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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/26041/2019

CAPH/100/2022 du 04.07.2022 sur JTPH/313/2021 ( OO ) , PARTIELMNT CONFIRME

Recours TF déposé le 07.09.2022, rendu le 14.06.2023, REJETE, 4A_364/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/26041/2019-4 CAPH/100/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU lundi 4 juillet 2022

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 24 août 2021 (JTPH/313/2021), comparant par
Me Laurent ISENEGGER, avocat, rue Général Dufour 22, 1204 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, France, intimé, comparant par Me C______, avocate, ______ [GE], en l'Étude de laquelle il fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/313/2021 du 24 août 2021, expédié pour notification aux parties le même jour et reçu par l'appelante le 25 août 2021, le Tribunal des prud'hommes, statuant par voie de procédure ordinaire, a déclaré recevables les demandes formées le 2 juin 2020 par A______ SA contre B______ et le 9 juillet 2020 par B______ contre A______ SA (ch. 1), déclaré recevable la demande reconventionnelle formée le 19 octobre 2020 par A______ SA contre B______, condamné A______ SA à payer à B______ la somme brute de 8'500 fr avec intérêts à 5% dès le 1er février 2019 (ch. 3), la somme brute de 8'500 fr avec intérêts à 5% dès le 1er mars 2019 (ch. 4), la somme brute de 9'914 fr 70 avec intérêts à 5% dès le 1er février 2019 (ch. 5), la somme nette de 8'958 fr avec intérêts à 5% dès le 31 août 2018 (ch. 6), la somme nette de 10'000 fr avec intérêts à 5% dès le 30 novembre 2018 (ch. 7), la somme nette de 11'500 fr avec intérêts à 3% dès le 1er octobre 2017 (ch. 8), la somme nette de 11'195 fr 70 avec intérêts moratoires (non chiffrés) dès le 24 mai 2019 (ch. 9), invité la partie qui en a la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles (ch. 10), condamné A______ SA à remettre à B______ les certificats de salaire annuels pour la durée des rapports de travail (ch. 11), prononcé la mainlevée définitive des oppositions aux poursuites n°1______ et n° 2______ (ch. 12), débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 13) et dit que la procédure était gratuite (ch. 14).

B.            a. Par acte déposé le 24 septembre 2021 au greffe de la Cour, A______ SA appelle de ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Cela fait, elle conclut à ce que B______ soit débouté de toutes ses conclusions, que les commandements de payer, poursuite n° 1______ et 2______ ne suivent pas leur voie et soient annulés, que B______ soit condamné aux frais judiciaires et dépens. Sur demande reconventionnelle, elle conclut à ce que B______ soit condamné à lui payer 102'000 fr avec intérêts à 5% dès le 19 octobre 2019, subsidiairement au renvoi au Tribunal "dans le sens des considérants de la Cour, avec suite de frais et dépens".

b. Le 8 novembre 2021, B______ a répondu et conclu au rejet de l'appel.

c. Le 30 novembre 2021, A______ SA a répliqué.

d. Le 16 décembre 2021, B______ a dupliqué.

e. Le 17 décembre 2021, la cause a été gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure:

a. B______ a été engagé dès le 1er octobre 2013 par A______ SA en qualité de ______. Selon le contrat, son salaire mensuel était de 2'500 fr durant les trois premiers mois, 4'000 fr durant les trois mois suivants et 5'500 fr ultérieurement; en plus, le salaire mensuel serait augmenté chaque année d'au moins 10% durant les trois premières années. Le contrat prévoyait par ailleurs une rémunération variable sous forme de bonus.

b. L’article 5b du contrat, dont le titre est « propriété intellectuelle » a la teneur suivante : « l’Employeur est réputé unique et exclusif titulaire des droits de propriété intellectuelle, savoir-faire, secrets d’affaires ou autres prérogatives portant sur tout aspect des projets (spécifications, plans, etc.) et des développements software (documentation, codes-source, etc.) que l’Employé a réalisés ou auxquels il a participé dans l’exercice de son activité au service de l’Entreprise et conformément à ses obligations contractuelles. L’article 332 al. 1 CO est applicable par analogie ».

L’article 5d du contrat a la teneur suivante : « l’Employé s’engage à ne pas utiliser ou révéler, que ce soit avant, pendant ou après les rapports de travail, pour son propre compte ou pour celui d’un tiers, tout ou partie des projets ou développements software protégés par des droits de propriété intellectuelle, savoir-faire, secrets d’affaires ou autres prérogatives dont l’Entreprise serait titulaire ».

