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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/2804/2021

ACST/34/2021 du 21.09.2021 ( ABST ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2804/2021-ABST ACST/34/2021

 

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 21 septembre 2021

Sur effet suspensif

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Guillaume Barazzone, avocat

contre

CONSEIL D’ÉTAT

 


 


Attendu, en fait, que :

1) A______ SA (ci-après : A______) est une société anonyme de droit suisse inscrite au registre du commerce du canton de Genève qui a son siège à B______ et pour but statutaire notamment l’exploitation et la gestion de centres de tri de déchets et la valorisation ou le recyclage de tout type de déchets.

2) En 1993, le canton de Genève a mis en fonction l’usine d’incinération des Cheneviers, qui a remplacé celle précédemment construite en 1966, destinée au traitement des déchets urbains, agricoles, industriels et spéciaux et permettant la valorisation thermique de quelque 400'000 tonnes de déchets par an.

3) Depuis 2001, les services industriels de Genève (ci-après : SIG), établissement de droit public cantonal, exploitent l’usine des Cheneviers, dont ils sont propriétaires.

4) Dans le cadre de la planification des déchets, le Conseil d’État a adopté le plan cantonal de gestion des déchets (ci-après : PGD) 2003-2007. Aux termes de celui-ci, la zone d’apport de l’usine des Cheneviers, définie d’entente avec le canton de Vaud, correspondait au territoire cantonal et aux communes vaudoises limitrophes et concernait l’ensemble des déchets incinérables, à savoir les déchets urbains incinérables, les balayures, les déchets de dégrillages, les plastiques d’entreprises, le bois usagé à problème, les boues d’épuration, les déchets de chantier incinérables et les déchets agricoles incinérables. Le PGD 2009-2012 contenait les mêmes indications.

5) En décembre 2003, A______ a déposé auprès du département de l’intérieur, de l’agriculture, de l’environnement et de l’énergie, devenu depuis lors le département du territoire (ci-après : le département), une requête en autorisation d’exploiter une installation d’élimination des déchets à C______, dans laquelle elle indiquait que les déchets incinérables étaient acheminés à l’usine des Cheneviers. Le rapport d’impact sur l’environnement y annexé contenait la même mention.

6) Par décision du 14 juin 2004, le département a notamment autorisé A______ à exploiter à C______ une installation de tri de déchets encombrants issus de collectes communales, de déchets ordinaires des entreprises artisanales et industrielles et de déchets de chantier ainsi qu’une installation de tri et de broyage de bois usagé et de déchets encombrants, se référant en particulier au rapport d’impact sur l’environnement qui faisait partie intégrante de l’autorisation accordée.

7) À la suite d’une réduction importante de la production de déchets due à la généralisation du tri et du recyclage, l’usine des Cheneviers s’est révélée surdimensionnée et en partie obsolète, si bien que le canton a validé, en 2013, un projet de construction d’une nouvelle usine d’incinération dite « Cheneviers IV », sur le site de l’ancienne, d’une capacité d’incinération de 160'000 tonnes de déchets par an, dont la mise en service aurait lieu dès 2023.

8) Le 25 mars 2015, le Conseil d’État a adopté le PGD 2014-2017, qui rappelait qu’en principe les déchets genevois étaient éliminés à Genève. Des exceptions étaient néanmoins possibles s’agissant de matériaux recyclables rejoignant des marchés suisse ou européens, de déchets produits en petites quantités ou pour lesquels une installation genevoise n’était pas rentable, de déchets devant être mis en décharge en grande quantité et pour lesquels les volumes de décharge étaient insuffisants à Genève ainsi que de capacités de traitement provisoirement insuffisantes sur le canton. À l’avenir, les capacités de traitement seraient dans toute la mesure du possible développées à Genève, de manière à répondre à une élimination locale des déchets. Actuellement, dans le canton, des zones d’apport étaient prévues pour les déchets urbains incinérables et les déchets urbains organiques produits par les ménages, les commerces, les industries, les administrations et les entreprises. Pour les autres déchets, il n’existait pas de zone d’apport. Le canton se réservait néanmoins, si nécessaire, le droit d’en définir, en application de l’art. 31c al. 2 de la loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 (LPE – RS 814.01). La zone d’apport de l’usine des Cheneviers, définie d’entente avec le canton de Vaud, concernait l’ensemble des déchets urbains incinérables, à savoir les déchets urbains incinérables provenant des ménages, des commerces, des industries, des administrations et des entreprises, les balayures de routes, les déchets de dégrillages, les plastiques d’entreprises, le bois à problème, les déchets de chantier incinérables et les déchets agricoles incinérables.

9) Par décision du 31 janvier 2018, le département a autorisé A______ à exploiter une installation de tri des déchets à D______. Ladite autorisation était assortie de plusieurs conditions, dont l’évacuation des déchets de bois usagé et de bois problématiques à l’usine des Cheneviers, tout comme l’acheminement à ladite usine des déchets urbains des entreprises qui ne pouvaient pas être triés.

10) a. Le 23 juin 2021, le Conseil d’État a déposé au Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 12'993 sur les déchets régissant la limitation et l’élimination des déchets, envoyé à la commission de l’environnement et de l’agriculture du Grand Conseil le 2 septembre 2021, qui prévoit notamment ce qui suit :

« Art. 2 Principes

La limitation et l’élimination des déchets s’inscrivent dans la politique de développement durable cantonale et respectent les principes suivants :

a) la production de déchets doit être évitée ou limitée par des mesures actives a la source, notamment au moyen de l’utilisation de produits réutilisables ;

b) les déchets dont la production n’a pas pu être évitée doivent faire l’objet d’une valorisation matière, dans la mesure du possible ;

c) les déchets qui ne peuvent pas faire l’objet d’une valorisation matière doivent être incinérés dans les installations prévues a cet effet en vue d’une valorisation énergétique ;

d) les autres déchets non valorisés doivent être stockés définitivement, après avoir au besoin subi un traitement adéquat.

Afin de limiter au maximum les émissions, la solution la plus respectueuse pour l’environnement doit être privilégiée.

( )

Art. 4 Mesures propres a faciliter l’élimination des déchets

En tant qu’autorité de surveillance de la gestion des déchets et si ces mesures facilitent la limitation et l’élimination de ceux-ci, le Conseil d’État peut notamment :

a) imposer que certains types de déchets collectés fassent l’objet d’un tri dans une installation prévue a cet effet ;

b) faciliter la coordination entre les entreprises d’élimination des déchets ;

c) prévoir un nombre maximum d’autorisations délivrées a une requérante ou un requérant ;

d) prévoir des zones d’apport ;

e) surveiller, cas échéant faire adapter, les tarifs appliqués.

( )

Art. 11 Plan cantonal de gestion des déchets

Le plan cantonal de gestion des déchets est établi conformément a l’article 4 de l’ordonnance fédérale sur la limitation et l’élimination des déchets, du 4 décembre 2015.

Il contient notamment les mesures visant a limiter les déchets, les mesures visant a les valoriser, les besoins en installations d’élimination des déchets, les besoins en volume de stockage définitif, les sites des décharges (plan cantonal de gestion des décharges) et les zones d’apport nécessaires.

Les fractions valorisables sont déterminées par le plan cantonal de gestion des déchets.

Le plan cantonal de gestion des déchets et ses mises a jour régulières sont adoptés par arrêté du Conseil d’État, après consultation de l’Association des communes genevoises.

Il a force obligatoire pour les autorités.

( )

Titre II Tri et élimination des déchets

Chapitre II Installations d’élimination de déchets

Section 1 Généralités

Art. 22 Autorisation d’exploiter

1 Aucune installation d’élimination de déchets ou aucun projet pilote ne peut être construit puis mis en service ou être modifie sans avoir obtenu au préalable une autorisation d’exploiter délivrée par le département.

( )

Art. 26 Concession

1 Lorsqu'une zone d’apport est attribuée a une exploitante ou a un exploitant, une concession doit être délivrée par le Conseil d’État, qui peut déléguer cette compétence au département.

2 La loi fédérale sur le marché intérieur, du 6 octobre 1995, est réservée.

( )

Section 3 Usine d’incinération

Art. 29 Zone d’apport et usine des Cheneviers

Les déchets incinérables qui ne font pas l’objet d’une valorisation matière, produits sur l’ensemble du territoire cantonal, doivent être acheminés a l’usine des Cheneviers, pour traitement thermique.

Cette zone d’apport est attribuée aux Services industriels de Genève.

Le Conseil d’État peut prévoir des exceptions en application du principe figurant a l’article 2, alinéa 2.

4 Les déchets sont acheminés a l’usine des Cheneviers par voie fluviale, par le chemin de fer ou par la route. Les transports sont organisés de la manière la plus respectueuse de l’environnement.

( )

Art. 32 Exploitation

1 L’autorisation d’exploiter est délivrée aux Services industriels de Genève, qui exploitent l’usine des Cheneviers sous leur responsabilité et dans le cadre de leur organisation.

( )

Art. 59 Clause abrogatoire

La loi sur la gestion des déchets, du 20 mai 1999, est abrogée ».

b. Selon l’exposé des motifs y relatif, la politique cantonale de gestion des déchets se fondait sur trois principes fondamentaux définis à l’art. 30 LPE, à savoir la limitation de la production des déchets, leur valorisation en tant que matière et leur élimination sur le territoire de façon respectueuse de l’environnement. En particulier, les déchets incinérables devaient être valorisés thermiquement sur le territoire cantonal afin de participer à la transition énergétique du canton et de limiter les impacts induits par les transports de déchets hors des frontières cantonales (p. 27). Les déchets non valorisables en tant que matière, mais combustibles, devaient ainsi faire l’objet d’une valorisation thermique a l’usine des Cheneviers afin de conserver les calories produites sur le territoire cantonal (p. 33).

L’art. 4 du PL concernait les mesures que le canton pouvait prendre afin de faciliter la limitation et l’élimination de tout type de déchets. S’agissant des autres types de déchets, au sens de l’art. 31c al. 2 LPE, les cantons étaient autorisés, par le droit fédéral, à prévoir des mesures propres à faciliter leur élimination. Ils pouvaient notamment prévoir des zones d’apport, mais également toute autre mesure nécessaire et proportionnelle à assurer la sécurité de leur élimination (p. 38).

Le PGD visé à l’art. 11 du PL était un outil de planification et de mise en œuvre opérationnelle qui appliquait les dispositions de la loi et de son règlement d’application. Il définissait les différentes catégories de déchets ainsi que leurs filières d’élimination, posait des objectifs cantonaux quinquennaux en matière de gestion des déchets et établissait un plan d’action permettant de les atteindre. Il décrivait en outre les besoins en installations de traitement, intégrait le plan cantonal de gestion des décharges et fixait les zones d’apport pour certaines catégories de déchets. Il permettait également de suivre les changements amorcés, d’accompagner l’évolution du contexte et de répondre aux besoins en nouvelles infrastructures (p. 41).

L’art. 29 PL créait une zone d’apport correspondant à l’ensemble du territoire cantonal, comme l’art. 31c al. 2 LPE l’autorisait. En effet, les déchets qui quittaient le territoire cantonal pour être incinérés en cimenterie, voire dans d’autres usines d’incinération possédaient un bilan environnemental défavorable par rapport à ceux incinérés à l’usine des Cheneviers. De plus, les calories ainsi générées profitaient directement aux habitants du canton grâce au réseau existant, à développer la chaleur à distance et contribuer ce faisant à la transition énergétique. Cette zone d’apport concernait tous les types de déchets acceptables en usine d’incinération qui ne pouvaient pas faire l’objet de recyclage et destinés à l’incinération (p. 48 s).

11) Lors du point presse du 30 juin 2021, le Conseil d’État a présenté sa nouvelle politique de gestion des déchets fondée sur trois axes subsidiaires et complémentaires, à savoir la réduction des déchets à la source, l’amélioration du recyclage et l’élimination des déchets sur le territoire cantonal. Dans ce cadre, les déchets devaient devenir une source d’énergie locale lorsqu’ils ne pouvaient pas être recyclés, de nouvelles installations planifiées ou en cours de construction, comme « Cheneviers IV », devant permettre une valorisation optimale desdits déchets et une minimisation de leur transport. Le PL 12'993, adopté dans ce sens, était complété par une PGD en vigueur jusqu’en 2025 qui avait force obligatoire pour les autorités communales et cantonales.

12) Le 30 juin 2021 également, le Conseil d’État a adopté le PGD 2020-2025. Il consistait en un outil opérationnel décrivant l’organisation et les infrastructures mises en place pour gérer les déchets à Genève. Ce plan définissait les différentes catégories de déchets et leurs filières d’élimination, énumérait et planifiait les installations de traitement, fixait les zones d’apports pour certaines catégories de déchets et précisait les objectifs de la gestion des déchets ainsi que les mesures permettant de les atteindre. La nouvelle politique de gestion des déchets était orientée autour de quatre axes principaux, dont la diminution des déchets à la source, l’amélioration du tri et la valorisation des déchets, ainsi que leur élimination sur le territoire. Différentes zones d’apport, dont une pour les déchets incinérables, étaient prévues. Dans ce cadre, l’usine d’incinération des Cheneviers était au bénéfice d’une zone d’apport qui portait sur l’ensemble du territoire cantonal et concernait l’ensemble des déchets incinérables urbains et non urbains produits sur le territoire cantonal par les ménages, les entreprises ou encore les installations de traitement des déchets. Il s’agissait notamment des ordures ménagères, des déchets incinérables produits par des entreprises, les déchets d’arbres et de plantes malades, des fractions non minérales issues des centres de tri ne pouvant pas faire l’objet d’une valorisation matière, des matières plastiques ne pouvant pas non plus faire l’objet d’une valorisation matière, des balayures de routes, des déchets de dégrillages et de bois à problème.

13) Par acte du 27 août 2021, A______ a interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre le PGD 2020-2025, concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours et principalement à son annulation.

Le PGD 2020-2025, en vigueur par le biais du renvoi figurant dans la loi sur la gestion des déchets du 20 mai 1999 (LGD - L 1 20), n’avait fait l’objet d’aucune publication officielle, hormis sur Internet, alors même qu’il s’agissait d’un acte général et abstrait, qui avait pour vocation de déployer des effets juridiques à son endroit, puisqu’elle avait désormais l’obligation d’acheminer tous les déchets incinérables non urbains issus de ses centres de tri à l’usine des Cheneviers, ce qu’elle faisait du reste déjà pour une partie de ceux-ci. Ainsi, entre le 1er janvier et le 30 juin 2021, elle y avait livré 6'398 tonnes de ces déchets, au tarif de CHF 162.03 la tonne ; durant la même période, elle avait également acheminé des déchets vers d’autres usines d’incinération, situées dans d’autres cantons, pour un volume de 361, 3'950 et 746 tonnes, aux tarifs respectivement de CHF 130.-, CHF 110.- et CHF 110.- la tonne, soit des montants plus avantageux que ceux pratiqués à Genève.

En instaurant une nouvelle zone d’apport pour les « autres déchets » produits dans le canton, le PGD 2020-2025 consacrait une atteinte non justifiée à sa liberté économique. Ladite atteinte, grave, ne reposait sur aucune base légale formelle, ni fédérale ni cantonale. L’art. 31c al. 2 LPE se limitait ainsi à donner aux cantons une simple faculté de définir des zones d’apport, sans revêtir un degré suffisant de précision permettant de justifier l’atteinte en cause, et aucune disposition du droit cantonal ne prévoyait l’existence d’une zone d’apport pour les « autres déchets » produits dans le canton, pas plus qu’un monopole de ce dernier concernant l’élimination des « autres déchets ». La mesure ne poursuivait pas non plus d’intérêt public, le Conseil d’État s’étant limité à afficher sa volonté de traiter l’intégralité des déchets dans le canton. Il s’agissait, au contraire, d’une mesure à vocation protectionniste, qui visait à garantir l’acheminement d’une quantité plus importante de déchets à l’usine des Cheneviers, qui était surdimensionnée. À cela s’ajoutait que l’approche suivie était exclusivement cantonale, alors même que la planification concernant l’élimination des déchets devait se faire au niveau régional. Le principe de la proportionnalité était également violé, sous ses différents aspects, puisque plusieurs usines d’incinération de la région étaient en mesure d’incinérer les déchets non urbains que le Conseil d’État avait inclus dans la nouvelle zone d’apport. L’instauration de celle-ci était en outre susceptible de générer des difficultés financières importantes aux détenteurs d’« autres déchets », qui étaient désormais contraints de les acheminer à l’usine des Cheneviers, dont les tarifs étaient sensiblement plus élevés que ceux pratiqués par les autres incinérateurs de la région, et qui étaient voués à augmenter lors de la mise en service de l’usine « Cheneviers IV ».

