Décisions | Chambre des prud'hommes
CAPH/63/2024 du 02.09.2024 sur JTPH/422/2023 ( SS ) , CONFIRME
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/13098/2023 CAPH/63/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des prud'hommes DU LUNDI 2 SEPTEMBRE 2024 |
Entre
A______ SA, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 22 décembre 2023 (JTPH/422/2023), représentée par
Me Stéphanie FULD, avocate, BIANCHISCHWALD SÀRL, rue Jacques-Balmat 5, case postale 1203, 1211 Genève 1,
et
Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Pierluca DEGNI, avocat, Degni & Vecchio, rue du Général-Dufour 12, case postale 220, 1211 Genève 8.
A. Par jugement du 22 décembre 2023, expédié pour notification aux parties le même jour, le Tribunal des prud'hommes, après avoir notamment déclaré irrecevables les écritures des parties du 8 septembre 2023 (en tant qu'elles comportaient des faits nouveaux) puis déposées à compter du 29 septembre 2023 (ch. 4), a rejeté la requête de mesures provisionnelles formée le 23 juin 2023 par A______ SA (ch. 10), révoqué son ordonnance du 28 juin 2023 (ch. 11), arrêté les frais judiciaires à 1'000 fr. mis à la charge de la précitée (ch. 12 et 13), dit qu'il ne serait pas alloué de dépens (ch. 14) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 15).
Il a, en substance, retenu que l'employeur n'avait pas rendu vraisemblable s'être réservé par écrit le droit d'exiger la cessation de la contravention à la clause de non concurrence au sens de l'art. 340b al. 3 CO, que l'employé n'était plus tenu par les obligations de l'art. 321a al. 4 CO après la fin des rapports de travail sur sa connaissance de la clientèle, que les documents de l'employeur détenus par l'employé procédaient d'une communication vraisemblablement autorisée de sorte qu'ils n'avaient pas été "subtilisés", qu'il n'était en tout état pas rendu vraisemblable que ces documents auraient été utilisés par l'employé, qu'il n'était pas rendu vraisemblable que ce dernier aurait conduit des clients à mettre fin à leur relation contractuelle avec son employeur, ce qui excluait toute atteinte à la personnalité, que l'employeur disposait d'un droit à la restitution des données, mais que la remise de tous supports serait disproportionnée puisque d'autres mesures moins incisives étaient envisageables.
B. Par acte du 8 janvier 2024, A______ SA a formé appel contre cette décision. Elle a conclu à l'annulation des chiffres 10 à 13 du dispositif de celui-ci, cela fait à ce qu'il soit fait interdiction à B______, sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP, d'exploiter, consulter, communiquer ou utiliser de quelque manière que ce soit pour son propre compte ou celui d'un tiers, les données en sa possession provenant de son activité auprès d'elle, en particulier les documents visés en pièces 24 à 26 ainsi que l'intégralité de leurs annexes, de contacter de quelque manière que ce soit, en agissant directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour celui d'un tiers, ses clients ou employés aux fins de les inciter à modifier de quelque manière que ce soit leurs relations commerciales ou contractuelles avec elle, d'entreprendre tout acte quelconque la discréditant auprès de tiers ou de sa clientèle de nature à entamer sa réputation commerciale, à ce qu'il soit ordonné à B______ de restituer immédiatement tous les supports électroniques notamment mais non exclusivement ses ordinateurs et téléphones portables sur lesquels se trouvent les données en sa possession provenant de son activité auprès d'elle, en particulier les documents visés dans ses pièces 24 à 26 et l'intégralité de leurs annexes.
A titre préalable, elle a requis la suspension de l'effet exécutoire attaché au jugement entrepris, ce à quoi la Cour a fait droit par arrêt du 19 janvier 2024.
A______ SA a formulé des allégués nouveaux et produit des pièces nouvelles. Il en résulte que fin septembre 2023, elle avait découvert que B______ avait cessé, depuis septembre 2022, d'organiser le paiement de factures, en 91'538 fr. 67 au total, qui lui étaient dues par un client (lequel lui avait annoncé le 26 juin 2023 mettre fin à ses relations d'affaires au profit de C______/1______ SA), et contribué à l'assemblée générale de l'une des sociétés du client du 1er juin 2023 qui avait déplacé le siège de cette dernière auprès de C______/1______ SA). En novembre 2023, un client brésilien, géré anciennement par B______ (qui avait opéré un handover lacunaire), avait mis fin à sa relation d'affaires avec elle. Un client russe, souhaitant constituer une entité suisse dans le secteur des produits diététiques permettant de perdre du poids (dossier sur lequel B______ avait longuement travaillé, et opéré un handover lacunaire), n'avait pas démenti qu'il aurait fait constituer à Genève D______ SA, le 27 novembre 2023, dont le siège est auprès de C______/1______ SA et dont les administrateurs sont B______ et E______, alors qu'il restait lui devoir 32'992 fr. d'honoraires.
B______ a conclu à la confirmation de la décision entreprise, avec suite de frais et dépens. Il s'est prévalu de l'irrecevabilité des faits et pièces nouveaux de A______ SA, et s'est déterminé sur ceux-ci, produisant des pièces nouvelles. Il a contesté les reproches qui lui étaient adressés, exposant notamment que des difficultés de règlement (sur lesquelles il n'avait pas prise) des factures par le client étaient apparues, qu'il n'avait pas été convoqué ni n'avait été présent à l'assemblée générale de la société du 1er juin 2023. Il a contesté tout contact direct avec le client brésilien après sa libération de l'obligation de travailler et tout lien entre le client russe de A______ SA et le client à l'origine de la création de D______ SA.
A______ SA a encore déposé des déterminations, persistant dans ses conclusions.
Par avis du 26 mars 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
C. Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants:
a. A______ SA (F______ SA jusqu'au 17 mars 2009; ci-après A______ SA) est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, qui a pour but la prestation de services dans le domaine du conseil en matière de constitution, contrôle et gestion de trusts, fondations et sociétés dans différentes juridictions ainsi que prestation de services et conseils juridiques, comptables et administratifs y relatifs.
G______ en est l'administratrice présidente.
b. En 2009, elle a édicté une directive interne intitulée "H______ Policy". Celle-ci, rédigée en anglais, comporte notamment un passage dont les deux parties proposent une traduction divergente: "Il vous est interdit de vous transférer des emails professionnels vers une boite mail externe" selon A______ SA, "vous ne devez […] pas mettre en place un renvoi automatique du courrier électronique de votre entreprise vers un compte de courrier électronique externe" selon B______.
c. A compter du 1er novembre 2014, B______ s'est engagé au service de A______ SA en qualité de trust officer.
Le contrat de travail conclu entre les parties comporte une clause ainsi libellée: "Vous ne devez pas, pendant la durée de votre emploi ou après (quelle que soit la manière dont votre emploi prendra fin), utiliser à votre profit ou au profit de toute autre personne ou divulguer à toute personne des informations confidentielles relatives aux activités, aux affaires, aux intérêts ou à la situation financière de [A______ SA] ou de l'une des filiales ou sociétés associées ou de toute personne, entreprise ou société avec laquelle [A______ SA] ou toute filiale ou société associée est ou a été en relation. Pendant une période d'un an après la date de cessation de votre emploi, pour quelque raison que ce soit et quelle qu'en soit la cause, que ce soit pour votre propre compte ou pour celui d'une autre personne, d'une entreprise, d'une société ou d'une autorité, vous ne solliciterez pas ou ne détournerez de [A______ SA], de l'une de ses filiales ou sociétés associées une personne, une entreprise, une société ou une autorité à qui [A______ SA] ou l'une de ses filiales ou sociétés associées fournit des services et/ou des conseils, a fourni des services et/ou des conseils, à un moment quelconque au cours de la période de douze mois précédant immédiatement la cessation de votre emploi. Pendant une période d'un an à compter de la date de cessation de votre emploi, pour quelque raison que ce soit et quelle qu'en soit la cause, que ce soit pour votre propre compte pour celui d'une autre personne, entreprise, société ou autorité, vous ne solliciterez pas ni ne détournerez de [A______ SA] ou de toute filiale ou société associée, toute personne, entreprise, société ou autorité qui sera alors ou qui, à tout moment au cours de la période de douze mois immédiatement antérieure, a été un client de [A______ SA] ou de toute filiale ou société associée et avec qui vous avez traité, pour des services ou des conseils de même nature".
