Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des prud'hommes

1 resultats
C/4669/2022

CAPH/103/2023 du 06.10.2023 sur JTPH/114/2023 ( OS ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/4669/2022-1 CAPH/103/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU VENDREDI 6 OCTOBRE 2023

 

 

Entre

A______ SA, sise ______ (NE), recourante contre un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 11 avril 2023 (JTPH/114/2023), représentée par Me Sven ENGEL, avocat, faubourg du Lac 13, case postale 2248, 2001 Neuchâtel 1,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé, comparant en personne.


EN FAIT

A.           Par jugement du 11 avril 2023, expédié pour notification aux parties le même jour, le Tribunal des prud'hommes a condamné A______ SA à verser à B______ 2'484 fr. bruts (ch. 2), a invité la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales légales et usuelles (ch. 3), dit qu'il n'était pas perçu de frais ni alloué de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

En substance, le Tribunal a retenu que l'employeur avait notifié un licenciement avec effet immédiat sans justes motifs, les actes reprochés à l'employé n'ayant pas été de nature à rompre le lien de confiance entre les parties et rendre insupportable la continuation des rapports de travail prévue deux semaines plus tard, et que l'employé avait dès lors droit au montant réclamé correspondant à une partie du salaire dû jusqu'à la fin du contrat de travail.

B.            Par acte du 16 mai 2023, A______ SA a formé recours contre le jugement précité. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait au déboutement de B______ des fins de ses conclusions, avec suite de frais et dépens.

Le 23 mai 2023, elle a fait parvenir à la Cour un relevé d'activités de son conseil, du 28 février au 23 mai 2023, faisant état d'honoraires en 7'392 fr. 55

B______ s'en est rapporté à justice.

Par avis du 25 mai 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure de première instance:

a.      A______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce neuchâtelois, qui a pour but la mise en place de toute produit et opération visant les économies d'énergie, l'augmentation de l'efficacité énergétique ainsi que la mise en valeur des énergies renouvelables.

Elle exploite une succursale à C______ [GE].

b.      A compter du 1er novembre 2018, B______ s'est engagé au service de A______ SA, en qualité de chef de projet sanitaire au sein de la succursale genevoise, à un taux d'activité de 80%.

Le salaire mensuel était de 6'584 fr. 60 bruts, versé treize fois l'an.

Les tâches principales résultant de son contrat de travail étaient les suivantes: "conception d'installations sanitaires et suivi de chantier de manière autonome, assurer l'interface avec le client, gérer les collaborateurs affectés au projet, communiquer les besoins et les problèmes en interne, aider à la coordination avec les départements de chauffage, ventilation et électricité de A______, participer à la préparation d'offres de prestations, sous responsabilité du responsable de la succursale, établissement des cahiers de soumissions".

c.       Aux termes du contrat de travail, l'horaire de B______ était libre dans les limites suivantes: arrivée entre 06h30 et 08h00 et départ entre 11h30 et 12h30, arrivée entre 12h45 et 14h00 et départ entre 16h30 et 19h00.

B______ allègue qu'il était convenu avec ses supérieurs hiérarchiques qu'il commençait son travail entre 06h00 et 06h15 et partait entre 16h00 et 16h15, en prenant souvent une courte pause de midi de 15 à 45 minutes maximum. En général, compte tenu de son taux d'activité de 80%, il n'était pas présent le vendredi.

A______ SA conteste cet allégué, et se réfère à l'horaire contractuel, sans se prononcer sur le jour de la semaine où B______ n'était pas présent.

A l'audience du Tribunal du 28 novembre 2022, un de ses représentants a déclaré que B______ arrivait entre 06h15 et 06h30; il croyait pouvoir dire qu'il partait vers 16h30, et prenait en général des pauses courtes sans aller au restaurant.

d.      B______ pratique le parapente; il participe à des compétitions.

Il allègue que son employeur connaissait cette activité sportive, évoquée lors de l'entretien d'embauche, durant lequel avait été convenu un taux de travail de 80% flexible afin de l'adapter aux conditions météorologiques et à la charge de travail.

A______ SA n'a pas réfuté expressément cet allégué.

Selon la témoin D______ (responsable des ressources humaines de A______ SA de 2019 à fin mars 2022), le loisir de B______ lui était connu.

e.       Du 1er juin au 11 juillet 2021, B______ a été partiellement (jusqu'au 22 juin 2021) puis totalement incapable de travailler.