Le PGD 2020-2025 violait également le droit des marchés publics, qui prévoyait l’obligation d’organiser un processus de mise en concurrence en vue de l’attribution d’une zone d’apport, ce qui n’avait pas été le cas, le canton s’étant contenté de déléguer une tâche publique aux SIG, dont la prestation revêtait un caractère onéreux. En tout état de cause, la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02) imposait l’organisation d’un appel d’offres avant l’attribution de l’exploitation d’un monopole en faveur des SIG, qui devait être qualifiée d’entreprise privée dans ce contexte.

Les chances de succès du recours étaient dès lors manifestes, si bien que l’effet suspensif devait être accordé. Si tel n’était pas le cas, elle se verrait contrainte d’acheminer l’intégralité de ses « autres déchets » à l’usine des Cheneviers pendant la procédure judiciaire, ce qui lui causerait un sérieux préjudice financier, au vu des tarifs pratiqués à Genève, et mettrait en jeu sa viabilité économique et celle de nombreux acteurs de la filière, y compris des emplois, qui seraient menacés. En outre, la longue procédure et les démarches complexes engagées ne lui permettraient que difficilement d’obtenir la réparation de son préjudice. La condition de l’urgence était également remplie, puisque le PGD 2020-2025 ne contenait aucune disposition transitoire et était en vigueur depuis son adoption. Il en résultait que ses intérêts à obtenir l’effet suspensif l’emportaient largement sur ceux du Conseil d’État à appliquer immédiatement l’acte contesté.

14) a. Le 13 septembre 2021, le Conseil d’État, soit pour lui l’office cantonal de l’environnement, rattaché au département, a conclu au rejet de la demande d’octroi de l’effet suspensif au recours.

Outre les problèmes de recevabilité que posaient le recours, ses chances de succès n’étaient pas manifestes. Ainsi, à tout le moins depuis 2003, les précédents PGD contenaient la même indication d’acheminement des déchets incinérables à l’usine des Cheneviers que l’acte entrepris, ce que A______ n’avait jusqu’alors jamais contesté, étant précisé que cette société avait participé à l’élaboration de ces documents en sa qualité de membre de l’association des entreprises de recyclages, laquelle était représentée au sein de la commission globale de gestion des déchets (ci-après : CGGD) chargée notamment de proposer un PGD et ses mises à jour. A______ était ainsi au courant de la situation, ce d’autant plus qu’elle avait indiqué dans sa requête en autorisation de 2003 que les déchets incinérables issus de ses centres de tri seraient acheminés à l’usine des Cheneviers. Il ne s’agissait ainsi pas d’une nouveauté, puisque cette exigence faisait partie de l’autorisation qui lui avait été accordée.

b. Il a produit :

- un extrait d’une séance de la CGGD du 20 septembre 2016 au cours de laquelle a été évoquée la question d’une correction mineure du PGD concernant la définition de la zone d’apport, le PGD 2014-2017 contenant une erreur de plume qui pouvait avoir des conséquences importantes sur l’usine des Cheneviers. La correction proposée n’emportait aucune modification de la situation actuelle, puisque les déchets incinérables devaient en tout état de cause être acheminés à ladite usine ;

- la modification du PGD 2014-2017 proposée, libellée en ces termes : « cette zone d’apport [de l’usine des Cheneviers] concerne l’ensemble des déchets urbains incinérables, à savoir notamment les déchets urbains incinérables provenant des ménages, des commerces, des industries, des administrations et des entreprises, les balayures de routes, les déchets de dégrillages, les plastiques d’entreprises (dans la mesure où ils ne sont pas recyclables), le bois à problème, les déchets de chantier incinérables et les déchets agricoles incinérables ».

15) Le 16 septembre 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur la question de l’effet suspensif.

16) Le 20 septembre 2021, A______ a produit une réplique spontanée, annexée du PGD 2014-2017, et persisté dans les conclusions de son recours.

Elle précisait que le PGD 2014-2017 mentionnait sans équivoque qu’une zone d’apport en faveur de l’usine des Cheneviers n’existait que pour les déchets urbains et, contrairement aux allégués du Conseil d’État, qui étaient contraires aux règles de la bonne foi, ledit plan n’avait subi aucune rectification formelle. Les éléments mentionnés par le Conseil d’État ne permettaient pas non plus de retenir que le recours serait d’emblée irrecevable ou dépourvu de chances de succès.

17) Sur quoi, cette écriture a été transmise au Conseil d’État pour information.

Considérant, en droit, que :

1) Les mesures provisionnelles, y compris celles sur effet suspensif, sont prises par le président ou le vice-président ou, en cas d’urgence, par un autre juge de la chambre constitutionnelle (art. 21 al. 2 et 76 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l’art. 66 LPA, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, le recours n’a pas d’effet suspensif (al. 2) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, restituer l’effet suspensif (al. 3). D’après l’exposé des motifs du projet de loi portant sur la mise en œuvre de la chambre constitutionnelle, en matière de recours abstrait, l’absence d’effet suspensif automatique se justifie afin d’éviter que le dépôt d’un recours bloque le processus législatif ou réglementaire, la chambre constitutionnelle conservant toute latitude pour restituer, totalement ou partiellement, l’effet suspensif lorsque les conditions légales de cette restitution sont données (PL 11311, p. 15).

b. Lorsque l’effet suspensif a été retiré ou n’est pas prévu par la loi, l’autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation, qui varie selon la nature de l’affaire. La restitution de l’effet suspensif est subordonnée à l’existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_246/2020 du 18 mai 2020 consid. 5.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.1), l’autorité de recours n’est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 145 I 73 consid. 7.2.3.2 ; 117 V 185 consid. 2b).

L’octroi de mesures provisionnelles – au nombre desquelles figure l’effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER / Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER / Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ACST/28/2021 du 23 juin 2021 consid. 3b).

En matière de contrôle abstrait des normes, l’octroi de l’effet suspensif suppose en outre généralement que les chances de succès du recours apparaissent manifestes (Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 835 ss ; Claude-Emmanuel DUBEY, La procédure de recours devant le Tribunal fédéral, in François BELLANGER / Thierry TANQUEREL [éd.], Le contentieux administratif, 2013, 137-178, p. 167).

3) a. L’art. 74 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) attribue à la Confédération une compétence législative globale en matière de protection de l’environnement, en lui donnant un mandat de légiférer (arrêt du Tribunal fédéral 2C_139/2009 du 13 août 2009 consid. 5.4).

b. Ce faisant, elle a notamment adopté la LPE, qui règle, en son chapitre 4, le sort des déchets, par quoi l’on entend les choses meubles dont le détenteur se défait ou dont l’élimination est commandée par l’intérêt public (art. 7 al. 6 LPE). L’art. 30 LPE fixe les principes généraux en la matière : non seulement la production de déchets doit être limitée et ces derniers valorisés dans la mesure du possible (al. 1 et 2), mais encore les déchets doivent être éliminés d’une manière respectueuse de l’environnement et, pour autant que ce soit possible et approprié, sur le territoire national (al. 3).

Les art. 31b et 31c LPE répartissent les responsabilités pour l’élimination des déchets. En particulier, en vertu de l’art. 31b al. 1 LPE, les cantons doivent éliminer les déchets urbains, les déchets de la voirie et des stations d’épuration des eaux usées, ainsi que les déchets dont le détenteur ne peut être identifié ou est insolvable. Il s’agit d’un monopole étatique institué par le droit fédéral pour lequel le revers est l’existence d’une tâche publique obligatoire, que les cantons peuvent néanmoins déléguer aux communes (ATF 137 I 257 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_485/2019 du 14 octobre 2020 consid. 2.4). L’art. 31c al. 1 LPE dispose en revanche que les autres déchets doivent être éliminés par leur détenteur, qui peut charger un tiers d’assurer cette élimination.

C’est aux cantons que revient le devoir de planifier la gestion de leurs déchets et de définir notamment leurs besoins en installation d’élimination des déchets, d’éviter les surcapacités et de fixer les emplacements de ces installations (art. 31 al. 1 LPE). Ils collaborent en matière de planification de la gestion des déchets ainsi qu’en matière d’élimination et évitent les surcapacités en installations d’élimination des déchets (art. 31a al. 1 LPE).

c. L’art. 4 de l’ordonnance sur la limitation et l’élimination des déchets du 4 décembre 2015 (OLED - 814.600) précise que le plan de gestion des déchets établi par les cantons doit notamment comprendre (al. 1) : les mesures visant à limiter les déchets (let. a) ; les mesures visant à valoriser les déchets (let. b) ; les besoins en installations pour l’élimination des déchets urbains et d’autres déchets dont l’élimination est confiée aux cantons (let. c) ; les besoins en volumes de stockage définitif et les sites des décharges (let. d) ; les zones d’apport nécessaires (let. e). Ils vérifient leurs plans tous les cinq ans et les adaptent si nécessaire (al. 3).

d. Selon le rapport explicatif concernant la révision totale de l’ordonnance sur le traitement des déchets (OTD) du 10 juillet 2014 de l’office fédéral de l’environnement, dans le cas des déchets urbains et des autres déchets dont l’élimination incombe à la collectivité publique, c’est le canton qui définit les zones d’apport (art. 31b al. 2 LPE). En vertu de l’art. 31c al. 3 LPE, le canton peut également, dans certaines conditions, délimiter des zones d’apport pour d’autres types de déchets, qui sont valables aussi pour la mise en décharge des résidus du traitement thermique des déchets, et sont déterminées dans le plan de gestion des déchets, le canton les inscrivant le cas échéant dans l’autorisation d’exploiter. En conséquence, les déchets tombant sous le coup de la réglementation sur les zones d’apport doivent être éliminés dans la décharge définie et il n’est pas permis de les acheminer dans une décharge plus éloignée pour des raisons de coûts par exemple.

4) a. Aux termes de l’art. 157 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), l’État protège les êtres humains et leur environnement. Selon l’art. 161 Cst-GE, l’État respecte les principes de l’écologie industrielle (al. 1). Il met en œuvre une politique de réduction à la source des déchets, particulièrement ceux qui sont les plus dommageables pour l’environnement (al. 2).

b. Sur cette base, le législateur cantonal a adopté la loi sur la gestion des déchets du 20 mai 1999 (LGD - L 1 20), qui règle la gestion de l’ensemble des déchets résultant d’activités déployées sur le territoire cantonal ou éliminés à Genève (art. 1 LGD). L’art. 2 LGD prévoit que la production de déchets doit être limitée dans la mesure du possible (al. 1). Les déchets dont la production n’a pas pu être évitée doivent être valorisés dans la mesure du possible (al. 2). Les déchets combustibles non valorisés doivent être incinérés d’une manière respectueuse de l’environnement et dans des installations appropriées dûment autorisées (al. 3). Les autres déchets sont stockés définitivement dans une décharge contrôlée (al. 4). Selon l’art. 4 al. 1 let. f LGD, le PGD a notamment pour objectif de définir les zones d’apport des différents types de déchets et les installations d’élimination appropriées. Le PGD et ses mises à jour régulières sont adoptés par le Conseil d’État et communiqués à l’autorité fédérale compétente ; ils ont force obligatoire pour les autorités (art. 4 al. 2 LGD).

c. L’art. 12 du règlement d’application de la loi sur la gestion des déchets du 28 juillet 1999 (RGD - L 1 20.01) précise que le PGD constitue l’outil d’aide à la décision pour les mesures à prendre en application des dispositions fédérales et cantonales en matière de gestion des déchets. Il décrit la localisation et l’organisation des centres d’élimination des déchets, leurs tonnages d’apport potentiels, les mesures pour réduire la production des déchets ou les impacts sur l’environnement (art. 13 al. 1 RGD). Il est réexaminé et mis à jour au minimum tous les quatre ans ou lorsque les données de base se sont sensiblement modifiées, des besoins nouveaux apparaissent ou les dispositions légales sont modifiées (art. 14 al. 1 RGD). Les modifications du PGD sont mises en consultation auprès des services de l’État, des communes et des milieux concernés ; le département effectue la synthèse des observations et propose un projet de plan à la CGGD – composée notamment d’un représentant des milieux liés à la récupération et à la valorisation (art. 5 al. 3 let. f LGD) –, laquelle le soumet au Conseil d’État pour adoption (art. 14 al. 2 RGD).

5) En l’espèce, le recours est dirigé contre le PGD 2020-2025, soit un acte adopté par le Conseil d’État. Bien que la recevabilité du recours n’apparaisse pas manifeste, la question de savoir si l’acte en cause contient des règles de droit affectant la situation juridique de la recourante (art. 124 let. a Cst-GE ; art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; ACST/30/2021 du 29 juin 2021 consid. 1a) peut à ce stade souffrir de rester indécise et sera examinée dans l’arrêt au fond.

D’après un premier examen du recours, les chances de succès de celui-ci n’apparaissent pas prima facie à ce point manifestes qu’il se justifierait de déroger à la pratique consistant à refuser l’effet suspensif dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes. En effet, il ressort du dossier que les précédents PGD, à tout le moins depuis 2003, mentionnent l’usine des Cheneviers comme zone d’apport de l’ensemble des déchets incinérables, y compris ceux traités par la recourante, et qui ne peuvent pas être valorisés d’une autre manière. Ainsi, à première vue, le PGD litigieux n’impose aucune obligation nouvelle et supplémentaire aux entreprises concernées. En particulier, d’après le procès-verbal produit par l’autorité intimée, la CGGD a procédé à la rectification d’une erreur figurant dans le PGD 2014-2017, lequel semblait réduire la zone d’apport de l’usine des Cheneviers à certains déchets seulement, et ce quand bien même ledit plan n’aurait pas été formellement modifié, comme l’allègue la recourante. À cela s’ajoute que l’autorisation accordée à la recourante en 2004 pour l’exploitation de son installation de tri de déchets de C______ se réfère au rapport d’impact sur l’environnement, qui fait partie intégrante de ladite autorisation et prévoit un acheminement de ses déchets incinérables à l’usine des Cheneviers. La recourante a du reste produit différentes factures indiquant qu’elle utilisait ladite usine pour l’incinération de ses déchets. Dans ce cadre, l’on ne voit pas en quoi l’acte en cause conduirait à un dommage irréparable pour la recourante, qui pourrait, en cas d’admission du recours et à un stade ultérieur, obtenir réparation du préjudice financier subi du fait de l’acheminement à l’usine des Cheneviers de la part des déchets incinérables qu’elle destinait à d’autres exutoires.

En tout état de cause, les dispositions dont la recourante se prévaut n’apparaissent, à première vue, pas non plus violées. En effet, en particulier s’agissant de la violation alléguée de la liberté économique, outre le fait que l’art. 31c al. 2 LPE permet directement aux cantons de créer des zones d’apport pour les autres déchets, la mesure poursuit a priori un but d’intérêt public admissible de politique environnementale – et non de politique économique –, visant à éviter le transport de déchets produits dans le canton vers d’autres lieux d’incinération et à utiliser le produit de la combustion desdits déchets à Genève. L’acte litigieux semble également respecter le principe de proportionnalité sous ses différents aspects, en particulier sous l’angle de la pesée des intérêts, les intérêts publics environnementaux poursuivis l’emportant sur l’intérêt privé, purement économique, de la recourante à faire incinérer ses déchets dans d’autres cantons. S’agissant, enfin, de l’application du droit des marchés publics ainsi que de la LMI, la recourante semble perdre de vue que les SIG sont un établissement de droit public, lequel est propriétaire et exploite l’usine des Cheneviers, si bien que les griefs soulevés dans ce cadre apparaissent a priori également mal fondés.

Il résulte de ce qui précède que la demande d’octroi de l’effet suspensif au recours sera rejetée.

6) Le sort des frais sera, quant à lui, réservé jusqu’à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

refuse d’octroyer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Guillaume Barazzone, avocat de la recourante, ainsi qu’au Conseil d’État.


Le vice-président :

 

Philippe Knupfer

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :