Décisions | Chambre Constitutionnelle
ACST/30/2024 du 19.12.2024 ( ABST ) , INCOMPETENT
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE A/3103/2024-ABST ACST/30/2024 COUR DE JUSTICE Chambre constitutionnelle Arrêt du 19 décembre 2024 |
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dans la cause
A______ et B______
représentés par Me Alessandro DE LUCIA, avocat recourants
contre
GRAND CONSEIL
et
CONSEIL D’ÉTAT intimés
_________
A. a. A______, né en 1987, et B______, né en 1980, sont domiciliés dans le canton de Genève.
b. Ils sont tous deux députés au Grand Conseil genevois.
B. a. Par arrêté du 15 février 2023, le Conseil d'État a invalidé l'initiative populaire cantonale 190 « pour des transports publics gratuits, écologiques et de qualité » (ci‑après : IN 190), car celle-ci avait pour but essentiel d'instaurer la gratuité généralisée des transports publics, ce qui était incompatible avec l'art. 81a al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. ‑ RS 101).
b. Par acte du 20 mars 2023, le comité de l'IN 190 ainsi que sept électeurs ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci‑après : la chambre constitutionnelle) contre l'arrêté précité, concluant à son annulation et à la validation de l'IN 190.
c. Par arrêt du 31 mars 2023, le Tribunal fédéral a confirmé l'invalidation d'une initiative populaire fribourgeoise demandant elle aussi la gratuité généralisée des transports publics (ATF 149 I 182).
d. Le 20 mai 2023, le comité de l'IN 190 ainsi que les sept électeurs ont retiré leur recours.
C. a. Le 30 mai 2024, le Grand Conseil a adopté la loi 13’488 modifiant la loi sur les Transports publics genevois (LTPG - H 1 55), publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci‑après : FAO) du 5 juin 2024, qui prévoit l'unique disposition suivante :
« Art. 36, al. 5 (nouveau) |
5 L'État prend en charge l'intégralité du prix des abonnements mensuels et annuels Unireso pour les jeunes de 6 à 24 ans révolus, domiciliés ou en formation à Genève, sous condition de formation ou de revenu, ainsi que la moitié du prix des abonnements mensuels et annuels Unireso pour les personnes bénéficiaires de prestation [sic] AVS/AI domiciliées sur [sic] le canton de Genève. » |
b. L'arrêté de promulgation de la loi 13’488 a été adopté par le Conseil d'État le 21 août 2024 et publié dans la FAO le 23 août 2024. L'entrée en vigueur de la loi était fixée au 1er janvier 2025.
c. Le 21 août 2024, le Conseil d'État a également adopté le règlement relatif aux conditions d'octroi des rabais sur les abonnements Unireso (RRUnireso -
H 1 55.03), nouveau règlement composé de huit articles propres et modifiant deux alinéas du règlement d'exécution de la loi sur le revenu déterminant unifié, du 27 août 2014 (RRDU - J 4 06.01). Il a été publié dans la FAO du 23 août 2024.
D. a. Par acte déposé le 20 septembre 2024, A______ et B______ ont saisi la chambre constitutionnelle d’un recours dirigé contre la loi 13’488 et le RRUnireso, concluant principalement à l’annulation de ces deux actes ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure. À titre préalable, ils ont conclu à la production, par les autorités intimées, de « tous les documents utiles et présentations » concernant les deux actes attaqués ainsi que deux autres projets de loi, non visés par la présente procédure.
Ils avaient la qualité pour recourir. En tant que contribuables âgés respectivement de 37 et 44 ans résidant dans le canton et utilisateurs des transports publics, ils se voyaient discriminés de par leur âge quant à la possibilité de profiter d'une « semi‑gratuité » des transports publics, mais ils supporteraient également une augmentation de leurs impôts et/ou de leurs frais de transports publics, dès lors qu'il faudrait compenser la perte induite, ainsi qu'une diminution de l'offre des Transports publics genevois (ci-après : TPG).
Sur le fond, les normes attaquées étaient contraires à l'art. 81a Cst., dont il n'était plus discutable qu'il s'applique à tous les types de transports publics et qu'il interdise la gratuité totale de ceux-ci. En effet, une trop large portion de la population bénéficierait, respectivement, de la gratuité (25% de la population genevoise avait moins de 24 ans) et de la « semi-gratuité » (18% de la population avait plus de 65 ans) et donc ne participerait pas aux coûts des TPG, ce qui revenait à contourner la disposition constitutionnelle. Cumulés, ces deux pourcentages représentaient 43% de la population genevoise et dépassaient les limites fixées dans un avis de droit rendu public par l’office fédéral des transports (ci-après : OFT), alors que l’art. 81a Cst. imposait une obligation des usagers de participer aux coûts. En outre, la gratuité n’avait qu’un effet limité sur l’utilisation des transports publics et ne répondait pas à l’intérêt public consistant à améliorer leur fréquentation, raison pour laquelle il fallait promouvoir leur offre. Enfin, les mesures litigieuses coûteraient quelque CHF 50'000'000.-.
Les normes attaquées étaient également contraires aux principes de l'égalité de traitement et de l'interdiction de l'arbitraire. Elles favorisaient deux parties de la population, soit les jeunes et les seniors, qui, cumulées, représentaient plus de 40% de la population genevoise. Une telle distinction, fondée exclusivement sur l'âge, était contraire à l'art. 8 al. 1 Cst. Il n'existait aucune raison objective de favoriser ces deux catégories de population, aucune statistique ne démontrant que le paiement des transports publics soit une cause de pauvreté, ni que leur tarif serait rédhibitoire pour certains usagers. Si l'on devait admettre que la gratuité des transports publics soit une bonne idée, ce qui était contesté, ce serait la population active, soit celle entre les deux tranches d'âge visées, qui en aurait le plus besoin ; or, l'accorder à cette partie de la population serait indubitablement anticonstitutionnel.
b. Après déterminations des parties, la chambre constitutionnelle a, par décision du 21 octobre 2024 (ACST/20/2024), refusé d’octroyer l’effet suspensif au recours.
c. Le 8 novembre 2024, le Conseiller d’État en charge du département de la santé et des mobilités (ci-après : le département) a répondu à une demande de renseignements du juge délégué. Les informations fournies concernaient entre autres le budget, les revenus et le calcul prévisionnel du coût de la mesure. Elles seront reprises en tant que de besoin dans la partie en droit.
d. Le Grand Conseil a conclu, principalement, à l’irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet ainsi qu’au rejet de la requête de production des pièces sollicitées. Celles-ci étaient inutiles, aucun fait ne devant être établi pour l’issue du litige qui impliquait l’examen de questions uniquement juridiques.
La novelle du 30 mai 2024 contenait deux volets dans la modification législative litigieuse, qui devaient être examinés séparément : d’une part, la prise en charge de l’abonnement Unireso (et non la gratuité de tous les transports) pour les jeunes de 6 à 24 ans révolus, domiciliés ou en formation à Genève, sous condition de formation et de revenu (et non pour tous les jeunes) et, d’autre part, la prise en charge de la moitié de l’abonnement Unireso (et non la gratuité totale, ni la gratuité de tous les transports) des bénéficiaires de prestations AVS/AI domiciliés dans le canton de Genève, étant précisé que ces derniers ne bénéficieraient que d’une politique de rabais et non de la gratuité.
Compte tenu des chiffres produits par le département, les mesures introduites par la mesure litigieuse devraient concerner moins de 20% du chiffre d’affaires Unireso (CHF 32'000'000.- sur CHF 167'818'897.-), étant précisé que ces chiffres devraient être examinés au regard du total des produits des TPG pour 2023, soit CHF 520'845'035.-. L’impact financier des normes querellées sur le financement des TPG devait ainsi être relativisé. Par ailleurs, plus de 60% des abonnés actuels identifiables continueraient à payer un titre de transport sans bénéficier de la prise en charge de l’État prévue dans la modification législative litigieuse.
Le recours était irrecevable pour plusieurs motifs. Aucun grief spécifique au règlement attaqué n’était développé, ce qui violait l’art. 65 al. 3 LPA et conduisait à l’irrecevabilité du recours dirigé contre ledit règlement. L’art. 81a Cst. étant une norme programmatique n’octroyant pas de droit individuel au justiciable, tous les griefs en lien avec celle-ci étaient irrecevables. Les recourants, n’ayant pas 25 ans et n’étant pas bénéficiaires de rente AI ou AVS, n’étaient en outre pas touchés directement par les normes attaquées, ni ne le seraient à moyen terme. La tarification applicable aux recourants n’était pas affectée par la novelle querellée. Les hausses d’impôts et de billets, alléguées, étaient contestées et ne représentaient que des effets indirects et non vraisemblables. Leur démarche relevait donc de l’action populaire. Faute de qualité pour recourir, leur recours était irrecevable.
Sur le fond, la réduction de 50% (et non la gratuité) des abonnements pour les bénéficiaires AVS/AI couvrait encore une part appropriée du financement au sens de l’art. 81a Cst, qui était ainsi respecté. Les titres occasionnels, représentant 39% des recettes de transport d’Unireso, ne seraient que partiellement touchés : un transfert en faveur de nouveaux abonnés était certes envisageable, mais de nombreux usagers continueraient à payer leur billet (occasionnel) au prix habituel. Quant aux jeunes, la mesure litigieuse comprenait deux volets : d’une part la gratuité des abonnements pour les moins de 18 ans et, d’autre part, la gratuité sous conditions de revenus ou de formation pour les moins de 25 ans. Elle devait s’inscrire en rapport avec d’autres normes constitutionnelles, telles que l’art. 11 Cst. garantissant aux enfants et aux jeunes une protection particulière de leur intégrité et l’encouragement de leur développement, et l’art. 41 al. 1 Cst., selon lequel les cantons devaient s’engager à ce que les familles, en tant que communautés d’adultes et d’enfants, soient protégées et encouragées. L’encouragement de la mobilité des jeunes n’entrait pas en contradiction avec le but de l’art. 81a Cst, qui était d’éviter une surcharge trop importante des transports publics génératrice de coûts non tenables par les collectivités. La mesure litigieuse destinée aux jeunes s’inscrivait aussi dans la mise en œuvre des obligations positives de l’État en matière de protection environnementale imposant la prise « proactive » de mesures pour respecter l’art. 8 CEDH, comme le fait de favoriser l’utilisation des transports publics par les jeunes. Même s’il était délicat de connaître avec exactitude les effets sur la fréquentation, l’augmentation de 23% de l’offre déjà prévue dans le plan d’action des transports collectifs 2024-2028 permettrait d’absorber toute fréquentation supplémentaire éventuelle découlant de la mesure. Les normes attaquées étaient donc conformes à l’art. 81a Cst.
Il n’existait pas de violation de l’art. 8 Cst. compte tenu du caractère objectif des critères choisis, étant rappelé que les distinctions opérées en fonction de l’âge présentaient une nature quelque peu différente et que ce critère ne se rattachait pas à un groupe qui, historiquement, aurait été déprécié ou mis à l’écart de la vie sociale et politique. La gratuité des abonnements pour les moins de 18 ans et pour les jeunes de moins de 25 ans, sous conditions, se fondait sur des critères objectifs, énumérés dans le règlement querellé. L’aide aux moins de 18 ans se fondait sur le critère objectif de l’aide aux mineurs et aux familles, consacré aux art. 11 et 41 Cst. L’aide aux personnes en formation pour tout jeune fréquentant une école à Genève se fondait sur le critère objectif de l’aide à la formation, consacré par l’art. 11 Cst. et l’art. 195 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst‑GE ‑ A 2 00) imposant à l’État de faciliter l’accès à la formation. L’intervention, qui était limitée aux abonnements, voire aux personnes disposant d’un faible revenu, était proportionnée. La mesure concernant les bénéficiaires AVS/AI se fondait sur l’élément objectif qui était la baisse de revenus découlant de l’intervention de ces assurances sociales. Le critère de rabais se basait sur l’arrivée à l’âge de l’AVS, qui était un critère objectif se conjuguant avec une baisse de revenus. Il en allait de même pour les bénéficiaires de l’AI dont le montant des rentes était modeste. Ces interventions étaient proportionnées car elles visaient à répondre à une baisse de revenu et se limitaient à la prise en charge de 50% de l’abonnement.
e. Le Conseil d’État, soit pour lui le Conseiller d’État du département, s’est intégralement rapporté aux écritures et conclusions du Grand Conseil.
f. Les recourants ont ensuite répliqué et maintenu leur position.
g. Les parties ont ensuite été informées que la cause était gardée à juger.
1. La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).
En l’espèce, le recours est formellement dirigé contre deux actes normatifs cantonaux, à savoir la loi 13'488 modifiant la LTPG du 30 mai 2024 et le RRUnireso du même jour, et ce en l’absence de cas d’application (ACST/36/2021 du 21 octobre 2021 consid. 1b). Par ailleurs, il a été interjeté le 20 septembre 2024, dans le délai légal à compter, respectivement, de la promulgation de ladite modification législative et de la publication dudit règlement dans la FAO, qui ont eu lieu le 23 août 2024 (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). Il satisfait également aux réquisits de forme et de contenu prévus aux art. 64 al. 1 et 65 al. 1 à 3 LPA, sous réserve de ce qui suit.
2. En cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, l’acte de recours doit contenir un exposé détaillé des griefs du recourant (art. 65 al. 3 LPA). Le recourant ne peut ainsi se contenter de réclamer l’annulation d’une loi ou d’un règlement au motif que son contenu lui déplaît (ACST/29/2021 du 29 juin 2021 consid. 2b). Cela étant, selon la jurisprudence de la chambre constitutionnelle qui statue en première instance, cette exigence ne saurait être interprétée aussi rigoureusement que ne l’est le principe d’allégation (Rügeprinzip) devant le Tribunal fédéral pour les griefs de violation des droits fondamentaux et des dispositions de droit cantonal et intercantonal. De plus, le constituant a explicitement souhaité que la chambre constitutionnelle soit plus accessible aux citoyens et administrés que ne peut l’être l’instance judiciaire suprême de la Suisse (ACST/36/2021 du 21 octobre 2021 consid. 2b et les références citées). Par ailleurs, la chambre constitutionnelle applique le droit d’office, sans être liée par les motifs invoqués par les parties (art. 69 al. 1, 2ème phr., LPA), à la condition toutefois que le recours, voire le grief invoqué, soit recevable.
En l’espèce, bien que concluant formellement à l’annulation de l’art. 36 al. 5 LTPG et du RRUnireso, les recourants se limitent, dans leur argumentation juridique et en particulier sous l’angle de l’art. 81a Cst., à contester le principe de gratuité pour les jeunes de 6 à 24 ans révolus et celui de « semi-gratuité » pour les personnes bénéficiaires de prestations AVS/AI, tels que prévus par ladite disposition légale. Les recourants ne développent en revanche aucun grief particulier à l’encontre d’une des dispositions prévues dans le RRUnireso, celui-ci précisant notamment les conditions de formation et de revenu prévues à l’art. 36 al. 5 LTPG pour les jeunes de 6 à 24 ans. Seule sera donc examinée dans le cadre du présent contrôle abstrait des normes la disposition légale spécifiquement contestée par les recourants (ACST/31/2020 du 2 octobre 2020 consid. 3c), le contrôle effectué par la chambre de céans ne pouvant s’étendre, en l’absence de tout grief motivé, à l’ensemble des dispositions susmentionnées ; une telle conclusion s’impose d’autant plus au vu du résultat de l’analyse effectuée ci‑après. Par ailleurs, le grief allégué tiré d’une prétendue violation des art. 15 et 28 de la loi sur le transport de voyageurs du 20 mars 2009 (LTV - RS 745.1) n’est ni étayé ni dûment détaillé, de sorte qu’il est irrecevable.
3. Le litige porte ainsi au premier chef sur l’art. 36 al. 5 LTPG.
La prise en charge cantonale prévue dans cette disposition concerne deux groupes de la population genevoise : d’une part, les personnes bénéficiaires de prestations AVS/AI domiciliées dans le canton de Genève, aux conditions précisées aux art. 4 et 5 RRUnireso, et d’autre part, les jeunes de 6 à 24 ans révolus, domiciliés ou en formation à Genève, aux conditions de formation ou de revenu précisées à l’art. 3 RRUnireso. En particulier, il découle de cette norme réglementaire que les jeunes de 18 à 24 ans révolus, qui habitent le canton et ne sont plus en formation, doivent avoir un revenu déterminant unifié annuel égal ou inférieur à CHF 50'000.- pour bénéficier de la prise en charge litigieuse.
Dans les deux cas, la prise en charge porte exclusivement sur le prix des abonnements Unireso mensuels ou annuels. En revanche, son étendue n’est pas identique. Elle est limitée à la moitié dudit prix pour les bénéficiaires de prestations AVS/AI, tandis qu’elle couvre l’intégralité de celui-ci pour la catégorie précitée des jeunes remplissant les conditions prévues.
4. La qualité pour recourir est contestée et doit être examinée.
4.1 A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L’art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l’action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu’il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/16/2021 du 22 avril 2021 consid. 3a). La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de l’acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu
(ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2019 du 2 septembre 2020 consid. 6.2.2 ; ACST/4/2021 du 2 mars 2021 consid. 3a).
4.2 Selon la jurisprudence fédérale, l'art. 89 al. 1 LTF, que les cantons doivent respecter (art. 111 LTF), confère la qualité pour former un recours en matière de droit public à quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). Lorsque l'acte attaqué est un acte normatif, l'intérêt personnel requis peut être simplement virtuel ; il suffit qu'il existe un minimum de vraisemblance que la partie recourante puisse se voir un jour appliquer les dispositions contestées (ATF 148 I 160 consid. 1.4 ; 147 I 308 consid. 2.2 ; 138 I 435 consid. 1.6). Quant à l'intérêt digne de protection, il n'est pas nécessaire qu'il soit de nature juridique, un intérêt de fait étant suffisant. En revanche, un intérêt général tendant à une application correcte du droit n'est pas recevable (ATF 141 I 78 consid. 3.1 ; 136 I 49 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_538/2023 du 16 septembre 2024 consid. 2.1).
L’intérêt à recourir doit également être direct. Ainsi, l’intérêt digne de protection fait en principe défaut devant le Tribunal fédéral en cas de recours contre un acte normatif qui est favorable à la partie recourante, sous réserve d’exceptions (arrêt du Tribunal fédéral 2C_407/2021 du 23 décembre 2022 consid. 7.3 et les arrêts cités), notamment en matière de contestation de barèmes fiscaux (ATF 133 I 206 consi. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_142/2019 du 18 mai 2021 consid. 1.3.2 ; 2C_519/2015 du 12 janvier 2017 consid. 1.2.2).
4.3 Le fait d’être virtuellement touché suppose que la partie recourante puisse, tôt ou tard, être directement concernée par la norme attaquée avec une probabilité minimale (ATF 138 I 435 consid. 1.6 ; 136 I 17 consid. 2.1). Les contribuables du canton concerné sont en principe légitimés à contester la révision d’une remise d’impôt cantonale (ou la législation fiscale cantonale, ATF 141 I 78 consid. 3.1) car un barème d’impôt constitue un tout indivisible. Ainsi, un contribuable peut contester les avantages accordés à d’autres contribuables, même s’il n’est pas directement désavantagé par la révision elle-même. Il en a été, pour l’essentiel, de même pour la taxe sur la plus-value prévue dans un acte législatif cantonal en application de l’art. 5 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_245/2019 du 19 novembre 2020 consid. 1.4 et les arrêts cités). Lorsque la contestation porte sur un tarif, qui constitue un tout indissociable, les contribuables, domiciliés dans le canton qui a édicté la législation fiscale cantonale contestée, ont le droit d’invoquer son inconstitutionnalité, même si les avantages qu’il comporte pour les autres contribuables n’ont pas de conséquences négatives directes pour eux
(ATF 141 I 78 consid. 3.1 ; 133 I 206 consid. 2.1-2.3).
4.3.1 Cette jurisprudence découle de la jurisprudence dite AVLOCA rendue sous l’ancien droit (ATF 109 Ia 252 consid. 4), selon laquelle les citoyens qui n’étaient pas destinataires des dispositions contestées avaient également la légitimité pour contester un acte législatif pour cause d'inégalité de traitement en faveur de tiers, pour autant qu'ils se trouvent dans une situation comparable à celle des tiers et que l'avantage accordé à ces derniers se traduise pour eux par un désavantage,
c'est-à-dire pour autant qu'il existe un lien pertinent entre le privilège du tiers contesté et leur propre situation ; si tel était le cas, la pratique renonçait à l'existence d'une norme de protection correspondante (ATF 131 I 198 consid. 2.6).