B______ a souscrit notamment à la directive interne intitulée "H______ Policy".
d. B______ allègue que A______ SA ne disposait pas des systèmes informatiques permettant d'accéder à sa messagerie professionnelle et à ses dossiers à distance. Il considérait normal que les employés s'adressent des courriels à leurs adresses privées et vice versa, vu cette lacune, et ce pour faciliter les échanges avec les clients. Cette manière de faire était commune au sein de l'équipe de A______ SA et connue.
A______ SA affirme que ses collaborateurs pouvaient se connecter à distance par un accès VPN, mis en place au début de la pandémie Covid-19. Elle conteste les allégués précités de B______.
e. Le ______ novembre 2022, a été inscrite au Registre du commerce genevois C______/1______ SA (C______/2______ SA jusqu'au 2 février 2023; ci-après C______/1______), qui a pour but tous services dans les domaines de l'incorporation et la gestion d'entités suisses ou étrangères, de la mise en place et de l'administration de trusts, des services de comptabilité et d'administration de structures patrimoniales et de conseils liés à la planification financière et fiscale en général à l'exception de la gestion de fortune.
Le 21 décembre 2022, elle a obtenu de la FINMA l'autorisation de qualité de trustee au sens de l'art. 2 al. 1 let. b LEFin.
E______ (au service de A______ SA jusqu'à sa démission du 27 septembre 2022 avec effet au 31 décembre 2022) en est devenu administrateur président à fin janvier 2023. I______ (au service de A______ SA jusqu'à sa démission du 29 août 2022 avec effet au 30 novembre 2022) en est administratrice (depuis janvier 2023). J______ et K______ (au service de A______ SA jusqu'à leurs démissions respectives du 27 octobre 2022 avec effet au 31 janvier 2023 et du 23 février 2023 avec effet au 30 avril 2023) en sont devenus directeurs en février 2023 respectivement septembre 2023, la première ayant été nommée administratrice en février 2024.
f. A______ SA allègue que le 13 avril 2023, B______ a rencontré un représentant d'une société cliente (dont il était administrateur), société qui le lendemain a tenu une assemblée générale dans les locaux de C______/1______ au cours de laquelle les pouvoirs de B______ ont été annulés et conférés à E______.
B______ admet avoir déjeuné avec le client précité mais conteste avoir exercé quelque influence que ce soit en ce qui concerne l'assemblée générale et les décisions qui y ont été prises, alléguant avoir été "retiré de force par l'assemblée générale".
g. Par courrier du 26 avril 2023, B______ a résilié ses rapports de travail avec A______ SA pour le 30 juin 2023.
h. Par courriel du 11 mai 2023, A______ SA s'est adressée en ces termes à B______: "J'ai pris bonne note de votre démission […] Jusqu'au terme, vous restez toutefois tenu de remplir vos obligations professionnelles selon votre contrat de travail. Aussi, je vous rappelle que vous restez tenu par votre devoir de confidentialité et de discrétion tel qu'il est prévu dans votre contrat de travail et dans le code des obligations. Ce devoir n'est pas limité dans le temps. En outre, vous restez lié par les clauses de non-concurrence et de non-débauchage qui figurent dans votre contrat de travail. Je vous remercie par avance de me confirmer que vous prenez bonne note de ce qui précède".
