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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/3435/2023

ACST/38/2023 du 14.11.2023 ( DIV ) , REFUSE

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3435/2023-DIV ACST/38/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 14 novembre 2023

sur effet suspensif

dans la cause

 

A______

B______

C______
représentés par Me Romain CURTET, avocat recourants

contre

DÉPARTEMENT DE LA SANTÉ ET DES MOBILITÉS intimé




Attendu, en fait, que :

1) C______ (ci-après : C______) est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), qui a son siège à Genève. Elle a pour but de défendre les intérêts de la profession de préparateur en pharmacie, de favoriser et d'encourager le perfectionnement scientifique de ses membres par la formation continue, ainsi que d'établir et de maintenir des contacts notamment avec les associations professionnelles des pharmacies du canton.

2) A______ et B______ sont préparatrices en pharmacie et exercent dans le canton de Genève.

3) Le 22 août 2022, C______ a adressé un courrier au conseiller d'État en charge de la santé. Plusieurs de ses membres avaient rapporté que lors de ses visites, le service de la pharmacienne cantonale (ci-après : SPhC) recommençait à mettre en cause le remplacement du pharmacien par un préparateur en pharmacie.

4) Le 13 septembre 2022, le conseiller d'État alors en charge a répondu à C______. Le canton de Genève avait trouvé un compromis à la suite d'une modification de la loi fédérale sur les professions médicales, compromis qui permettait par exemple à un préparateur de remplacer le pharmacien responsable notamment en cas de maladie grave et après validation par l'autorité, ou lors de courtes périodes durant la journée.

Or le constat du SPhC était que le remplacement du pharmacien n'était nullement exceptionnel, mais au contraire systématique, palliait des absences programmées telles que des vacances et que le préparateur remplaçait le pharmacien le samedi, ce qui ne permettait pas le contrôle des ordonnances dans les 24 heures. Les démarches du SPhC ne visaient dès lors pas spécifiquement les préparateurs en pharmacie, mais le respect de la législation applicable par les pharmaciens responsables.

5) Par courrier du 31 janvier 2023, C______ a demandé au conseiller d'État de lui confirmer que le Conseil d'État n'entendait pas abroger les art. 85 al. 4 du règlement sur les professions de la santé du 22 août 2006 (RPS - K 3 02.01) et 62 al. 3 du règlement sur les institutions de santé du 9 septembre 2020 (RISanté – K 2 05.06) jusqu'à ce que tous les préparateurs en pharmacie aient atteint l'âge de la retraite.

6) Une réunion à ce sujet s'est tenue le 17 février 2023, réunissant notamment le directeur général de la santé, la pharmacienne cantonale ainsi que de représentants de C______ et de leur conseil.

7) Les 1er, 8 et 29 mars 2023, C______ s'est de nouveau adressée au conseiller d'État. Elle avait appris lors de la réunion susmentionnée que le Conseil d'État avait l'intention de mettre un terme au statut des préparateurs en pharmacie, dans le but de rendre le droit cantonal conforme au droit fédéral des professions de la santé.

Elle considérait que le canton de Genève pouvait continuer à faire usage de la marge de manœuvre que lui octroyait le droit fédéral, et priait le Conseil d'État de préserver les droits des personnes exerçant la profession de préparateur en pharmacie en renonçant à abolir leur statut.

8) Par courrier du 16 mai 2023, le conseiller d'État a formulé plusieurs exigences en lien avec le remplacement des pharmaciens responsables par les préparateurs en pharmacie.

9) C______ a répondu le 26 mai 2023. Elle acceptait certaines des exigences posées, mais non toutes.

10) Le 7 juillet 2023, le nouveau conseiller d'État en charge de la santé a déclaré vouloir prendre connaissance de l'intégralité du dossier avant de se déterminer.

11) Le 21 septembre 2023, après un nouvel échange de correspondances, le conseiller d'État a répondu à C______.

Le respect de toutes les conditions mentionnées dans le courrier du 16 mai 2023 ne remettait pas en cause le statut des préparateurs en pharmacie comme professionnels de la santé.

Bien que le droit fédéral ne réglât pas la finalité poursuivie par le droit de remplacement des préparateurs en pharmacie, au niveau cantonal le principe général selon lequel « le semblable remplace le semblable » ressortait de l'art. 90 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03). Ainsi, toute absence planifiée ou qui pouvait être anticipée devait faire l'objet d'un remplacement par une personne de la même profession, soit en l'occurrence un pharmacien diplômé, ce qui permettait la délivrance des médicaments soumis à ordonnance.

Dans ce sens, l'art. 62 al. 3 RISanté, même lu conjointement avec l'art. 84 al. 5 RPS, devait être compris comme une exception subsidiaire à un remplacement possible par une personne de la même profession, et permettait uniquement des remplacements brefs dans des cas imprévus et urgents.

Selon l'art. 58g let. a de l'ordonnance sur l'assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal - RS 832.102), les fournisseurs de prestations devaient remplir les exigences de qualité et disposer du personnel qualifié nécessaire. Il était de ce fait impératif que chaque officine engageât le nombre adéquat de pharmaciens permettant une organisation des présences durant les horaires d'ouverture de l'établissement. Le remplacement systématique et programmé d'un professionnel au bénéfice d'un titre universitaire et postgrade par un autre ayant une formation moins approfondie, même provisoirement, impliquerait que des exigences accrues de formation soient superflues. En l'espèce, une formation de 200 points par an se justifiait.

Le droit de remplacement, sans être supprimé, devait être cadré afin de correspondre aux exigences légales et à l'évolution des connaissances dans le domaine pharmaceutique. La dérogation n'avait pas été pensée pour permettre des remplacements réguliers et planifiés. Ces éléments avaient été dûment rappelés lors de la séance du 17 février 2023. Il maintenait la volonté du département d'encadrer strictement ces pratiques.

La pharmacienne cantonale allait transmettre les informations susmentionnées à toutes les pharmacies du canton par le biais d'une directive accordant une période de transition jusqu'au 1er janvier 2024 pour faciliter cette mise en application.

12) Par acte déposé le 20 octobre 2023, C______, A______ et B______ ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre le courrier précité, concluant préalablement à l'audition de diverses personnes et à l'octroi de l'effet suspensif au recours, et principalement au constat de « la nullité des normes contenues dans le courrier » attaqué ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Le recours était recevable car le courrier attaqué contenait des normes, la règle qui y était posée ne figurant pas dans la réglementation actuelle.

L'entrée en vigueur de ces normes causerait aux préparateurs en pharmacie genevois un préjudice considérable, car les exigences posées en matière de remplacement des pharmaciens responsables auraient pour effet très probable d'entraîner le licenciement des préparateurs encore actifs à Genève, ou à une baisse de leur salaire. Ces conséquences interviendraient dès le 1er janvier 2024, fin de la période transitoire indiquée dans le courrier attaqué. Les chances de succès du recours étaient élevées, dès lors que l'autorité avait modifié les conditions matérielles du droit de remplacement en faisant l'économie d'une réforme réglementaire en bonne et due forme. L'effet suspensif devait ainsi être octroyé.

13) Le 3 novembre 2023, l'intimé a conclu au rejet de la demande d'octroi de l'effet suspensif, et au fond à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

Le recours posait de nombreuses questions au stade de sa recevabilité déjà, si bien que ses chances de succès n'apparaissaient pas manifestes. Le département s'engageait néanmoins à ce que le courrier litigieux ne soit pas concrétisé tant que la procédure devant la chambre constitutionnelle ne serait pas close.

14) Sur ce, la cause a été gardé à juger sur la question de l'effet suspensif.

 

Considérant, en droit, que :

1) L’examen de la recevabilité du recours est reporté à l’arrêt final, étant toutefois précisé qu’elle n’apparaît pas manifeste s’agissant d’un recours dirigé contre un courrier d'un conseiller d'État, soit un acte non visé par l’art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ ‑ E 2 05).

2) Les mesures provisionnelles, y compris celles sur effet suspensif, sont prises par le président ou le vice-président ou, en cas d’urgence, par un autre juge de la chambre constitutionnelle (art. 21 al. 2 et 76 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3) a. Selon l’art. 66 LPA, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, le recours n’a pas d’effet suspensif (al. 2) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, restituer l’effet suspensif (al. 3). D’après l’exposé des motifs du projet de loi portant sur la mise en œuvre de la chambre constitutionnelle, en matière de recours abstrait, l’absence d’effet suspensif automatique se justifie afin d’éviter que le dépôt d’un recours bloque le processus législatif ou réglementaire, la chambre constitutionnelle conservant toute latitude pour restituer, totalement ou partiellement, l’effet suspensif lorsque les conditions légales de cette restitution sont données (PL 11'311, p. 15).

b. Lorsque l’effet suspensif a été retiré ou n’est pas prévu par la loi, l’autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation, qui varie selon la nature de l’affaire. La restitution de l’effet suspensif est subordonnée à l’existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_246/2020 du 18 mai 2020 consid. 5.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.1), l’autorité de recours n’est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 145 I 73 consid. 7.2.3.2 ; 117 V 185 consid. 2b).

L’octroi de mesures provisionnelles – au nombre desquelles figure l’effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ACST/2/2023 du 26 janvier 2023 consid. 3b).

En matière de contrôle abstrait des normes, l’octroi de l’effet suspensif suppose en outre généralement que les chances de succès du recours apparaissent manifestes (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 835 ss ; Claude-Emmanuel DUBEY, La procédure de recours devant le Tribunal fédéral, in François BELLANGER/Thierry TANQUEREL [éd.], Le contentieux administratif, 2013, 137-178, p. 167).

4) En l’espèce, d’après un premier examen du recours, ses chances de succès n’apparaissent pas prima facie à ce point manifestes qu’il se justifierait de déroger au principe voulu par le législateur d’absence d’effet suspensif dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes.

En effet, comme déjà mentionné, le présent recours présente à première vue de sérieux problèmes de recevabilité, l'acte attaqué n'étant ni une loi constitutionnelle, ni une loi au sens formel, ni un règlement ou un arrêté normatif du Conseil d'État, mais un courrier du chef du département chargé de la santé.

Toujours à première vue, l’on ne saurait en outre considérer que l’urgence commanderait de faire droit à la requête des recourants. En effet, même à considérer que le courrier attaqué contienne des normes attaquables par-devant la chambre de céans, le département intimé s'est engagé dans sa réponse sur effet suspensif à ce que le courrier litigieux ne soit pas concrétisé tant que la présente procédure ne serait pas close.

Il résulte de ce qui précède que la demande d’octroi de l’effet suspensif au recours sera rejetée.

5) Il sera statué sur les frais de la présente décision avec l’arrêt à rendre.

 

PAR CES MOTIFS

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

refuse d’octroyer l’effet suspensif au recours ;

dit qu’il sera statué sur les frais de la présente procédure dans l’arrêt à rendre ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Romain CURTET, avocat des recourants, ainsi qu'au département de la santé et des mobilités.


Le président :

 

Jean-Marc VERNIORY

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :