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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/13625/2020

CAPH/69/2023 du 21.06.2023 sur JTPH/88/2021 ( OS ) , REFORME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13625/2020-5 CAPH/69/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MERCREDI 21 JUIN 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______, recourante contre un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 11 mars 2021 (JTPH/88/2021), comparant par Me Mattia DEBERTI, avocat, NOMEA Avocats SA, Avenue de la Roseraie 76A, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

Et

Madame B______, domiciliée ______, intimée, comparant par Me Sarah PEZARD, avocat, PEZARD AVOCAT, Rue de Candolle 36, case postale, 1211 Genève 4, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/88/2021 du 11 mars 2021, reçu le lendemain par A______ SA, le Tribunal des prud'hommes a déclaré recevable la demande formée le 24 septembre 2020 par B______ contre A______ SA (chiffre. 1 du dispositif), condamné le second à verser à la première la somme brute de 7'245 fr., avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 1er janvier 2020 (ch. 2), dit que la procédure était gratuite et qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 4).

B.            a. Par acte déposé au greffe universel du Pouvoir judiciaire le 20 avril 2021, A______ SA recourt contre ce jugement dont elle sollicite l'annulation, avec suite de frais judiciaires et dépens.

Cela fait, elle conclut, principalement, au rejet de la demande en paiement formée par B______ le 25 septembre 2020 à son encontre. Subsidiairement, elle sollicite le renvoi de la cause au Tribunal afin qu'il statue dans le sens des considérants.

b. B______ n'ayant pas fait usage de son droit de réponse, les parties ont été informées par pli du greffe de la Cour du 1er juin 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les éléments pertinents suivants ressortent du dossier:

a. A______ SA (ci-après également : l'employeuse ou le centre) est une société de droit suisse dont le but est ______. Son siège est à C______ (GE).

D______ SA est une société de droit suisse dont le but est identique celui de A______ SA. Son siège est à E______ (GE).

b. Par contrat du 21 novembre 2016, B______ (ci-après également : l'employée) a été engagée par D______ SA en qualité de psychologue à un taux de 50%, pour une durée indéterminée, à compter du 29 mars 2016.

Le "salaire de base brut" convenu s'élevait à 8'000 fr. pour un taux de 100%. Le contrat prévoyait également aux chiffres 1 à 4 du contrat, "en sus du salaire de base", un "bonus" calculé en fonction du chiffre d'affaires encaissé selon une formule déterminée au chiffre 1 du contrat. Les chiffres 2 et 3 du contrat précisaient que "le bonus est calcul de manière à ce que le salaire brut final (salaire brut de base plus bonus) corresponde au maximum à 61 % du chiffre d'affaires encaissé" et qu'"une avance sur salaire peut être obtenue en fonction du chiffre d'affaires projeté".

c. B______ a perçu un "bonus exceptionnel psy 2016" de 1'042 fr. en décembre 2017.

d. Le contrat entre D______ SA et B______ a été transféré le 1er janvier 2018 à l'employeuse, les conditions de travail demeurant inchangées.

e. Du 1er janvier au 30 juin 2018, le salaire de base de B______ s'est monté à 7'000 fr. bruts par mois correspondant à un taux d'activité de 87,50%. Dès le 1er juillet 2018, ce salaire de base a été augmenté à 10'000 fr. bruts par mois.

Elle a en outre perçu au titre d'avances de bonus 7'000 fr. en janvier, 10'000 fr. en février, 8'000 en juin, 10'000 en octobre et 5'000 fr. en décembre 2018.

f. Par courrier du 31 octobre 2018, A______ SA a mis un terme au rapport de travail la liant à B______ pour le 31 décembre 2018.

g. B______ a perçu une "prime exceptionnelle 2017" de 2'897 fr. en décembre 2018 et son salaire annuel brut total en 2018 s'est élevé à 144'897 fr.

h. Ayant appris par d'anciennes collègues qu'un "bonus" avait été versé fin 2019 aux employés de A______ SA pour 2018, B______, a pris contact avec le centre par courriel du 13 février 2020 pour communiquer ses coordonnées bancaires et en obtenir le paiement.

i. Par e-mail du 21 février 2020, le Dr. F______, agissant pour le compte de A______ SA, a indiqué à B______ qu'"un montant a[vait] déjà été distribué et uniquement en faveur de l'équipe actuelle qui poursui[vai]t sa collaboration avec le centre".

j. Par courriel du 5 mars 2020 adressé au Dr. F______, B______ s'est déclarée étonnée d'apprendre que le "bonus relatif à l'exercice 2018", auquel elle avait amplement participé, avait été distribué uniquement à l'équipe actuelle. Elle le priait de faire le nécessaire afin que la part de bonus 2018 lui revenant lui soit versée d'ici au 30 mars 2020.

k. Par courriel du 3 avril 2020, A______ SA a indiqué à B______ que le bonus défini aux chiffres 1 à 4 du contrat de travail lui avait été payé sous forme d'avances durant l'année 2018 à hauteur de 23'000 fr. bruts. "Tout paiement qui pourrait avoir été versé à d'autres employés postérieurement à son départ relevait d'un droit discrétionnaire de l'employeur".

l. Dans un courriel du 30 avril 2020 à A______ SA, B______ a réitéré sa demande en fixant un nouveau délai au 10 mai 2020 pour l'exécution du paiement.

m. Par courriel du 4 mai 2020, A______ SA a rappelé à B______ le caractère discrétionnaire du bonus auquel celle-ci faisait référence, distinct de celui prévu aux chiffres 1 à 4 de son contrat.

n. Par requête déposée en conciliation le 8 juillet 2020, déclarée non conciliée le 23 septembre 2020 et introduite le lendemain au Tribunal, B______ a assigné A______ SA en paiement de la somme de 7'245 fr. avec intérêt à 5% l'an dès le 1er janvier 2020 à titre de bonus relatif à l'exercice 2018.

o. Dans sa réponse, A______ SA a, principalement, conclu au rejet de la demande en paiement formée par B______, avec suite de frais et dépens.

p. Le Tribunal a fixé aux parties un délai pour déposer ou récapituler leurs réquisitions de preuve, notamment leurs listes de témoins.

q. Par écriture complémentaire déposée à l'office postal le 24 novembre 2020, B______ a indiqué ne pas pouvoir faire témoigner ses anciennes collègues actuellement toujours employées auprès de l'employeuse. Elle a en outre sollicité qu'il soit ordonné à A______ SA de fournir les certificats de salaire 2019 des psychologues et, en particulier, une liste de tous les montants qui leur avaient été versés en décembre 2019.

r. A l'audience de débats du 13 janvier 2021, les parties ont été entendues.

A______ SA a expliqué que les primes ou bonus versés durant le mois de décembre étaient fixés après la clôture de l'année précédente et après discussion avec les actionnaires. Le versement de ce bonus discrétionnaire était effectué en plus du salaire, proportionnellement au chiffre d'affaires réalisé par chaque collaborateur et à condition que le contrat de travail ne soit pas résilié lors du versement. Elle avait mentionné ce point oralement lors des réunions d'équipe. En outre, le bonus versé en décembre n'était pas mentionné dans le contrat, ce qui avait cependant été adapté dès l'année 2021. Le but du bonus était d'encourager les collaborateurs ainsi que le développement du centre. Pour 2019, par exemple, aucun bonus n'avait été versé fin 2020 car l'année avait été mauvaise. Quant au montant du bonus pour l'année 2018, il s'agissait d'une enveloppe de quelques dizaines de milliers de francs qu'il convenait de répartir sur une quinzaine de collaborateurs restants.

B______ a exposé avoir été présente à l'ensemble des réunions d'équipe et n'avoir jamais entendu parler d'une quelconque restriction concernant le versement du bonus ni abordé le sujet des résultats financiers de l'employeuse. Elle avait été agréablement surprise en décembre 2017 lorsqu'elle avait reçu un bonus correspondant à l'année 2016, ce qui avait également été le cas en 2018 pour l'année 2017. Elle avait participé au chiffre d'affaires durant toute l'année 2018. Elle était consciente qu'il convenait d'attendre la clôture des comptes de l'année précédente pour savoir si un excédent permettait le versement d'un bonus pour l'année 2018, raison pour laquelle elle ne s'était pas manifestée durant l'année 2019. Après avoir appris le versement aux autres employés du bonus 2018 en décembre 2019, elle avait considéré avoir subi une discrimination. C'était cette discrimination qui la dérangeait. Concernant le pourcentage retenu pour fixer le montant du bonus dans sa demande, elle s'était basée sur le chiffre du bonus 2016 qui s'élevait à 5,1 % de son salaire et le chiffre du bonus 2017 qui était compris entre 3,8 et 4 % de son salaire.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience lors de laquelle les parties ont encore plaidé, persistant dans leurs conclusions.

D.           Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que le bonus litigieux était une gratification. L'employeuse n'avait pas démontré que l'octroi du bonus en faveur de l'employée avait été soumis à la non-résiliation des rapports de travail au moment du versement. En outre, la gratification était destinée à récompenser l'employée pour le travail effectué et l'employée, ayant travaillé durant toute l'année 2018, avait participé au chiffre d'affaires annuel 2018. En vertu du principe d'égalité de traitement, elle avait le droit de prétendre au versement du montant résultant de sa participation. Le pourcentage de 5 % du revenu de l'employée n'apparaissait pas disproportionné et l'employeuse n'avait fourni aucune indication sur le chiffre d'affaires de 2018. Le Tribunal a, par conséquent, considéré fondée la prétention de B______.

EN DROIT

1.             1.1 Le recours, écrit, motivé et formé dans les trente jours par une partie qui y a un intérêt (art. 59 al. 2 let. a CPC), est recevable contre les décisions finales de première instance rendues dans le cadre d'affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse est inférieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 a contrario, 319 let. a et 321 al. 1 CPC).

1.2 En l'espèce, les dernières conclusions de première instance étaient inférieures à 10'000 fr., de sorte que la voie du recours est ouverte.

Interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ), dans les délai et forme prescrits par la loi, le recours est recevable.

1.3 Le recours peut être formé pour la violation du droit et la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). Ce dernier grief se recoupe avec celui d'arbitraire dans l'établissement des faits ou dans l'appréciation des preuves (Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, 2ème éd., n. 5 ad art. 320 CPC).

La cause est soumise à la procédure simplifiée (art. 243 al. 1 CPC).

2.             La recourante reproche au Tribunal d'avoir considéré que l'intimée avait droit au bonus qu'elle réclamait. Elle expose qu'il s'agissait d'une gratification discrétionnaire et qu'il appartenait à l'employée de démontrer que celle-ci avait droit à la gratification nonobstant l'extinction des rapports contractuels et non pas à l'employeuse de prouver qu'elle n'y avait pas droit. Le Tribunal n'avait pas tenu compte du fait qu'elle avait allégué que le but du versement du bonus litigieux était d'encourager les employés et de développer le centre. Constatant ainsi que ledit but était uniquement celui de récompenser les employés, il était parvenu au constat erroné que le principe d'égalité de traitement avait été violé. A cet égard encore, aucun autre employé dont le contrat avait été résilié n'avait perçu de bonus.

2.1 Dans plusieurs arrêts récents, le Tribunal fédéral a eu l'occasion de résumer l'ensemble de sa jurisprudence relative aux bonus (arrêts du Tribunal fédéral 4A_327/2019 du 1er mai 2020 consid. 3.1; 4A_230/2019 du 20 septembre 2019 consid. 3 et les arrêts cités).

Il en résulte qu'il faut distinguer les trois cas suivants: (1) le salaire variable, (2) la gratification à laquelle l'employé a droit et (3) la gratification à laquelle il n'a pas droit.

2.1.1 On se trouve dans le cas n° 1 lorsqu'un montant (même désigné comme bonus ou gratification) est déterminé ou objectivement déterminable, c'est-à-dire qu'il a été promis par contrat dans son principe et que son montant est déterminé ou doit l'être sur la base de critères objectifs prédéterminés comme le bénéfice, le chiffre d'affaires ou une participation au résultat de l'exploitation, et qu'il ne dépend pas de l'appréciation de l'employeur; il doit alors être considéré comme un élément du salaire (variable), que l'employeur est tenu de verser à l'employé (art. 322 s. CO; ATF 141 III 407 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_327/2019 précité consid. 3.1.1).

En revanche, on se trouve en présence d'une gratification – dans les cas n° 2 et 3 – lorsque le bonus est indéterminé ou objectivement indéterminable, c'est-à-dire que son versement dépend du bon vouloir de l'employeur et que sa quotité dépend pour l'essentiel de la marge de manœuvre de celui-ci (ATF 141 III 407 consid. 4.1 et 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_327/2019 précité consid. 3.1.2). La jurisprudence reconnaît à l'employeur un tel pouvoir d'appréciation lorsque le montant du bonus ne dépend pas seulement de l'atteinte d'un certain résultat d'exploitation, mais aussi de l'appréciation subjective de la prestation du travailleur; le bonus doit alors être qualifié de gratification (ATF 142 III 381 consid. 2.1; 139 III 155 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_327/2019 précité ibidem).

Il y a un droit à la gratification – cas n° 2 – lorsque, par contrat, les parties sont tombées d'accord sur le principe du versement d'un bonus et n'en ont réservé que le montant; il s'agit d'une gratification que l'employeur est tenu de verser, mais il jouit d'une certaine liberté dans la fixation du montant à allouer (ATF 136 III 313 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_327/2019 précité consid. 3.1.3.1).

De même, lorsqu'au cours des rapports contractuels, un bonus a été versé régulièrement sans réserve de son caractère facultatif pendant au moins trois années consécutives, il est admis qu'en vertu du principe de la confiance, il est convenu par actes concluants (tacitement), que son montant soit toujours identique ou variable: il s'agit donc d'une gratification à laquelle l'employé a droit (ATF 131 III 615 consid. 5.2), l'employeur jouissant d'une certaine liberté dans la fixation de son montant au cas où les montants étaient variables (arrêt du Tribunal fédéral 4A_327/2019 précité ibidem).

Dans les deux situations, le travailleur n'a droit, aux termes de l'art. 322d al. 2 CO, à une part proportionnelle de la gratification en cas d'extinction des rapports de travail avant l'occasion qui y donne lieu que s'il en a été convenu ainsi, ce qu'il lui incombe de prouver en vertu de l'art. 8 CC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_327/2019 précité ibidem).

Il n'y a pas de droit à la gratification – cas n° 3 – lorsque, par contrat, les parties ont réservé tant le principe que le montant du bonus; il s'agit alors d'une gratification facultative; le bonus n'est pas convenu et l'employé n'y a pas droit, sous réserve de l'exception découlant de la nature de la gratification (principe de l'accessoriété) lorsque les salaires sont modestes ou moyens et supérieurs, ce principe étant en revanche inapplicable pour les très hauts revenus. Il en va de même lorsque la réserve du caractère facultatif n'est qu'une formule vide de sens (c'est-à-dire une clause de style sans portée) et qu'en vertu du principe de la confiance, il y a lieu d'admettre que l'employeur montre par son comportement qu'il se sent obligé de verser un bonus (arrêt du Tribunal fédéral 4A_327/2019 précité consid. 3.1.3.2).

2.1.2 Le caractère facultatif de la gratification trouve ses limites dans le respect de l'égalité de traitement. Selon ce principe, l'employeur doit, dans l'attribution du bonus, traiter de manière égale les travailleurs se trouvant dans une situation semblable (ATF 129 III 276 consid. 3.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_651/2017 du 4 avril 2018 consid 3.3; 4A_172/2012 et 4A_174/2012 du 22 août 2012 consid. 8.2).

Jurisprudence et doctrine concluent à l'existence d'un principe général d'égalité de traitement déduit de l'art. 328 CO obligeant l'employeur à protéger la personnalité de l'employé et des art. 28 ss CC instituant les règles générales de protection de la personnalité. Une décision subjective de l'employeur ne contrevient à l'interdiction de discriminer que dans la mesure où elle exprime une dépréciation de la personnalité du travailleur et lui porte ainsi atteinte. Une telle situation n'est réalisée que si l'employé est placé dans une situation clairement moins avantageuse qu'un grand nombre d'autres employés; tel n'est en revanche pas le cas lorsque l'employeur favorise simplement quelques employés (ATF 129 III 276 consid. 3.1 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 4A_651/2017 du 4 avril 2018 consid 3.3; 4A_63/2007 du 6 juillet 2017 consid. 4.2).

Le principe de l'égalité de traitement des travailleurs ne s'applique que dans une mesure restreinte, en ce sens que des travailleurs ne doivent pas être privés de la gratification d'une manière arbitraire ou pour des motifs non pertinents (Message du Conseil fédéral du 25 août 1967 concernant la révision des titres dixième et dixième bis du code des obligations (Du contrat de travail) [FF 1967 II 249], p. 328). La jurisprudence et la doctrine évoquent comme critère de distinction pertinent le fait que les rapports de travail ont été résiliés au moment où le bonus devrait être payé (arrêts du Tribunal fédéral 4A_651/2017 du 4 avril 2018 consid. 3.3 et 3.6.2; 4A_502/2010 du 1er décembre 2010 consid. 2.2; 4A_235/2010 du 25 juin 2010 consid. 2; 4A_509/2008 du 3 février 2009 consid. 4.1; 4C.467/2004 du 1er avril 2005 consid. 3).

La doctrine fait observer que l'employeur peut avoir divers motifs de verser une gratification, tels que récompenser le travail accompli ou une fidélité de longue date, motiver l'employé pour l'avenir, éviter que celui-ci résilie le contrat, ou encore lui faire partager les bons résultats de l'entreprise (Brühwiler, Einzelarbeitsvertrag, 3ème éd. 2014, n° 1 ad art. 322d CO; Staehlin, Zürcher Kommentar, 4ème éd. 2006, n° 2 ad art. 322d CO). Dans la mesure où la gratification est destinée uniquement à récompenser l'employé pour le travail effectué, elle ne saurait être réduite ou supprimée pour le motif que le contrat a été résilié (Portmann/Rudolph, in Basler Kommentar, 6ème éd. 2015, n° 8 ad art. 322d CO; Brühwiler, op. cit., n° 5 ad art. 322d CO). Cet argument a été mentionné par le Tribunal fédéral dans un obiter dictum, repris dans un autre arrêt récent, mais n'a pas été tranché (arrêts du Tribunal fédéral 4A_327/2019 du 1er mai 2020 consid. 3.6.2; 4A_651/2017 du 4 avril 2018 consid. 3.3).

2.1.3 En présence d'un litige sur l'interprétation de clauses contractuelles, le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_498/2018 du 11 avril 2019 consid. 5.1.1).

Ce n'est que si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat - ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure, mais doit résulter de l'administration des preuves -, qu'il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre, c'est-à-dire conformément au principe de la confiance. Les circonstances déterminantes à cet égard sont uniquement celles qui ont précédé ou accompagné la manifestation de volonté, mais non pas les événements postérieurs (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_498/2018 précité consid. 5.1.2).