Après un message de relance de A______ SA requérant "la confirmation demandée dans [le] message" du 11 mai précédent, B______ a, le 23 mai 2023, répondu en ces termes: "J'accuse bonne réception de votre email du 11 mai […]".
i. Parallèlement, A______ SA a requis de B______ qu'il lui remette une liste, avec coordonnées complètes, des clients dont il avait la charge.
Après relance et compléments, la liste fournie à A______ SA n'a pas satisfait celle-ci.
j. Le 9 juin 2023, A______ SA s'est adressée par courriel à B______ pour lui rappeler qu'il n'était pas en droit d'entreprendre de telles initiatives ni de démarcher de la clientèle, se référant à ce que le précité aurait été entendu, dans son bureau, évoquer avec un correspondant téléphonique indéterminé, en russe, qu'il partait à la fin du mois et souhaitait une rencontre "en terrain neutre".
B______ a répondu le même jour en ces termes: "Je vous rappelle qu'avec ma femme nous parlons russe et qu'en famille le russe est notre langue maternelle".
k. A compter du 13 juin 2023, B______ a été libéré de son obligation de travailler. Dès le 1er juillet 2023, il s'est engagé au service de C______/1______ en qualité de senior trust officer (contrat de travail du 26 avril 2023).
l. A______ SA allègue que le 19 juin 2023, elle a découvert que B______ avait envoyé de son adresse professionnelle à des adresses privées (de K______, et J______) des courriels comportant des documents confidentiels, notamment les 20 et 24 mars 2020 ainsi que 17 mai 2022.
m. Le 23 juin 2023, A______ SA a adressé au Tribunal une requête de mesures provisionnelles, par laquelle il a conclu à ce qu'il soit fait interdiction à B______, sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP, d'exploiter, consulter, communiquer ou utiliser de quelque manière que ce soit pour son propre compte ou celui d'un tiers, les données en sa possession provenant de son activité auprès d'elle, en particulier les documents visés en pièces 24 à 26 ainsi que l'intégralité de leurs annexes, de contacter de quelque manière que ce soit, en agissant directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour celui d'un tiers, ses clients ou employés aux fins de les inciter à modifier de quelque manière que ce soit leurs relations commerciales ou contractuelles avec elle, d'entreprendre tout acte quelconque la discréditant auprès de tiers ou de sa clientèle de nature à entamer sa réputation commerciale, à ce qu'il soit ordonné à B______ de déposer immédiatement, soit au lendemain de l'ordonnance, auprès du Tribunal tous les supports électroniques notamment mais non exclusivement ses ordinateurs et téléphones portables sur lesquels se trouvaient des données en sa possession provenant de son activité auprès d'elle en particulier les documents visés en pièces 20 à 28 et l'intégralité de leurs annexes, sans sûretés, avec suite de frais.
A titre superprovisionnel, elle a articulé les mêmes conclusions, auxquelles il a été fait droit, à l'exception de la dernière d'entre elles, par ordonnance du Tribunal du 21 juin 2023.
Elle a fondé ses prétentions sur les art. 321a al. 1 et 4, s'agissant de ses conclusions en interdiction d'exploitation de données et de contact de clients et employés, ainsi que 28ss CC en ce qui concerne sa conclusion en interdiction d'actes la discréditant, et 339a CO (violation du devoir de restitution).
Elle a notamment fait valoir que dix clients précédemment gérés par B______ avaient mis fin à leur relation d'affaires, représentant un chiffre d'affaires de l'ordre de 254'560 fr.
B______ a conclu au déboutement de A______ SA, sous suite de frais et dépens.
Au sujet de sa conversation téléphonique du 9 mai 2023, il a allégué que son correspondant russophone était un ami de son père, qui n'était pas client de A______ SA, auquel il avait brièvement donné de ses nouvelles professionnelles et dit qu'il pourrait éventuellement le rencontrer seulement en "terrain neutre", par quoi il entendait la Turquie ou Dubaï par exemple.
Le 31 août 2023, le Tribunal a communiqué aux parties qu'une décision serait rendue "prochainement".
1. Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles si la valeur litigieuse est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. b et al. 2 CPC).
En l'espèce, il n'est pas contesté que la valeur litigieuse des mesures provisionnelles requises est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.
2. L'instance d'appel revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 lit. d CPC), avec administration restreinte des moyens de preuve (la preuve étant généralement apportée par titre, art. 254 CPC), la cognition du juge est toutefois limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5.1). Compte tenu de la valeur litigeuse supérieure à 30'000 fr., les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1 cum 247 al. 1 let. b ch. 2 CPC et 58 al. 1 CPC).
3. Pour satisfaire à l'obligation de motivation résultant de l'art. 311 al. 1 CPC, l'appelant doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée et son argumentation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).
Même si l'instance d'appel applique le droit d'office (art. 57 CPC), le procès se présente différemment en seconde instance, vu la décision déjà rendue. L'appelant doit donc tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Il ne saurait se borner à simplement reprendre des allégués de fait ou des arguments de droit présentés en première instance, mais il doit s'efforcer d'établir que, sur les faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, la décision attaquée est entachée d'erreurs. Il ne peut le faire qu'en reprenant la démarche du premier juge et en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement. A défaut, son recours est irrecevable. Ainsi, lorsque la motivation de l'appel est identique aux moyens qui avaient déjà été présentés en première instance, avant la reddition de la décision attaquée, ou si elle ne contient que des critiques toutes générales de la décision attaquée ou encore si elle ne fait que renvoyer aux moyens soulevés en première instance, elle ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC et l'instance d'appel ne peut entrer en matière (arrêt du Tribunal fédéral 4A_463/2023 du 24 avril 2024 consid. 4.1 et les références citées).
La motivation d'un acte d'appel doit être entièrement contenue dans le mémoire d'appel lui-même. Elle ne peut être complétée ou corrigée ultérieurement. Si elle fait défaut, la juridiction d'appel n'entre pas en matière. Il en va de même pour les conclusions d'appel. En effet, il ne peut être remédié à un défaut de motivation ou à des conclusions déficientes, de tels vices n'étant pas d'ordre formel et affectant l'appel de manière irréparable, ce même si le mémoire émane d'une personne sans formation juridique (arrêt du Tribunal fédéral 5A_959/2023 du 23 janvier 2024 consid. 3.2. et les références citées).
En l'occurrence, interjeté dans le délai prescrit (art. 130, 131, 314 al. 1 CPC), l'appel est recevable, sous réserve de ce qui suivra quant à sa motivation.
4. L'appelante a allégué des faits nouveaux, soit survenus après que le Tribunal avait annoncé garder la cause à juger.
Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte qu'aux conditions suivantes: ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Ces conditions sont cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 5A_456/2016 du 28 octobre 2016 consid. 4.1.1).
S'agissant des vrais nova, la condition de nouveauté est sans autre réalisée et seule celle d'allégation immédiate doit être examinée. En ce qui concerne les pseudo nova, il appartient au plaideur qui entend les invoquer devant l'instance d'appel de démontrer qu'il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d'exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n'a pas pu être produit en première instance (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1).
En l'occurrence, la recevabilité des faits nouveaux allégués peut demeurer indécise, ceux-ci étant en tout état dépourvus de pertinence dans le cadre de l'examen de la vraisemblance opéré ci-dessous.
5. L'appelante reproche aux premiers juges de ne pas avoir retenu qu'elle subissait une atteinte, toujours en cours, du fait de la violation par l'intimé de ses obligations.
5.1 Selon l'art. 261 al. 1 CPC, le Tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire remplit les conditions suivantes: elle est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a); cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).
L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué. Le requérant doit ainsi rendre vraisemblable que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès (arrêt du Tribunal fédéral 5P.422/2005 consid. 3.2 in SJ 2006 I p. 371; Bohnet, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 7 ad art. 261 CPC). Il doit donc également rendre vraisemblable une atteinte au droit ou son imminence (Bohnet, op. cit., n. 10 ad art. 261 CPC).
Est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement. Entre notamment dans ce cas de figure la perte de clientèle (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1; Sprecher, in Commentaire bâlois, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2017, n. 34 ad art. 261 CPC; Dietschy, Les conflits de travail en procédure civile suisse, 2011, n. 461, p. 226).
Le préjudice difficilement réparable suppose l'urgence (Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC; cf. également Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, p. 6961), qui y est implicitement contenue (Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, Sutter-Somm et al., 3ème éd., 2016, n. 22 ad art. 261). Celle-ci est en principe admise lorsque le demandeur pourrait subir un dommage économique ou immatériel s'il devait attendre qu'une décision au fond soit rendue dans une procédure ordinaire (ATF 116 Ia 446 consid. 2 in JdT 1992 I p. 122). Toutefois, l'urgence apparaît comme une notion juridique indéterminée, dont le contenu ne peut être fixé une fois pour toutes. Il appartient au juge d'examiner de cas en cas si cette condition est réalisée, ce qui explique qu'il puisse se montrer plus ou moins exigeant suivant les circonstances (arrêts du Tribunal fédéral 4P.263/2004 consid. 2.2, RSPC 2005 p. 414 et 4P.224/1990 consid. 4c in SJ 1991 p. 113). Alors même que les mesures provisionnelles sont subordonnées à l'urgence, le droit de les requérir ne se périme pas, mais la temporisation du requérant durant plusieurs mois à dater de la connaissance du dommage ou du risque peut signifier qu'une protection n'est pas nécessaire, voire qu'elle peut constituer un abus de droit (arrêts du Tribunal fédéral 4P.263/2004 du 1er février 2005 consid. 2.1; 4P.224/1990 du 28 novembre 1990 consid. 4c in SJ 1991 p. 113).
Le juge doit procéder à la mise en balance des intérêts contradictoires en présence, c'est-à-dire à l'appréciation des désavantages respectifs en découlant pour le requérant et pour l'intimé, selon que la mesure requise est ordonnée ou refusée (ATF 131 III 473 consid. 2.3; Dietschy, op. cit., n. 462, p. 227; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 1780).
Celui qui requiert des mesures provisionnelles doit rendre vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte - ou risque de l'être -, et qu'il s'expose de ce fait à un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC). Un fait est rendu vraisemblable si le juge, en se basant sur des éléments objectifs, a l'impression que le fait invoqué s'est produit, sans pour autant devoir exclure la possibilité qu'il ait pu se dérouler autrement (ATF 132 III 715 consid. 3.1;
130 III 321 consid. 3.3 p. 325); le juge peut en outre se limiter à un examen sommaire des questions de droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 108 II 69 consid. 2a).
5.2 En raison de son obligation de fidélité, le travailleur doit sauvegarder les intérêts légitimes de son employeur (art. 321a al. 1 CO) et par conséquent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice économiquement (ATF 140 V 521 consid. 7.2.1; 117 II 560 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_297/2016 du 17 novembre 2016 consid. 4.3.1). Il ne doit pas faire concurrence à l'employeur pendant la durée du contrat (art. 321a al. 3 CO). L'obligation de fidélité complète l'obligation de travailler en ce sens qu'elle confère au travail un but, des objectifs: la défense des intérêts de l'employeur (ATF 140 V 521 consid. 7.2.1). Le devoir de fidélité, sous son aspect positif, comprend un devoir d'information et de renseignements à charge du travailleur, qui l'astreint notamment à avertir l'employeur d'éventuels dommages imminents, des perturbations dans l'exécution du travail et d'autres irrégularités ou abus (arrêt du Tribunal fédéral 4A_297/2016, précité, consid. 4.3.1 et les références citées).
