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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/134/2020

ACST/34/2020 du 23.11.2020 ( CONFL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/134/2020-CONFL ACST/34/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 23 novembre 2020

 

dans la cause

 

CHAMBRE PÉNALE DE RECOURS DE LA COUR DE JUSTICE

contre

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE

et

MINISTÈRE PUBLIC


EN FAIT

1) a. Le 18 juillet 2017, Monsieur A______ a été condamné par le Tribunal de police notamment à l'expulsion du territoire suisse pour une durée de trois ans, en application de l'art. 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

b. Par décision du 2 août 2017, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), rattaché au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : le département), a refusé le report de l'exécution de l'expulsion judiciaire de M. A______. Était indiquée comme voie de droit le recours à la chambre pénale de recours de la Cour de justice (ci-après : CPR).

c. Par arrêt du 9 novembre 2017 (ACPR/1______), la CPR a déclaré le recours de M. A______ irrecevable au motif qu'aucune base légale ne l'instituait comme autorité de recours à l'encontre des décisions de l'OCPM, qui avait statué dans le cadre d'une procédure administrative relevant du droit des étrangers et non pas d'exécution d'une mesure pénale. Il s'ensuivait que la cause ne ressortissait pas à sa compétence, mais à celle du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

2) a. Le 2 août 2018, Monsieur B______ a été condamné par le Tribunal de police notamment à l'expulsion du territoire suisse pour une durée de cinq ans, en application de l'art. 66abis CP.

b. Par décision du 9 novembre 2018, l'OCPM a refusé le report de l'exécution de l'expulsion judiciaire de M. B______. Était indiquée comme voie de droit le recours à la CPR.

c. Par arrêt du 22 novembre 2018 (ACPR/2______), la CPR a déclaré le recours de M. B______ irrecevable, pour les mêmes motifs que ceux figurant dans l'ACPR/1______.

d. Le 19 février 2019 (6B_1336/2018), le Tribunal fédéral a déclaré le recours formé par le Ministère public contre l'arrêt de la CPR du 22 novembre 2018 irrecevable en raison de l'expulsion de M. B______ du territoire suisse, étant précisé qu'il n'y avait pas lieu de faire abstraction de l'exigence d'un intérêt actuel et pratique au recours.

La question de l'autorité compétente, dans le canton de Genève, pour connaître des recours dirigés contre les décisions de l'OCPM en matière de report de l'expulsion du territoire suisse n'avait pas encore été tranchée et rien n'indiquait en l'état que tant les autorités pénales qu'administratives se déclareraient incompétentes en la matière.

e. En parallèle, à la suite de l'arrêt de la CPR, M. B______ a transmis le recours au TAPI, lequel l'a, par jugement du 9 mai 2019 (JTAPI/427/2019), déclaré irrecevable.

La CPR était compétente pour connaître des recours contre les mesures d'expulsion, de sorte que sa compétence devait également être donnée s'agissant des décisions de non-report d'expulsion qui relevaient aussi de l'exécution d'une mesure pénale, notamment dans un souci de cohérence, étant précisé que l'interprétation historique, téléologique et systématique des dispositions légales applicables conduisait au même résultat, ce que confirmait la doctrine. Puisque la mise en oeuvre de l'art. 66d CP ne relevait pas du droit des étrangers mais de l'exécution d'une mesure pénale prononcée en application du droit pénal, le TAPI, qui ne disposait que d'une compétence d'attribution, n'était pas compétent pour connaître du recours.

3) a. Le 13 juin 2019, Monsieur C______ a été condamné par le Tribunal de police notamment à l'expulsion du territoire suisse pour une durée de cinq ans en application de l'art. 66abis CP.

b. Par décision du 15 octobre 2019, l'OCPM a refusé le report de l'exécution de l'expulsion judiciaire de M. C______. Était indiquée comme voie de droit le recours à la CPR.

c. Par arrêt du 11 novembre 2019 (ACPR/3______), la CPR a déclaré le recours de M. C______ irrecevable, pour les mêmes motifs que ceux figurant dans ses précédents arrêts.

d. À la suite d'un recours formé par le Ministère public et M. C______, le Tribunal fédéral a, le 29 novembre 2019 (6B_1313/2019 et 6B_1340/2019), annulé cet arrêt et renvoyé la cause à la CPR pour nouvelle décision.