Il a connu une nouvelle incapacité de travail à 100%, attestée par certificat médical du 11 août 2021. Celle-ci a pris fin le 11 août 2021, tandis que la date de son début, indiquée à la main et comportant apparemment un premier chiffre surchargé d'un deuxième, se lit difficilement; selon B______, il s'agit du 9 août 2021, selon A______ SA il s'agit du 5 août 2021. A teneur d'un extrait du programme informatique du temps de travail relatif à B______ pour le vendredi 5 août 2021, celui-ci était en maladie, ayant, le lundi 9 août 2021, adressé un courriel à son supérieur annonçant être en incapacité de travail "depuis jeudi dernier".

f. A______ SA allègue avoir découvert, en consultant le carnet de vol de B______, librement accessible sur internet, que celui-ci aurait réalisé deux vols en parapente durant ses incapacités de travail et un vol durant son temps de travail:

f.a. un premier vol en parapente (122,9 km en 4h08) le 12 juin 2021:

Elle a produit à cet égard une impression d'une rubrique du site "E______ 2021" (datée du 15 septembre 2021), faisant état des détails dudit vol, ainsi qu'une impression d'une rubrique récapitulative provenant du même site (datée du 29 mars 2022) qui ne mentionne pas le vol.

B______ allègue ne pas avoir effectué le vol précité.

Il a produit à cet égard une impression de son carnet de vol "E______ 2022", qui ne fait pas mention de ce vol.

Il soutient qu'il serait impossible de modifier les données du carnet de vol d'une année à l'autre, que celles relatives au vol en question seraient incohérentes, que des erreurs apparaîtraient fréquemment dans cette base de données "gérée de manière amateur par des passionnés", lesquelles seraient corrigées trimestriellement ou avant la fin de la saison.

Il a déclaré que la supposée existence du vol du 12 juin 2021 avait été portée à sa connaissance par A______ SA en septembre 2021.

A la demande du directeur de A______ SA, la témoin D______ avait consulté à une date indéterminée, avant le 16 septembre 2021, les données du site "E______" relatives à B______, constaté l'existence d'un vol le 12 juin 2021 et procédé à une impression d'écran. Ultérieurement, elle avait constaté que la mention du vol avait disparu (déclaration témoin D______).

A______ SA allègue que B______ aurait supprimé la mention de ce vol entre le 16 et le 22 septembre 2021. Elle conteste qu'il soit impossible d'effacer des données dans la base de données "E______" et que les données en question aient été incohérentes.

f.b. un deuxième vol en parapente le 2 août 2021, départ de F______ (France) à 15h31:

B______ admet avoir effectué ce vol. Il a déclaré qu'il avait travaillé ce jour-là et indiqué son horaire dans le programme informatique de son employeur, dont il n'avait pas conservé la trace; il pensait avoir travaillé de 6h00 ou 6h30 à 14h45 environ.

A______ SA allègue que B______ n'aurait travaillé à son service qu'une partie de la matinée, à supposer qu'il ait été présent ce jour-là.

Elle a produit une copie du programme informatique du temps de travail relatif à B______ pour le 2 août 2021. Selon ses déclarations au Tribunal, le total des heures de travail était de 8h30, sans que l'horaire pratiqué ne puisse s'en déduire; son supérieur direct était alors en vacances.

Elle soutient que B______ aurait falsifié ses heures de travail, profitant de l'absence de son responsable.

f.c. un troisième vol en parapente le vendredi 6 août 2021:

A______ SA allègue que ce vol aurait été réalisé durant l'incapacité de travail de B______. Au Tribunal, ce dernier, qui admet avoir effectué le vol (survenu un vendredi soit un jour où il avait coutume de ne pas travailler), a déclaré qu'il lisait le certificat médical établi le 9 août 2021 en ce sens que l'incapacité de travail avait commencé ce jour-là; il n'avait pas de commentaire à faire au sujet de son courriel du 9 août 2021.

A______ SA fait valoir que la pratique du parapente à haut niveau, en particulier en France (pays qui exige une licence et un certificat médical annuel d'aptitude certifiant que les pilotes sont physiquement et mentalement capables de pratiquer) est téméraire et qu'en cas d'accident non professionnel, l'assureur est, selon l'OLAA, en droit de réduire ses prestations de moitié ou de les refuser.

g. Par courrier du 13 juillet 2021, B______ a résilié les rapports de travail pour le 31 octobre 2021. Les parties sont convenues que l'activité de l'employé prendrait fin le 30 septembre 2021, le mois d'octobre étant partiellement compensé en vacances et heures supplémentaires, et le solde étant porté en déduction du dernier salaire.

h. A compter du 10 septembre 2021, B______ a été incapable de travailler.

i. Le 15 septembre 2021, A______ SA a procédé à la consultation du site internet "E______" dont le résultat a été exposé ci-dessus.

Par courrier du 16 septembre 2021, confirmant l'entretien intervenu le même jour, elle a licencié B______ avec effet immédiat pour de justes motifs, dans les termes suivants: "Nous venons de faire le lien entre vos incapacités de travail pour raison maladie, alors que vous étiez occupé à faire du parapente à haut niveau. Lorsque vous bénéficiez d'une forme physique, psychique et intellectuelle suffisante pour effectuer un vol de plus de 4h et 100 km, vous pouvez assurément accomplir votre travail de chef de projets sanitaires et ne devez pas évoquer un arrêt maladie pour votre absence. Plusieurs cas de tricheries viennent d'être mis en évidence et le lien de confiance est définitivement rompu entre nous. Il est devenu impossible de continuer à travailler ensemble, même pendant une période de dédite dont plus de la moitié est écoulée".

A______ SA allègue qu'après que son licenciement avec effet immédiat avait été annoncé oralement à B______, le collaborateur responsable de la succursale, G______, avait accompagné son collègue pour libérer sa place de travail et restituer ses clés. B______ avait alors "menacé" G______ en lui demandant de "ne pas rester là" sans quoi cela "risquerait de mal se terminer".

B______ allègue qu'à cette occasion, il avait demandé à G______ de retourner dans son bureau.

G______ a déclaré au Tribunal que l'entretien de licenciement s'était fait par vidéo-conférence, chacun étant devant son propre ordinateur. A la fin de cet entretien, il s'était dirigé vers le bureau de B______, lequel lui avait indiqué qu'il ne devait pas rester à proximité, sans autre parole.

j. Par courrier du 19 septembre 2021, B______ a requis sa réintégration dans l'entreprise, ce qui a été refusé.

k. Le 11 mars 2022, B______ a saisi l'Autorité de conciliation du Tribunal des prud'hommes d'une requête dirigée contre A______ SA en paiement de 2'484 fr. à titre de salaire du 16 au 30 septembre 2021.

Au bénéfice d'une autorisation de procéder délivrée le 7 avril 2022, B______ a déposé au Tribunal une demande par laquelle il a conclu à ce que A______ SA soit condamnée à lui verser 2'484 fr.

A______ SA a conclu au déboutement de B______ des fins de ses conclusions, avec suite de frais et dépens.

B______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.

A______ SA a dupliqué, persistant dans ses conclusions.

A l'audience du Tribunal du 28 novembre 2022, B______ a déclaré conclure au paiement de 2'484 fr. bruts.

A l'issue de l'audience, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions.

EN DROIT

1.             Le recours, écrit, motivé et formé dans les trente jours par une partie qui y a un intérêt (art. 59 al. 2 let. a CPC), est recevable contre les décisions finales de première instance rendues dans le cadre d'affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse est inférieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 a contrario, 319 let. a et 321 al. 1 CPC).

Interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ), dans les délai et forme prescrits par la loi, le recours est recevable.

Il peut être formé pour la violation du droit et la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2.             La recourante reproche au Tribunal d'avoir manifestement constaté de manière inexacte certains faits – lesquels, lorsque le grief était pertinent, ont été intégrés à la partie en fait dressée ci-dessus – ainsi que d'avoir violé l'art. 337 CO, en retenant le caractère injustifié du licenciement avec effet immédiat.

2.1 L'employeur peut résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (art. 337 al. 1 CO). Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO).

Selon la jurisprudence, la résiliation immédiate pour " justes motifs " est une mesure exceptionnelle qui doit être admise de manière restrictive (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1). Seul un manquement particulièrement grave peut justifier une telle mesure (ATF 142 III 579 consid. 4.2). Par manquement du travailleur, on entend généralement la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, portant sur le devoir de travailler ou le devoir de fidélité, mais d'autres incidents peuvent aussi justifier une telle mesure (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 28 consid. 4.1; 129 III 380 consid. 2.2; 117 II 72 consid. 3; arrêts du Tribunal fédéral 4A_393/2020 du 27 janvier 2021 consid. 4.1.1; 4A_35/2017 du 31 mai 2017 consid. 4.3).

Ce manquement doit être objectivement propre à détruire le rapport de confiance essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l'atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement pas être exigée; de surcroît, il doit avoir effectivement abouti à un tel résultat. Lorsqu'il est moins grave, le manquement ne peut entraîner une résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement (ATF 142 III 579 consid. 4.2; 130 III 213 consid. 3.1).

L'absence injustifiée du travailleur - moyennant avertissement selon les circonstances - peut constituer un juste motif de résiliation par l'employeur (cf. ATF 108 II 301 consid. 3b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_35/2017 du 31 mai 2017 consid. 4.3).

Des comportements violents, comme des menaces, peuvent justifier une résiliation immédiate pour justes motifs, pour autant qu'ils atteignent une certaine intensité, compte tenu de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce (arrêt du Tribunal fédéral 4A_486/2007 du 10 décembre 2007 consid. 4.1). Il faut tenir compte, dans la pesée des intérêts, de l'état d'énervement compréhensible de l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral 4C.211/1998 du 18 mars 1998 consid, 1b). En cas d'atteinte supposée à la personnalité de collègues de travail, pour mesurer la gravité de l'atteinte, il convient de tenir compte de l'impact sur la victime (ATF 127 III 351 consid. 4b).

N'entre en considération, au titre des justes motifs, qu'un événement survenu avant la notification du congé; il est en revanche possible de se prévaloir après coup de circonstances antérieures à la résiliation immédiate que la partie qui a donné le congé ne connaissait pas ou ne pouvait pas connaître (arrêt du Tribunal fédéral 4A_559/2012 du 18 mars 2013 consid. 5.1.2; ATF 127 III 310).

2.2 Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 CO); il applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). Savoir si le comportement incriminé atteint la gravité nécessaire dépend des circonstances du cas concret (ATF 142 III 579 consid. 4.2 et les arrêts cités). Dans son appréciation, le juge doit notamment tenir compte de la position et de la responsabilité du travailleur (qui peuvent entraîner un accroissement des exigences quant à sa rigueur et à sa loyauté); le comportement des cadres doit ainsi être apprécié avec une rigueur accrue en raison du crédit particulier et de la responsabilité que leur confère leur fonction dans l'entreprise, du type et de la durée des rapports contractuels, de la nature et de l'importance des manquements (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_225/2018 du 6 juin 2019 consid. 4.1), ou encore du temps restant jusqu'à l'échéance ordinaire du contrat (ATF 142 III 579 consid. 4.2). A cet égard, l'importance du manquement doit être d'autant plus grande que ce laps de temps est court; une réserve est ainsi de mise lorsque le congé immédiat est notifié dans le temps d'essai - qui se caractérise par la brièveté du délai de congé - ou après qu'un congé ordinaire soit communiqué, avant l'échéance du contrat (arrêt du Tribunal fédéral 4A_105/2018 du 10 octobre 2018 consid. 3.2.1 et les arrêts cités).

2.3 C'est à l'employeur qui entend se prévaloir de justes motifs de licenciement immédiat de démontrer leur existence (arrêt du Tribunal fédéral 4C_400/2006 du 9 mars 2007 consid. 31).

2.4. En l'occurrence, la recourante a la charge de la preuve des justes motifs invoqués. Dans sa lettre de licenciement, elle a évoqué "plusieurs cas de tricheries" sans les détailler, identifié un vol "de plus de 4h et 100 km" accompli pendant une absence maladie et observé un lien entre les incapacités de travail et le parapente à haut niveau.

En procédure, elle a visé trois vols de parapente.