5.3.1 En l'espèce, pour ce qui a trait à sa conclusion en interdiction d'utilisation d'informations relatives à la clientèle obtenues dans le cadre de l'emploi, l'appelante soutient que le Tribunal aurait mal apprécié les faits en retenant qu'il n'était pas rendu vraisemblable que l'intimé aurait communiqué des documents sur des adresses privées en vue de détourner de la clientèle. Elle voit dans la directive émise en 2014, souscrite par l'intimé, la démonstration qu'elle proscrivait l'envoi de courriels sur des messageries externes, ce qui était renforcé par la mise à disposition d'une connexion à distance à compter de 2020 ou 2021. Certes, il apparaît que l'intimé a procédé à de tels envois, à l'instar de certains de ses collègues, et a fait adresser par l'une de celles-ci (J______) à une reprise un courriel sur une boîte personnelle. Déduire de ces circonstances que serait rendu vraisemblable que les informations dont disposait ainsi l'intimé (ce qui n'est pas contesté) auraient été collectées durant plusieurs mois voire années en vue d'un détournement de clientèle, soit par lui-même soit par ses collègues futurs démissionnaires ne convainc guère, ainsi que l'ont retenu les premiers juges. Pour le surplus, l'appelante se réfère en bloc à ses faits nouveaux, dont elle ne développe, dans sa partie en droit, que ceux consacrés à la création de D______ SA. Contrairement à ce qu'elle soutient, ceux-ci ne rendent pas davantage vraisemblables les atteintes prétendues: en particulier aucun élément, si ce n'est une éventuelle coïncidence de raison sociale et de but social, n'accrédite la supposition de l'appelante en ce qui concerne la création de D______ SA (le courriel du client russe contacté faisant en particulier ressortir que sa relation d'affaires avec l'appelante se poursuivrait) et de factures temporairement non réglées. Quant à d'éventuels manquements dans les procédures de handover, à supposer qu'ils soient rendus vraisemblables, leur lien avec les atteintes prétendues n'est pas non plus apparent, sous l'angle de la vraisemblance; peu importe donc que les éléments requis aient été communiqués, en totalité ou non, et cas échéant avec retard par l'intimé.
Rien de déterminant ne peut par ailleurs être tiré des courriels de l'intimé à l'appelante (le fait que l'intimé, sans qu'il ne lui soit communiqué de détail, ait rappelé qu'il s'entretenait en russe avec sa famille alors qu'une fois davantage renseigné il a évoqué un tiers non client de l'appelante, ou qu'il ait par hypothèse varié dans les raisons liées à sa requête d'augmentation de salaire), quoi qu'en affirme celle-ci.
L'appelante reproche aussi aux premiers juges de ne pas avoir vu dans la formulation réservée par l'intimé à la réponse qu'il lui avait adressée le 23 mai 2023 une trace d'intention de violer ses obligations de fidélité. Cette formulation ne révèle cependant rien de pertinent: si effectivement l'intimé n'a pas suivi scrupuleusement les termes que l'appelante l'invitait à utiliser, il n'est pas rendu vraisemblable qu'il aurait sciemment et à dessein recherché une autre expression à la signification supposément plus neutre voire distincte. Quand bien même l'intimé aurait agi avec conscience et volonté, on peine à entrevoir quel argument l'appelante pourrait en déduire; cas échéant, ne pas exprimer que l'on connaît ses obligations est sans effet sur d'éventuels respect ou transgression futurs desdites obligations, contrairement à ce qu'affirme l'appelante.
