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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/15398/2021

CAPH/132/2023 du 18.12.2023 sur JTPH/179/2023 ( OS ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15398/2021-3 CAPH/132/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 18 DECEMBRE 2023

 

Entre

A______ SARL, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 30 mai 2023 (JTPH/179/2023), représentée par Me Eric BEAUMONT, avocat, Eardley Avocats, rue De-Candolle 16, 1205 Genève,

 

et

Madame B______, domiciliée c/o Mme C______, ______, intimée, représentée par Me Corinne ROCHAT POCHELON, avocate, Zellweger & Associés, rue de la Fontaine 9, case postale 3781, 1211 Genève 3.


EN FAIT

A. Par jugement JTPH/179/2023 du 30 mai 2023, reçu par les parties le 31 mai 2023, le Tribunal des prud'hommes a condamné A______ SARL à verser à B______ la somme brute de 11'873 fr. 80 avec intérêts à 5% l'an dès le 7 mai 2021 (ch. 3 du dispositif), la somme nette de 8'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 7 mai 2021 (ch. 4), invité la partie en ayant la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles (ch. 5), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6) et dit que la procédure était gratuite (ch. 7).

B. a. Le 30 juin 2023, A______ SARL a formé appel de ce jugement, concluant à ce que la Cour de justice annule les chiffres 3 à 6 de son dispositif, condamne B______ à lui payer 15'000 fr. "au titre de dommage créé par ses agissements" et déboute celle-ci de toute ses conclusions.

b. B______ a conclu à la confirmation du jugement querellé.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées le 9 novembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. A______ SARL exploite un salon de massage.

b. B______ a été engagée par A______ SARL, en qualité de masseuse, à partir du 1er juillet 2016, par contrat de travail de durée indéterminée.

Le lieu de travail se trouvait dans les salons de l'employeur, situés rue 1______ no.______, [code postal] Genève et rue 2______ no. ______, [code postal] Genève.

A teneur du contrat de travail, l’horaire de travail de l’employée pouvait varier en fonction de ses disponibilités et des besoins de l’employeur. Le temps de travail de l’employé n’excéderait pas quarante-deux heures et demi par semaine.

Le salaire horaire brut convenu était de 10 fr. de l’heure, auquel s’ajoutait un montant supplémentaire de respectivement 20 fr. par heure de massage des pieds ou du dos et de 30 fr. par heure de massage du corps à l’huile ou de massage thaï traditionnel ou tout autre massage du corps de soixante minutes ou plus qui pourrait être proposé ultérieurement par l'employeur.

Les vacances convenues étaient de quatre semaines par année et étaient payées sur une base de 8,33% du salaire horaire brut.

Une gratification pouvait éventuellement être accordée à bien plaire à la fin de l’année civile, en fonction du résultat de l’entreprise. L’employée ne pouvait en aucun cas faire valoir de prétentions à cet égard.

L'art. 9 du contrat de travail prévoit que l'employée défend avec fidélité les intérêts de l'entreprise et porte un soin particulier à sa présentation et à son comportement.

c. En raison de la pandémie de COVID-19, B______ a perçu un montant total brut de 7'614.35 fr. à titre d’indemnités de réduction de l'horaire de travail (RHT) en avril, mai et novembre 2020.

d. Elle a également reçu les montants bruts suivants à titre de salaire horaire de base (10 fr.) pour les heures durant lesquelles elle n’effectuait pas de massage: 265 fr. pour 26,5 heures (novembre 2020), 445 fr. pour 44,5 heures (décembre 2020), 377 fr. 50 pour 37,75 heures (janvier 2021), 335 fr. pour 33,5 heures (février 2021), 482 fr. 50 pour 48,25 heures (mars 2021), 582 fr. 5 pour 58,25 heures (avril 2021) et 330 fr. pour 33 heures (mai 2021).

Le Tribunal a retenu, sur la base des témoignages recueillis et sans que cela ne soit contesté de manière motivée en appel, que, pendant le "temps d'attente" rémunéré à 10 fr. de l'heure, B______ devait laver, nettoyer et ranger le linge et les cabines. Les employées n'étaient pas autorisées à quitter le salon pendant le temps d'attente, sauf autorisation expresse de leur supérieur.

e. En octobre et novembre 2020, pendant une période durant laquelle A______ SARL était fermée pour des raisons sanitaires liées à la pandémie du COVID-19, B______ a prodigué, à neuf ou dix reprises, à un client de A______ SARL, D______ et à sa fille, des massages à domicile.

B______ a allégué dans sa demande que ces massages avaient été prodigués à titre gratuit. Lors de son audition par le Tribunal, elle a précisé qu'elle avait cependant indiqué à D______ que son tarif était de 50 fr. de l'heure. D______ lui avait promis de lui acheter un scooter pour payer les massages, ce qu'il n'avait pas fait.

Durant cette période B______ a prodigué à environ cinq reprises des fellations à D______. Ces actes étaient librement consentis et sans contre-prestation financière.

Le Tribunal a retenu, sans que cela ne soit contesté de manière motivée en appel, que B______ et D______, dont la compagne était décédée, et qui était client du salon de longue date, avaient noué une relation amicale avant l'automne 2020. Ils avaient notamment abordé des sujets privés, tels que la maladie de la compagne de D______ et la santé psychologique fragile de B______. Celle-ci était également proche de la fille de celui-ci qu'elle massait régulièrement. Les massages à domicile avaient vraisemblablement été sollicités par le client et non proposés par B______.

Le témoin D______ a confirmé qu'à cette époque B______ n'était pas en bonne santé psychologique. Elle lui avait dit avoir des problèmes financiers. Il avait payé les massages prodigués à sa fille à un tarif de 100 fr. de l'heure, mais B______ avait refusé qu'il paie ceux qu'elle lui avait faits. Elle souhaitait avoir avec lui une relation suivie mais qu'il n'était pas intéressé par cela.

f. Par message WhatsApp du 30 avril 2021, B______ a fait savoir à D______ qu'elle était très malade et qu'elle avait besoin qu'il lui paie tous les massages. Elle ne gagnait même pas 3'000 fr. par mois et n'avait pas pris de vacances depuis trois ans. Elle lui demandait de la payer pour qu'elle "garde secret" son secret, précisant qu'elle avait tout enregistré par WhatsApp.

Le jour même, D______ a répondu que ce message était une menace et qu'il le transmettait à son avocat. Les massages étaient gratuits. Il allait transmettre les messages à son employeur. Il n'y avait aucun secret et il n'avait jamais été question d'argent. Il l'aurait aidée volontairement si elle ne l'avait pas menacé. Il allait la "faire virer".

Toujours le 30 avril 2021, D______ a adressé à B______ copie du message qu'il entendait adresser à son employeur. A teneur de celui-ci, il expliquait que l'intéressée était venue le masser à domicile et lui avait fait des fellations, sans contre-partie financière, "tout était par plaisir". Elle tentait maintenant de le faire chanter, mais il n'avait rien à cacher. Il entendait informer la police, car cela était illégal et le salon allait être impliqué. Il ne viendrait plus jamais au salon et avertirait toutes ses connaissances des pratiques douteuses et malhonnêtes des filles du salon.

g. Lors de son audition comme témoin par le Tribunal, D______ a déclaré qu'il avait transmis les messages de B______ à E______, gérante de A______ SARL. Cette dernière lui avait dit que B______ était une très bonne employée et qu'elle n'entendait pas s'impliquer dans cette histoire qui ne la concernait pas. Elle avait ajouté qu'il était inutile qu'il revienne au salon ce à quoi le témoin avait répondu que c'était bien son intention. Il avait ainsi cessé de fréquenter le salon en raison d'un litige tant avec B______ qu'avec E______.

h. Le 4 mai 2021, B______ a écrit un message à E______ en sollicitant un entretien afin de lui faire part d’un sujet important.

Elle a expliqué lors de son audition par le Tribunal qu'elle pensait que D______ allait la dénoncer auprès de son employeur et qu'elle préférait prendre les devants.

i. Le 6 mai 2021, un entretien a eu lieu entre B______ et E______.

Une note manuscrite, datée du même jour et signée par B______, a été rédigée par E______. Il en ressort que D______ avait appelé B______ afin de lui demander si elle pouvait venir à son domicile en octobre afin de lui prodiguer des massages, de même qu’à sa fille. Il lui avait demandé quel serait son tarif, ce à quoi elle avait répondu cinquante francs de l’heure. B______ avait effectué quinze massages, mais n’avait jamais été payée. Par ailleurs, D______ l’avait persuadée d’avoir des relations intimes avec lui.

A l’issue de cet entretien, E______ a remis à B______ une lettre de licenciement immédiat, datée du même jour, pour raisons graves, soit une perte de confiance et une concurrence déloyale.

Cette lettre avait été rédigée par E______ avant cet entretien; elle était au courant des faits car elle avait parlé avec D______.

j. Par courrier du 12 mai 2021, B______ a fait savoir à A______ SARL que son licenciement immédiat était injustifié et a réclamé le paiement de son salaire jusqu’au 30 juin 2021, de ses vacances et jours fériés, d'une prime d’ancienneté, le respect du salaire minimum et la correction des montants versés pour ses heures de présence.

k. Par courrier du 28 mai 2021, A______ SARL a répondu que le licenciement immédiat était justifié en raison de manquements graves de l'employée à ses obligations contractuelles.

l. Par demande déposée le 30 juillet 2021 et introduite en temps utile par devant le Tribunal des prud'hommes, B______ a assigné A______ SARL en paiement de la somme totale de 22'731 fr. 12. Ladite somme se décompose comme suit :

- 4'084 fr. 80 brut, à titre de différence de salaire, pour la période de novembre 2020 à mai 2021, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 7 mai 2021 ;

- 6'185 fr. 20 brut, à titre de solde de salaire du mois de mai et délai de congé d’un mois, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 7 mai 2021 ;

- 2'329 fr. 50 brut, à titre de différence de salaire relatif aux vacances, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 7 mai 2021 ;

- 1'300 fr. brut, à titre de prime d’ancienneté pour les années 2019, 2020 et 2021, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 7 mai 2021 ;

- 761 fr. 45 brut, à titre de salaire afférent aux vacances sur les indemnités RHT perçues en avril, mai et novembre 2020, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 7 mai 2021 ;

- 8'070 fr.16 net, à titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié.

B______ a notamment allégué que ses heures de travail, pour lesquelles la rémunération était fixée à 10 fr. de l’heure, auraient dû être payées, pour la période de novembre 2020 à mai 2021, selon le salaire minimum prévu par la loi genevoise sur l’inspection et les relations de travail du 12 mars 2004 (ci-après : LIRT), soit à hauteur de 23 fr. en novembre et décembre 2020 et de 23 fr. 14 de janvier à mai 2021. Elle réclamait le paiement de la différence de salaire afférant à cette période.

m. Le 20 mai 2022, A______ SARL a conclu à ce que le Tribunal déboute sa partie adverse de toutes ses conclusions et, sur demande reconventionnelle, la condamne à lui payer 15'000 fr. à titre de dommage-intérêts.

Elle a notamment allégué que la rémunération totale perçue mensuellement par B______ respectait les critères de salaire minimum. Le salaire horaire de 10 fr. était rémunéré à titre de temps d’attente entre les massages, durant lequel les employés ne travaillaient pas.

Elle avait subi un dommage car le comportement de B______ lui avait fait perdre le client D______. Cela représentait un manque à gagner de 7'224 fr.

n. B______ a conclu au déboutement de A______ SARL de ses conclusions reconventionnelles.

o. A l’issue de l’administration des preuves, ayant consisté en l'audition des parties et de témoins, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions. Le Tribunal a gardé la cause à juger le 1er mars 2023.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

A teneur de l'art. 311 al. 1 CPC, l'appel, formé dans les 30 jours dès la notification de la décision, s'introduit par un acte « écrit et motivé ». La motivation de l'appel doit indiquer en quoi la décision de première instance est tenue pour erronée. La partie appelante ne peut pas simplement renvoyer à ses moyens de défense soumis aux juges du premier degré, ni limiter son exposé à des critiques globales et superficielles de la décision attaquée. Elle doit plutôt développer une argumentation suffisamment explicite et intelligible, en désignant précisément les passages qu'elle attaque dans la décision dont est appel, et les moyens de preuve auxquels elle se réfère (arrêt du Tribunal fédéral 4A_274/2020 du 1er septembre 2020 consid. 4).

1.2 En l'espèce, l'appel a été formé dans le délai légal.

L'appelante ne fournit aucune motivation en lien avec sa conclusion tendant à ce que l'intimée soit condamnée à lui verser 15'000 fr. Cette conclusion est par conséquent irrecevable.

L'appel est recevable pour le surplus.

2. L'appelante a formulé un certain nombre de griefs à l'encontre de l'état de fait rédigé par le Tribunal. Celui-ci a, en tant que de besoin, été complété pour y intégrer tous les faits pertinents pour l'issue du litige.

3. Le Tribunal a considéré que, pour les employés payés à l'heure, comme l'intimée, le salaire horaire de base était déterminant pour examiner si le salaire minimum légal était respecté, à l'exclusion du le salaire horaire calculé à la fin du mois en fonction des heures effectuées. Pendant le "temps d'attente" de l'intimée, rémunéré à 10 fr. de l'heure, celle-ci devait faire des travaux de nettoyage et de rangement pour son employeur. Ces heures auraient dû être rémunérées à hauteur de 23 fr. de l'heure. Un montant supplémentaire de 4'232 fr. 50 bruts lui était dès lors dû à ce titre pour la période de novembre 2020 à mai 2021.

L'appelante fait valoir qu'il faut tenir compte de la moyenne des heures effectuées par l'intimée. Se référant à un tableau établi par ses soins, elle soutient que, calculé sur une base mensuelle, le salaire horaire de l'intimée a varié entre 28 fr. 25 et 23 fr. 50 au cours de la période considérée, ce qui est conforme à la LIRT.

3.1 La loi introduisant le salaire minimum est entrée en vigueur le 1er novembre 2020 pour le Canton de Genève.

A teneur de l'article 39 K al. 1 LIRT, le salaire minimum légal est fixé à 23 fr. de l’heure pour les mois de novembre et décembre 2020. Par arrêté du 28 octobre 2020, le Conseil d’Etat a fixé le salaire minimum brut visé à l’article 39K de la LIRT à 23 fr.14 par heure au 1er janvier 2021.

Il ressort de l’arrêté du Conseil d’Etat du 27 février 2019 relatif à la validité de l'initiative législative ayant conduit à l'adoption de cette disposition que la méthode de calcul pour parvenir à un salaire brut horaire de 23 fr. se fonde sur une activité à plein temps de quarante-et-une heures hebdomadaires.

Par salaire, il faut entendre le salaire déterminant au sens de la législation en matière d'assurance-vieillesse et survivants, à l'exclusion d'éventuelles indemnités payées pour jours de vacances et pour jours fériés (art. 39K al. 4 LIRT). Conformément à l’article 39L LIRT, si le salaire prévu par un contrat individuel, une convention collective ou un contrat-type est inférieur à celui fixé à l'article 39K, c'est ce dernier qui s'applique.

L’article 56F al. 2 du règlement d’application genevois de la LIRT (ci-après RIRT) prévoit que le versement de la rémunération conforme au salaire horaire minimum doit s'effectuer sur une base mensuelle; seul le versement du 13ème salaire peut intervenir de manière différée.

En effet, le principe veut que le salaire soit payé mensuellement à la fin de chaque mois, comme le prévoit l’article 323 al. 1 CO. Du moment où le salaire minimum constitue un élément du salaire, il doit par conséquent respecter l’échéance prévue par cet article, sous peine de faire supporter à l’employé le risque d’entreprise et le risque économique s’agissant de la part afférente au salaire minimum. Cette situation n’empêche toutefois pas l’employeur de différer le paiement par les parts variables du salaire dépassant la part du salaire minimum inscrit dans la LIRT, ce que l’article 56F al. 2 RIRT permet expressément pour le 13ème salaire (arrêt de la Chambre constitutionnelle genevoise ACST/35/2021 du 21 octobre 2021).

Selon un document intitulé « exemples d’application du salaire minimum genevois » établi par l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après OCIRT) en janvier 2023, en cas de salaire mensuel, les travailleurs perçoivent la même rémunération mensuelle tout au long de l’année, y compris pendant leurs périodes de vacances. Dans ce cas de figure, on divise le salaire mensuel brut par le nombre d’heures mensuelles prévu contractuellement pour vérifier la conformité de la rémunération au salaire minimum. S’agissant des employés payés à l’heure, sans treizième salaire prévu contractuellement, le salaire de base, hors indemnités pour vacances et jours fériés, est déterminant. Ce dernier doit être égal au salaire minimum. On ajoute ensuite seulement les indemnités pour vacances et jours fériés éventuels, calculées sur la base du salaire minimum (https://www.ge.ch/document/25381/telecharger).

3.2 En l'espèce, l'appelante fait valoir "qu'il n'est pas juste de faire (…) abstraction de [sa] méthode de calcul (…) qui respecte chaque mois (…) le salaire minimum" car si l'intimée avait été "rémunérée uniquement sur la base du salaire minimum, son salaire" aurait été "inférieur". Le mécanisme salarial mis en place par ses soins visait à privilégier les masseuses travaillant davantage, à l'instar d'une prime d'encouragement, ce qui était conforme aux buts de la LIRT.

Cette argumentation ne saurait être suivie. La méthode de calcul retenue par le Tribunal, sur la base des indications fournies par l'OCIRT, est correcte et conforme à la ratio legis. Il n'y a aucune raison de s'écarter du texte clair de l'art. 39K al. 1 LIRT qui prévoit que le salaire minimum était de 23 fr. l'heure en novembre et décembre 2020 et de 23 fr. 14 par la suite. En l'absence d'indication expresse dans le texte légal selon laquelle le calcul du salaire horaire doit se faire sur une base mensuelle, il n'y a pas lieu de retenir une interprétation s'écartant de la lettre de la loi.

Le salaire de 10 fr. de l'heure prévu contractuellement ne respecte de toute évidence pas la limite légale. La solution proposée par l'appelante, qu'elle présente comme tendant à privilégier les masseuses qui souhaitent travailler davantage, revient en réalité à reporter sur les employés le risque économique de l'entreprise, ce qui n'est pas conforme au but de la loi.

La thèse de l'appelante ne trouve pas non plus d'assise dans les considérants de l'arrêt de la Chambre constitutionnelle du 21octobre 2021 (ACST/32/2021) dont elle se prévaut. Cet arrêt concernait une question différente de celle qui se pose en l'espèce, à savoir celle de la constitutionnalité de l'art. 56F al. 2 RIRT. Dans cette affaire, les recourants souhaitaient que la conformité de la rémunération au salaire minimum légal puisse être examinée sur une base annuelle, ce que la Chambre constitutionnelle a considéré comme non admissible. L'art. 56F al. RIRT ne concerne au demeurant pas la manière de calculer le salaire minimum horaire mais la date d'exigibilité de la rémunération de l'employé.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, il n'est pas "aberrant" de la contraindre à revoir sa grille de rémunération et une telle révision ne conduirait pas forcément à une péjoration de la situation de ses employés. L'appelante peut parfaitement modifier la rémunération de ceux-ci de manière à respecter les dispositions légales, tout veillant à ce que la nouvelle formule ne conduise pas à une baisse de leur rémunération globale.

L'appelante ne formule par ailleurs aucune critique à l'encontre du calcul du montant supplémentaire dû à l'intimée effectué par le Tribunal, de sorte que le jugement querellé sera confirmé sur ce point.

4. Le Tribunal a retenu que l'intimée n'avait pas commis de faute particulièrement grave justifiant son licenciement avec effet immédiat. Les massages à domicile s'étaient déroulés sur une période brève et avaient vraisemblablement été demandés par le client. La situation était exceptionnelle car le salon était fermé en raison du COVID et l'intimée avait noué une relation amicale avec D______. Elle avait donné satisfaction à son employeur depuis cinq ans. Il était compréhensible que l'appelante n'accepte pas que ses employées aient des relations sexuelles avec les clients, mais, compte tenu des circonstances du cas d'espèce, les actes de l'intimée ne justifiaient pas un licenciement immédiat. Un avertissement ou un licenciement ordinaire auraient été suffisants.

L'appelante fait valoir que l'intimée a gravement violé son devoir de fidélité envers elle en se rendant chez un client et en se faisant payer des prestations alors qu'elle percevait des indemnités RHT. Elle avait nuit à la réputation de son employeur, étant précisé que le fait d'avoir des relations sexuelles avec un client était particulièrement grave pour une employée d'un salon de massage. L'attitude de l'intimée ne pouvait pas être tolérée au risque d'encourager les autres employées à faire de même. Cela était d'autant plus vrai que l'intimée lui avait fait perdre un important client.

4.1 Aux termes de l’article 337 al. 1 CO, l’employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs.

Selon l'article 8 CC, il appartient à la partie qui se prévaut de justes motifs de résiliation immédiate d'apporter la preuve de leur existence (ATF 130 III 213 consid. 3.2 ; BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, Commentaire du contrat de travail, 2019, n. 14 ad art. 337 CO, p. 418 ; GLOOR, in Commentaire du contrat de travail, 2013, n. 71 ad art. 337 CO, p. 769).

Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO).

Les faits invoqués à l'appui d'une résiliation immédiate doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. En règle générale, seule une violation particulièrement grave des obligations contractuelles peut justifier une telle résiliation, mais d'autres circonstances peuvent également justifier une telle mesure ; ainsi, une infraction pénale commise au détriment de l'autre partie constitue en règle générale un motif justifiant la résiliation immédiate (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1).

Il ne suffit pas que la relation de confiance entre les parties soit détruite sur le plan subjectif. Encore faut-il que, objectivement, la continuation des rapports de travail jusqu'à l'échéance du contrat ne puisse pas être attendue de la partie qui donne le congé (ATF 130 III 28 consid. 4.1 ; 129 III 380 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_124/2017 du 31 janvier 2018 consid. 3.1).

Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 ab initio CO) et il applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC) ; à cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance des incidents invoqués (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1 ; 130 III 28 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_124/2017 du 31 janvier 2018 consid. 3.1).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1 ; 130 III 28 consid. 4.1 ; WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4e éd. 2019, p. 713 ; BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, Commentaire du contrat de travail, 4e éd. 2019, n. 7 ad art. 337 CO, p. 412 ; GLOOR, in Commentaire du contrat de travail, 2013, n. 22 ad art. 337 CO, p. 742).

C'est seulement en cas de manquement particulièrement grave du travailleur que le licenciement immédiat sans avertissement préalable est justifié. Si l'acte est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s'il a été précédé d'un avertissement (ATF 130 III 213 consid. 3.2 ; WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4e éd. 2019, pp. 714 s. et réf. citées).

Pour apprécier la gravité du manquement, il faut se référer à des critères objectifs permettant de déterminer si le rapport essentiel de confiance est détruit ou si profondément atteint qu'il ne permet plus d'exiger une continuation des rapports de travail. Il sera notamment tenu compte du caractère intentionnel ou non de l'acte, de savoir s'il est dirigé contre une personne ou contre une chose, de l'ampleur du dommage qu'il est de nature à causer, des antécédents de l'auteur, du risque de récidive, ainsi que de l'éventuelle faute concomitante de l'employeur (WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4e éd. 2019, pp. 714 s. et réf. citées).

4.2 En l'espèce, l'intimée a eu un comportement inadéquat en se rendant chez un client de l'appelante pour lui prodiguer un massage sans en informer celle-ci. A cela s'est ajouté que la relation amicale existant entre l'intimée et D______ depuis un certain temps a évolué pour aboutir à une relation de nature plus intime, dans le cadre de laquelle l'intimée a prodigué des fellations au précité.

La gravité de ce comportement doit cependant être relativisée, comme l'a relevé à bon droit le Tribunal, par les circonstances particulières dans lesquelles cet épisode a eu lieu.

L'intimée, qui ne pouvait pas travailler dans le salon fermé pour cause de COVID, était dans une situation de détresse psychologique et de précarité financière, vu le montant peu élevé des indemnités versées, en 2'540 fr. environ par mois, pendant la fermeture du salon.

Elle n'a de plus pas elle-même pris l'initiative de se déplacer chez le client, mais l'a fait à la demande de celui-ci, demande qui était d'autant plus difficile à refuser qu'il s'agissait d'un client de longue date.

L'on ne discerne ainsi dans le comportement de l'intimée aucune intention de nuire à son employeur, ou de lui faire concurrence, puisque le salon était fermé. Le comportement de l'intimée relève plus d'un besoin de se rassurer et de trouver un soutien affectif dans un moment difficile.

Le témoin D______ a d'ailleurs confirmé que l'intimée souhaitait entamer avec lui une relation durable, espoir qui ne s'est pas concrétisé par la suite. Elle n'a donc pas été motivée par l'appât du gain au détriment de l'appelante.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, le fait que l'intimée ait indiqué devant le Tribunal qu'elle restait environ 3 heures par visite chez D______ et qu'elle ait dit à celui-ci que son tarif pour les massages était en principe de 50 fr. de l'heure n'est pas en contradiction avec les constatations qui précèdent. Il n'est au demeurant pas contesté qu'il n'était pas initialement convenu entre les parties que l'intimée serait rémunérée, que ce soit pour les massages prodigués à D______ ou les fellations.

Le message déplacé envoyé par l'intimée à D______ en avril 2021 doit également être apprécié dans ce contexte. La teneur tout à fait inappropriée de ce message peut s'expliquer par la situation financière précaire de l'intimée et par sa déception de ne pas avoir vu ses espoirs d'une relation avec D______ se concrétiser.

Dans ces circonstances, l'appelante a manqué d'humanité et de compréhension en licenciant l'intimée avec effet immédiat lors de l'entretien du 6 mai 2021, sans même prendre sérieusement en compte ses explications. Il ressort en effet du dossier que la décision de l'appelante de congédier l'intimée avait été prise avant même l'entretien prévu entre les parties, ce qui atteste d'un manque de considération à l'égard de l'intimée.

Celle-ci avait donné pleine satisfaction à l'appelante au cours des cinq dernières années et cet épisode isolé, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles il est survenu, n'était pas de nature à détruire la confiance entre les parties à un point tel que la continuation des rapports de travail jusqu'à l'échéance du contrat de travail ne puisse pas être exigée de l'appelante.

Contrairement à ce que soutient celle-ci, aucun élément du dossier ne permet de retenir que si un avertissement avait été signifié à l'intimée, ou si son congé lui avait été donné pour l'échéance contractuelle, il y aurait eu un risque "d'inciter (…) d'autres employés à entreprendre des activités avec les clients".

Il n'est pas non plus établi que cet épisode ait "nuit à la réputation de l'appelante" ou aurait été susceptible de causer des problèmes avec la "brigade de mœurs". Il ne ressort pas du dossier que le client, dont l'attitude est loin d'être irréprochable, aurait mis à exécution ses menaces de dénigrer les prestations de l'appelante auprès de tiers. En tout état de cause, même à supposer qu'il l'ait fait, l'intimée n'en serait pas responsable. Quant à la brigade des mœurs, l'on ne voit pas en quoi elle aurait été susceptible d'intervenir, aucune rémunération n'ayant été versée, ni demandée, pour les fellations litigieuses.

Le fait que le témoin F______, employé de l'appelante, ait indiqué désapprouver la conduite de l'intimée, n'est quant à lui pas décisif, l'opinion de cette personne ne liant pas les autorités judiciaires.

Il ressort de ce qui précède que le Tribunal a considéré à juste titre que le comportement de l'intimée ne justifiait pas, au vu des circonstances du cas d'espèce, un licenciement immédiat. Un avertissement ou un licenciement ordinaire auraient été des mesures suffisantes au regard de la gravité du comportement incriminé.

L'appelante ne formule pour le reste aucun grief concernant les indemnités fixées par le Tribunal en lien avec le licenciement immédiat injustifié, ni avec les autres considérants du jugement querellé.

Celui-ci sera dès lors entièrement confirmé.

5. La valeur litigieuse étant inférieure à 50'000 fr., il ne sera pas prélevé de frais judiciaires, ni alloué de dépens (art. 71 RTFMC et 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,

La Chambre des prud'hommes, groupe 3 :

 

A la forme :

Déclare irrecevable l'appel formé par A______ SARL à l'encontre du jugement JTPH/179/2023 du 30 mai 2023 en tant qu'il tend à la condamnation de B______ à lui verser 15'000 fr.

Déclare l'appel recevable pour le surplus.

Au fond :

Confirme le jugement querellé.

Dit que la procédure est gratuite.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur
Claudio PANNO, juge employeur; Madame Monique LENOIR, juge salariée;
Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.