2.2 En l'espèce, la qualification du bonus litigieux en gratification n'est pas contestée en appel. Demeure litigieuse la question de savoir si l'intimée y a droit (cas n° 2) ou non (cas n° 3) et, dans ce dernier cas, si le refus viole le principe d'égalité de traitement.

2.2.1 Le contrat de travail conclu entre les parties prévoyait un "bonus" aux art. 1 à 4, lequel est en réalité une partie intégrante du salaire calculée sur la base du chiffre d'affaires réalisé par l'employé (cas n° 1). Cet élément de la rémunération de l'intimée n'est pas objet de litige. Aucun autre "bonus", "prime" ou "gratification" n'a été expressément convenu entre les parties, ni annoncé par l'employeur à la conclusion du contrat. L'intimée a admis avoir été surprise en décembre 2017 de percevoir le montant supplémentaire de 1'042 fr. Les parties n'étaient ainsi pas tombées d'accord sur le principe, le régime et/ou la quotité de cette gratification à la conclusion du contrat. Elle émane de la seule initiative de l'appelante au cours des rapports de travail. Le bonus litigieux, au moment de la résiliation des rapports de travail, n'avait été versé que deux années consécutives, ce qui ne permet pas de soutenir qu'il serait devenu tacitement un élément obligatoire de la rémunération, et son caractère facultatif ressort de l'intitulé "bonus exceptionnel" ou "prime exceptionnelle" indiqué dans les fiches de salaire. Rien ne permet de retenir que ces intitulés représenteraient une simple formule vide de sens, après deux paiements consécutifs, et l'intimée n'allègue aucune circonstance permettant de retenir le contraire, ni d'ailleurs qu'elle aurait compris de l'attitude de l'appelante que ce bonus lui était garanti nonobstant son qualificatif d'exceptionnel. Il ressort des allégués de l'intimée qu'elle aurait compris que le bonus litigieux était une participation à la marche des affaires, versée automatiquement, sans autre explication ni motivation. Elle ne précise pas sur quels critères cet élément de rémunération serait calculé et versé alors qu'une part variable fondée sur le chiffre d'affaires était déjà convenue aux art. 1 à 4 du contrat. Rien au dossier ne permet de constater que le comportement de la recourante ait pu faire penser qu'elle s'engageait à verser un bonus en 2017 et 2018 en sus du bonus prévu dans le contrat de travail aux chiffres 1 à 4 ni sur quelle base elle le calculerait.

A l'inverse, l'appelante a exposé quelques principes guidant le versement du bonus – que l'intimée ne remet pas valablement en cause – dont plusieurs éléments permettent de confirmer le caractère aléatoire et discrétionnaire. Il dépend d'une décision des actionnaires et de la disponibilité d'une enveloppe dont on ne connaît ni l'origine, ni les contours. Le bonus n'est pas versé toutes les années car il dépend de la marche des affaires, sans que l'on sache dans quelle mesure. L'appelante a manifesté à plusieurs reprises, après l'éclatement du litige et au cours de la présente procédure, qu'elle souhaitait maintenir le caractère aléatoire de cette gratification, ce qu'elle a formalisé dans les nouveaux contrats de travail. Le fait qu'elle ne communique pas précisément le régime du bonus litigieux à ses employés et dans le cadre de la présente procédure montre suffisamment qu'elle ne souhaite pas se lier et conserver son caractère discrétionnaire.

Il ne peut donc être retenu, que ce soit en recourant à l'interprétation subjective ou à l'interprétation objective en vertu du principe de la confiance, que les parties auraient convenu par actes concluants du versement du bonus litigieux.

En tout état, il incombait à l'intimée – et non à la recourante comme retenu à tort par le Tribunal – de démontrer que les parties avaient convenu que le bonus litigieux était non seulement dû, mais qu'il l'était également au-delà de l'extinction des rapports de travail. Or, aucun élément au dossier ne permet de constater que tel aurait été le cas. Les explications de l'appelante selon lesquelles le bonus avait pour but d'encourager les collaborateurs et de favoriser le développement du centre, soit des objectifs de fidélisation et de rentabilité future, impliquent qu'un versement au-delà de la fin des rapports de travail n'aurait aucun sens. Le fait que le bonus soit versé au moyen d'une enveloppe constituée plus d'un an avant son paiement est un indice supplémentaire du fait qu'il a pour finalité la fidélisation et l'encouragement du collaborateur et non la rétribution de sa productivité passée, déjà largement récompensée par le "bonus" au sens des art. 1 à 4 du contrat.

Il découle de ce qui précède que la gratification litigieuse doit être qualifiée de discrétionnaire (cas n° 3), étant encore relevé que l'intimée ne soutient pas que son bonus devrait être requalifié en salaire en vertu du principe de l'accessoriété, à juste titre vu son montant insignifiant au regard des autres éléments de rémunération. La recourante disposait ainsi de la liberté de verser ou non cette gratification à l'intimée, sous réserve du principe d'égalité de traitement entre les employés qu'il y a lieu d'examiner.

2.2.2 L'intimée n'allègue pas et ne démontre pas que d'autres employés licenciés auraient touché, après la fin des rapports de travail, le bonus dont elle aurait été privée et ne mentionne aucun nom à cet égard. Elle n'a pas non plus fourni de liste de témoins licenciés permettant de le confirmer cas échéant, alors que les parties y avaient été expressément invitée par le Tribunal. Elle n'allègue donc pas, ni n'offre de prouver une inégalité de traitement entre employés licenciés, laquelle aurait sans doute conduit à l'octroi de la prétention invoquée en justice. En réalité, l'intimée allègue avoir été victime d'une inégalité de traitement en relation avec le bonus touché par les employés restés en place, car elle estime avoir participé aux résultats 2018.

Sa situation ne saurait toutefois être comparée à celle des employés de la recourante encore en poste en décembre 2019. Elle ne peut se prévaloir de la doctrine susmentionnée – que le Tribunal fédéral n'a de surcroît pas confirmée – selon laquelle un bonus, destiné à récompenser a posteriori le travail accompli et les résultats obtenus, ne peut être refusé à un employé licencié, alors que les employés restés en place en bénéficieraient. En l'occurrence, selon les affirmations de l'appelante, que l'intimée ne remet pas valablement en cause alors qu'elle en a la charge, le bonus litigieux a une finalité de fidélisation et d'encouragement des employés en poste. L'intimée n'étant plus employée depuis une année et n'appartenait donc plus au cercle des bénéficiaires au moment de la décision d'octroi et elle ne saurait donc se prévaloir d'un traitement inégalitaire.

L'intimée n'allègue par ailleurs aucun autre motif discriminatoire visant à l'atteindre dans sa personnalité.

2.2.3 Compte tenu de ce qui précède, il apparaît que la décision de la recourante de ne pas accorder de gratification discrétionnaire à l'intimée était fondée sur un motif pertinent. Les conditions permettant de condamner la recourante à verser une telle gratification à l'intimée pour l'année 2018, en application du principe de l'égalité de traitement, ne sont pas réalisées, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal.

Par conséquent, le recours est admis, le chiffre 2 du dispositif du jugement entrepris sera annulé et l'intimé sera débouté de ses conclusions.

3.             Au vu de la nature du litige et compte tenu de la valeur litigieuse, il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 114 let. c et 116 CPC; 19 al. 3 let. c LaCC) ni alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 5 :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 20 avril 2021 par A______ SA contre le jugement JTPH/88/2021 rendu le 11 mars 2021 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/13625/2020-5.

Au fond :

L'admet.

Annule le chiffre 2 du dispositif du jugement entrepris et, statuant à nouveau sur ce point :

Déboute B______ de toutes ses conclusions.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires ni alloué de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Jean REYMOND, président; Monsieur Michael RUDERMANN, juge employeur; Monsieur Willy KNOPFEL, juge salarié; Monsieur Javier BARBEITO, greffier.

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119
al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 15'000 fr.