4.3.2 Dans l’arrêt AVLOCA (ATF 109 Ia 252), le Tribunal fédéral a reconsidéré sa jurisprudence quant aux conditions de recevabilité de recours dirigés contre des actes législatifs accordant des avantages à des tiers, rappelant que le principe d’égalité dans la loi obligeait le législateur à traiter de la même manière des situations semblables et de manière différente celles qui ne l’étaient pas (consid. 4b). L’élargissement de la qualité pour recourir ne concernait toutefois que l’hypothèse où l’avantage dénoncé par la partie recourante était contenu dans la loi elle-même, et non dans des décisions (consid. 4d).
Celui qui se prétendait désavantagé par rapport à d’autres, du fait que sa situation était directement aggravée par les dispositions critiquées, n’avait pas à être traité différemment de celui qui se prétendait lésé parce que la loi octroyait à un tiers un privilège qu’elle ne lui accordait pas. En matière fiscale, par exemple, il était indifférent, du point de vue du préjudice subi, que l'inégalité de traitement dont se plaignait un contribuable célibataire provienne de ce que la loi imposait plus lourdement les célibataires que les personnes mariées ou de ce qu'elle accordait un allégement fiscal aux personnes mariées, sans le consentir aux célibataires. Dans l'un et l'autre cas, en effet, le législateur opérait une distinction entre deux catégories de personnes, en usant certes d'une technique législative différente, mais pour aboutir en définitive au même résultat, à savoir l'octroi de certains avantages aux uns et pas aux autres. Peu importait alors, dans l'hypothèse où les dispositions en cause accordent de manière expresse des avantages à des tiers, qu'elles ne s'appliquent pas directement à celui qui faisait valoir l'inégalité de traitement. Ce qui était décisif, c'était bien plus l'effet discriminatoire produit sur ce dernier. Le recourant devait notamment établir que la discrimination dont il dénonçait l'inconstitutionnalité le touche – ou pourrait le toucher–- dans sa sphère privée. Cela présupposait qu'un lien de corrélation existe entre la situation du ou des tiers avantagés et celle du recourant (consid. 4c).
4.4 En l’espèce, les recourants, contribuables genevois âgés de 37 et 44 ans, ne sont pas directement touchés par la norme litigieuse. En effet, ils ne le seront jamais s’agissant du volet applicable aux jeunes, et pas avant de nombreuses années pour le volet concernant les bénéficiaires AVS. Quant à la probabilité qu’ils deviennent un jour des bénéficiaires AI, elle est aléatoire et il est dès lors douteux qu’elle puisse être admise sous l’angle de la vraisemblance minimale exigée par la jurisprudence.
Quoi qu’il en soit, même si la norme contestée devait leur être un jour appliquée, elle leur serait favorable. En outre, l’avantage que cette disposition accorde aux jeunes et bénéficiaires AVS/AI n’entraîne, en l’état, pas de désavantage direct et personnel pour les recourants. En effet, même à considérer qu’il s’agisse d’un tarif formant un tout indissociable au sens de la jurisprudence susmentionnée découlant de l’arrêt AVLOCA, la réglementation litigieuse ne prévoit pas d’augmenter les tarifs applicables aux adultes, catégorie dont font partie les recourants, et ce quel que soit le type de billet de transport choisi (billet, carte journalière ou abonnement). Les recourants ne subissent dès lors aucun préjudice découlant de la norme litigieuse.
Quant à la hausse d’impôts alléguée, il ne s’agit que d’une hypothèse et a fortiori d’un éventuel effet indirect de la norme contestée. On ne voit au demeurant pas en quoi les recourants seraient touchés plus que quiconque par une potentielle allocation d’une partie des impôts dans les TPG, dans la mesure où tous les contribuables, y compris les jeunes adultes ou des bénéficiaires AVS/AI, sont tenus, selon leur capacité contributive, de s’acquitter des impôts, l’action populaire étant par ailleurs proscrite. L’intérêt général tendant à une correcte application du droit ne donne pas non plus de qualité pour agir en justice. Ce même raisonnement vaut pour l’allégation relative à une potentielle diminution de l’offre des transports publics.
Le recours doit donc être déclaré irrecevable, étant au surplus précisé qu’il serait rejeté, pour les motifs exposés plus bas, s’il était recevable.
5. Les recourants sollicitent la production de « tous les documents utiles et présentations » relatifs à la norme légale querellée, au RRUnireso ainsi qu’à d’autres actes qui, faute d’être attaqués par le recours, sont exorbitants au litige.
5.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit, pour l’intéressé, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves, à condition qu’elles soient pertinentes et de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1). Le droit d’être entendu n’empêche pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).
5.2 En l’espèce, le litige porte sur la conformité de la norme légale attaquée aux dispositions constitutionnelles invoquées, ce qui implique un examen juridique. Certains documents, tels que le projet à l’origine de la norme litigieuse, les éventuels rapports des commissions parlementaires et les débats devant le Grand Conseil, sont certes pertinents pour l’issue du litige, dans la mesure où ils reflètent la volonté du législateur cantonal. En revanche, on ne voit pas en quoi le seraient d’éventuels avis de droit qui ne sont pas expressément repris ou publiés par les autorités compétentes concernées, étant rappelé que le litige est circonscrit, outre l’acte attaqué et les conclusions, par les motifs que les recourants non seulement invoquent mais qu’ils ont dûment détaillés conformément à l’art. 65 al. 3 LPA. Au surplus et dans le cadre des griefs dûment motivés, la chambre constitutionnelle applique le droit d’office (art. 69 al. 1, 2ème phr., LPA). À cela s’ajoute que les offres de preuve sollicitées dans le recours, formulées de manière vague et générale, ne portent pas sur l’établissement de faits, contrairement à ce que les recourants soutiennent dans leur réplique, étant précisé que la question des coûts a été, à la demande du juge délégué, explicitée par le département sur la base de chiffres concernant les revenus des TPG qui se retrouvent dans la pièce produite par les recourants en annexe à leur réplique. Dans ces circonstances, la chambre constitutionnelle ne donnera pas suite à la production des documents sollicités par les recourants.
6. À l’instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 148 I 198 consid. 2.2 ; 146 I 70 consid. 4 ; 145 I 26 consid. 1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2020 du 8 juillet 2021 consid. 2 ; ACST/30/2021 du 29 juin 2021 consid. 4).
7. Les recourants invoquent une violation de l’art. 81a al. 2 Cst. par la norme litigieuse. Ce faisant, ils se prévalent de la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal (art. 49 al. 1 Cst.), principe érigé en droit constitutionnel (Vincent MARTENET in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.], Commentaire romand - Constitution fédérale, 2021, n. 42 ad art. 49 Cst.), de sorte que ce grief serait recevable.
7.1 Selon l’art. 81a Cst., entré en vigueur le 1er janvier 2016, la Confédération et les cantons veillent à ce qu’une offre suffisante de transports publics par rail, route, voie navigable et installations à câbles soit proposée dans toutes les régions du pays (al. 1 phr. 1). Les prix payés par les usagers des transports publics couvrent une part appropriée des coûts (al. 2).
7.1.1 Il s’agit d’une norme constitutionnelle de nature programmatique (Felix UHLMANN in Bernhard WALDMANN et al. [éd.], St. Galler Kommentar - Bundesverfassung, 4e éd., 2023, n. 4 et 8 ad art. 81a Cst. ; Nicolas DIEBOLD/Martin LUDIN/Martin BEYELER in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.], Commentaire romand - Constitution fédérale : art. 81 Cst. - dispositions finales, 2021, n. 28 ad art. 81a Cst. ; Giovanni BIAGGINI, Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2e éd., 2017, n. 2 ad art. 81a Cst. ; Markus KERN in Bernhard WALDMANN/Eva Maria BELSER/Astrid EPINEY [éd.], Basler Kommentar - Bundesverfassung, 1e éd., 2015 n. 2 ad art. 81a Cst.). Elle laisse une grande liberté de concrétisation et de flexibilité pour s’adapter aux circonstances actuelles et aux besoins futurs (Nicolas DIEBOLD/Martin LUDIN/Martin BEYELER, op. cit., n. 28).
7.1.2 Cette disposition constitutionnelle comporte trois dimensions. La dimension écologique vise à assurer une gestion efficace des ressources et à promouvoir des moyens de transport écologiques. La dimension économique transparaît dans l’offre suffisante, élément fondamental pour l’attrait de la place économique, contribuant à la prospérité économique et motivée par un objectif de politique régionale tendant à desservir toutes les régions du pays. Quant à la dimension sociale, elle réside en une offre suffisante de prestations des transports publics garantissant à tous les groupes de la population, y compris les jeunes et les personnes âgées, un accès fiable aux prestations de transport et à la mobilité (Markus KERN, op. cit., n. 4 ; Nicolas DIEBOLD/Martin LUDIN/Martin BEYELER, op. cit., n. 9).
7.1.3 L’objectif de l’art. 81a Cst. est de freiner la demande de prestations de transport public, pour la plupart subventionnées, par la contribution des utilisateurs, à travers le paiement des prix, à la couverture des coûts. Le message y relatif du Conseil fédéral indique que, sans une telle limitation, la demande pourrait augmenter en continu et finalement étouffer tout le système. Toutefois, le constituant, en mentionnant « une part appropriée des coûts », renonce à reporter la totalité des coûts sur les utilisateurs. Il craint en effet que les usagers préfèrent la route au rail, et évite ainsi de compromettre les effets positifs déjà obtenus jusqu’à présent. Le transfert du transport privé vers les transports publics ne doit pas être mis en péril (Markus KERN, op. cit., n. 14 ; Nicolas DIEBOLD/Martin LUDIN/Martin BEYELER, op. cit., n. 25 et les références citées). Selon Marlène COLLETTE, le principe directeur du financement des transports publics est une répartition des coûts entre les pouvoirs publics et les usagers (Marlène COLLETTE, La gratuité des transports publics : entre obstacles juridiques et enjeux de mobilité urbaine, in Newsletter IFF 3/2021 publiée par l’Institut du Fédéralisme, Université de Fribourg - Faculté de droit, disponible en ligne, p. 4).
7.2 Dans une affaire récente concernant une initiative fribourgeoise visant à introduire la gratuité (totale) des transports publics dans la constitution cantonale, le Tribunal fédéral a procédé à l’interprétation de l’art. 81a al. 2 Cst. afin d’examiner si l’initiative cantonale était conforme au droit supérieur (ATF 149 I 182 consid. 3). Il a confirmé la décision cantonale prononçant la nullité de cette initiative, celle-ci ne respectant pas le droit supérieur pour les raisons exposées
ci-après.
7.2.1 L’interprétation d’une norme constitutionnelle suivait, en règle générale et sous réserve de quelques particularités spécifiques, les principes développés en matière d’interprétation de la loi. Dans ce contexte, tant que le constituant n'avait pas accordé à certaines normes un caractère prépondérant par rapport à d'autres, il fallait – pour les interpréter les unes avec les autres – partir du principe qu'elles étaient toutes de rang égal. L'interprétation devait tendre à une concordance de l'ensemble des normes constitutionnelles, ce que le Tribunal fédéral avait qualifié d'interprétation « harmonisante » (harmonisierende Auslegung). Ainsi, le simple fait qu'une disposition constitutionnelle soit plus récente qu'une autre n'impliquait pas nécessairement qu'elle prévale sur des normes plus anciennes ; une interprétation qui reposerait sur un examen isolé et ponctuel de la disposition en cause n'avait pas lieu d'être. Sous cette réserve, le Tribunal fédéral a rappelé les règles usuelles en matière d’interprétation (littérale, historique, téléologique et systématique ; consid. 3.1 et les références citées).
7.2.2 Sous l’angle de l’interprétation littérale, la « part appropriée » visée par l’art. 81a al. 2 Cst. ne pouvait pas être nulle, ce qui excluait la gratuité (totale) prônée par l’initiative litigieuse (consid. 3.2.1).
7.2.3 S’agissant de l’interprétation historique fondée sur le message du Conseil fédéral, ladite norme poursuivait deux objectifs contradictoires : d'une part, les transports publics ne devaient pas être trop bon marché (pour éviter une demande trop importante qui pourrait « étouffer le système ») ; d'autre part, ils ne devaient pas être trop chers pour continuer à favoriser le transfert route-rail des voyageurs. Le Tribunal fédéral s’est rallié à l’avis de la doctrine selon lequel la formulation « les prix payés par les usagers des transports publics couvrent une part appropriée des coûts » visait à parvenir à un équilibre. Ainsi, la recherche d’un tel équilibre excluait que ladite part soit nulle et conduisait à la non-conformité de l’initiative en cause avec l’art. 81a al. 2 Cst. (consid. 3.2.2 et les références citées).
7.2.4 L’art. 81a al. 2 Cst. s’appliquait à l’ensemble des transports publics énumérés à son al. 1, et non uniquement au chemin de fer (consid. 3.2.3).
7.2.5 Le Tribunal fédéral a écarté le grief, selon lequel l’invalidité de l’initiative irait à l’encontre du principe constitutionnel du développement durable ancré à l’art. 73 Cst. Certes, la doctrine évoquait la nécessité d’interpréter les normes constitutionnelles de manière à ce que celles-ci trouvent application à des problématiques nouvelles, par le biais d’une interprétation « contemporaine » (zeitgemässe Auslegung). Il ne pouvait ainsi pas être exclu que, dans une approche globale de la Constitution et pour assurer une meilleure concordance entre certaines dispositions constitutionnelles, une portée accrue soit accordée à l’avenir à l’art. 73 Cst. Cette question n’avait pas à être développée puisque, en l’état du droit, l’interdiction de la gratuité (totale) des transports publics n’entrait pas nécessairement en conflit avec l’art. 73 Cst. Par rapport au fait de demander à certains utilisateurs des transports publics de participer de manière appropriée aux coûts, il était rappelé que le principe déduit de l’art. 73 Cst. engageait aussi les autorités à tenir compte des implications non seulement sociales et écologiques de certaines politiques, mais aussi de leurs conséquences économiques. Citant l’avis de droit du 4 février 2022 commandé par l’OFT, le Tribunal fédéral relevait que les transports publics utilisaient aussi des ressources (limitées), de sorte qu’une augmentation illimitée des transports publics n’allait pas entièrement dans le sens du développement durable. En d’autres termes, il n’apparaissait pas que le report des usagers sur des infrastructures consommant de l’énergie au détriment d’une mobilité douce réalise complètement le but de développement durable (consid. 3.3.2 et les références citées).
7.2.6 Le Tribunal fédéral a rejeté le grief relatif à la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons (art. 3 Cst.). Le mandat constitutionnel en vue de l’institution du système de transports publics ancré à l’art. 81a Cst. était octroyé à la Confédération, sans modifier la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons en matière de transports publics. La répartition des compétences était complétée par une obligation des collectivités de veiller à l’existence d’une offre suffisante (art. 81a al. 1 Cst.) et par une obligation de faire participer les utilisateurs aux coûts (art. 81a al. 2 Cst. ; consid. 3.4 et les références citées).
7.2.7 Enfin, le Tribunal fédéral a relevé que son analyse était partagée par la doctrine, tout en soulignant que, selon celle-ci, une gratuité partielle, voire temporaire, et l’instauration de tarifs réduits ou solidaires étaient conformes à l’art. 81a al. 2 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 2C_393/2022 du 31 mars 2023 consid. 4, non publié in ATF 149 I 182, et les références citées).
7.3 Ni l’art. 81a al. 2 Cst. ni le message y relatif du Conseil fédéral ne prévoient de critères pour déterminer la part « appropriée » des coûts. La doctrine recommande de tenir compte de divers facteurs, par exemple l’évolution de la demande, du degré de couverture des coûts des modes de transport (privés) concurrents, des conséquences effectives du subventionnement (transfert du trafic ou surcroît de trafic), les effets sur le report modal du transport public sur le trafic individuel motorisé et les prix des autres modes de transports, qu’ils soient privés ou concurrents (Markus KERN, op. cit., n. 15 ; Nicolas DIEBOLD/Martin LUDIN/Martin BEYELER, op. cit., n. 26 ; Marlène COLLETTE, op. cit., p. 6).
La terminologie utilisée à l’art. 81a al. 2 Cst. fait référence au terme « prix » et non « tarif », ce qui pourrait s’expliquer par la volonté d’une gestion par le marché plutôt que par un système tarifaire. Ce choix est pertinent dans le domaine des transports publics, puisqu’en droit des transports, la signification du mot « tarif » inclut non seulement le prix pour le transport et d’autres prestations y afférentes, mais aussi les conditions de transport (Nicolas DIEBOLD/Martin LUDIN/Martin BEYELER, op. cit., n. 23 et les références citées). Le terme « coûts » est utilisé sans indications complémentaires. Selon lesdits auteurs, il s’agit des coûts directs, c’est-à-dire les coûts pour l’infrastructure, le service de transport et des prestations y afférentes, et également des coûts liés aux externalités négatives (nuisance sonore, pollution de l’air, etc.) (Nicolas DIEBOLD/Martin LUDIN/Martin BEYELER, op. cit., n. 24 et les références citées).
7.3.1 La doctrine est divisée sur la question de savoir si l’art. 81a al. 2 Cst. prévoit un plafond global pour les prix de transport ou si la totalité des coûts pourrait être reportée sur les utilisateurs. Selon Nicolas DIEBOLD/Martin LUDIN/Martin BEYELER, le message du Conseil fédéral indiquerait que le report de la totalité des coûts ne serait pas envisageable. En revanche, il est clair que l’al. 2 exige une participation minimale par les utilisateurs au sens d’une limite inférieure (Nicolas DIEBOLD/Martin LUDIN/Martin BEYELER, op. cit., n. 26 et les références citées).
Selon Markus KERN, l’exigence du caractère « approprié », posée à l’al. 2 de l’art. 81a Cst., est une limite inférieure pour la participation aux coûts des utilisateurs, qui ne vise expressément pas à couvrir l’intégralité des coûts. Comme le but de cette disposition réside dans le pilotage (en particulier l’atténuation) de la demande, il faut partir du principe qu’elle ne constitue pas en même temps une limite supérieure pour le montant des prix du transport. Cela signifie que la couverture intégrale des coûts par les utilisateurs n’est pas forcément visée, mais n’est pas exclue. L’exigence d’une participation appropriée des utilisateurs ne fait donc pas obstacle à des prix qui dépassent les coûts, que ce soit sur certaines liaisons ou sur l’ensemble du réseau. Une telle tarification pourrait éventuellement être proposée pour financer des parties non rentables du réseau ou pour gérer la demande sur certaines liaisons (Markus KERN, op. cit., n. 15).
Ces considérations sont partagées par Marlène COLLETTE, selon laquelle la réelle contrainte est de maintenir un certain équilibre puisqu’une participation trop élevée des usagers aux coûts risquerait de les détourner des transports publics alors que, a contrario, une part trop faible ne permettrait pas de maintenir une offre de qualité au sens de l’art. 81a al. 1 Cst. (Marlène COLLETTE, op. cit., p. 4).
7.3.2 En outre, il n’existe pas de précision concernant la répartition des coûts entre les différentes catégories d’utilisateurs. En particulier, la question de savoir si les coûts du système des transports publics doivent être répercutés globalement sur tous les usagers ou s’ils doivent plutôt être répercutés sur les usagers de certains modes de transport, régions, liaisons ou lignes est laissée ouverte. Dans l’ensemble, le législateur d’exécution conservera ainsi une grande marge d’appréciation dans l’aménagement du régime des prix, ce qui paraît cohérent dans la mesure où le prix constitue l’un des principaux paramètres de la gestion de la demande et donc de la politique des transports et du transfert. Afin de conserver une certaine flexibilité et de pouvoir réagir à l’évolution des préférences politiques et des conditions-cadres, il est tout à fait indiqué d’aménager les dispositions constitutionnelles avec retenue (Markus KERN, op. cit., n. 15 ; Nicolas DIEBOLD/Martin LUDIN/Martin BEYELER, op. cit., n. 27).
Selon Giovanni BIAGGINI, la Constitution laisse, dans l’ensemble, au législateur (et aux autorités subordonnées) une large marge de manœuvre pour concrétiser la question des rémunérations (Entgelte), de sorte que l'alinéa 2 ne devrait guère être justiciable (Giovanni BIAGGINI, op. cit., n. 7).
Selon Felix UHLMANN, principal auteur de l’avis de droit mandaté par l’OFT, le législateur est en principe libre de déplacer la clef de répartition des coûts. Il peut notamment prendre en compte la protection de l’environnement, dans la mesure où des coûts plus élevés des utilisateurs conduisent à une diminution de la mobilité (et non à une extension présumée plus lourde du trafic privé). Cet auteur mentionne l’existence d’un projet-pilote (« Mobility-Pricing ») visant à acquérir des connaissances sur les nouvelles formes de tarification destinées à mieux utiliser l’infrastructure existante ; ledit projet a pour objet de créer une base légale permettant aux cantons, aux villes et aux communes de réaliser des projets-pilotes limités dans le temps et dans l’espace en matière de tarification de la mobilité (Felix UHLMANN, op. cit., n. 25 et les références citées).
7.3.3 Giovanni BIAGGINI considère compatibles avec l’art. 81a al. 2 Cst., les actions d’exonération de frais à court terme ainsi que les offres (gratuites) de transports publics soutenues par les pouvoirs publics et qui ne profitent qu'à certaines catégories de personnes (Giovanni BIAGGINI, op. cit., n. 8).
Selon Felix UHLMANN qui cite une contribution avec la co-autrice de l’avis de droit mandaté par l’OFT, les privilèges au sens de transports publics gratuits entrent en conflit avec l’art. 81a al. 2 Cst. « lorsqu’un groupe de population considérable est entièrement déchargé des coûts des transports publics sans qu’il contribue d’une autre manière au financement (offres globales des régions touristiques) ou lorsque le privilège accordé à ce groupe de population peut se fonder sur une autre norme constitutionnelle primant l’obligation de l’art. 81a al. 2 Cst. ». Il existe de tels privilèges constitutionnels pour l’art. 8 al. 4 Cst. (protection des personnes handicapées) et l’art. 19 Cst. (droit à un enseignement de base suffisant), mais non au regard de l’art. 11 al. 1 Cst. (protection particulière de l’intégrité et de l’encouragement du développement des enfants et des jeunes). Citant ladite contribution, l’auteur indique qu’« un examen au cas par cas, c’est‑à‑dire l’examen de chaque groupe privilégié en lien avec la base constitutionnelle de la justification et de son étendue en fonction de sa taille, est donc inévitable » (Felix UHLMANN, op. cit., n. 26 et les références citées).
7.3.4 Dans sa contribution précitée consacrée à la gratuité des transports publics, Marlène COLLETTE souligne les points suivants.
Le terme de « gratuité » est en lui-même très équivoque puisqu’il laisse entendre que personne ne paierait les transports publics. Or, si les transports publics deviennent entièrement gratuits, ils ne le seraient que pour les usagers, mais non pour l’ensemble des contribuables qui, par leurs impôts, participeraient toujours à leur financement. La gratuité n’est pas nécessairement adaptée à tous les types de services. Il est ainsi économiquement rationnel que beaucoup d’entre eux relèvent du système marchand. La gratuité totale des transports publics n’est pas non plus en elle-même une garantie suffisante pour assurer une égalité d’accès à la mobilité. Selon cette autrice, malgré sa forte valeur symbolique, la conformité de la gratuité totale des transports publics au droit supérieur est « loin d’être évidente ». En revanche, la « gratuité partielle » peut être un outil au service de la mobilité en ciblant par exemple certaines catégories d’usagers. En ce sens, la gratuité partielle s’inscrit alors dans un vrai choix politique, tout comme l’instauration d’une tarification sociale ou solidaire (Marlène COLLETTE, op. cit., p. 4 et 5).
Parmi les exemples de gratuité accordée à certaines catégories d’usagers, il y a notamment les retraités, mais une mise en œuvre de la gratuité des transports publics peut également être décidée pour l’ensemble des usagers dans le cadre d’un évènement déterminé ou pour une durée limitée ; les initiatives pour les transports publics ont aussi servi de catalyseur aux cantons afin de proposer de nouvelles politiques tarifaires. Dans l’ensemble, les cantons disposent donc – dans les limites du droit fédéral – d’une marge de manœuvre pour façonner les régimes de tarification, ce qui semble cohérent dans la mesure où le prix est l’un des paramètres les plus importants de la gestion de la demande et donc de la politique des transports, à charge pour les autorités cantonales de supporter la couverture d’éventuels déficits d’exploitation des entreprises de transports concessionnaires, ce qui peut être fait sous une forme de subventionnement (ibid., p. 7).
Selon Marlène COLLETTE, la gratuité partielle ou une tarification adaptée peut ainsi permettre de donner une facilité d’accès pratique aux transports publics. En ce sens, ces mesures permettent d’alléger le budget de ceux qui utilisent les transports publics, mais également de rendre mobiles des personnes qui, sans cela, ne les prendraient pas ou en limiteraient fortement l’utilisation. Le droit au transport, limité par la participation aux coûts que paie l’usager, revêt donc une dimension particulière, dans la mesure où les moyens de transports collectifs mis à la disposition des usagers s’ajoutent – lorsqu’ils ne s’opposent pas – à ceux dont ils sont aussi parfois détenteurs individuellement. Sur ce dernier aspect, ce n’est plus uniquement la gratuité des transports publics qu’il faut considérer, mais aussi désormais celle de la « mobilité » (ibid., p. 7).
En conclusion, les outils que représentent la gratuité partielle et les réductions de tarifs permettent au législateur cantonal de bénéficier d’une certaine souplesse dans la gestion des besoins. Au-delà de ces considérations, l’avenir des transports publics réside, selon cette autrice, dans leur intégration au sein d’une « mobilité » urbaine axée sur la multimodalité plutôt que dans l’instauration d’une gratuité totale qui pourrait à terme se révéler finalement être une fausse bonne idée (ibid., p. 11).
7.4 Enfin, il convient de présenter brièvement l’avis de droit du 4 février 2022 (disponible en ligne) réalisé par Felix UHLMANN et Jasmina BUKOVAC et visant à répondre à plusieurs questions de l’OFT.
7.4.1 Le terme « approprié » au sens de l’art. 81a al. 2 Cst. est une notion juridique indéterminée, échappant à une définition (numérique) précise, juridiquement contraignante pour la Confédération et les cantons et susceptible d’être concrétisée par les tribunaux sous réserve de l’art. 190 Cst. (§ 42). Cette notion se réfère au rapport entre le prix à payer par les utilisateurs et les coûts des transports publics. La réglementation laisse une importante marge de manœuvre au législateur fédéral et cantonal. Selon ces auteurs, la conformité d’offres gratuites est envisageable si les utilisateurs contribuent aux coûts d’une autre manière qu’en payant directement un prix ou s’il s’agit d’une mesure temporaire. En revanche, elle est problématique s’il s’agit d’une gratuité pour des groupes entiers de la population (§ 43 s.).
7.4.2 Sont ensuite passés en revue les cas classiques de gratuité des transports publics, comme par exemple pour les bus touristiques, les transports scolaires ou le cas des enfants de moins de six ans accompagnés (§ 45 ss). Pour cette dernière catégorie, ces auteurs soulignent que l’accompagnement par un parent qui a un titre de transport valable est présupposé ; ainsi combiné (un adulte avec un enfant) le prix global peut être considéré comme approprié et entre dans le pouvoir d’appréciation du législateur (§ 50 s.). En sus de la gratuité pour les enfants de moins six ans, il existe déjà des réductions importantes pour les jeunes, comme la carte « Junior ». Ainsi, une partie de la population est aujourd’hui déjà entièrement exemptée des coûts des transports publics. Sur la base des chiffres établis à fin 2020, ces auteurs estiment que la part de cette exemption complète concernant les enfants de moins de six ans représente 6,069% de la population totale suisse, précisant que cet avantage n’a pas été remis en cause lors des travaux préparatoires de l’art. 81a al. 2 Cst. (§ 51).
7.4.3 Ces auteurs examinent également les réductions en faveur des jeunes et des personnes ayant atteint l’âge de la retraite (ci-après : personnes AVS), la constitutionnalité de la gratuité généralisée des transports publics en leur faveur étant plus difficile à évaluer (§ 52 ss). Ils jugent discutable (fraglich) d’exempter complètement cette partie de la population des coûts de transports publics au regard de l’art. 81a al. 2 Cst. Ils se basent sur le nombre de jeunes âgés de moins de 25 ans (y compris les enfants de moins de six ans) existant en Suisse à fin 2020, ce qui représente 25.426% de la population suisse, pour conclure qu’une exemption complète desdits coûts viderait de sa substance l’art. 81a al. 2 Cst. Suivant la même approche pour identifier le nombre de personnes résidant en Suisse bénéficiant d’une rente AVS à fin 2020, ils estiment ce groupe à 19,137% de la population totale suisse. De tels allègements (Entlastungen) en faveur des jeunes de moins de 25 ans et des personnes AVS vont clairement dans le sens d'un développement unilatéral de l'offre, que veut justement éviter l’art. 81a al. 2 Cst. (§ 53). Pour ces deux groupes, la Constitution interdirait la gratuité, mais pas des réductions substantielles (erhebliche Vergünstigungen) qui sont déjà appliquées aujourd’hui et compatibles en principe avec l’art. 81a al. 2 Cst. (§ 54).
7.4.4 L’OFT a demandé, pour les cas de gratuité autorisés, sur la base de quels critères (ou réflexions) une limite entre les cas admis et non admis pouvait être tracée. La réponse à cette question a déjà été évoquée plus haut au consid. 7.3.3 en lien avec l’analyse de ces auteurs, selon lesquels il existe un conflit avec l’art. 81a al. 2 Cst. « lorsqu’un groupe de population considérable est entièrement déchargé des coûts des transports publics sans qu’il contribue d’une autre manière au financement (offres globales des régions touristiques) ou lorsque le privilège accordé à ce groupe de population peut se fonder sur une autre norme constitutionnelle primant l’obligation de l’art. 81a al. 2 Cst. ». Cela vaudrait pour les art. 8 al. 4 et art. 19 Cst., mais non en relation avec l’art. 11 al. 1 Cst. Ces auteurs estiment qu’« un examen au cas par cas, c’est-à-dire l’examen de chaque groupe privilégié en lien avec la base constitutionnelle de la justification et de son étendue en fonction de sa taille, est donc inévitable » (§ 60 ; Felix UHLMANN, op. cit., n. 26).