5.3.2 A bien la comprendre, l'appelante fonde la même conclusion sur son droit découlant de l'art. 28 CC, voyant un risque d'atteinte à sa personnalité sociale et à sa réputation dans un possible traitement illicite des données qu'elle qualifie de "dérobées", ainsi qu'à ses intérêts financiers, en raison de la rupture du lien de confiance avec sa clientèle. Elle évoque aussi les faits nouvellement allégués à cet égard. Ce faisant, elle affirme sa propre version, sans pour autant la rendre vraisemblable, ce qu'il lui incombe de faire. A nouveau, comme retenu ci-dessus, les faits des 13 avril 2023 et 9 juin 2023 ne suffisent pas à rendre vraisemblable l'atteinte soutenue.
Ainsi, pour autant qu'il soit suffisamment motivé, le grief est infondé.
5.3.3 L'appel ne comporte pas de motivation spécifiquement consacrée au rejet par les premiers juges des conclusions en interdiction de contacter des clients ou des employés ainsi que des conclusions en interdiction d'entreprendre tout acte discréditant l'appelante. Le raisonnement de celle-ci est en effet consacré au supposé risque général d'exploitation et de diffusion de données, sans autres développement. A supposer que ces conclusions aient une portée propre, il n'y sera donc pas revenu, la Cour faisant cas échéant siens les considérants du Tribunal qui ont évoqué ces points.
5.3.4 En ce qui concerne la conclusion de première instance en dépôt des supports électroniques sur lesquels se trouveraient des données, il s'agit d'emblée de relever qu'elle a été modifiée en appel puisqu'elle tend nouvellement à une restitution desdits supports. Autant que cette modification de conclusion soit recevable, en retenant qu'elle procéderait d'une réduction (cf arrêts du Tribunal fédéral 5A_621/2012 du 20 mars 2013 consid. 4.3.2 et 5A_456/2016 du 28 octobre 2016 consid. 4.2.2), il y a lieu d'observer ce qui suit. Comme l'a relevé à raison le Tribunal, l'appelante est titulaire d'une prétention en restitution des documents et données obtenus par l'intimé dans le cadre de son emploi; en revanche, elle ne dispose d'aucun droit sur les supports de ceux-ci (ordinateurs et téléphones portables) dont elle ne prétend pas qu'ils lui appartiendraient. A cet égard, les premiers juges ont pertinemment relevé que la proportionnalité commanderait une mesure moins incisive, telle que la remise des documents litigieux sur clé USB avec garantie de n'en avoir pas conservé copie, ce à quoi il aurait sans doute pu être donné droit, pour autant qu'il ait été considéré que la formulation inappropriée de la conclusion (désormais rectifiée en appel) en question n'y faisait pas obstacle. L'appelante faisant cependant valoir expressément ne pouvoir envisager "une mesure adéquate moins incisive que celle sollicitée dans sa conclusion", la question de la proportionnalité ne sera pas examinée plus avant dans le sens esquissé par le Tribunal. L'intérêt de l'appelante à obtenir le retour de copie de données, alors qu'elle entend en réalité faire en sorte que l'intimé ne les exploite pas, n'apparaît au reste pas clairement.
6. En définitive, au vu de ce qui précède, le jugement attaqué sera confirmé.
7. L'appelante, qui succombe, supportera les frais de son appel (art. 106 al. 1 CPC). Ceux-ci seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 71 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'ETAT DE GENEVE.
Il n'est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :
A la forme :
Déclare recevable l'appel formé par A______ SA contre le jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 22 décembre 2023.
Au fond :
Confirme ce jugement.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais:
Arrête les frais d'appel à 1'000 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'ETAT DE GENEVE.
Les met à la charge de A______ SA.
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.
Siégeant :
Madame Sylvie DROIN, présidente; Monsieur Pierre-Alain L'HÔTE, Madame
Filipa CHINARRO, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.
Indication des voies de recours et valeur litigieuse :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.