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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/347/2023

ACST/6/2023 du 27.02.2023 ( ABST ) , REFUSE

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/347/2023-ABST ACST/6/2023

 

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 27 février 2023

sur effet suspensif

dans la cause

A______
et
B______ SA
et
C______ SA
et
D______ SA
et
E______
représentées par Mes Isabelle Romy et Sophie Ribaut, avocates

contre

GRAND CONSEIL


Attendu, en fait, que A______, C______ SA, E______, B______ SA et D______ SA (ci-après : les sociétés) sont actives dans le commerce de détail à Genève, où elles exploitent des points de vente et des magasins alimentaires et, s’agissant des trois premières, également des restaurants et des services de restauration à l’emporter ;

que, lors de la séance du 2 septembre 2022, le Grand Conseil a adopté la loi 12'993 sur les déchets (LDéchets - L 1 21), qui comporte notamment les dispositions suivantes :

« Titre II Tri et élimination des déchets

Chapitre I Obligations des particuliers et des entreprises

Art. 16 Réduction du plastique

1 Dans les points de vente, les sacs plastiques ayant comme finalité de faciliter le transport des marchandises doivent être payants, à l’exception des sacs compostables dont la certification est reconnue par le département.

2 Toute utilisation, mise à disposition ou vente de produits en plastique à usage unique est interdite :

a) par les restaurants, les services de petite restauration à l’emporter, les cantines d’entreprises, les services de livraison de repas, les services de restauration pour les clientes et clients des hôtels et les commerces de détail pour la nourriture prête à consommer ;

b) lors de manifestations publiques.

3 Toute entreprise dont l’activité est soumise à l’alinéa 2 doit permettre, dans la mesure du possible, l’utilisation par ses clientes et clients de leur propre contenant alimentaire réutilisable.

 

Art. 17 Points de collecte dans les commerces

Les commerces de détail doivent accepter de reprendre les emballages des produits qu’ils vendent et qui viennent d’être achetés sur place, en particulier le carton et le plastique.

[ ]

Titre VI Dispositions finales et transitoires

Art. 60 Rapports d’évaluation

1 Le Conseil d’État évalue les impacts de l’article 16, alinéas 1 et 2, deux ans après l’entrée en vigueur de la présente loi, sous forme de rapports au Grand Conseil.

2 Si l’atteinte des objectifs environnementaux n’est pas satisfaisante, le Conseil d’État propose au Grand Conseil l’interdiction de l’utilisation, la mise à disposition ou la vente des sacs plastiques ou des produits en plastique à usage unique.

[ ]

Art. 62 Entrée en vigueur

1 Le Conseil d’Etat fixe la date d’entrée en vigueur de la présente loi.

2 L’article 16, alinéa 2, lettre a, entre en vigueur le 1er janvier 2025. »

que ladite loi a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 9 septembre 2022, le délai référendaire expirant le 19 octobre 2022 ;

qu’à l’expiration dudit délai, le référendum n’a pas été demandé ;

que, par arrêté du 21 décembre 2022, publié dans la FAO du 23 décembre 2022, le Conseil d’État a promulgué la loi 12'993 pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de ladite publication, l’entrée en vigueur de la loi devant être fixée ultérieurement par le Conseil d’État, à l’exception de l’art. 16 al. 2 let. a, dont l’entrée en vigueur a été arrêtée au 1er janvier 2025 ;

que, par acte du 31 janvier 2023, les sociétés ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la LDéchets, concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours et principalement à l’annulation de l’art. 16 al. 1, al. 2 let. a et al. 3, de l’art. 17, de l’art. 60 et de l’art. 62 al. 2 de ladite loi ;

que les recourantes allèguent être gravement menacées dans leurs intérêts financiers par l’entrée en vigueur des art. 16 et 17 LDéchets, au vu du remplacement de nombreux articles de leur assortiment et des dispositions à prendre en matière de logistique. Même si l’art. 16 al. 2 LDéchets ne devait entrer en vigueur qu’au 1er janvier 2025, elles devaient en outre immédiatement analyser la situation et chercher des produits de substitution, le cas échéant mettre en place des solutions afin de maintenir leur attractivité sur le marché face à la concurrence. L’intérêt à la protection de l’environnement ne justifiait pas l’application immédiate des dispositions en cause, puisque rien ne démontrait que les obligations et mesures prévues par la loi permettraient d’atteindre un meilleur bilan écologique par rapport à la situation actuelle ;

que, sur le fond, les recourantes font grief aux art. 16 al. 1 et 2 let. a et 17 LDéchets de contrevenir au principe de la primauté du droit fédéral, dès lors que, d’une part, le canton ne disposerait d’aucune compétence législative pour réglementer les domaines couverts par ces dispositions et, d’autre part, ces dernières seraient contraires au droit supérieur, soit à la loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 (LPE - RS 814.01), à l’ordonnance sur la limitation et l’élimination des déchets du 4 décembre 2015 (OLED - RS 814.600) et à la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02), et porteraient également une atteinte grave à la liberté économique ;

que, le 15 février 2023, le Grand Conseil a conclu au rejet de la demande d’effet suspensif au motif que les recourantes faisaient uniquement valoir un intérêt financier, qui pouvait être facilement réparé, et que l’entrée en vigueur de la loi contestée n’avait, en l’état, pas été fixée, dans l’attente de son approbation par l’autorité fédérale ; les chances de succès du recours n’étaient en outre pas manifestes ;

que, dans leur réplique du 21 février 2023, les sociétés ont persisté dans leur précédents arguments, précisant que la LDéchets était bien entrée en vigueur, puisqu’elle avait été promulguée – et était donc exécutoire – et que le Conseil d’État n’avait publié aucun arrêté fixant une autre date ;

que la cause a été gardée à juger sur effet suspensif, ce dont les parties ont été informées.