7.4.5 À la question de savoir comment tendre vers la gratuité des transports publics à l’intérieur du cadre constitutionnel, ces auteurs suggèrent des mesures individuelles, des promotions, des mesures temporaires, de fortes réductions ainsi que des formes de financement hybrides, puisque la norme constitutionnelle donne au législateur une large marge de manœuvre (§ 61).
8. En l’espèce, des députés de plusieurs partis politiques ont déposé, début mai 2024, le projet de loi (ci-après : PL) 13'488 visant à introduire la disposition litigieuse susmentionnée dans la LTPG.
8.1 L’exposé des motifs part de deux constats. Premièrement, seul un quart des habitants du canton est titulaire d’un abonnement de transports publics contre près d’un tiers dix ans auparavant. Deuxièmement, les loisirs (culture, sport, vie associative) constituent le principal motif de déplacement des Genevois (35%), tandis que les trajets pour aller au travail atteignent 19%. La longueur du trajet moyen pour aller travailler est de 4,2 km, qualifiée de relative courte distance effectuée principalement en voiture (40%) ou à pied (39%), la part des transports publics s’élevant à 15%. Les transports publics ont ainsi une « importante » marge de progression, notamment auprès des jeunes et des seniors, qui sont les catégories de la population peinant le plus à opter pour ce mode de transport (PL 13488 p. 2 s.).
Le PL 13'488 vise plusieurs objectifs d’intérêt général. Au-delà d’une mesure concrète pour améliorer le pouvoir d’achat des retraités, des jeunes en formation et des familles, il favorise, sous l’angle environnemental, la réalisation du transfert modal nécessaire pour améliorer la mobilité à Genève et le désengorgement du trafic routier, en encourageant de nouveaux comportements de déplacement, notamment par un apprentissage précoce et abordable des transports publics auprès des jeunes. Il a également pour but de permettre aux personnes de plus de 65 ans, n’ayant plus accès à la mobilité individuelle pour des motifs financiers ou de capacités physiques réduites, de maintenir le lien social à travers des activités associatives, culturelles et sportives et de limiter ainsi le phénomène d’isolement social d’une partie des aînés (PL 13488 p. 3).
Le PL 13'488 tient compte de la jurisprudence susmentionnée du Tribunal fédéral, dans la mesure où l’aide financière en faveur des aînés est plafonnée à 50% et celle pour les jeunes en formation est soumise à des conditions, ce qui assurerait la conformité à l’art. 81a Cst. (PL 13488 p. 4).
8.2 Lors des débats parlementaires du 30 mai 2024 (https://ge.ch/ grandconseil/memorial/seances/030202/7/4/), les partisans dudit PL ont souligné son importance en trois points : sauvegarder le pouvoir d’achat des ménages « fragilisé par la conjoncture actuelle et l’augmentation des primes d’assurance-maladie et des loyers », lutter contre le dérèglement climatique et la saturation des routes, ainsi que « faire profiter la classe moyenne des excellents résultats financiers [affichés par] les comptes de l’État pour l’exercice 2023 ». Même si le tarif n’était pas l’unique levier, puisque le déploiement de l’offre était déterminant, il était utile d’utiliser les bénéfices de 2023 en faveur du « report modal de la voiture vers les transports publics », ainsi que des familles devant assumer les frais des jeunes et de la classe moyenne « prise en étau par des dépenses contraintes [devenant] de plus en plus insupportables », et ce même si, s’agissant des familles, les abonnements sont « les moins chers de Suisse ». La gratuité pour les jeunes est destinée à rendre plus facile et attractive l’utilisation des transports publics pour les familles, tant en semaine que pour les loisirs. Il s’agissait ainsi d’une « mesure sociale » favorable à toutes les familles du canton, qu’il s’agisse des personnes de moins de 25 ans ou de plus de 65 ans, qui sont des groupes de population disposant de revenus moins importants. En outre, le PL représentait une forme de reconnaissance d’un « droit à la mobilité » en favorisant l’accès à la mobilité « à un prix abordable ».
Selon les opposants audit PL, la gratuité n’existait pas ; il s’agissait plutôt d’une « pseudo-gratuité ». Ils insistaient sur le fait de savoir qui allait concrètement payer cette mesure, selon eux le contribuable et le canton. Le « vrai cadeau » serait offert aux communes qui subventionnaient actuellement les jeunes et/ou les seniors. Par ailleurs, était soulevée la question du financement de l’augmentation de l’offre de 29% prévue dans le plan des transports en commun 2025-2029, impliquant une augmentation des véhicules et de conducteurs. Cela entraînerait une hausse des tarifs, en particulier des billets de parcours et de certains abonnements, et une augmentation des impôts, et ce indépendamment du fait que le contribuable utilise ou non les transports publics. La hausse des tarifs n’était pas problématique si l’offre augmentait. Il manquait une projection chiffrée en lien avec l’augmentation de l’offre, et l’évaluation d’une mesure différente telle qu’une diminution du prix des abonnements à répartir sur chacune des catégories d’usagers, ce qui aurait maintenu les subventions des communes, avec le même résultat pour les jeunes et les seniors. Il s’agissait d’une « petite mesure environnementale » avec un « faible » report modal puisqu’elle prétéritait « les personnes que nous souhaitons le plus voir abandonner leur voiture ».
Le Conseiller d’État en charge du département compétent dans le domaine a exprimé son soutien au PL, qui était une proposition remaniée ayant satisfait le plus grand nombre et embrassant une large partie de la population à raison de l’âge. L’objectif était de toucher les familles, en particulier les parents, et de leur restituer du pouvoir d’achat, à travers une mesure concrète représentant un investissement d’à peine 30 millions sur un budget global de 10 milliards. Il s’agissait ainsi d’une mesure sociale et environnementale, favorisant le report modal, précisant que la catégorie des seniors de plus de 65 ans présentait une marge de progression importante en termes d’usage des transports en commun.
9. Dans le cadre de l’instruction, le département a indiqué les éléments suivants au sujet du budget total des TPG pour l’année 2023. Celui-ci se monte à CHF 523'430'062.- dont CHF 508'741'364.- sont des charges d’exploitation. Son financement a été détaillé à hauteur de 99.5%, compte tenu d’un déficit de près de CHF 2'600'000.- représentant 0.5% du budget, avec un revenu total de CHF 520'845'035.-.
Les revenus issus des ventes de titres de transport de la communauté tarifaire Unireso représentent 29.2% du budget global, à savoir CHF 152'789'098.-, tandis que les contributions du canton de Genève s’élèvent à CHF 273'982'335, soit 52.3%. Les TPG bénéficient également de contributions émanant de la communauté tarifaire Unireso (7.8%), de la Confédération (2.6%) ainsi que des communes et tiers (3.7%). Une part de 3.9% provient des produits d’exploitation divers (3.6%) et de produits financiers (0.3%).
Les TPG ont reçu en 2023 environ 90% des revenus du transport de la communauté tarifaire Unireso (constituée de trois opérateurs : TPG, CFF et les Mouettes Genevoises SA), ce qui représente CHF 152'789'098.-, étant précisé que la clef de répartition est variable annuellement selon la fréquentation réelle du réseau. Ce revenu total « Unireso » se répartit en trois catégories : les abonnements mensuels et annuels (59.32% des ventes totales), les titres occasionnels (billets et cartes journalières ; 38.89% des ventes totales) et les autres titres (1.78% des ventes).
Concernant les abonnements mensuels et annuels, cette catégorie se divise entre les adultes (65.7% des ventes), les juniors (22.7% des ventes) et les bénéficiaires AVS/AI (11.6% des ventes). Concernant les titres occasionnels (billets et cartes journalières), cette catégorie se répartit entre les tarifs pleins (« adultes » de 16 ans et plus ; 71.1% des ventes) et les tarifs réduits (jeunes de moins de 16 ans, bénéficiaires AVS/AI, adultes possédant un abonnement demi-tarif ; 28.9% des ventes). Il n’est pas possible d’avoir une répartition fine selon les catégories d’âge s’appliquant aux abonnements (0-24, 25-63/64, 64/65 et plus).
Un calcul prévisionnel sur le coût de la mesure a été effectué par le département et les opérateurs d’Unireso : l’estimation annuelle est de CHF 32'000'000.-. Elle se base sur les ventes réalisées en 2023 et représente les pertes de recettes des abonnements juniors et bénéficiaires AVS/AI Unireso vendus sur une année. En revanche, les pertes de recettes sur les titres occasionnels (billets et cartes journalières) ne sont pas estimables. Les juniors de moins de 16 ans et les bénéficiaires AVS/AI occasionnels achètent des titres réduits, tout comme les adultes possédant un abonnement demi-tarif CFF. Les jeunes de 16 à 24 ans paient le tarif plein et ne sont pas différenciables des adultes dans les ventes enregistrées. Quant aux futurs usagers, bénéficiaires de la mesure litigieuse, qui ne sont pas clients aujourd’hui, ils ne génèrent à ce jour aucun revenu auprès d’Unireso, ni ne représentent des pertes de recettes à proprement parler.
Le coût induit par la subvention des abonnements de ces nouveaux usagers représente, pour les opérateurs, une recette nouvelle et non prévue au contrat de prestations 2025-2029. Ce montant pris en charge par l’État sera déduit de la contribution financière prévue au contrat de prestations ; il n’aura donc pas d’impact direct sur les subventions accordées.
10. Dans la présente cause, l’argumentation des recourants repose essentiellement sur les limites chiffrées, fixées par les auteurs de l’avis de droit mandaté par l’OFT, et sur l’addition des pourcentages des deux groupes visés par la norme litigieuse, sans égard à l’approche différenciée prévue par celle-ci. Ce faisant, les recourants perdent de vue plusieurs éléments fondamentaux relatifs à l’art. 81a Cst.
10.1 D’une part, lesdites limites chiffrées ne découlent ni du texte même de l’art. 81a Cst., ni des travaux préparatoires y relatifs, mais se fondent uniquement sur une opinion doctrinale qui n’apparaît pas majoritaire. En effet, il existe deux autres auteurs, cités plus haut, qui considèrent compatibles avec l’art. 81a al. 2 Cst. l’approche ciblée sur certaines catégories d’usagers. D’autre part, l’obligation posée par cette disposition consiste en la participation à une « part appropriée » des coûts, notion juridique largement indéterminée, sans aucune précision quant à la répartition des coûts entre les différentes catégories des usagers des transports publics. La doctrine exposée plus haut admet unanimement une large marge d’appréciation du législateur appelé à concrétiser cette norme constitutionnelle, en considérant que cette « part appropriée » correspond à une limite inférieure et que le prix constitue l’un des paramètres principaux de la gestion de la demande en transports publics, de sorte qu’il est « cohérent » de laisser au législateur « d’exécution » une grande marge de manœuvre dans l’aménagement du régime des prix.
À cela s’ajoute, comme le relève le Tribunal fédéral dans l’arrêt de principe précité, que l’autre obligation ancrée à l’art. 81a Cst. s’adresse aux collectivités, à savoir la Confédération et les cantons (al. 1 phr. 1), qui doivent veiller à l’existence d’une offre suffisante en transports publics. Ainsi, l’opinion susévoquée de Marlène COLLETTE, selon laquelle le principe directeur du financement des transports publics est une répartition des coûts entre les pouvoirs publics (via les impôts) et les usagers, reflète, de manière juste et nuancée, les deux obligations contenues à l’art. 81a Cst. en matière de transports publics. Cette répartition des coûts entre les collectivités publiques et les usagers n’est pas non plus définie par l’art. 81a Cst., ni par une autre norme légale. Elle s’inscrit, comme le relève l’arrêt précité du Tribunal fédéral, dans la recherche d’un équilibre entre les deux objectifs « contradictoires » de cette norme constitutionnelle, à savoir que les transports publics ne doivent être ni trop bon marché, ni trop chers pour les raisons évoquées plus haut.
En outre, l’art. 81a Cst revêt trois dimensions décrites ci-dessus, notamment sous l’angle social visant à garantir à tous les groupes de population, y compris les jeunes et les personnes âgées, un accès fiable aux prestations de transport et à la mobilité.
10.2 Il n’est désormais plus contesté que la gratuité totale des transports publics n’est pas conforme à l’art. 81a Cst. En revanche, il existe d’autres solutions préconisées (notamment par Marlène COLLETTE), telles que la « gratuité partielle » ciblant certaines catégories d’usagers ou la tarification sociale ou solidaire. Les auteurs de l’avis de droit mandaté par l’OFT suggèrent, à titre d’autres mesures que la gratuité, des mesures individuelles, de fortes réductions ou des formes de financement hybrides sans détailler ces dernières.
Les limites chiffrées découlant dudit avis de droit – qui ne trouvent pas de fondement légal ou constitutionnel – découlent d’un constat de ses auteurs, fondé sur les statistiques de catégories de la population, au niveau suisse et en fonction de l’âge, à fin 2020. Le choix de cette date n’est pas expliqué. De plus, le point de départ de ce constat est la part d’enfants de moins de six ans. À ce sujet, les auteurs relèvent que cette catégorie était déjà exemptée de frais de transports publics et que cet avantage n’a pas été contesté lors des travaux préparatoires de l’art. 81a al. 2 Cst. Cette part (6,069% de la population totale suisse) est mise en perspective avec celles de la catégorie des jeunes de moins de 25 ans (incluant aussi les enfants de moins de six ans ; 25,426% de la population suisse) et de la catégorie des personnes AVS (19,137% de la population totale suisse). Or, on ne voit pas en quoi ces pourcentages sont en soi susceptibles d’être déterminants dans la recherche d’équilibre entre les deux objectifs susmentionnés sous-tendant l’art. 81a Cst., et ce en l’absence de prise en compte des circonstances locales et des besoins, actuels et prévisibles, en transports publics. Une telle approche chiffrée, uniquement basée sur des statistiques, apparaît lacunaire et peu adaptée à l’équilibre recherché par ladite norme constitutionnelle, en ce sens qu’une justification matérielle fondée sur la situation concrète fait défaut. En outre, ces auteurs n’expliquent pas pourquoi ils ont choisi le critère de proportion de la population, alors que d’une part l’art. 81a al. 2 Cst. utilise la notion de « part des coûts », et que d’autre part – notamment dans un canton à la fois frontalier et touristique comme Genève – la population résidente n’est pas la seule à utiliser les transports publics.
Enfin, on ne voit pas non plus sur quelle base juridique les auteurs dudit avis de droit exigent l’existence d’une autre norme constitutionnelle devant primer l’obligation de l’art. 81a al. 2 Cst. compte tenu de la conception susévoquée de cette norme et de l’interprétation « harmonisante » impliquant la concordance de toutes les normes constitutionnelles, rappelée dans l’arrêt précité du Tribunal fédéral.
10.3 Au vu de l’ensemble des éléments précités, la chambre de céans considère que la comptabilité du choix du législateur cantonal à l’art. 81a al. 2 Cst. doit davantage être fondée sur une analyse substantielle de la situation concrète de la mobilité tendant à atteindre l’équilibre visé par les deux objectifs susmentionnés de cette disposition, et non pas se limiter à une approche chiffrée sans corrélation avec la situation locale.
10.3.1 Une approche purement chiffrée devrait, dans le canton de Genève, partir du constat que la part actuellement financée par l’ensemble des usagers des TPG s’élève à 29.2%, selon les chiffres disponibles les plus récents, soit ceux de 2023 fournis par le département compétent. Cette part représente, selon ces chiffres, moins d’un tiers des revenus totaux des TPG et un peu plus de la moitié de la prise en charge cantonale qui est de 52.3%. Or, ledit département a estimé le coût de la mesure litigieuse à près de CHF 32'000'000.-. Si on déduisait cette somme des revenus tirés de la vente de titres de transport en 2023 (soit CHF 152'789’098.-), la part financée par tous les usagers serait de 23,1%, soit une différence (à la baisse) de 6%. Cette différence découlant de la mise en œuvre de la mesure litigieuse apparaît ainsi, du point de vue chiffré, relativement limitée par rapport à l’obligation découlant de l’art. 81a al. 2 Cst. imposant une « part appropriée » du coût des transports publics aux utilisateurs. Par ailleurs, la perte de CHF 50'000'000.- alléguée par les recourants n’est pas étayée, ce qui la rend moins vraisemblable que celle estimée par le département.
La part globale précitée de 29.2% se décompose en trois éléments, à savoir les abonnements (mensuels et annuels), les titres occasionnels (billets et cartes journalières) et les autres titres. Vu les chiffres fournis par le département, les abonnements représentent près de 60% de la part globalement financée par les usagers (29.2%), soit environ 17.5% des revenus totaux des TPG (60% x 29.2%). Plus précisément, les abonnements dits « adultes » (personnes dès 16 ans révolus) représentent 65.7% des ventes, tandis que la part restante se répartit entre les « juniors » (moins de 16 ans) à hauteur de 22.7% et les bénéficiaires AVS/AI à concurrence de 11.6%. Comme la mesure litigieuse ne concerne que les abonnements, mensuels et annuels, des jeunes (22.7% pour les jeunes de moins 16 ans) et des bénéficiaires AVS/AI (11.6%), elle a un impact a priori estimable représentant 6% des revenus totaux des TPG (34.3% [=22.7%+11.6%] x 17.5% [60% x 29.2%]) sous réserve des précisions évoquées ci-après.
Certes, comme le relève le département, certaines données manquent. Celles disponibles ne permettent pas de déterminer une répartition plus fine liés aux abonnements de différentes tranches d’âge (0-24 ans, 25-63/64 ans et dès 64/65 ans), ni d’estimer les pertes des recettes sur les titres occasionnels, les jeunes de 16 à 24 ans payant le plein tarif sans que les ventes concernant ces derniers ne puissent être distinguées de celles effectuées par des adultes. Toutefois, la prise en charge litigieuse du prix des abonnements des personnes AVS/AI – intégré dans les estimations précitées – est limitée à la moitié et celle des jeunes entre 18 et 24 ans soumise à des conditions de revenu ou de formation. L’estimation du coût prévisionnel fondé sur les données disponibles les plus récentes aboutit, a priori et de manière vraisemblable, à un impact de 6% des revenus totaux des TPG. Cette part correspond à la diminution de la part financée par les usagers des TPG induite par la mesure litigieuse. Compte tenu de cette valeur, même si elle est approximative, il est difficile de conclure que la mesure litigieuse viole l’obligation incombant aux usagers de financer une part « appropriée » du coût des transports publics au sens de l’art. 81a al. 2 Cst., et ce quelle que soit la proportion statistique de ces deux catégories de la population.
10.3.2 Au-delà de l’analyse chiffrée précitée, l’élément essentiel de l’art. 81a Cst. est la recherche de l’équilibre favorisant l’utilisation des transports publics sans toutefois « étouffer » leur fonctionnement par une demande trop importante par rapport à l’offre concrète. En l’occurrence, le législateur genevois a fondé son choix principalement sur deux éléments. D’une part, la part de la population genevoise détenant un abonnement TPG avait diminué ces dix dernières années, leur part étant passée d’un tiers à un quart actuellement. D’autre part, il existait une « importante » marge de progression auprès des jeunes et des « seniors », qui étaient les catégories de la population genevoise identifiées comme « peinant le plus à opter » pour les transports publics. Cette volonté politique correspond à un des objectifs poursuivis par l’art. 81a Cst., qui consiste à encourager l’usage des transports publics par rapport à la voiture, les routes genevoises étant notoirement saturées en particulier aux heures de pointe. Cet objectif est complété, en raison de la prise en charge financière prévue dans la norme litigieuse, par des buts relevant de la dimension sociale et écologique de l’art. 81a Cst., puisque le législateur cantonal cherche à la fois à favoriser la mobilité et le maintien du lien social des bénéficiaires AVS/AI et à encourager les jeunes à se déplacer en transports publics.
Sur la base de cette analyse de fond, le législateur cantonal a retenu une solution nuancée et différenciée selon qu’elle concerne les bénéficiaires AVS/AI ou les jeunes de 6 à 24 ans révolus. Ce régime différencié est un élément essentiel dans l’examen de la comptabilité de la norme cantonale querellée à l’art. 81a al. 2 Cst. En effet, aucun des deux cas ne vise une solution de pure gratuité de ces deux catégories d’usagers.
10.3.3 Pour la catégorie des personnes AVS/AI, la prise en charge prévue par la norme litigieuse est limitée à la moitié des abonnements. Il s’agit ainsi d’une réduction du prix, et non d’une exemption complète de celui-ci. De plus, et bien que la situation des certaines personnes retraitées puisse être confortable comme le soulignent les recourants, les revenus de la plupart des personnes AVS/AI sont moins importants, voire limités. Le régime prévu par la norme litigieuse à l’égard de ce groupe de la population est donc compatible avec l’art. 81a al. 2 Cst., dans la mesure où les bénéficiaires AVS/AI sont incités à utiliser les transports publics en s’acquittant de la moitié du prix des abonnements. Compte tenu de leurs revenus généralement limités, une telle contribution de cette catégorie de la population au financement des TPG apparaît équilibrée et peut être qualifiée de part « appropriée » au sens de l’art. 81a al. 2 Cst. Sur ce point, le recours devrait être rejeté, et ce indépendamment du pourcentage que cette part de la population genevoise représente au niveau du canton, voire à l’échelle nationale.
10.3.4 Le régime prévu par la mesure litigieuse pour les jeunes est conçu de manière différente que pour les personnes AVS/AI. En effet, il s’agit d’une prise en charge intégrale du prix des abonnements, mais soumise à des conditions. Il ne s’agit ainsi pas d’une solution de pure gratuité, même si elle s’en approche pour les jeunes de 6 à 17 ans révolus dans la mesure où la formation est obligatoire jusqu’à 18 ans dans le canton de Genève (art. 1 al. 1 de la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 - LIP - C 1 10). En revanche, pour les jeunes âgés de 18 à 24 ans révolus qui ne sont pas en formation, la prise en charge intégrale de leurs abonnements dépend de leur revenu déterminant unifié annuel, qui doit être égal ou inférieur à CHF 50'000.- (art. 3 al. 2 RRUnireso). Pour cette catégorie de jeunes, la part conditionnelle de leur participation aux coûts des transports publics peut être considérée comme « appropriée », dans la mesure où ils y sont tenus en cas de revenus supérieurs à CHF 50'000.- par an. Cette différenciation fondée sur un élément objectif d’ordre financier est un choix politique soutenable au regard des exigences fédérales susmentionnées relatives à l’art. 81a al. 2 Cst., sans qu’il soit nécessaire de fonder ce régime particulier dans une norme constitutionnelle primant l’art. 81a al. 2 Cst. comme le suggère l’avis de droit mandaté par l’OFT.
Quant aux jeunes de 6 à 17 ans ou de 6 à 24 ans en formation, la prise en charge intégrale de leurs abonnements TPG répond à la volonté du législateur cantonal d’aider les familles, plus particulièrement les personnes actives situées en grande partie dans la tranche d’âge des 25 à 64/65 ans et assumant les frais des jeunes du canton. Il s’agit, d’une part, d’un choix politique fondé sur un critère objectif lié à l’âge et à l’existence d’une formation. D’autre part, la Cst. encourage le soutien aux familles. En effet, l’art. 116 al. 1 Cst. dispose que, dans l’accomplissement de ses tâches, la Confédération prend en considération les besoins de la famille. Elle peut soutenir les mesures destinées à protéger la famille. Au niveau cantonal, l’art. 205 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst‑GE ‑ A 2 00) prévoit que l’État met en œuvre une politique familiale et il reconnaît le rôle social, éducatif et économique des familles. En outre, selon l’art. 41 Cst. concernant les buts sociaux, la Confédération et les cantons s’engagent, en complément de la responsabilité individuelle et de l’initiative privée, à ce que les familles en tant que communautés d’adultes et d’enfants soient protégées et encouragées (al. 1 let. c).
À ce sujet, certes l’art. 41 Cst. concerne une obligation de « moyens » et non de résultat, s’adressant aux collectivités publiques et devant être concrétisée par le législateur (Gregor T. CHATTON in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.], Commentaire romand - Constitution fédérale, 2021, n. 8 ss et 29 ad art. 41 Cst.). Toutefois, cette disposition doit être lue à la lumière de l’art. 10 § 1 in initio du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, du 16 décembre 1966 (RS 0.103.1 - Pacte ONU I), aux termes duquel « une protection et une assistance aussi larges que possible doivent être accordées à la famille, qui est l’élément naturel et fondamental de la société, en particulier pour sa formation et aussi longtemps qu’elle a la responsabilité de l’entretien et de l’éducation d’enfants à charge » (Gregor T. CHATTON, op. cit., n. 41). La famille continue à jouer un rôle essentiel pour la société et le fonctionnement de l’État démocratique ; elle constitue la cellule classique en matière de soins, d’encadrement, d’éducation et de formation de la future génération (ibid., n. 42). Parmi les mesures de protection et d’encouragement des familles préconisées par cet auteur, figurent des formes de subsides de l’État autres que le droit à des allocations familiales ou l’assurance-maternité, des mesures fiscales visant notamment à concilier la vie familiale avec le monde du travail, le subventionnement de logements familiaux et la promotion de la formation et consultation pour parents (ibid., n. 43). Une contribution étatique aux frais de déplacements des jeunes conditionnée au suivi d’une formation pourrait également être considérée comme une mesure d’aide aux familles au sens de l’art. 41 al. 1 let. c Cst.
Dans ce contexte et comme cela découle des travaux préparatoires, la norme litigieuse en faveur des jeunes de 6 à 24 ans révolus en formation vise, à la fois, à soulager financièrement les familles et à les inciter à utiliser les transports publics avec leurs jeunes tant en semaine que pour les loisirs. Elle tend ainsi à réaliser, à la fois, l’objectif poursuivi par l’art. 81a Cst. et celui de soutien aux familles au sens de l’art. 41 al. 1 let. c Cst. En effet, la prise en charge intégrale des abonnements des jeunes précités en formation par le canton allège le budget des familles, en particulier des parents situés en grande partie dans la tranche d’âge des 25 à 64/65 ans – qui n’est pas directement visée par la norme litigieuse – mais tenus d’assumer l’entretien des enfants et des jeunes en formation. Ce faisant, ladite prise en charge encourage également l’utilisation des transports publics par cette catégorie de la population genevoise, et ce indépendamment du fait qu’un tel encouragement doive également être soutenu par l’amélioration de la fréquence et de l’offre des TPG. Dans ces conditions, cette mesure prévue par la norme attaquée en faveur des jeunes de 6 à 24 ans en formation est compatible avec l’art. 81a al. 2 Cst., étant rappelé que cette norme laisse une large marge d’appréciation au législateur lors de sa concrétisation au niveau cantonal, qu’elle comporte une dimension sociale visant à favoriser l’usage des transports publics par certaines catégories de la population et qu’elle s’appuie en l’espèce sur l’existence d’une marge de progression auprès des jeunes peinant à recourir aux transports publics selon les travaux préparatoires. Le recours devrait dès lors être également rejeté sur ce point.
11. Les recourants estiment que la mesure litigieuse fondée sur l’âge est contraire à l’art. 8 al. 1 Cst., faute de raison objective de favoriser les deux catégories de la population que sont les jeunes et les « seniors ».
11.1 Selon l’art. 8 Cst., tous les êtres humains sont égaux devant la loi (al. 1). Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique (al. 2).
Un arrêté de portée générale viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l'art. 8 al. 1 Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 142 I 195 consid. 6.1). La question de savoir s'il existe un motif raisonnable pour une distinction peut recevoir des réponses différentes suivant les époques et les idées dominantes. Le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de ces principes (ATF 137 I 167 consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_188/2018 du 13 février 2019 consid. 5.1).
Une discrimination au sens de l'art. 8 al. 2 Cst. est réalisée lorsqu'une personne est juridiquement traitée de manière différente, uniquement en raison de son appartenance à un groupe déterminé historiquement ou dans la réalité sociale contemporaine, mise à l'écart ou considérée comme de moindre valeur. La discrimination constitue une forme qualifiée d'inégalité de traitement de personnes dans des situations comparables, dans la mesure où elle produit sur un être humain un effet dommageable, qui doit être considéré comme un avilissement ou une exclusion, car elle se rapporte à un critère de distinction qui concerne une part essentielle de l'identité de la personne intéressée ou à laquelle il lui est difficilement possible de renoncer (ATF 143 I 129 consid. 2.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_198/2023 du 7 février 2024 consid. 7.1).
11.2 En l’espèce, la disposition cantonale litigieuse établit certes une différence de régime fondée sur l’âge entre trois catégories de la population genevoise, à savoir les jeunes de 6 à 24 ans révolus, les personnes ayant atteint l’âge de la retraite et celles situés entre ces deux tranches d’âge (25 à 64/65 ans). Les recourants entrent dans cette dernière catégorie en raison de leur âge. Cela étant, les motifs à l’origine dudit régime différencié en matière de prix des abonnements TPG reposent sur une analyse matérielle développée ci-dessus visant à favoriser l’usage des transports publics par les jeunes et les bénéficiaires AVS/AI, dans le respect de l’obligation fédérale de financer une part appropriée du coût des transports publics par les utilisateurs (art. 81a al. 2 Cst). Par ailleurs, cette différenciation dans l’aménagement desdits prix TPG n’aboutit pas à un avilissement ou à une exclusion sociale des recourants, ni à les atteindre dans un trait de leur identité qui serait in casu l’âge. Dès lors, ce grief devrait aussi être écarté.
En tous points mal fondé, le recours serait donc rejeté s’il était déclaré recevable.
12. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.-, qui comprend la décision sur effet suspensif, sera mis à la charge solidaire des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera accordée (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE
déclare irrecevable, subsidiairement rejette le recours interjeté le 20 septembre 2024 par A______ et B______ contre l’art. 36 al. 5 de la loi sur les Transports publics genevois du 21 novembre 1975 (LTPG - H 1 55) ;
met un émolument de CHF 1'500.- à la charge solidaire d’A______ et B______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal-fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Alessandro DE LUCIA, avocat des recourants, au Grand Conseil, au Conseil d’État, ainsi qu'à l'office fédéral des transports.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, Philippe KNUPFER, Michèle PERNET, juges
Au nom de la chambre constitutionnelle :
la greffière-juriste :
M. RODRIGUEZ ELLWANGER
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| le président siégeant :
J.-M. VERNIORY
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Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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