Décisions | Chambre des prud'hommes
CAPH/65/2024 du 02.09.2024 sur JTPH/420/2023 ( SS ) , CONFIRME
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/1827/2023 CAPH/65/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des prud'hommes DU LUNDI 2 SEPTEMBRE 2024 |
Entre
A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 22 décembre 2023 (JTPH/420/2023), représentée par Me Olivia de WECK, avocate, FBT Avocats SA, rue du 31-Décembre 47, case postale 6120, 1211 Genève 6,
et
Monsieur B______, domicilié ______ (VD), intimé, représenté par Me Nicolas BLANC, avocat, rue du Lion d'Or 2, case postale 5956, 1002 Lausanne.
A. Par jugement du 22 décembre 2023, expédié pour notification aux parties le même jour, le Tribunal des prud'hommes, après avoir déclaré irrecevables les écritures déposées par les parties à compter du 13 juillet 2023 (ch. 5) et renoncé à exiger la fourniture de sûretés (ch. 6), a rejeté la requête de mesures provisionnelles formée le 3 février 2023 par A______ SA (ch. 7), arrêté les frais de la procédure à 5'000 fr., compensés avec l'avance de 3'000 fr. déjà effectuée acquise à l'ETAT DE GENEVE, et condamné la précitée à verser 2'000 fr. à l'ETAT DE GENEVE (ch. 8 à 10), dit qu'il ne serait pas alloué de dépens (ch. 11) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 12).
Il a, en substance, retenu que l'employeur n'avait pas rendu vraisemblable s'être réservé par écrit le droit d'exiger la cessation de la contravention à la clause de non concurrence au sens de l'art. 340b al. 3 CO, que l'employé n'était plus tenu par les obligations de l'art. 321a al. 4 CO après la fin des rapports de travail sur sa connaissance de la clientèle, que les documents de l'employeur détenus par l'employé procédaient d'une communication vraisemblablement autorisée de sorte qu'ils n'avaient pas été "subtilisés", qu'il n'était en tout état pas rendu vraisemblable que ces documents auraient été utilisés par l'employé qui avait de par sa fonction connaissance de la clientèle avec laquelle il entretenait vraisemblablement des liens personnels, que les informations communiquées à celle-ci relevaient des démarches admissibles de préparation du futur emploi, qu'il n'était pas rendu vraisemblable que les départs d'autres employés provenaient d'un débauchage.
B. Par acte du 8 janvier 2024, A______ SA a formé appel contre ce jugement.
Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait a conclu à ce qu'il soit fait interdiction à B______, sous menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, d'inciter sa clientèle à la quitter, de prendre contact avec ses clients existants, d'utiliser pour son propre compte ou celui d'un tiers, notamment C______ TRUSTEES SA, toute information relative à sa clientèle dont il aurait eu connaissance durant son emploi, d'entreprendre tout acte quelconque la discréditant auprès de tiers ou de sa clientèle de nature à entamer sa réputation commerciale, à ce qu'il soit dit qu'en cas de non-respect de ses injonctions, B______ serait condamné à sa requête à une amende d'ordre de 10'000 fr. par client contacté, sans sûretés, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision, sous suite de frais et dépens.
Elle n'a pas remis en cause le ch. 5 du dispositif de la décision attaquée. Dans sa partie en droit consacrée à l'art. 3 al. 1 let. a LCD, elle a notamment fait figurer un passage (p. 10) constituant la reproduction exacte de deux paragraphes figurant dans sa réplique de première instance. Elle a procédé de même dans la partie intitulée "de l'art. 321a al. 1 CO et de l'art. 5 let. a LCD" (p. 9 par. 3 à 5; p. 9 par. 9).
B______ a conclu à la confirmation de la décision attaquée, avec suite de frais et dépens.
Il a allégué à titre de fait nouveau l'arrêt ACJC/1449/2023 (aujourd'hui définitif), rendu entre A______ SA et C______ TRUSTEES SA, par la Cour statuant en qualité d'instance cantonale unique au sens de l'art. 5 al. 1 let. d CPC, le 31 octobre 2023. La requête de mesures provisionnelles formée par A______ SA le 2 juin 2023, fondée sur les art. 3, 4 et 5 LCD avait été rejetée, l'existence d'un acte de concurrence déloyale n'ayant pas été rendue vraisemblable et la condition de l'urgence n'étant pas réalisée.
Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives. A______ SA s'est encore déterminée.
Dans sa réplique, A______ SA a notamment développé quelques nouveaux griefs à l'endroit du jugement.
Elle a fait valoir à titre de faits nouveaux les décisions rendues à titre provisionnel et superprovisionnel par le Tribunal dans des causes l'opposant à des anciens employés tiers.
Par avis du 26 mars 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
C. Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants:
a. A______ SA (D______ SA jusqu'au 17 mars 2009; ci-après A______ SA) est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, qui a pour but la prestation de services dans le domaine du conseil en matière de constitution, contrôle et gestion de trusts, fondations et sociétés dans différentes juridictions ainsi que prestation de services et conseils juridiques, comptables et administratifs y relatifs.
E______ en est l'administratrice présidente.
b. Le 1er mars 2004, B______ s'est engagé au service de A______ SA en qualité de senior trust manager. Le contrat de travail conclu entre les parties comporte une clause ainsi libellée: "Vous ne devez pas, pendant la durée de votre emploi ou après (quelle que soit la manière dont votre emploi prendra fin), utiliser à votre profit ou au profit de toute autre personne ou divulguer à toute personne des informations confidentielles relatives aux activités, aux affaires, aux intérêts ou à la situation financière de [A______ SA] ou de l'une des filiales ou sociétés associées ou de toute personne, entreprise ou société avec laquelle [A______ SA] ou toute filiale ou société associée est ou a été en relation. Pendant une période d'un an après la date de cessation de votre emploi, pour quelque raison que ce soit et quelle qu'en soit la cause, que ce soit pour votre propre compte ou pour celui d'une autre personne, d'une entreprise, d'une société ou d'une autorité, vous ne solliciterez pas ou ne détournerez de [A______ SA], de l'une de ses filiales ou sociétés associées une personne, une entreprise, une société ou une autorité à qui [A______ SA] ou l'une de ses filiales ou sociétés associées fournit des services et/ou des conseils, a fourni des services et/ou des conseils, à un moment quelconque au cours de la période de douze mois précédant immédiatement la cessation de votre emploi. Pendant une période d'un an à compter de la date de cessation de votre emploi, pour quelque raison que ce soit et quelle qu'en soit la cause, que ce soit pour votre propre compte pour celui d'une autre personne, entreprise, société ou autorité, vous ne solliciterez pas ni ne détournerez de [A______ SA] ou de toute filiale ou société associée, toute personne, entreprise, société ou autorité qui sera alors ou qui, à tout moment au cours de la période de douze mois immédiatement antérieure, a été un client de [A______ SA] ou de toute filiale ou société associée et avec qui vous avez traité, pour des services ou des conseils de même nature".
c. A compter du 10 février 2009, B______ a été nommé directeur commercial business developer et a reçu 10% des actions de A______ SA.
d. Par lettre du 27 septembre 2022, il a résilié ses rapports de travail avec effet au 31 décembre suivant. Il a invoqué la circonstance qu'il lui était "aujourd'hui impossible de continuer à travailler dans de telles conditions".
e. Le 14 novembre 2022, B______ et A______ SA (par E______) ont échangé des courriels. Il en résulte en substance que leurs avocats respectifs avaient été en contact à propos d'un enregistrement du premier en tant que dirigeant qualifié auprès de la FINMA, que la seconde nourrissait des doutes quant à une éventuelle activité future de B______, que ce dernier s'en est offusqué précisant avoir déjà exposé "quelles étaient [s]es intentions", qu'il ne travaillerait pas pour des clients, et qu'il priait son employeur de cesser "d'insinuer qu'il aurait conclu des accords quels qu'ils soient avec des clients de A______ SA".
f. Le ______ 2022, a été inscrite au Registre du commerce genevois C______ TRUSTEES SA (F______ SA jusqu'au 2 février 2023; ci-après C______ SA), qui a pour but tous services dans les domaines de l'incorporation et la gestion d'entités suisses ou étrangères, de la mise en place et de l'administration de trusts, des services de comptabilité et d'administration de structures patrimoniales et de conseils liés à la planification financière et fiscale en général à l'exception de la gestion de fortune.
Le 21 décembre 2022, elle a obtenu de la FINMA l'autorisation de qualité de trustee au sens de l'art. 2 al. 1 let. b LEFin.
g. A compter du 31 janvier 2023, B______ est devenu administrateur président de C______ SA.
G______ (au service de A______ SA jusqu'à sa démission du 29 août 2022 avec effet au 30 novembre 2022) en est administratrice (depuis janvier 2023). H______ et I______ (au service de A______ SA jusqu'à leurs démissions respectives du 27 octobre 2022 avec effet au 31 janvier 2023 et du 23 février 2023 avec effet au 30 avril 2023) en sont devenus directeurs en février 2023 respectivement septembre 2023, la première ayant été nommée administratrice en février 2024.
h. De janvier à mai 2023, des clients de A______ SA ont annoncé à celle-ci la résiliation de leur contrat, au profit de C______ SA ou d'autres entités; certaines des lettres de la clientèle étaient datées du 1er janvier 2023 ou comportaient des passages préformulés identiques. A______ SA affirme (allégué 44) que l'adresse manuscrite que portent certaines des enveloppes ayant contenu lesdites lettres révélerait une écriture identique à celle de B______.
A______ SA a allégué qu'il s'agissait de vingt-quatre clients au total, représentant un chiffre d'affaires de 1'007'039 fr.
B______ conteste avoir opéré du démarchage "actif" de clients, affirmant que certains de ceux-ci ont décidé de leur propre initiative de poursuivre leurs relations avec lui au sein de C______ SA. Il a notamment contesté l'allégué 44 de A______ SA.
i. Le 3 février 2023, A______ SA a saisi le Tribunal d'une requête de mesures provisionnelles dirigées contre B______. Elle a conclu à ce que, sous menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, il soit fait interdiction à celui-ci d'inciter sa clientèle à la quitter, de prendre contact avec ses clients existants, d'utiliser pour son propre compte ou celui d'un tiers, notamment C______ SA, toute information relative à sa clientèle dont il aurait eu connaissance durant son emploi, d'entreprendre tout acte quelconque la discréditant auprès de tiers ou de sa clientèle de nature à entamer sa réputation commerciale, à ce qu'il soit dit qu'en cas de non-respect de ses injonctions, B______ serait condamné à sa requête à une amende d'ordre de 10'000 fr. par client contacté, sans sûretés, sous suite de frais et dépens.
Elle a fondé sa requête sur les art. 321a CO et 340 al. 1 CO.
Elle a pris les mêmes conclusions à titre superprovisionnel, ce qui a été rejeté par ordonnance présidentielle du 6 février 2023, notamment au motif que les conditions prévues à l'art. 340b al. 3 CO n'apparaissaient pas réalisées.
B______ a conclu au déboutement de A______ SA des fins de sa requête, avec suite de frais et dépens. Il a notamment affirmé qu'il avait respecté l'intégralité de ses obligations professionnelles jusqu'au 31 décembre 2022, ainsi que la clause de prohibition de concurrence dont il contestait en tout état la validité.
Il a, entre autres pièces, produit un échange de courriels (rédigés en anglais) avec un client, en janvier 2023, signalant notamment qu'il avait quitté A______ SA, que "the management team of A______ SA decided to come with me", et que celle-ci demeurait à son avis "strong with a couple of very good professionals working in it" (pièce 3).
Dans sa réplique, A______ SA a allégué des faits nouveaux. Elle s'est prévalue de prétentions découlant des art. 3 al. 1 let. a LCD, 5 let. a LCD et 2 LCD.
Elle a notamment allégué le contenu d'un "témoignage écrit" qu'elle a produit. Il s'agit d'une note établie par J______ (collaboratrice de A______ SA) rapportant des propos adressés à celle-ci en septembre 2022 par K______ (administratrice de C______ SA).
Elle a fait valoir, dans la partie en droit de la réplique consacrée à la "violation de l'art. 3 al. 1 let. a LCD" (page 19), notamment les arguments suivants: "De la même manière, en prétendant que l'ensemble de la team management de la Requérante avait décidé de le suivre (pièce 3, cité), M. B______ suscite chez les clients la crainte, voire la conviction, que A______ SA a été vidée de sa substance et que des évènements graves portant préjudice à la stabilité de l'entreprise sont intervenus. Ces différentes affirmations aussi fausses que fallacieuses ne sauraient être justifiées. Un tel comportement de la part de M. B______ est constitutif d'une violation de l'art. 3 al. 1 let. a LCD, de surcroît lorsqu'il a pour seul but de favoriser de manière déloyale sa propre activité concurrente". En ce qui concerne la violation prétendue de l'art. 321a CO, elle a notamment mentionné des données envoyées par B______ qu'elle venait de retrouver, soit des modèles de formulaires qu'elle avait créés à l'attention de sa clientèle, de ses bilans et états financiers, et un formulaire subtilisé par B______ acheté à un tiers en vue de sa demande auprès de la FINMA, ainsi que des coordonnées enregistrées et envoyées par courriel comportant des coordonnées personnelles, financières et fiscales de sa clientèle. Selon elle, B______ avait "manifestement subtilisé ces informations à la requérante afin d'une part de mieux démarcher la clientèle de cette dernière, et d'autre part de lancer son entreprise concurrente en s'affranchissant de tous les efforts normalement requis pour déployer une telle activité commerciale" (p. 16, par. 5, 7 et 8; p. 17 par. 2).
B______ a dupliqué, persistant dans ses conclusions. Il a contesté tout envoi non autorisé sur sa messagerie personnelle, et allégué avoir procédé de la sorte depuis 2017, en particulier lorsqu'il était en déplacement d'affaires à l'étranger et plus généralement à compter de la pandémie COVID-19; l'accès à distance à la messagerie professionnelle n'était pas possible jusqu'à une date qu'il n'a pas précisée, l'impression demeurant infaisable depuis lors. En tout état, il n'avait pas fait usage de ces documents en faveur de C______ SA. Il a soutenu que les prétentions fondées sur la LCD excédaient la compétence prud'homale.
Il a notamment produit un échange de courriels de 2021 et des courriels de 2021 et 2022 dont résulte que E______ évoquait "une solution pour éviter de passer par [leurs] boîtes privées", et que des employés de A______ SA expédiaient depuis leur messagerie professionnelle sur leur messagerie privée des contenus en vue de les faire suivre via la messagerie whatsapp à des clients
A______ SA a encore déposé des déterminations le 30 mai 2023, alléguant des faits nouveaux. Elle a notamment fait valoir que près de 80 entités avaient résilié leur relation d'affaires auprès d'elle, pour un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 1'772'270 fr.
B______ s'est prononcé à leur sujet le 26 juin 2023, persistant dans ses conclusions antérieures.
Le 10 août 2023, les parties ont été informées de ce qu'une décision serait rendue "prochainement". Les parties ont encore déposé des déterminations spontanées avant et après cette date.
1. Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles si la valeur litigieuse est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. b et al. 2 CPC).
En l'espèce, il n'est pas contesté que la valeur litigieuse des mesures provisionnelles requises est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.
2. Pour satisfaire à l'obligation de motivation résultant de l'art. 311 al. 1 CPC, l'appelant doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée et son argumentation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).
Même si l'instance d'appel applique le droit d'office (art. 57 CPC), le procès se présente différemment en seconde instance, vu la décision déjà rendue. L'appelant doit donc tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Il ne saurait se borner à simplement reprendre des allégués de fait ou des arguments de droit présentés en première instance, mais il doit s'efforcer d'établir que, sur les faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, la décision attaquée est entachée d'erreurs. Il ne peut le faire qu'en reprenant la démarche du premier juge et en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement. A défaut, son recours est irrecevable. Ainsi, lorsque la motivation de l'appel est identique aux moyens qui avaient déjà été présentés en première instance, avant la reddition de la décision attaquée, ou si elle ne contient que des critiques toutes générales de la décision attaquée ou encore si elle ne fait que renvoyer aux moyens soulevés en première instance, elle ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC et l'instance d'appel ne peut entrer en matière (arrêt du Tribunal fédéral 4A_463/2023 du 24 avril 2024 consid. 4.1 et les références citées).
La motivation d'un acte d'appel doit être entièrement contenue dans le mémoire d'appel lui-même. Elle ne peut être complétée ou corrigée ultérieurement. Si elle fait défaut, la juridiction d'appel n'entre pas en matière. Il en va de même pour les conclusions d'appel. En effet, il ne peut être remédié à un défaut de motivation ou à des conclusions déficientes, de tels vices n'étant pas d'ordre formel et affectant l'appel de manière irréparable, ce même si le mémoire émane d'une personne sans formation juridique (arrêt du Tribunal fédéral 5A_959/2023 du 23 janvier 2024 consid. 3.2. et les références citées).
En l'occurrence, interjeté dans le délai prescrit (art. 130, 131, 314 al. 1 CPC), l'appel est recevable, sous réserve de ce qui suivra quant à sa motivation, et étant observé que l'appelante ne remet en cause que les chiffres 7 et 12 du dispositif de la décision attaquée.
Il n'est pas nécessaire de se pencher plus avant sur la recevabilité des pièces nouvelles déposées par les parties, dont le contenu est irrelevant au vu de ce qui va suivre. En particulier, il ne saurait être question de tirer argument des décisions rendues sur effet suspensif en vue de maintenir, durant la procédure d'appel, la situation en vigueur depuis une ordonnance rendue ex parte par le Tribunal.
3. L'instance d'appel revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 lit. d CPC), avec administration restreinte des moyens de preuve (la preuve étant généralement apportée par titre, art. 254 CPC), la cognition du juge est toutefois limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5.1). Compte tenu de la valeur litigieuse supérieure à 30'000 fr., les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1 cum 247 al. 1 let. b ch. 2 CPC et 58 al. 1 CPC).
4. L'appelante a adressé plusieurs reproches aux premiers juges s'agissant de la constatation des faits.
Il en a été tenu compte, en tant qu'il s'agissait de faits pertinents, dans l'état de fait dressé ci-dessus.
5. L'intimé observe que les prétentions de l'appelante fondées, à compter de la réplique de première instance de celle-ci, notamment sur la LCD, excéderaient la compétence prud'homale et seraient contraires à l'art. 5 CPC et au droit genevois d'organisation judiciaire.
En l'occurrence, il apparaît que l'instance a été liée par des conclusions dont il n'est pas contesté qu'elles relèvent des art. 319ss CO, qui ont ensuite été appuyées en outre sur la LCD mais sont demeurées inchangées. Compte tenu de l'issue de la procédure, déterminer si un tel procédé entre dans le champ d'application de l'art. 90 let. a CPC, respectivement se heurte à l'art. 5 CPC, souffre de demeurer indécis.
6. L'appelante reproche aux premiers juges de ne pas avoir retenu qu'elle subissait une atteinte, toujours en cours, du fait de la violation par l'intimé de son obligation de fidélité durant son emploi ou une violation des clauses de non-concurrence après la fin des relations contractuelles.
6.1 Selon l'art. 261 al. 1 CPC, le Tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire remplit les conditions suivantes: elle est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a); cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).
L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué. Le requérant doit ainsi rendre vraisemblable que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès (arrêt du Tribunal fédéral 5P_422/2005 consid. 3.2 in SJ 2006 I p. 371; Bohnet, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 7 ad art. 261 CPC). Il doit donc également rendre vraisemblable une atteinte au droit ou son imminence (Bohnet, op. cit., n. 10 ad art. 261 CPC).
Est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement. Entre notamment dans ce cas de figure la perte de clientèle (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1; Sprecher, in Commentaire bâlois, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2017, n. 34 ad art. 261 CPC; Dietschy, Les conflits de travail en procédure civile suisse, 2011, n. 461, p. 226).
Le préjudice difficilement réparable suppose l'urgence (Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC; cf. également Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, p. 6961), qui y est implicitement contenue (Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, Sutter-Somm et al., 3ème éd., 2016, n. 22 ad art. 261). Celle-ci est en principe admise lorsque le demandeur pourrait subir un dommage économique ou immatériel s'il devait attendre qu'une décision au fond soit rendue dans une procédure ordinaire (ATF 116 Ia 446 consid. 2 in JdT 1992 I p. 122). Toutefois, l'urgence apparaît comme une notion juridique indéterminée, dont le contenu ne peut être fixé une fois pour toutes. Il appartient au juge d'examiner de cas en cas si cette condition est réalisée, ce qui explique qu'il puisse se montrer plus ou moins exigeant suivant les circonstances (arrêts du Tribunal fédéral 4P_263/2004 consid. 2.2, RSPC 2005 p. 414 et 4P_224/1990 consid. 4c in SJ 1991 p. 113). Alors même que les mesures provisionnelles sont subordonnées à l'urgence, le droit de les requérir ne se périme pas, mais la temporisation du requérant durant plusieurs mois à dater de la connaissance du dommage ou du risque peut signifier qu'une protection n'est pas nécessaire, voire qu'elle peut constituer un abus de droit (arrêts du Tribunal fédéral 4P.263/2004 du 1er février 2005 consid. 2.1; 4P.224/1990 du 28 novembre 1990 consid. 4c in SJ 1991 p. 113).
Le juge doit procéder à la mise en balance des intérêts contradictoires en présence, c'est-à-dire à l'appréciation des désavantages respectifs en découlant pour le requérant et pour l'intimé, selon que la mesure requise est ordonnée ou refusée (ATF 131 III 473 consid. 2.3; Dietschy, op. cit., n. 462, p. 227; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 1780).
Celui qui requiert des mesures provisionnelles doit rendre vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte - ou risque de l'être -, et qu'il s'expose de ce fait à un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC). Un fait est rendu vraisemblable si le juge, en se basant sur des éléments objectifs, a l'impression que le fait invoqué s'est produit, sans pour autant devoir exclure la possibilité qu'il ait pu se dérouler autrement (ATF 132 III 715 consid. 3.1;
130 III 321 consid. 3.3 p. 325); le juge peut en outre se limiter à un examen sommaire des questions de droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 108 II 69
consid. 2a).
6.2 En raison de son obligation de fidélité, le travailleur doit sauvegarder les intérêts légitimes de son employeur (art. 321a al. 1 CO) et par conséquent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice économiquement (ATF
140 V 521 consid. 7.2.1; 117 II 560 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_297/2016 du 17 novembre 2016 consid. 4.3.1). Il ne doit pas faire concurrence à l'employeur pendant la durée du contrat (art. 321a al. 3 CO). L'obligation de fidélité complète l'obligation de travailler en ce sens qu'elle confère au travail un but, des objectifs: la défense des intérêts de l'employeur (ATF 140 V 521 consid. 7.2.1). Le devoir de fidélité, sous son aspect positif, comprend un devoir d'information et de renseignements à charge du travailleur, qui l'astreint notamment à avertir l'employeur d'éventuels dommages imminents, des perturbations dans l'exécution du travail et d'autres irrégularités ou abus (arrêt du Tribunal fédéral 4A_297/2016, précité, consid. 4.3.1 et les références citées).
Cette obligation accessoire générale vaut dans une mesure accrue pour les cadres, eu égard au crédit particulier et à la responsabilité que leur confère leur fonction dans l'entreprise de l'employeur (arrêt du Tribunal fédéral 4A_393/2020 consid. 4.1.1 et les références citées).
Lorsqu'un employé envisage de se mettre à son compte ou de fonder avec d'autres une entreprise concurrente, il est en soi légitime qu'il puisse entreprendre des préparatifs avant que le contrat de travail ne prenne fin; son devoir de fidélité lui interdit cependant de commencer à concurrencer son employeur, de débaucher des employés ou de détourner de la clientèle avant la fin de la relation de travail (ATF 138 III 67 consid. 2.3.5; 117 II 72 consid. 4). La limite entre les préparatifs admissibles et la violation du devoir de fidélité n'est pas toujours facile à tracer (ATF 138 III 67 consid. 2.3.5).
Lorsque l'employé noue un rapport personnel avec le client en lui fournissant des prestations qui dépendent essentiellement des capacités propres à l'employé, le client attache de l'importance à la personne de l'employé dont il apprécie les capacités personnelles et pour lequel il éprouve de la confiance et de la sympathie. Une telle situation suppose que le travailleur fournisse une prestation qui se caractérise surtout par ses capacités personnelles, de telle sorte que le client attache plus d'importance aux capacités personnelles de l'employé qu'à l'identité de l'employeur. Si, dans une telle situation, le client se détourne de l'employeur pour suivre l'employé, ce préjudice pour l'employeur résulte des capacités personnelles de l'employé et non pas simplement du fait que celui-ci a eu connaissance du nom des clients. Pour admettre une telle situation – qui exclut la clause de prohibition de concurrence – il faut que l'employé fournisse au client une prestation qui se caractérise par une forte composante personnelle (ATF 138 III 67 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_116/2018 précité consid. 4.1). Dire si tel est le cas dépend des circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 4A_205/2021 consid. 4.2).
6.3.1 En l'espèce, s'agissant des conclusions en interdiction de prise de contact avec les clients et d'inciter la clientèle à quitter l'appelante, il est acquis, comme l'a retenu le Tribunal, que plusieurs dizaines de clients ont mis fin au mandat les liant à l'appelante, avec vraisemblablement un dommage financier lié.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, les premiers juges n'ont pas retenu que l'intimé entretenait un lien de confiance particulier avec des clients, mais qu'il était vraisemblable que ce fût le cas; l'appelante ne s'attache pas à démontrer qu'au vu de la nature de l'activité exercée, pareille conclusion serait insoutenable. Il apparaît au contraire qu'elle est dans la ligne des principes jurisprudentiels en la matière, examinés sous l'angle de la vraisemblance, ce qui ruine toute tentative de critique de l'appelante sur ce pan du raisonnement du Tribunal. Au demeurant, les visites effectuées en 2022 (dont l'appelante se prévaut pour y voir une incitation de la part de l'intimé) tendent à confirmer l'existence de ce lien personnel avec les clients. Certes, les résiliations de mandat de janvier 2023 apparaissent avoir été expédiées à la première date utile après la fin des rapports de travail de l'intimé, dans une démarche qui pourrait être collective; il n'en demeure pas moins qu'il est vraisemblable, comme l'ont retenu les premiers juges, que les clients, ont agi de leur propre chef, fût-ce sur la base d'informations de l'intimé quant à ses préparatifs de future activité.
Quant aux départs d'autres employés de l'appelante, les développements que les premiers juges ont consacrés à la question ne font pas l'objet de critiques motivées de l'appelante; la seule mention dans l'appel des dates de départ de deux employés et d'une affirmation de l'intimé contenue dans sa pièce 3 ("The management team of A______ SA decided to come with me"), mettant d'ailleurs en lumière le libre arbitre des intéressés, ne représente pas une motivation suffisante à cet égard.
Ainsi, déduire de ce qui précède que l'intimé se livrerait à d'autres démarches du même ordre n'est pas rendu vraisemblable de par ces seules circonstances, ainsi que l'a retenu à raison le Tribunal.
6.3.2 Pour ce qui a trait à sa conclusion en interdiction d'utilisation d'informations relatives à la clientèle obtenue dans le cadre de l'emploi, l'appelante critique le Tribunal en ce qu'il a retenu que les envois de documents internes par le truchement de boîtes aux lettres non professionnelles étaient usuels et acceptés (ce dont témoignaient en particulier les courriels destinés à ou reçus de E______, entre 2014 et 2022, dont deux évoquaient même des envois par messagerie whatsapp). Ce faisant, elle se limite à contester que tel fût le cas, sans mettre en lumière un élément du dossier qui soutiendrait sa thèse de subtilisation de documents, omettant qu'il lui revenait de rendre vraisemblable l'atteinte alléguée autrement que par une simple affirmation. Elle reprend d'ailleurs textuellement dans son appel (p. 9 par. 3 à 5; p. 9 par. 9) des passages de sa réplique de première instance (p. 16, par. 5, 7 et 8; p. 17 par. 2), ce qui n'est pas suffisant en termes de motivation. Elle ne tente pas davantage de s'en prendre au raisonnement que les premiers juges ont consacré à l'absence de vraisemblance que l'intimé aurait utilisé les données en sa possession. Enfin, il sera rappelé que d'éventuelles critiques développées pour la première fois dans la réplique n'ont pas à être prises en compte.
Ainsi, pour autant que suffisamment motivé, le grief est infondé.
6.3.3 En ce qui concerne sa conclusion en interdiction de dénigrement, l'appelante soutient qu'elle aurait rendu vraisemblables des agissements de l'intimé en ce sens. Elle développe une critique particulièrement sommaire des considérations du Tribunal sur ce point. En effet, elle se réfère à une unique pièce (n. 22) qu'elle a produite, sans tenter de démontrer que les premiers juges auraient à tort retenu que ce "témoignage écrit", même considéré comme un indice (ainsi qu'elle le soutient pour contrer l'affirmation du Tribunal selon laquelle il était dépourvu de toute force probante), se rapportait à des propos n'émanant pas de l'intimé. Elle se limite, pour le surplus, à reproduire mot pour mot un passage de sa réplique (se rapportant à la pièce 3 de l'intimé), ce qui n'est pas admissible ainsi que déjà souligné ci-dessus, et ne discute en rien le raisonnement du Tribunal à ce propos. Une telle manière de procéder n'est pas conforme aux exigences de motivation de l'appel, ce qui rend le grief irrecevable, étant à nouveau rappelé que d'éventuels griefs résultant de la réplique ne sont pas recevables.
Au vu de ce qui précède, la décision attaquée sera confirmée.
7. L'appelante, qui succombe, supportera les frais de son appel (art. 106 al. 1 CPC). Ceux-ci seront arrêtés à 3'000 fr. (art. 71 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'ETAT DE GENEVE.
Il n'est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :
A la forme :
Déclare recevable l'appel formé par A______ SA contre le jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 22 décembre 2023.
Au fond :
Confirme ce jugement.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais:
Arrête les frais d'appel à 3'000 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'ETAT DE GENEVE.
Les met à la charge de A______ SA.
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.
Siégeant :
Madame Sylvie DROIN, présidente; Monsieur Pierre-Alain L'HÔTE, Madame
Filipa CHINARRO, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.
Indication des voies de recours et valeur litigieuse :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.