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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/21022/2021

CAPH/61/2023 du 08.06.2023 sur JTPH/8/2023 ( OS ) , ARRET/CONTRA

En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21022/2021-4 CAPH/61/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU JEUDI 8 JUIN 2023

 

Entre

A______, domiciliée c/o B______, ______[GE], et Monsieur B______, domicilié ______[GE], recourants contre une décision rendue par le Collège des présidents et vice-présidents du Tribunal des prud'hommes le 11 janvier 2023, comparant en personne,

et

Madame C______, domiciliée ______[GE], intimée, représentée par Monsieur B______, ______[GE], en les bureaux duquel elle fait élection de domicile,

D______ AG, sise ______[SZ], autre intimée, comparant par Me E______, avocat, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,


A.           Le 11 janvier 2023, le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes a rendu une décision n° JTPH/8/2023, par laquelle a été déniée à F______ la qualité de mandataire professionnellement qualifié au sens des articles 68 alinéa 2 lettre d CPC et 15 LaCC, pour assister et représenter les parties dans les causes de nature prud'homale.

Selon la page de garde de la décision, celle-ci a été rendue dans la cause C/21022/2021, entre C______, comparant par B______, d'une part, D______ AG, son avocat, d'autre part.

Aucune mention de la composition du Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes ne figure dans la décision.

Au pied de celle-ci est indiquée la voie du recours au sens de l'art. 319 CPC.

B.            a. Par acte du 26 janvier 2023, B______ et F______ ont formé recours contre cette décision. Ils ont conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait à ce que soit reconnue à F______ la qualité de mandataire professionnellement qualifié pour assister et représenter les parties devant la juridiction des prud'hommes, déclare la demande formée le 30 juin 2022 recevable et renvoie la cause au Tribunal pour instruction et décision sur le fond. Subsidiairement, ils ont conclu à ce que la qualité de mandataire professionnellement qualifié soit reconnue à B______.

b. C______ a conclu implicitement à l'admission du recours, maintenant "sa confiance" envers B______.

c. D______ AG ne s'est pas déterminée.

d. Par avis du 13 mars 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure de première instance :

a. Le 30 octobre 2021, C______, représentée par B______, a saisi l'Autorité de conciliation du Tribunal des prud'hommes d'une requête en paiement de 27'000 fr., dirigée contre D______ AG, représentée par avocat.

La cause a été enregistrée sous n° C/21022/2021.

b. A l'audience du 15 mars 2022 tenue par l'Autorité de conciliation, C______ a comparu, assistée de B______, mandataire professionnellement qualifié. D______ AG était représentée par G______, disposant d'une procuration, assisté de Me E______.

Aucun accord n'étant intervenu, une autorisation de procéder a été remise à C______.

c. Le 30 juin 2022, C______, agissant par B______, a déposé au Tribunal des prud'hommes une demande par laquelle elle a conclu à ce que D______ AG soit condamnée à lui verser 27'000 fr. net à titre d'indemnité pour licenciement abusif, avec suite d'intérêts moratoires, et à ce que le Tribunal ordonne à cette dernière de ne divulguer à quiconque les reproches formulés pour justifier du licenciement, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP.

Sur la page de garde de la demande figure la mention selon laquelle C______ fait élection de domicile chez F______ et comparaît par B______, mandataire professionnellement qualifié.

d. Par ordonnance du 8 juillet 2022, le Tribunal a imparti un délai à C______ pour déposer deux chargés de pièces. Cette ordonnance a été notifiée à l'adresse de B______.

e. Par ordonnance du 15 juillet 2022, le Tribunal a transmis à D______ AG un exemplaire de la demande ainsi qu'un chargé de pièces, et lui a imparti un délai de trente jours pour répondre, qu'elle a ultérieurement et sur requête prolongé.

f. Le 14 octobre 2022, D______ AG a déposé sa réponse.

g. Par lettre du 31 octobre 2022 adressée à F______ et B______, la Directrice du Tribunal des prud'hommes a requis des précités la production de pièces en ces termes: "tous documents utiles permettant d'attester que votre société et vous-même remplissez toutes les conditions requises en regard de la loi et de la jurisprudence pour que la qualité de mandataire professionnellement qualifiée vous soit formellement reconnue".

Par pli du 23 novembre 2022, la Directrice précitée a imparti un délai au 29 novembre 2022 à F______ et B______ pour communiquer les documents demandés.

h. Par courrier daté du 22 novembre 2022 mais remis à la poste le 28 novembre 2022, B______ a communiqué qu'il avait été amené à plusieurs reprises "à répondre à ces interrogations" et priait en conséquence le Tribunal de se référer à ses précédents courrier, "en particulier pour ce qui est des pièces". Il était titulaire d'une licence en droit depuis 2000 et d'un certificat de fin de stage. Il exerçait à titre indépendant depuis le 1er juin 2005 et avait créée F______ en juillet 2005, société dont la situation financière était saine.

En 2006, il avait été admis comme mandataire professionnellement qualifié auprès de la juridiction des prud'hommes et avait depuis lors "entrepris en tout cas plus d'une vingtaine de procédures aux prud'hommes. Il avait formé des recours au Tribunal fédéral, dont deux avec succès.

Il était également mandataire professionnellement qualifié reconnu par la Chambre des assurances sociales depuis 2013 et la Chambre administrative depuis 2017.

Le dossier ne fait pas mention de ce que cette détermination aurait été communiquées à D______ AG.

EN DROIT

1.             1.1 En l'occurrence, la décision entreprise a été rendue par le Collège des présidents et vice-présidents du Tribunal des prud'hommes. Elle porte l'indication de ce que, rendue en procédure sommaire, elle peut être attaquée par la voie du recours.

Il n'est pas nécessaire d'examiner plus avant la nature de la décision déférée dans la mesure où un motif de nullité peut en être constaté d'office et en tout temps (ATF 138 II 501 consid. 3.1), ce qui sera examiné ci-après.

Interjeté selon la forme et dans le délai prescrit (art. 130, 321 al. 2 CPC), le recours est recevable sous cet angle.

1.2 Les recourants ne sont pas parties à la procédure devant le Tribunal.

1.2.1 Toute partie dispose de la qualité pour recourir pour autant qu'il soit particulièrement touché par la décision attaquée et ait un intérêt digne de protection à son annulation ou sa modification (let. b). Si la qualité pour recourir n'est pas évidente, il incombe au recourant de démontrer que les conditions en sont remplies et, pour ce faire, de fournir toutes les données nécessaires (ATF 138 III 537 consid. 1.2; 133 II 353 consid. 1). L'intérêt digne de protection consiste dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait à son auteur, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision entreprise lui occasionnerait (ATF 138 III 537 consid. 1.2.2; 137 II 40 consid. 2.3). L'intérêt à recourir doit être actuel et personnel (arrêt du Tribunal fédéral 5A_885/2018 du 23 janvier 2019 consid. 1.1 et les références). 

1.2.2 En l'espèce, la décision entreprise dénie au recourant la qualité de mandataire professionnellement qualifié, ainsi que, par ricochet, celle de la recourante. Les recourants sont directement touchés par la décision querellée, de sorte qu'ils disposent d'un intérêt digne de protection et dès lors de la qualité pour recourir.

1.3 Le recours est recevable pour violation du droit et pour constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). La constatation manifestement inexacte des faits équivaut à l'arbitraire.

2.             Les recourants reprochent à l'autorité qui a statué d'avoir dénié la qualité de mandataire professionnellement qualifié à sa représentante en procédure.

2.1                  Le tribunal examine d'office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC).

2.2 Sont autorisés à représenter les parties à titre professionnel dans toutes les procédures les avocats autorisés à pratiquer la représentation en justice devant les tribunaux suisses en vertu de la loi fédérale du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats (art. 68 al. 2 let. a CPC), et, notamment devant les juridictions spéciales en matière de contrat de bail et de contrat de travail les mandataires professionnellement qualifiés si le droit cantonal le prévoit (art. 68 al. 2 let. d CPC). A Genève, l'art. 15 LaCC le prévoit, à l'instar de ce qui prévalait sous l'empire de l'ancien droit cantonal de procédure.

2.3 En procédure civile, la décision sur la capacité de postuler de l'avocat vise à garantir la bonne marche du procès. Elle entre donc dans la catégorie des décisions relatives à la conduite du procès, au sens de l'art. 124 al. 1 CPC. Pour l'acte introductif d'instance, la capacité de postuler est en outre une condition de recevabilité de la demande (art. 59 al. 1 CPC). Partant, si la capacité de postuler est déniée à l'avocat, un délai doit être fixé à la partie concernée pour remédier à l'irrégularité (art. 132 CPC par analogie; cf. supra 6.2.1: arrêt du Tribunal fédéral 4A_87/2012 du 10 avril 2012 consid. 3.2.3). Il s'ensuit que, dans une procédure pendante, l'autorité qui doit statuer sur la capacité de postuler de l'avocat est le tribunal compétent sur le fond de la cause ou, sur délégation, un membre de ce même tribunal (art. 124 al. 2 CPC), à l'exclusion de l'autorité de surveillance (ATF 147 III 351 consid. 6.3).

2.4 Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de rappeler la pratique cantonale genevoise. Selon celle-ci, la qualité de mandataire professionnellement qualifié était surtout reconnue, devant la juridiction des prud'hommes, à des personnes morales actives à Genève dans la défense des travailleurs ou des employeurs, c'est-à-dire à des associations professionnelles, syndicales ou patronales, ou à des sociétés de protection juridique. Ces organisations professionnelles spécialisées agissent par l'intermédiaire d'employés qu'elles forment; ceux-ci, même s'ils ne sont pas titulaires du brevet d'avocat ni d'une licence en droit, disposent des connaissances théoriques et pratiques indispensables à leur activité, connaissances qu'ils acquièrent notamment par leur participation aux négociations des partenaires sociaux tendant à la conclusion des conventions collectives de travail. L'organisation qui prétend à la qualité de mandataire professionnellement qualifié doit rendre au moins vraisemblable qu'elle dispose d'un collaborateur ainsi formé, et cette qualité peut en tout temps lui être refusée, alors même qu'elle lui aurait été plusieurs fois reconnue, si les compétences de son représentant se révèlent manifestement insuffisantes (arrêt du Tribunal fédéral 4A_268/2010 du 21 octobre 2010 consid. 6.2).

Ce qui est déterminant, c'est que l'organisation puisse mettre à disposition des plaideurs, au minimum, une collaboratrice ou un collaborateur doté des connaissances théoriques et pratiques nécessaires aux affaires. La vérification des qualités de l'organisation est ainsi liée à celle du collaborateur qui intervient en son nom (arrêt du Tribunal fédéral 4A/268/2010 précité consid. 6.4).

2.5 Aux termes de l'art. 7 de la Loi sur le Tribunal des prud'hommes (LTPH – RS GE E 3 10), le collège des présidents et vice-présidents de groupe réunit les présidents et vice-présidents de groupe et le président des juges conciliateurs et des juges conciliateurs-assesseurs (al. 1). Le collège constitue la séance plénière du tribunal au sens de l'article 30 de la loi sur l'organisation judiciaire (al. 2).

Selon l'art. 1 al. 5 du Règlement du Tribunal des prud'hommes (RTPH – RS GE 2 05.44), la séance plénière exerce les attributions que la loi lui confère de même que celles qui sont attribuées au collège des présidents et vice-présidents de groupe.

L'art. 2 al. 1 RTPH prévoit que la commission de gestion du Tribunal des prud'hommes se compose des 10 présidents et vice-présidents de groupe élus lors des assemblées générales annuelles, du greffier de juridiction et des greffiers-adjoints.

Selon l'art. 3 RTPH, la commission est compétente pour tout ce qui n'est pas de la compétence de la séance plénière, du président ou du greffier de juridiction (al. 1).

Dans ce cadre, elle règle les questions organisationnelles liées à l'activité judiciaire communes à l'ensemble du Tribunal ou à plusieurs groupes professionnels. Elle est notamment habilitée à a. adopter des directives relatives au fonctionnement des juges prud'hommes favorisant une saine administration de la justice ou une pratique uniforme dans les différents groupes professionnels; b. désigner les présidents amenés à siéger dans un autre groupe professionnel en application de l'article 12 alinéa 3 de la loi sur le Tribunal des prud'hommes (al. 2).

2.6 Les principaux motifs de nullité résident dans l'incompétence d'une autorité ou dans des violations crasses de règles procédurales (ATF 138 II 501 consid. 3.1).

Dans le cas où un jugement est rendu sur le fond par un juge incompétent, ce jugement est entaché d'un vice grave qui, selon les circonstances, peut en entraîner la nullité (ATF 137 III 217 consid. 2.4.3).

2.7 En l'espèce, la décision attaquée a été rendue dans le cadre d'une procédure judiciaire précise, opposant deux parties, ouverte à la suite d'une demande déposée le 30 juin 2022, à la suite de la délivrance d'une autorisation de procéder. Cette procédure relève de la compétence du Tribunal des prud'hommes, qui est seul fondé à examiner, d'office, les conditions de recevabilité des actes; à l'instar de ce qui prévaut en matière d'interdiction de postuler d'un avocat, il s'agit d'une décision relative à la conduite du procès, qui appartient, pour les procédures pendantes, au tribunal compétent pour le fond de la cause.

Ce Tribunal doit être constitué conformément à l'art. 12 LTPH, soit un président, un juge prud'homme employeur et un juge prud'homme salarié.

La décision attaquée émane du Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes, dans une composition qui n'a pas été mentionnée; si certes, le cercle desdits présidents et vice-présidents est déterminable, il n'en demeure pas moins que rien n'indique combien de ses membres ont siégé in casu. En tout état, les compétences légales de ce collège, soit qu'il soit constitué en séance plénière de la juridiction, soit qu'il soit constitué en commission de gestion, sont de nature administrative ou organisationnelle; elles ne lui permettent pas de s'immiscer dans une procédure prud'homale précise, qui relève de la compétence judiciaire du Tribunal au sens de l'art. 12 LTPH.

Par ailleurs, cette décision, rendue dans la cause C/21022/2021, qui n'oppose que deux parties, ne saurait avoir un effet qui s'étendrait à des "parties" indéterminées "dans les causes de nature prud'homale", au-delà de la présente procédure.

Au vu des vices de procédure ainsi relevés, la décision attaquée est nulle, ce qui sera constaté d'office par la Cour.

3. Il n'est pas perçu de frais ni alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *

 

 

 

 


 

PAR CES MOTIFS

La Chambre des prud'hommes, groupe 4:

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 26 janvier 2023 par B______ et F______ contre la décision JTPH/8/2023 rendue le 11 janvier 2023 par le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes.

Au fond :

Constate la nullité de cette décision.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Nadia FAVRE, juge employeur; Madame Ana ROUX, juge salarié; Monsieur Javier BARBEITO, greffier.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffier :

Javier BARBEITO

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.