L'expulsion au sens des art. 66a à 66d CP était une institution relevant du droit pénal, soit une mesure pénale. Dès lors, l'art. 66d CP, qui réglait l'exécution de l'expulsion pénale, constituait une norme d'exécution de mesure, dont l'application pouvait faire l'objet d'un recours en matière pénale au plan fédéral. Dans le cadre de celui-ci, l'accusateur public avait qualité de partie, cette qualité devant également lui être reconnue devant l'autorité cantonale précédente.

L'art. 66d al. 2 CP, qui relevait de l'exécution d'une mesure à caractère pénal, se limitait à se référer à « l'autorité cantonale compétente », sans autre précision, laissant, selon la volonté du législateur, le soin aux cantons de déterminer l'autorité, administrative ou pénale, compétente pour statuer sur la question du report de l'exécution d'une expulsion pénale ainsi que pour trancher les recours interjetés en la matière. Aucun élément de droit fédéral relatif à l'expulsion des art. 66a ss CP ne pouvait, par principe, orienter le choix des autorités cantonales vers la désignation d'une autorité de nature pénale, puisque de nombreux cantons avaient confié l'exécution des peines et mesures à des autorités administratives. Dans le canton de Genève, vu que le TAPI et la CPR avaient chacun dénié leur compétence, le prévenu dont l'expulsion avait été ordonnée par un tribunal pénal risquait de se voir privé de la possibilité de recourir contre une décision concernant le report de l'exécution de la mesure rendue par l'OCPM, situation qui n'était pas admissible au regard de la garantie constitutionnelle d'accès au juge. Il s'ensuivait que les autorités cantonales devaient clarifier leur pratique ainsi que l'interprétation des normes cantonales répartissant les compétences dans le domaine concerné, de façon à éviter l'existence d'un conflit négatif de compétence. Une éventuelle lacune de la loi dans ce domaine devait être levée par le législateur cantonal ou par le juge faisant acte de législateur.

e. Par ordonnance du 16 décembre 2019, la direction de la procédure de la CPR a accordé l'effet suspensif au recours de M. C______.

4) Par ordonnance du 17 décembre 2019, la direction de la procédure de la CPR a accordé l'effet suspensif à un recours de Monsieur D______ contre une décision similaire de l'OCPM du 11 décembre 2019.

5) Le 13 janvier 2020, en vue de rendre une nouvelle décision sur renvoi du Tribunal fédéral dans la cause de M. C______, la CPR a saisi la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) d'une action portant sur le conflit de compétence l'opposant au TAPI, concluant à ce que ce dernier soit déclaré compétent en matière de report de l'exécution de l'expulsion pénale au sens de l'art. 66d CP.

Elle reprenait les motifs figurant dans ses précédents arrêts, précisant que, dans la mesure où elle n'était jamais autorité de recours à l'encontre des décisions de l'OCPM, elle ne devait pas non plus l'être dans le cas litigieux. À cela s'ajoutait que le législateur aurait confié ladite matière au service de l'application des peines et mesures (ci-après : SAPEM) s'il avait considéré qu'elle ressortissait à l'exécution des peines, ce qui n'était pas le cas. Elle n'était pas non plus compétente en matière d'expulsion pénale, qui était du ressort du juge du fond. En outre, les critères présidant à l'examen du bien-fondé d'une décision en application de l'art. 66d CP relevaient également du droit administratif, plus particulièrement du droit d'asile, domaine qui lui échappait. Le TAPI, qui traitait déjà de toutes les questions relatives au droit des étrangers, devait ainsi être déclaré compétent et se saisir des recours pendants.

6) Le 18 février 2020, le TAPI a conclu au rejet de l'action de la CPR et à la constatation de la compétence de celle-ci.

Il reprenait les motifs exposés dans son jugement du 9 mai 2019 dans la cause de M. B______, indiquant qu'il ne disposait, à teneur de la loi, que d'une compétence d'attribution et que la CPR était compétente pour connaître des recours contre les décisions du département, auquel était rattaché l'OCPM. Par ailleurs, puisque la CPR était compétente pour connaître des recours contre les mesures d'expulsion, rien n'empêchait qu'elle le soit aussi s'agissant du contrôle de l'application de l'art. 66d CP, lequel relevait de l'exécution d'une mesure pénale, dans un souci de cohérence. L'exécution des peines et des mesures présentait un rapport de connexité suffisant avec le droit pénal pour justifier la compétence des autorités pénales de recours, de sorte que la CPR ne pouvait arguer que le domaine en cause relevait du droit des étrangers.

7) Le 18 mars 2020, ayant été appelé en cause, le Ministère public a conclu à la constatation de la compétence de la CPR.

La saisine de la chambre constitutionnelle par une autre chambre de la même cour en vue de régler un conflit de compétence avec un tribunal de première instance était « curieuse », ce d'autant que la CPR avait statué sur sa compétence par arrêt, alors même qu'elle connaissait la position du TAPI. Il n'était ainsi pas certain qu'il s'agisse d'un conflit de compétence entre autorités tel que prévu par la loi.

Sur le fond, la CPR était l'autorité de recours contre les décisions du département en matière d'exécution des peines et mesures, dont dépendait l'OCPM, au même titre que le SAPEM. L'exécution des peines et des mesures présentait en outre un rapport de connexité suffisant avec le droit pénal pour justifier la compétence des autorités pénales de recours, ce que confirmait la doctrine. Même si le Tribunal fédéral avait laissé le soin au canton de déterminer l'autorité compétente, l'interprétation systématique du droit genevois confirmait que c'était bien à la CPR que devait revenir cette tâche. Ainsi, le TAPI disposait d'une compétence d'attribution en matière de droit des étrangers, dont ne relevait toutefois pas la mise en oeuvre de l'art. 66d CP, qui concernait l'exécution d'une mesure pénale prononcée en application du droit pénal. Pour cette raison également, la compétence litigieuse ne pouvait pas non plus revenir à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). À cela s'ajoutait que l'autorité de poursuite pénale disposait de la qualité de partie devant les instances cantonales, ce qui était contraire au système du contentieux administratif mais pleinement justifié devant une autorité pénale. Par ailleurs, puisque dès 2007 le législateur genevois avait retiré aux autorités administratives les compétences dont elles disposaient en matière d'exécution des peines, au profit des autorités pénales, une telle compétence ne pouvait leur être de nouveau attribuée par des voies détournées. Enfin, l'art. 66d CP constituant une simple mesure d'exécution de l'expulsion pénale, sur laquelle trois autorités avaient préalablement pu potentiellement se prononcer, sa mise en oeuvre ne nécessitant pas l'ouverture d'une double voie de recours cantonale.

8) Le 22 mai 2020, le juge délégué a accordé aux parties un délai au 12 juin 2020 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

9) Le 8 juin 2020, la CPR a persisté dans les termes de ses précédentes écritures, précisant qu'elle avait statué sur sa compétence bien avant que la question ne soit soumise au TAPI, qui s'était également déclaré incompétent dans l'intervalle, de sorte qu'elle n'avait eu d'autre choix que de saisir la chambre constitutionnelle pour trancher le conflit de compétence litigieux, seule autorité habilitée à statuer en la matière.

10) Les autres parties n'ont formulé aucune requête ni observation complémentaire à l'issue du délai imparti.

11) Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1) a. Selon l'art. 124 let. c de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), la Cour constitutionnelle - à savoir la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (art. 1 let. h ch. 3 1er tiret de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05) - est l'autorité compétente pour trancher les conflits de compétence entre autorités. Par la loi 11311 du 11 avril 2014 mettant en oeuvre la Cour constitutionnelle, le législateur a adopté un art. 130B al. 2 LOJ, aux termes duquel la chambre constitutionnelle connaît en instance cantonale unique des actions portant sur un conflit de compétence entre autorités, la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) s'appliquant par analogie à ces actions.

L'art. 124 let. c Cst-GE n'a pas été commenté lors des travaux de l'Assemblée constituante (BOAC tome XXII p. 11307, 11313, 11318), et guère au sein de la commission thématique 3 « Institutions : les 3 pouvoirs » (procès-verbal de la séance n° 40 du 24 mars 2010, p. 4 et 5). Il est calqué sur l'art. 136 al. 2 let. c de la Constitution du Canton de Vaud du 14 avril 2003 (RS-VD 101.01), mais - à la différence du législateur vaudois, qui n'a retenu que des conflits de compétence entre autorités de collectivités publiques de même rang (art. 20 de la loi sur la juridiction constitutionnelle du 5 octobre 2004 [LJC - RS-VD 173.32]) - le législateur genevois l'a concrétisé en ayant une vue large de la notion d'autorités. En effet, selon l'exposé des motifs du PL 11311 (MGC en ligne, PL 11311, p. 13), toutes les autorités cantonales et communales sont concernées, quelle que soit leur nature et leur rang, et qu'elles soient politiques, administratives (sous réserve de l'art. 13 al. 4 LPA, s'agissant des conflits de compétence entre autorités administratives, à régler par l'autorité hiérarchique ou de surveillance commune, le cas échéant par le Conseil d'État) ou judiciaires, étant ajouté qu'en cas de conflits de compétence entre la chambre constitutionnelle et une autre chambre de la Cour de justice, ce sont les mécanismes de résolution des litiges intercaméraux propres à la Cour de justice qui doivent trouver application.

La compétence de la chambre constitutionnelle de trancher les conflits de compétence est donc sensiblement plus large que celle qu'avait l'ancien Tribunal des conflits, qui était limitée aux questions de compétence entre une juridiction administrative d'une part et une juridiction civile ou pénale d'autre part, sur recours contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 56J al. 1 et 56L de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941, abrogée par la LOJ, qui a supprimé le Tribunal des conflits dès le 1er janvier 2011 [MGC 2008-2009/XII A 16027, 16049, 16314, 2008-2009/XII D/66 6325, 6328, 6358 ; art. 143 al. 7 LOJ ; ACST/2/2017 du 23 février 2017 consid. 1).

b. En l'espèce, la chambre de céans a été saisie d'une action aux fins de trancher un conflit de compétence négatif entre la CPR et le TAPI, aucune de ces deux autorités judiciaires ne s'estimant compétente pour connaître des recours contre les décisions de l'OCPM prises en application de l'art. 66d CP, ce qu'elles ont chacune tranché dans le cadre d'un recours formé par des condamnés dont le report de l'exécution de l'expulsion avait été refusé par l'OCPM. Sur renvoi du Tribunal fédéral, la CPR doit toutefois encore rendre une nouvelle décision sur le recours dont M. C______ l'a saisi contre la décision de l'OCPM du 15 octobre 2019, étant précisé qu'elle est également saisie d'un recours de M. D______ dans une cause similaire.

Au regard de la vue large de la notion d'autorités qu'avait le législateur genevois en conférant à la chambre de céans la tâche de trancher des conflits de compétence et compte tenu de l'existence d'un conflit de compétence entre des autorités, il se justifie d'admettre qu'elle connaisse de la présente cause, qui oppose une juridiction administrative de première instance à une juridiction pénale de dernière instance cantonale, soit des autorités au sens des art. 124 let. c Cst-GE et 130B al. 2 LOJ. Il ne s'agit pas d'un conflit opposant deux chambres de la Cour de justice, qui aurait alors dû se régler au moyen des mécanismes de résolution des litiges internes à celle-ci. À cela s'ajoute que toutes les autorités cantonales sont concernées, quelle que soit leur nature et leur rang, selon la volonté du législateur.

c. La saisine de la chambre de céans pour trancher un conflit de compétence se fait par voie d'action et n'est pas subordonnée à l'existence d'un recours, contrairement à ce qui prévalait pour l'ancien Tribunal des conflits. L'application analogique de la LPA que prévoit l'art. 130B al. 2 2e phr. LOJ pour une telle action amène à reconnaître la qualité pour agir non seulement aux administrés touchés par un conflit de compétence (art. 60 al. 1 let. b LPA), mais aussi aux autorités en conflit à propos de leur compétence ou incompétence pour statuer sur la question considérée. Lors de la préparation et l'adoption de la loi 11311, l'art. 60 al. 1 let. c LPA, qui confère au Conseil d'état la qualité pour recourir à l'encontre de décisions émanant des organes des communes, établissements et corporations de droit public, en tant qu'il allègue un conflit de compétence, n'a pas été adapté ni complété. Si le Conseil d'état a une telle compétence dans le cas de figure visé par cette disposition, les autorités concernées par un conflit de compétence doivent aussi se voir reconnaître la qualité pour saisir la chambre constitutionnelle d'une action en résolution d'un tel conflit. Le Tribunal fédéral a d'ailleurs indiqué que les autorités cantonales genevoises devaient non seulement clarifier leur pratique ainsi que l'interprétation des normes cantonales répartissant les compétences dans le domaine concerné, mais aussi que la CPR devait veiller à ce que M. C______ puisse, d'une manière ou d'une autre, faire valoir son droit de recours, au niveau cantonal, contre la décision de l'OCPM du 15 octobre 2019 (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1313/2019 et 6B_1340/2019 précités consid. 4.3).

d. L'application par analogie de la LPA à une telle action suppose par ailleurs que la personne ou l'autorité qui la forme puisse se prévaloir d'un intérêt pratique et actuel à faire trancher le conflit de compétence considéré, comme l'art. 60 al. 1 let. b LPA le requiert, ce qui est au demeurant communément admis dans le contentieux de droit public. Cette condition est en l'espèce remplie, si bien que la qualité pour agir de la CPR doit être admise. Le présent conflit de compétence négatif entre la CPR et le TAPI s'est déjà produit et reste un sujet de divergence dans les causes de MM C______ et D______. Il risque de priver des condamnés s'étant vu refuser un report de l'exécution de l'expulsion pénale de la possibilité de recourir contre une telle décision, puisque les autorités de recours pénale et administrative genevoises se déclarent toutes deux incompétentes sur ce point, situation qui est contraire à la garantie d'accès au juge prévu par l'art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

L'action formée par la CPR est par conséquent recevable.

2) L'objet du litige a trait à la question de savoir qui de la CPR ou du TAPI est l'autorité judiciaire habilitée à connaître, sur recours et en l'absence de disposition légale expresse, des décisions en matière de report de l'exécution de l'expulsion prononcées par l'OCPM en application de l'art. 66d CP, aucune de ces deux autorités ne s'estimant compétente en la matière.

Bien que l'art. 66d CP n'évoque pas explicitement le report d'une expulsion non obligatoire, prononcée en application de l'art. 66abis CP (Michel DUPUIS / Laurent MOREILLON / Christophe PIGUET / Séverine BERGER / Miriam MAZOU / Virginie RODIGARI (éd.), Petit commentaire du CP, 2e édition, 2017, n. 6 ad art. 66d), la possibilité d'un report d'une expulsion facultative est admise par la pratique, comme l'attestent les faits ayant conduit la CPR à saisir la chambre de céans de la présente action. Une décision doit bien être rendue sur une demande de report d'une expulsion non obligatoire, et il faut qu'elle soit sujette à contestation, en vertu de la garantie constitutionnelle d'accès au juge (art. 29a Cst.). Une telle décision relève de l'exécution d'une mesure pénale, à l'égal d'une décision sur une demande de report d'une expulsion obligatoire. La voie de contestation doit être logiquement la même dans les deux cas. Ainsi, au regard de la trame de fond de l'action de la CPR, qui est constituée de quatre cas de refus du report d'une expulsion pénale non obligatoire, dont ceux de MM. C______ et D______ encore pendants devant la CPR, il se justifie de comprendre l'action de cette dernière comme portant sur la juridiction compétente pour trancher des recours dirigés contre des refus de report d'expulsion pénale tant obligatoire au sens de l'art. 66a CP que non obligatoire au sens de l'art.66abis CP.

3) La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si, comme en l'espèce, le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge doit rechercher la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur telle qu'elle ressort, entre autres, des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Lorsqu'il est appelé à interpréter une loi, le juge adopte une position pragmatique en suivant ces différentes interprétations, sans les soumettre à un ordre de priorité (ATF 146 V 87 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_744/2019 du 20 août 2020 consid. 4.6.1 et les références citées).

4) Aux termes de l'art. 123 Cst., la législation en matière de droit pénal et de procédure pénale relève de la compétence de la Confédération (al. 1). L'organisation judiciaire et l'administration de la justice ainsi que l'exécution des peines et des mesures en matière de droit pénal sont du ressort des cantons, sauf disposition contraire de la loi (al. 2). La Confédération peut légiférer sur l'exécution des peines et des mesures et peut octroyer aux cantons des contributions (al. 3) : pour la construction d'établissements (let. a) ; pour l'amélioration de l'exécution des peines et des mesures (let. b) ; pour le soutien des institutions où sont exécutées les mesures éducatives destinées aux enfants, aux adolescents ou aux jeunes adultes (let. c).

5) Les art. 66a à 66d CP, entrés en vigueur le 1er octobre 2016 et qui figurent dans le chapitre 2 intitulé « Mesures » du CP, concernent l'expulsion de Suisse devant ou pouvant être ordonnée à l'encontre d'un étranger ayant fait l'objet d'une condamnation pénale. Le juge pénal prononce ainsi, de manière obligatoire (art. 66a CP) ou facultative (art. 66abis CP), en fonction des infractions commises, l'expulsion de l'étranger condamné. L'art. 66d al. 1 CP prévoit en particulier que l'exécution de l'expulsion obligatoire ne peut être reportée que lorsque la vie de la personne concernée dont le statut de réfugié a été reconnu par la Suisse serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (let. a) ; lorsque d'autres règles impératives du droit international s'opposent à l'expulsion (let. b). Lorsqu'elle prend sa décision, l'autorité cantonale compétente présume qu'une expulsion vers un État que le Conseil fédéral a désigné comme un État sûr au sens de la loi sur l'asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31) ne contrevient pas à la protection contre l'expulsion prévue par l'art. 25 al. 2 et 3 Cst. (art. 66d al. 2 CP).

À titre d'obstacle a l'exécution de l'expulsion, l'autorité d'exécution ne tient compte que du principe du non-refoulement, voire des obstacles techniques pouvant se présenter, comme le refus des autorités du pays d'origine d'établir des documents de voyage, les autorités judiciaires ayant préalablement procédé à l'examen des motifs susceptibles de s'opposer à l'expulsion dans le cadre de l'examen des art. 66a et 66abis CP (Message concernant une modification du code pénal et du code pénal militaire, Mise en oeuvre de l'art. 121 al. 3 a 6 Cst. relatif au renvoi des étrangers criminels du 26 juin 2013, FF 2013 5373, p. 5402).

L'expulsion, au sens des art. 66a à 66d CP, est une institution relevant du droit pénal, soit d'une mesure pénale (ATF 143 IV 168 consid. 3.2), l'art. 66d CP constituant une norme d'exécution de mesure dont l'application peut faire l'objet d'un recours en matière pénale au Tribunal fédéral (art. 78 al. 2 let. b de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1313/2019 précité consid. 3.2). Le CP ne précise toutefois pas les autorités cantonales chargées de l'exécution des peines et des mesures, domaine ressortissant à leur compétence. Dans ce cadre, la plupart des cantons ont désigné une autorité administrative pour accomplir cette tâche, certains ayant instauré des tribunaux d'exécution des peines (Message, op. cit., p. 5403).

6) Dans le canton de Genève, l'art. 5 al. 2 let. i de la loi d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale du 27 août 2009 (LaCP - E 4 10) prévoit la compétence du département pour faire exécuter les peines et les mesures (art. 40 al. 1 LaCP), lequel peut se voir déléguer cette compétence par règlement du Conseil d'État à ses offices ou services (art. 5 al. 5 et 40 al. 3 LaCP). La LPA s'applique (art. 40 al. 4 LaCP). Ledit département comprend notamment l'office cantonal de la détention (ci-après : OCD ; art. 5 al. 1 let. c du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 1er juin 2018 - ROAC - B 4 05.10, dont fait partie le SAPEM, art. 5 al. 1 let. c ch. 2 ROAC), ainsi que l'OCPM (art. 5 al. 1 let. d ROAC).

Aux termes du règlement sur l'exécution des peines et mesures du 19 mars 2014 (REPM - E 4 55.05), le SAPEM est compétent pour faire exécuter les peines et les mesures (art. 11 al. 1 let. f REPM) et l'OCPM pour prendre les dispositions de mise en oeuvre de l'expulsion prononcée par le juge pénal en application des art. 66a à 66b CP ainsi que pour se prononcer sur le report de l'exécution de cette mesure selon l'art. 66d CP (art. 18 al. 1 REPM).

L'art. 42 al. 1 let. a LaCP prévoit que la CPR connaît des recours dirigés contre les décisions rendues par le département, ses offices et ses services, conformément à l'art. 40 LaCP. Le Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) s'applique alors à titre de droit cantonal supplétif (art. 42 al. 2 LaCP). En effet, l'art. 128 al. 3 LOJ prévoit que la CPR exerce, outre celles mentionnées aux al. 1 et 2 de cette disposition, les compétences que la LaCP lui attribue.

7) Sous l'empire de l'ancienne loi sur l'exécution des peines, la libération conditionnelle et le patronage des détenus libérés du 22 novembre 1941, l'ancien Tribunal administratif, dont les attributions ont été reprises par la chambre administrative, statuait sur les décisions rendues par la commission de libération conditionnelle en matière de libération conditionnelle de la peine. L'adoption des projets de loi (ci-après : PL) 9846 à 9850 visant à adapter la législation cantonale à la modification du CP a toutefois conduit notamment à l'abrogation de cette loi et à la création du Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM), compétent pour statuer dans toutes les procédures postérieures au jugement, y compris en matière de libération conditionnelle, dont les jugements pouvaient faire l'objet d'un appel auprès de l'ancienne chambre pénale de la Cour de justice (art. 35C let. b de l'ancienne loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 introduit par la loi 9846 ; art. 375H de l'ancien code de procédure pénale du 29 septembre 1977 introduit par la loi 9849). Selon l'exposé des motifs des PL susmentionnés, il se justifiait, au vu de la technicité de la matière, de reprendre les compétences exercées par le Tribunal administratif pour les ramener « dans le giron » de la justice pénale s'agissant du contrôle des décisions rendues par le département ou ses services postérieurement à une condamnation pénale. Cette concentration des compétences en mains du juge pénal reproduisait, au plan cantonal, celle opérée au niveau fédéral par la LTF (MGC 2005-2006/VIII A 6684). Ainsi, à compter du 27 janvier 2007, date de l'entrée en vigueur des lois 9846 à 9850, la juridiction administrative a perdu toute compétence en matière d'exécution des peines et des mesures.

8) a. En l'espèce, à la suite de l'entrée en vigueur des mesures d'expulsion judiciaire prévues aux art. 66a à 66d CP, le législateur cantonal n'a, formellement, désigné aucune autorité judiciaire pour connaître des recours contre les décisions refusant le report de l'expulsion selon l'art. 66d CP, le Conseil d'État ayant pourtant chargé l'OCPM de la tâche décisionnelle.

b. La CPR allègue que le TAPI serait compétent pour statuer, s'agissant d'une décision relevant du droit des étrangers. Si l'art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10) prévoit certes que les décisions du département ou de l'OCPM prises en matière de droit des étrangers peuvent faire l'objet d'un recours auprès du TAPI, il n'en demeure pas moins que les décisions en matière d'expulsion pénale relèvent du droit pénal, le Tribunal fédéral ayant en particulier qualifié l'art. 66d CP de mesure pénale. Il importe peu, dans ce cadre, que ladite disposition comporte un renvoi à la LAsi, au demeurant seulement de manière indirecte, en lien avec les États désignés comme sûrs par le Conseil fédéral. À cela s'ajoute que le juge pénal statue déjà sur la question de l'expulsion, qu'il ordonne en application des art. 66a et 66abis CP et que, dans ce cadre, il procède à l'examen des motifs susceptibles de s'opposer à l'expulsion, la décision prise en application de l'art. 66d CP étant une mesure d'exécution d'une décision entrée en force et pour laquelle la marge d'appréciation de l'autorité amenée à statuer est relativement faible. Seules sont examinés à ce stade les éléments relatifs à la situation du pays d'origine (danger pour la santé, guerre, risque de persécution), à l'exclusion des liens avec la Suisse (famille, intégration ou encore durée de la présence légale en Suisse ; Stéphane GRODECKI/Yvan JEANNERET, Commentaire de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_506/2017 du 14 février 2018, forumpoenale 4/2018 p. 244, p. 250). Il ne se justifie au demeurant pas de prévoir une double instance de recours au plan cantonal s'agissant d'un domaine dans lequel il doit être statué rapidement, ce qui ne serait plus le cas si le TAPI devait être déclaré compétent, puisque, comme l'a relevé le Ministère public, la mesure pénale est potentiellement susceptible d'être portée devant deux instances judiciaires cantonales avant de faire l'objet d'un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. C'est d'ailleurs la même voie de recours fédérale qui doit être empruntée à la suite d'une décision prise en application de l'art. 66d CP, de sorte qu'introduire une juridiction administrative dans le processus décisionnaire introduirait également sous cet angle une incohérence, qui serait encore accentuée si le Ministère public devait y être partie, comme le requiert le Tribunal fédéral.

Ainsi, s'agissant d'une décision à caractère pénal, le TAPI, autorité inférieure de recours dans les domaines du droit public pour lesquels la loi le prévoit (art. 116 al. 1 LOJ), n'a pas vocation, en l'état du droit genevois, à connaître des recours litigieux. Tel n'est pas le cas de la CPR, qui constitue l'autorité compétente en matière de recours contre les décisions du département (art. 42 let. a LaCP), auquel sont rattachés tant l'OCD, dont fait partie le SAPEM, que l'OCPM, et qui exerce les compétences que la LaCP lui attribue. C'était d'ailleurs la volonté du législateur cantonal que d'avoir transféré à une autorité judiciaire pénale, et non plus administrative comme par le passé, la compétence de statuer sur certains domaines relevant des procédures postérieures au jugement pénal, comme en matière de libération conditionnelle, raison pour laquelle a été créé, dès 2007, le TAPEM, dont les jugements pouvaient être portés par-devant l'ancienne chambre pénale de la Cour de justice. Le fait que les sanctions disciplinaires infligées aux détenus puissent être portées devant une juridiction administrative n'y change rien, puisqu'elles ne constituent pas des mesures visées par le CP, sur lequel elles ne se fondent du reste pas. La mesure prévue à l'art. 66d CP constituant une mesure pénale, rien ne s'oppose dès lors à ce que la CPR statue également sur les décisions rendues par l'OCPM en cette matière.

c. En l'état du droit genevois, le TAPEM ne saurait constituer l'autorité de recours compétente pour connaître des recours contre la décision rendue par l'OCPM sur une demande de report de l'expulsion pénale, en dépit du fait que, comme précédemment indiqué, une telle décision est une mesure pénale et que le TAPEM est compétent pour statuer dans toutes les procédures postérieures au jugement (art. 3 in initio et 41 al. 1 LaCP). Il résulte de la longue énumération des compétences dévolues au TAPEM qui figurent à cet art. 3 LaCP qu'il n'a pas été dans l'intention du législateur cantonal de faire du TAPEM une autorité de recours de première instance contre des décisions de l'OCPM, mais de lui attribuer des compétences de rendre des décisions dans des procédures postérieures au jugement pénal, sujettes à recours à la CPR (art. 42 let. b LaCP). Cette considération doit prévaloir, même si cette énumération n'est pas présentée comme étant exhaustive et mentionne la compétence, pouvant apparaître voisine de celle de reporter l'exécution de l'expulsion pénale, de renoncer à faire exécuter la peine privative de liberté (art. 3 let. z LaCP).

Il s'ensuit qu'en l'état du droit genevois, c'est bien la CPR qui doit pouvoir connaître des décisions en matière de refus de report de l'exécution de l'expulsion pénale, et non pas le TAPI.

9) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 1 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable l'action du 13 janvier 2020 de la chambre pénale de recours de la Cour de justice portant sur le conflit de compétence l'opposant au Tribunal administratif de première instance concernant le report de l'exécution de l'expulsion pénale au sens de l'art. 66d CP ;

au fond :

dit que la chambre pénale de recours de la Cour de justice est compétente pour connaître des recours contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations rendues en matière de report de l'exécution de l'expulsion pénale au sens de l'art. 66d CP ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à la chambre pénale de recours de la Cour de justice, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mme McGregor, M. Knupfer, juges, M. Martin, juge suppléant.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :