Décisions | Cour d'appel du Pouvoir judiciaire
ACAPJ/1/2024 (3) du 12.01.2024 , Rejeté
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Décision du 12 janvier 2024
CAPJ 6_2023 ACAPJ/1/2024
Monsieur A______, recourant
représenté par Me Romain JORDAN, avocat
contre
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU POUVOIR JUDICIAIRE, intimé
représenté par Me Christian BRUCHEZ, avocat
EN FAIT :
1. Par décision du 31 août 2023, le Secrétaire général du pouvoir judiciaire (ci-après : le Secrétaire général ou l’intimé) a résilié les rapports de service de A______ (ci-après : le recourant ou l’intéressé) avec effet au 31 décembre 2023.
Le poste de ______, occupé par l’intéressé, avait été supprimé à la suite d’une réorganisation du secrétariat général et des directions de support. L’intéressé avait refusé le nouveau poste de ______ qui lui était proposé.
Cette décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.
2. Le 2 octobre 2023, A______ a saisi la Cour d’appel du Pouvoir judiciaire (ci-après : la Cour d’appel ou CAPJ) d’un recours contre la décision précitée, concluant préalablement à être entendu en comparution personnelle et à l’ouverture d’enquêtes, et principalement au constat de la nullité de la décision, subsidiairement à son annulation et au versement d’une indemnité correspondant à 24 mois de son dernier traitement brut avec intérêt à 5 % dès le dépôt du recours. De plus, l’effet suspensif lié au recours devait être restitué.
En substance, A______ avait été mis à l’écart par le Secrétaire général depuis le mois de mai 2020 à la suite d’un rapport du médecin du travail du pouvoir judiciaire concernant les absences pour cause de maladie au sein du service des ______.
Au cours du printemps 2022, le Secrétaire général lui avait annoncé qu’il envisageait de restructurer la direction financière du pouvoir judiciaire, confiant les aspects stratégiques au secrétaire général adjoint alors que l’exploitation financière serait confiée à une personne occupant un nouveau poste, personne qui se chargerait aussi des activités en main de A______.
Ce dernier avait le choix entre se faire licencier du fait de la suppression de son poste ou accepter le nouveau poste créé. Le secrétaire général avait indiqué que la prise de ce nouveau poste présenterait un défi certain pour l’intéressé.
A______ avait été absent :
- pour cause de maladie, à 100 %, du 1er décembre 2022 au 31 mai 2023 ;
- pour cause d’accident, à 100 %, du 1er avril au 24 mai 2023 ;
- pour une nouvelle maladie, à 100 %, dès le 25 mai 2023.
En prononçant la décision litigieuse en plein été, sans avoir accordé au recourant toutes les prolongations de délai qu’il avait sollicitées, le secrétaire général avait violé le droit d’être entendu de l’intéressé. La résiliation avait été prononcée en temps inopportun, soit moins de 180 jours après l’arrêt de travail du 25 mai 2023, lié à une autre maladie que celle motivant l’arrêt de travail 1er décembre 2022.
3. Le 30 octobre 2023, le secrétaire général s’est opposé à la demande de restitution de l’effet suspensif. Le droit d’être entendu de l’intéressé avait été respecté, et le nouveau poste, créé dans le cadre de la restructuration entraînant la suppression de celui qu’il occupait, lui avait été proposé. A______ l’avait refusé.
La procédure de résiliation des rapports de service avait été interrompue à la suite de la maladie empêchant l’intéressé de travailler depuis le 1er décembre 2022. Elle avait été reprise le 2 juin 2023. Un délai au 16 juin 2023 avait été accordé à l’intéressé pour produire d’éventuelles observations écrites. Ce délai avait été prolongé au 4 juillet 2023.
Le 14 juillet 2023, le secrétaire général avait demandé à l’intéressé de lui communiquer, avant le 24 juillet 2023, les éléments indiquant que la cause de l’arrêt de travail du 25 mai 2023 n’était pas identique à celle du 1er décembre 2022.
L’intéressé avait demandé que ce délai soit prolongé au 6 septembre 2023, son médecin étant absent. Il avait indiqué qu’il reverrait son médecin traitant à la mi-août 2023. Le secrétaire général avait accepté de prolonger jusqu’au 23 août 2023 le délai pour fournir les informations demandées concernant les causes des arrêts de travail, en précisant qu’aucun délai supplémentaire ne serait accordé.
L’intéressé avait transmis au pouvoir judiciaire, le 14 août 2023, un arrêt de travail signé par son médecin traitant. Aucune autre information n’ayant été transmise dans le délai imparti, la décision litigieuse avait été prononcée le 31 août 2023.
L’intéressé avait transmis, le 4 octobre 2023, un certificat médical de son médecin traitant indiquant que, dès le 1er juin 2023 « malgré une récupération physique, cet accident l’a lourdement touché et mis en nouvelle incapacité de travail sans lien avec la première période ci-dessus ». Le secrétaire général avait toutefois refusé d’annuler sa décision du 31 août 2023, les éléments transmis ne permettant pas de considérer que celle-ci aurait été notifiée en temps inopportun. Il a toutefois, à titre subsidiaire, si et seulement si la décision de résiliation des rapports de service du 31 août 2023 devait être considérée comme nulle, prononcé une nouvelle décision confirmant la décision initiale pour le prochain terme légal, au 22 février 2024.
4. Le 15 décembre 2023, soit dans le délai – prolongé à sa demande – qui lui avait été accordé, le recourant avait persisté dans sa demande de restitution de l’effet suspensif.
Par décision du 29 novembre 2023, le secrétaire général avait résilié, pour la troisième fois et à titre subsidiaire, les rapports de service du recourant avec effet au 31 mars 2024.
Il ressortait des pièces produites par l’intéressé que la décision de licenciement du 31 août 2023, qui faisait l’objet de la procédure, avait été prononcée moins de 180 jours après le début de sa maladie, soit pendant la période de protection. L’exécution immédiate de la décision n’était pas justifiée. Elle était entachée de plusieurs vices formels manifestes qui devaient entraîner le constat de sa nullité.
5. Sur quoi, la cause était gardée à juger sur la question de la restitution de l’effet suspensif, ce dont les parties ont été informées.
EN DROIT :
1. Le recours a été interjeté dans les formes et le délai prescrits par la loi (art. 62 al. 1 let. a, art. 64 al. 1 et art. 65 al. 1 et 2 de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 [LPA – E 5 10]), auprès de la CAPJ, compétente pour statuer sur les recours dirigés contre les décisions de la Commission de gestion et du Secrétaire général du pouvoir judiciaire en tant qu’elles touchent aux droits et obligations des membres du personnel du Pouvoir judiciaire (art. 138 let. b de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 [LOJ – E 2 05]).
Le délai pour recourir contre une décision administrative est de 30 jours s’il s’agit d’une décision finale ou en matière de compétence (art. 62 al. 1 let. a LPA).
Le recours apparaît, à première vue, recevable.
2. La LPA est applicable aux procédures relevant de la compétence de la Cour d’appel (art. 139 al. 1 LOJ).
3.
3.1. Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).
3.2. Les décisions sur effet suspensif et sur mesures provisionnelles sont prises par le président, le vice-président, ou en cas d’empêchement de ceux-ci, par un juge (art. 21 al. 2 LPA et art. 5 al. 1 du règlement de la Cour d’appel du Pouvoir judiciaire, du 26 septembre 2014 [RCAPJ – E 2 05.48]).
3.3. Selon la jurisprudence constante, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l’effet suspensif –, ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis. Elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503, consid. 3 ; ATA/1247/2023 du 17 novembre 2023 ; ACAPJ/3/2023 du 3 mars 2023, consid. 5.3). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, in RDS 1997 II 253-420, p. 265).
3.4. L’octroi de mesures provisionnelles présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149, consid. 2.2 ; 127 II 132, consid. 3 = RDAF 2002 I 405).
3.5. Lorsque l’effet suspensif a été retiré ou n’est pas prévu par la loi, l’autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation, qui varie selon la nature de l’affaire. La restitution de l’effet suspensif est subordonnée à l’existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_246/2020 du 18 mai 2020, consid. 5.1).
3.6. Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l’autorité de recours n’est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ACAPJ/3/2023 du 3 mars 2023, consid. 5.6 et les arrêts cités ; ACAPJ/3/2019 du 29 mai 2028 et les arrêts cités).
3.7. De manière générale, l’intérêt privé d’un recourant à conserver son activité professionnelle et à continuer à percevoir son traitement doit céder le pas à l’intérêt public à la préservation des finances de l’État (ATA/1247/2023 du 17 novembre 2023 ; ACAPJ/3/2023 du 3 mars 2023, consid. 5.8 et les références citées).
3.8. L’examen de la requête suppose enfin une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; l’effet suspensif doit être refusé au recours manifestement dépourvu de chances de succès et dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire, mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/80/2023 du 25 janvier 2023 et les références citées).
4.
4.1. Au vu des principes qui viennent d’être rappelés, l’octroi de l’effet suspensif requis par le recourant reviendrait à anticiper le jugement au fond, puisqu’il le maintiendrait dans sa fonction, contrairement à la décision entreprise. La requête ne porte, dès lors, pas sur un minus ou un aliud.
4.2. La mise en balance, d’une part, de l’intérêt public du Pouvoir judiciaire à appliquer la décision contestée, en particulier pour le bon fonctionnement de la gouvernance du Pouvoir judiciaire et pour préserver les intérêts financiers de l’État et, d’autre part, de l’intérêt du recourant à poursuivre son activité — s’il redevenait apte à travailler — durant la procédure de recours ainsi qu’à recevoir son salaire, s’avère, prima facie, peu favorable à ce dernier.
L’intérêt public à la préservation des finances de l’État, qui serait alors exposé au risque que le recourant ne puisse pas rembourser les traitements en cas de rejet de son recours, est important et prime l’intérêt financier de l’intéressé à percevoir son salaire durant la procédure. Ce dernier ne donne aucune indication quant à sa situation financière et familiale.
4.3. Enfin, et sans préjudice de l’examen au fond, les chances de succès du recours ne paraissent pas à ce point manifestes qu’elles justifieraient à elles seules la restitution de l’effet suspensif.
5. Les conditions à l’octroi de mesures provisionnelles n’étant pas remplies, la requête de restitution de l’effet suspensif doit être rejetée. Le sort des frais de la présente décision sera tranché dans l’arrêt à rendre au fond.
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LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE
- Rejette la requête de restitution de l’effet suspensif au recours interjeté par A______, le 2 octobre 2023, contre la décision du Secrétaire général du Pouvoir judiciaire du 31 août 2023.
- Réserve les frais, émoluments et dépens de la procédure jusqu’à droit jugé au fond.
- Dit que, conformément aux art. 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110) le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public. Le délai est suspendu pendant les périodes prévues à l’article 46 LTF. Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuves et porter la signature du recourant ou de son mandataire. Il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuves doivent être joints à l’envoi.
- Communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat de la recourante, et à Me Christian BRUCHEZ, avocat du Secrétaire général du Pouvoir judiciaire.
Le Vice-président
Philippe THÉLIN
Genève, le 12 janvier 2024 La greffière-juriste :
Alessia TAVARES DE
ALBUQUERQUE-CAMPAGNOLO
Copie conforme du présent arrêt a été communiquée, par pli recommandé, à Me Romain JORDAN ainsi qu’à Me Christian BRUCHEZ.