Un de ceux-ci est contesté par l'intimé (soit celui du 12 juin 2021); certes, la recourante a produit une capture d'écran d'un site internet dont l'origine et la fiabilité n'ont été ni alléguées ni démontrées par celle-ci, laquelle fait état dudit vol. D'autres captures d'écran du même site, ultérieures, n'en font pas mention. La recourante affirme que l'intimé aurait lui-même procédé à l'effacement de la donnée, tandis que ce dernier d'une part soutient qu'une telle suppression par ses soins ne serait pas possible, d'autre part que des modifications d'erreurs – courantes selon lui dans les données du site internet concerné – seraient opérées régulièrement. Ni l'une ni l'autre de ces deux thèses ne repose sur le moindre élément probant; contrairement à ce que prétend la recourante dans son recours, le simple fait qu'une "corbeille" apparaîtrait en regard d'une mention des données du site (telle que ressortant de la capture d'écran du 15 septembre 2021) ne prouvant pas qu'un simple utilisateur pourrait procéder à l'action de suppression, pas plus que la coïncidence temporelle évoquée par la témoin D______ n'en constituant la démonstration.

C'est ainsi à raison que les premiers juges ont retenu que le vol allégué du 12 juin 2021 (seul caractérisé dans le courrier de licenciement) n'était pas établi.

En ce qui concerne le vol du 2 août 2021, dont la réalité n'est pas contestée, il est constant qu'il n'a pas été effectué durant une incapacité de travail de l'intimé. Partant, il n'entre pas dans les justes motifs évoqués par l'employeur le 16 septembre 2021. Ce n'est que dans le cadre de la présente procédure qu'il a été mentionné, en regard de l'affirmation (non prouvée) que l'employé n'avait peut-être pas travaillé ce jour-là, ou seulement une partie de la matinée, ou en tout cas pas jusqu'à 16h30 comme requis contractuellement. Le seul élément de ces allégués disparates qui est établi est un départ de l'intimé aux alentours de 14h45, tel que ce dernier l'a admis dans sa déclaration au Tribunal, ce qui était assurément prématuré. La conclusion que les premiers juges en ont tirée, à savoir que l'employé n'aurait pas accompli 8h30 (selon la déclaration de la recourante elle-même à l'audience, et non 8h 50 comme erronément retenu par le Tribunal) et partant procédé à une "falsification des heures de travail" dans le relevé de temps de travail, n'a pas à être revue dans le cadre du présent recours, faute de remise en cause par l'intimé. Elle ne saurait toutefois représenter un élément déterminant pour affirmer, comme le fait la recourante, que l'intimé aurait ce faisant "profité de l'absence", indiscutée, de son supérieur à cette date, trompant de la sorte gravement son employeur.

Reste le vol du 6 août 2021. L'intimé, lors de l'audience du 28 novembre 2022, a persisté dans sa lecture du certificat médical du 9 août 2021, à savoir une incapacité de travail commencée à cette date, et n'a pas voulu s'exprimer sur le contenu de son propre courriel faisant état d'une maladie datant du jeudi précédent, à l'instar, au demeurant, de la fiche des jours travaillés. En dépit de l'incertitude résultant de la rature que comporte le certificat médical, le Tribunal a donc retenu à raison que le vol avait eu lieu alors que l'intimé se déclarait lui-même malade. Pour apprécier la portée de ce manquement, les premiers juges ont pris en considération que l'intimé avait volé un vendredi, soit un jour où l'employeur ne conteste pas expressément qu'il avait coutume d'avoir congé. Comme la cause de l'incapacité de travail de l'employé début août 2021 est inconnue, pas plus qu'il n'a été allégué et encore moins démontré que l'activité reprochée aurait été médicalement contre-indiquée, les suppositions de la recourante à propos de l'absence de pleine possession de moyens physiques et psychologiques de l'intimé, fondées sur des généralités, sont inopérantes.

Il en va de même des longues considérations de la recourante sur la dangerosité objective de la pratique du parapente à haut niveau, qui, à bien la comprendre, serait de nature à léser les intérêts de l'employeur; celles-ci convainquent d'autant moins qu'elle n'a pas expressément réfuté l'allégué de l'intimé selon lequel elle n'ignorait pas cette activité et que la responsable des ressources humaines de ce dernier a déclaré, lors de son audition en qualité de témoin par le Tribunal, qu'elle avait connaissance du loisir de l'intimé. La recourante fait aussi grand cas de la réglementation de droit public relative aux accidents non professionnels, ainsi qu'aux règles prévues par le droit français sur la nécessité d'une licence et d'un certificat médical annuel pour les parapentistes; à supposer que l'employeur ait vocation à s'assurer du respect de dispositions de droit étranger, rien n'établit que l'intimé n'aurait pas été en possession desdits licence et certificat d'une part, et d'autre part il n'a pas été allégué, encore moins démontré, que le recourant aurait subi un accident non professionnel en lien avec les vols en parapente évoqués. Au demeurant, l'activité en question relève de la sphère privée du travailleur; on ne discerne pas qu'elle serait de nature à avoir un lien étroit et fonctionnel avec le travail dans l'entreprise ni qu'elle exposerait celle-ci à un éventuel discrédit. La critique de la décision entreprise sur ce point ne porte donc pas.

La circonstance que l'intimé occupait un poste de chef de projet, doté de responsabilités, n'est pas non plus, en tant que telle, déterminante à cet égard s'agissant d'une activité extra-professionnelle, contrairement à l'avis de la recourante.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que deux manquements doivent être considérés comme établis, soit le 2 août 2021 un horaire journalier inférieur – dans une proportion indéterminée - à celui porté dans le relevé du temps de travail avec départ prématuré (non significatif et sans effet allégué sur la marche du service), et une activité sportive à haut niveau effectuée un jour de la semaine habituellement non travaillé, durant une incapacité de travail le 6 août 2021 annoncée par l'employé. Objectivement, le premier est peu important, tandis que le second est d'une gravité supérieure mais encore relative.

Dans son appréciation, le Tribunal a, à raison, retenu le caractère isolé des épisodes précités (quoi qu'en dise la recourante), et surtout l'absence de tout avertissement - alors que celui se serait imposé au vu de la gravité relative des manquements – de même que le fait que les rapports de travail, au moment où la résiliation avec effet immédiat a été notifiée, devaient trouver un terme effectif moins de quinze jours plus tard. Cette dernière circonstance revêt un poids particulièrement accru en l'occurrence.

Enfin, il ne saurait être question de retenir les faits allégués postérieurs au licenciement avec effet immédiat, soit des menaces proférées à l'endroit d'un collaborateur de l'entreprise pour justifier la décision du 16 septembre 2021.

En tout état, ces reproches n'ont pas été démontrés. En effet, le collaborateur précité a évoqué, devant le Tribunal, que l'intimé lui avait dit de ne pas rester à proximité, ce qui ne correspond qu'à une partie de l'allégué formulé par la recourante. Comme l'ont retenu les premiers juges, ces propos sont peu caractérisés, et le contexte dans lequel ils ont été émis – soit immédiatement après un congé immédiat signifié de surcroît par écrans interposés en dépit de la présence simultanée des protagonistes sur le lieu de travail – devait être pris en considération pour en relativiser encore la portée, étant précisé que leur destinataire n'a pas déclaré au Tribunal en avoir été alarmé ou effrayé (cf art. 180 CP), voire s'en être ému.

Quant à l'argument de la recourante, selon lequel, au vu de l'importance de la rupture du lien de confiance, elle n'aurait eu d'autre choix que de se séparer de l'employé, alors même que cela la mettait dans l'embarras, il est irrelevant. Il sera rappelé que l'employeur supporte le risque économique de l'entreprise, de sorte qu'il lui revient la responsabilité de l'arbitrage de ses décisions de gestion.

Pour le surplus, il apparaît que l'intimé, qui se défend en personne, a fait valoir ses arguments, dont certes quelques-uns n'étaient pas fondés, sans qu'il y ait lieu d'y voir "la mauvaise foi crasse" que lui impute à tort la recourante.

En définitive, au vu de ce qui précède, le Tribunal a retenu à raison que le licenciement avec effet immédiat de l'intimé n'était pas justifié.

Le grief de la recourante est infondé. Le recours sera ainsi rejeté, étant précisé que la quotité du montant alloué par le Tribunal n'a pas été remise en question.

3. Il n'est pas prélevé de frais judiciaires (art. 114 let. c CPC), ni alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 1 :


A la forme
:

Déclare recevable le recours formé par A______ SA contre le jugement JTPH/114/2023 rendu le 11 avril 2023 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/4669/2022.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute les parties de toute autre conclusion de recours.

Rappelle que la procédure est gratuite et qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Monsieur Pierre-Alain L'HÔTE, juge employeur; Monsieur Yves DUPRE, juge salarié; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Fabia CURTI

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 15'000 fr.