 

Considérant, en droit, que les mesures provisionnelles, y compris celles sur effet suspensif, sont prises par le président ou le vice-président ou, en cas d’urgence, par un autre juge de la chambre constitutionnelle (art. 21 al. 2 et 76 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) ;

que, selon l’art. 66 LPA, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, le recours n’a pas d’effet suspensif (al. 2) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, restituer l’effet suspensif (al. 3) ; d’après l’exposé des motifs du projet de loi portant sur la mise en œuvre de la chambre constitutionnelle, en matière de recours abstrait, l’absence d’effet suspensif automatique se justifie afin d’éviter que le dépôt d’un recours bloque le processus législatif ou réglementaire, la chambre constitutionnelle conservant toute latitude pour restituer, totalement ou partiellement, l’effet suspensif lorsque les conditions légales de cette restitution sont données (PL 11'311, p. 15) ;

que, lorsque l’effet suspensif a été retiré ou n’est pas prévu par la loi, l’autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution ; elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation, qui varie selon la nature de l’affaire ; la restitution de l’effet suspensif est subordonnée à l’existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_246/2020 du 18 mai 2020 consid. 5.1) ; pour effectuer la pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.1), l’autorité de recours n’est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 145 I 73 consid. 7.2.3.2 ; 117 V 185 consid. 2b) ;

que l’octroi de mesures provisionnelles – au nombre desquelles figure l’effet suspensif – présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405) ; elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3) ;

qu’en matière de contrôle abstrait des normes, l’octroi de l’effet suspensif suppose en outre généralement que les chances de succès du recours apparaissent manifestes (ACST/2/2023 du 26 janvier 2023 consid. 3b et les références citée) ;

qu’en l’espèce, le recours est dirigé contre l’art. 16 al. 1, al. 2 let. a et al. 3, l’art. 17, l’art. 60 et l’art. 62 al. 2 LDéchets, à savoir plusieurs dispositions d’une loi du Grand Conseil, acte visé à l’art. 57 let. d LPA à l’encontre duquel le recours n’a pas d’effet suspensif ;

que, bien que promulguée, la LDéchets n’est pas encore entrée en vigueur ;

qu’en effet, les notions de promulgation et d’entrée en vigueur des lois ne se confondent pas, puisque la promulgation constate l’adoption de la loi selon le processus normatif prévu par l’ordre juridique mais que la loi peut entrer en vigueur avec un effet à un jour qui ne coïncide pas avec celui de sa promulgation, le plus souvent à un moment postérieur à cette dernière, en particulier lorsque, comme en l’espèce, le Conseil d’État est chargé d’en fixer la date d’entrée en vigueur (art. 14A de la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels du 8 décembre 1956 - LFPP - B 2 05 ; ACST/15/2019 du 25 mars 2019 consid. 12b et les références citées), ce qu’il n’a en l’occurrence pas encore fait ;

qu’en outre, selon l’art. 37 LPE, la Confédération doit préalablement procéder à l’approbation de la LDéchets ;

qu’ainsi, en l’état, hormis pour l’art. 16 al. 2 let a LDéchets, la date d’entrée en vigueur de la loi n’a pas même encore été fixée ;

que la question de l’objet de la demande d’effet suspensif peut donc se poser ;

qu’en tout état de cause et en l’état, la LDéchets ne crée, pour les recourantes, aucune menace de dommage difficilement réparable ;

qu’au surplus, d’après un premier examen, les chances de succès du recours n’apparaissent à ce stade pas prima facie à ce point manifestes qu’il se justifierait de déroger au principe voulu par le législateur d’absence d’effet suspensif dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes ;

qu’il en résulte que la demande d’octroi de l’effet suspensif au recours doit être rejetée ;

que les parties seront néanmoins invitées à transmettre à la chambre de céans toute information quant à l’adoption d’un arrêté par le Conseil d'État fixant l’entrée en vigueur de la LDéchets ;

que, tout comme la recevabilité du recours, le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé sur fond.

 

PAR CES MOTIFS

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

refuse d’octroyer l’effet suspensif au recours ;

dit qu’il sera statué sur les frais de la présente procédure dans l’arrêt au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Mes Isabelle Romy et Sophie Ribaut, avocates des recourantes, au Grand Conseil, ainsi que, pour information, au Conseil d’État.


Le président :

 

Jean-Marc Verniory

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :