprouvait pas le besoin d’être suivie sur le plan médical, sauf par son oncologue. A______ espérait que son courrier puisse permettre au Tribunal de protection de revoir son ordonnance et qu’il ferait preuve de « compréhension » à son égard.

k) Par courrier du 11 avril 2022, la curatrice de représentation de A______ a indiqué au Tribunal de protection de ce que, en dépit de ses courriers et de ses passages à domicile, l’intéressée ne lui avait pas répondu. Un placement à des fins d’expertise lui apparaissait être la seule option envisageable.

l) Le 9 mai 2022, le Tribunal de protection a tenu une nouvelle audience, à laquelle A______ s’est présentée. Elle a déclaré accepter de se soumettre à l’expertise psychiatrique ordonnée, car elle n’avait « pas le choix ». Elle n’était pas suivie par un médecin et ne prenait aucun médicament. Elle avait toujours rêvé d’être chanteuse. Pendant le confinement dû au COVID 19, elle avait commencé à chanter et à parler fort, ce qui avait « embêté » ses voisins. Elle essayait d’avoir de bonnes relations avec eux et elle reconnaissait avoir, à un certain moment, un peu abusé de l’alcool et avoir fait du bruit ; ses voisins avaient contacté la Régie. Elle parvenait à gérer sa correspondance, avait une formation de secrétaire mais ne travaillait plus depuis trois ou quatre ans ; elle avait hérité de ses parents et perçu le capital de son deuxième pilier.

m) Par courrier du 14 juin 2022, le Service de protection de l’adulte a informé le Tribunal de protection de ce qu’aucun changement positif n’était intervenu dans l’attitude de A______. Etait joint à ce courrier un mail de F______ SA relatant les plaintes émises par certains locataires durant les mois d’avril et mai 2022.

n) Le 15 juin 2022, le Dr G______ a rendu son rapport d’expertise. L’intéressée avait pu être entendue à deux reprises, les 20 et 24 mai 2022.

L’expert a posé le diagnostic d’un épisode hypomaniaque, pouvant s’inscrire dans le cadre d’un trouble bipolaire et a relevé un syndrome de dépendance à l’alcool. La consommation d’alcool ayant un effet désinhibiteur, elle pouvait être à l’origine des nuisances occasionnées à l’égard des voisins. A______ niait souffrir de troubles psychiques et était anosognosique des conséquences de ses troubles sur ses voisins, qu’elle banalisait. Dès lors, le seul moyen de lui venir en aide était de l’hospitaliser en milieu psychiatrique (Clinique E______) afin d’évaluer la sévérité de sa dépendance à l’alcool, de rechercher l’existence d’autres pathologies mentales, de l’accompagner sur le plan médical dans le cadre d’un sevrage, non réalisable en ambulatoire et de soulager sa souffrance psychique. A défaut d’un tel placement, elle risquait de voir son état psychique se péjorer, sa situation psycho-sociale étant assimilable à un grave état d’abandon. Le risque d’un acte hétéro-agressif devait également être pris en considération, surtout à l’égard des voisins de l’immeuble, qu’elle pourrait, en état d’ébriété, percevoir comme des persécuteurs. Elle était par ailleurs incapable d’assumer de façon autonome les démarches administratives usuelles, financières et médicales.

o) Par courrier du 28 juin 2022 adressé au Service de protection de l’adulte ainsi qu’à la curatrice de représentation de A______, le Tribunal de protection leur a communiqué le rapport d’expertise du 15 juin 2022 et leur a imparti un délai au 20 juillet 2022, afin d’indiquer si l’audition de l’expert était sollicitée.

p) Par courrier du 11 juillet 2022, la curatrice de représentation de A______ a indiqué ne pas avoir de questions complémentaires à poser à l’expert.

Il en est allé de même du Service de protection de l’adulte.

q) Le 19 août 2022, le Service de protection de l’adulte a informé le Tribunal de protection de ce que le Tribunal des baux et loyers avait rendu un jugement d’évacuation à l’encontre de A______. Le Service de protection de l’adulte sollicitait par conséquent du Tribunal de protection qu’il prononce rapidement un placement à des fins d’assistance, avec la mention « immédiatement exécutoire », conformément à ce que préconisait l’expertise psychiatrique du 15 juin 2022.

B. Par ordonnance DTAE/5740/2022 du 29 août 2022, le Tribunal de protection a ordonné le placement à des fins d’assistance de A______ (chiffre 1 du dispositif), prescrit l’exécution du placement en la Clinique E______ (ch. 2), rendu attentive l’institution de placement au fait que la compétence de libérer la personne concernée, de lui accorder des sorties temporaires ou de transférer le lieu d’exécution du placement, appartenait au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ch. 3), invité les curatrices du Service de protection de l’adulte à exécuter la mesure (ch. 4), les a autorisées, en tant que de besoin, à faire appel au Département de la sécurité et de l’économie, soit pour lui le Service de l’application des peines et mesures, pour leur prêter main forte et assurer l’exécution du placement (ch. 5), déclaré l’ordonnance immédiatement exécutoire nonobstant recours (ch. 6), laissé les frais d’expertise à la charge de l’Etat (ch. 7) et rappelé la gratuité de la procédure (ch. 8).

En substance, le Tribunal de protection a considéré que les trois conditions cumulatives nécessaires au prononcé d’un placement à des fins d’assistance étaient remplies : l’intéressée souffrait de troubles psychiques et d’une dépendance à l’alcool et son état pouvait être assimilé à un grave état d’abandon. L’état constaté était de surcroît susceptible de représenter un risque pour la vie ou l’intégrité corporelle de la personne concernée, respectivement celles d’autrui.

C.           a) Le 17 septembre 2022, A______ a formé un recours contre cette ordonnance, qu’elle a reçue le 7 septembre 2022, auprès de la Chambre de surveillance de la Cour de justice. Sans prendre de conclusions formelles, elle a contesté avoir agressé des locataires, consommer de l’alcool de manière excessive ou souffrir de solitude. Elle a indiqué n’avoir jamais sollicité l’aide de personne et ne pas être dans un grave état d’abandon. Elle a également contesté souffrir de troubles psychiques ; elle pensait avoir la capacité de se « débrouiller seule ». Elle se sentait plutôt calme, sans envie particulière d’agresser physiquement ou verbalement les personnes qui souhaitaient la connaître ou échanger quelques mots avec elle. Les décisions du Tribunal de protection, ainsi que les différentes visites non sollicitées à son domicile, ne l’aidaient pas à se sentir en confiance.

b) Compte tenu de ce qui va suivre, la Chambre de surveillance n’a pas tenu d’audience.

EN DROIT

1. Les décisions de l'autorité de protection de l'adulte peuvent faire l'objet d'un recours devant le juge compétent (art. 450 al. 1 CC). Dans le domaine du placement à des fins d'assistance, le délai de recours est de dix jours à compter de la notification de la décision entreprise (art. 450b al. 2 CC). Le recours formé contre une décision prise dans le domaine du placement à des fins d'assistance ne doit pas être motivé (art. 450e al. 1 CC).

En l'espèce, le recours a été formé dans le délai utile de dix jours et devant l'autorité compétente (art. 72 al. 1 LaCC). Il est donc recevable à la forme.

2. 2.1.1 Garanti aux art. 29 al. 2 Cst et 53 CPC, le droit d'être entendu comprend en particulier le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur sujet (ATF 135 II 286 consid. 5.1; 135 I 187 consid. 2.20; 129 II 497 consid. 2.2).

Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle, dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée, sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2). Ce moyen doit être examiné avec un plein pouvoir d'examen (arrêt du Tribunal fédéral 5A_540/2013 du 3 décembre 2013 consid. 3.3.1; ATF 127 III 193 consid. 3).

2.1.2 La personne concernée doit être entendue personnellement, à moins que l’audition personnelle ne paraisse disproportionnée (art. 447 al. 1 CC). En cas de placement à des fins d’assistance, elle est en général entendue par l’autorité de protection de l’adulte réunie en collège (art. 447 al. 2 CC).

 

2.2 En l’espèce, l’expert a rendu son rapport le 15 juin 2022. Le Tribunal de protection en a transmis une copie à la recourante, par le biais de sa curatrice de représentation, en lui fixant un délai pour indiquer si l’audition de l’expert était sollicitée, ce qui n’était pas le cas. En revanche, le Tribunal de protection n’a pas invité la recourante à se prononcer sur le contenu du rapport et n’a convoqué aucune audience avant de rendre l’ordonnance attaquée. Le prononcé de celle-ci a immédiatement fait suite à une requête du Service de protection de l’adulte, motivée par le fait que le Tribunal des baux et loyers avait prononcé l’évacuation de la recourante de son logement. Si le relogement de cette dernière peut certes présenter une certaine urgence, rien ne justifiait toutefois que le Tribunal de protection prononce un placement à des fins d’assistance, décision ayant pour conséquence une privation de liberté de la personne concernée, sans l’avoir au préalable auditionnée ou lui avoir, à tout le moins, donné l’occasion de faire valoir ses observations par écrit.

Il découle de ce qui précède que le droit d’être entendue de la recourante a été violé, ce qui conduit à l’annulation de l’ordonnance attaquée. La cause sera dès lors retournée au Tribunal de protection pour audition de l’intéressée et nouvelle décision.

3. La procédure est gratuite (art. 22 al. 4 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé par A______ contre l’ordonnance DTAE/5740/2022 du 29 août 2022 rendue par le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant dans la cause C/14136/2021.

Au fond :

L’admet.

Annule l’ordonnance attaquée et cela fait retourne la cause au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant pour suite d’instruction et nouvelle décision.

Dit que la procédure est gratuite.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Paola CAMPOMAGNANI et Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Jessica QUINODOZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral - 1000 Lausanne 14.