Selon l’article 7a, dont le titre est « devoir de confidentialité », sont notamment considérées comme « informations confidentielles », « i) l’identité de tout partenaire commercial, juridique ou financier de l’entreprise ; ii) tout programme, donnée, idée, principe, système, procédure, technique ou langage informatique qui n’appartient pas au domaine public ; [ ] iv) tout autre renseignement, information ou donnée dont la révélation serait de nature à porter atteinte aux intérêts de l’Entreprise et notamment à affaiblir sa position concurrentielle ». Selon l’article 7b, « l’employé convient qu’il ne doit pas, directement ou indirectement, pendant la durée des rapports de travail ou postérieurement à ceux-ci, et sans égard au moment et aux raisons qui ont motivé la rupture du contrat de travail, utiliser, révéler ou faire en sorte que des informations confidentielles soient utilisées ou révélées en dehors du cercle des personnes dûment autorisées [ ] ».

L’article 8b, dont le titre est « prohibition de concurrence », a la teneur suivante : « Les obligations de l’employé mentionnées sous section 8a) subsistent après la fin des rapports de travail pendant une période de 1 an, mais uniquement pour les activités concurrentes à celles de l’Entreprise. Sont notamment considérées comme activités concurrentes toutes celles liées au développement pour la commercialisation de logiciels utilisé dans le domaine de l’analyse financière de marché (notamment action, obligation, fonds d’investissement). En cas de litige, le juge se basera sur les travaux de l’Entreprise pour définir le champ matériel de cette clause. Ces prohibitions de concurrence sont pleinement valables si l’Employé met fin aux rapports de travail ou agit de telle façon que l’Entreprise doive mettre fin au contrat ».

L’article 9 contenait des « clauses pénales en cas de violation des clauses de propriété intellectuelle, de devoir de confidentialité et de prohibition de concurrence ». Cette pénalité pouvait aller jusqu’à douze salaires mensuels au maximum.

c. Le 12 juillet 2018, B______ a écrit à A______ SA en raison d’arriérés de salaire.

d. Le 3 septembre 2018, il lui a adressé une « ultime mise en demeure ».

e. Le 19 septembre 2018, les parties, représentées par avocats, ont conclu un accord transactionnel, qui – s’agissant des éléments encore litigieux – a la teneur suivante :

-          « Paiement par l’Employeur à l’Employé de CHF 20'000 net par transfert bancaire au plus tard le vendredi 21 septembre 2018 au titre des arriérés de « salaire », étant entendu que les parties procéderont à un décompte définitif de ces arriérés nets dès que possible après fin octobre 2018 mais au plus tard le 31 décembre 2018, de sorte que le droit de l’Employé de réclamer le solde après cette date est réservé. Un intérêt de 3% sur les arriérés de salaire est dû en sus, conformément au décompte détaillé annexé (Annexe 1) que les parties vérifieront et valideront conjointement avant fin octobre, et payable au plus tard le 31 octobre 2018.

-          [ ]

-          [ ]

-          Paiement de CHF 11'500 (13'500 – 2'000) brut (avant déductions), avec intérêts de retard de 3% du 1er octobre 2017, conformément au décompte détaillé annexé (Annexe 2) que les parties vérifieront et valideront conjointement avant fin octobre, par transfert bancaire au plus tard le 31 octobre 2018 au titre des arriérés de « prime initiale ».

-          Paiement de CHF 10'000 net par transfert bancaire au plus tard le 30 novembre 2018 au titre des « primes de rattrapage conditionnelles » pour les 2 premières années de service, étant entendu que les parties procéderont à un décompte définitif de ces primes nettes dès que possible après fin octobre 2018, mais au plus tard le 31 décembre 2018, de sorte que le droit de l’Employé de réclamer le solde après cette date est réservé.

-          [ ]

-          Un audit administratif et une régularisation administrative par une fiduciaire est en cours ; dès que possible dès fin octobre 2018, mais au plus tard le 31 décembre 2018, l’Employeur remettra à l’Employé ses fiches de salaire définitives tenant compte du résultat de l’audit.

-          Sur cette base, les parties procéderont à un calcul précis de toutes sommes nettes qui étaient effectivement dues à ce jour au titre des arriérés de salaire, de la prime initial (sic) et des primes de rattrapages conditionnelles et un éventuel ajustement / « netting » des sommes précitées sera effectué au plus tard le 31 décembre 2018.

-          [ ] »

L’annexe à cet accord mentionnait des arriérés de 21'770 fr 40 et des intérêts de 5'179 fr 50.

f. Le 21 septembre 2018, A______ SA a versé 20'000 fr à B______.

g. Le 16 janvier 2019, B______ a démissionné avec effet au 28 février 2019, soit dans le délai raccourci résultant de l’accord du 19 septembre 2018.

h.i Le 4 juin 2019, B______ a fait notifier à A______ SA un commandement de payer, poursuite n° 2______ portant sur 4 créances: le salaire de janvier 2019 de 8'500 fr avec intérêts à 5% dès le 1er février 2019; le salaire de février 2019 de 8'500 fr avec intérêts à 5% dès le 1er mars 2019; l'indemnité pour vacances non prises en 2019 de 1'414 fr 70, avec intérêts à 5% dès le 1er mars 2019; les frais d'avocat encours en raison de la demeure du débiteur de 10'830 fr avec intérêts à 5% dès le 22 mai 2019.

h.ii A______ SA y a fait opposition.

i.i Le 5 juin 2019, B______ a fait notifier à A______ SA un commandement de payer, poursuite n° 1______ portant sur deux créances: d'un part des arriérés de prime initiale selon reconnaissance de dette du 19 septembre 2018, pour 11'500 fr avec intérêts à 3% dès le 1er octobre 2017; d'autre part, des primes de rattrapage conditionnelles selon reconnaissance de dette du 19 septembre 2018, pour 10'000 fr avec intérêts à 3% dès le 30 novembre 2018.

i.ii A______ SA y a fait opposition.

j. Par jugement JTPI/4990/2020 du 5 mai 2020 dans la procédure C/3______/2019, le Tribunal de première instance a prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, à concurrence de 10'000 fr. seulement.

k.a Le 21 septembre 2018, l’Etude D______ a adressé à B______ sa facture n° 4______ pour le dossier no « 5______ – B______ – Litige de droit du travail » pour l’activité déployée du 29 juin 2018 au 21 septembre 2018. Le montant des « honoraires selon annexe » était de 6'801 fr 50, le total HT étant de 7'011 fr 85.

k.b Le 24 mai 2019, l’Etude D______ a adressé à B______ sa facture n° 6______ pour le dossier no « 5______ – B______ – Litige de droit du travail » pour l’activité déployée du 22 septembre 2018 au 24 mai 2019. Le montant des « honoraires selon annexe » était de 4'062 fr, le total HT étant de 4'183 fr 85. La facture comprenait une annexe listant des dates et des trigrammes d’avocates ; leur libellé était caviardé.

k.c Selon décomptes [de la banque] E______, le 6 juillet 2018, B______ a versé 1'000 fr à l’Etude D______ ; le 27 septembre 2018, il a versé 3'000 fr ; le 2 novembre 2018, il a versé 3'011 fr 85 ; le 6 août 2019, il a versé 4'183 fr 85.

D.           Procédure C/7______/2020

a. Le 2 juin 2020, A______ SA a déposé au Tribunal des prud'hommes une action en libération de dette portant sur la somme de 10'000 fr, visée par le commandement de payer, poursuite n° 1______, qui a fait l'objet de la mainlevée provisoire selon jugement précité du 5 mai 2020. La créance n'était pas fondée, car le décompte définitif et approuvé par les deux parties n'avait jamais eu lieu. De plus, B______ avait violé ses obligations prévues par les articles 7, 8 et/ou 9 du contrat de travail et était ainsi débiteur envers A______ SA d'une somme minimale de 102'000 fr de peine conventionnelle.

b. Le 13 juillet 2020, B______ a répondu et conclu au rejet de la demande de A______ SA. De manière reconventionnelle, il a conclu que A______ SA soit condamnée à lui payer le montant de 10'000 fr visé par la poursuite. Le décompte définitif devait servir à s'assurer du montant dû afin de garantir le droit de B______ au paiement d'un éventuel solde; les parties n'entendaient pas soumettre le paiement des 10'000 fr à condition, mais seulement permettre à B______ de réclamer un éventuel solde supplémentaire. A______ SA n'avait produit aucun document permettant de considérer que ce montant aurait été remis en doute à la suite de la signature de l'accord. Enfin, A______ SA n'avait apporté aucun élément mettant en évidence une quelconque violation par B______ de ses obligations.

c. Le 18 août 2020, le Tribunal a prononcé la jonction des causes C/26401/2019 et C/7______/2019 sous numéro C/26041/2019.

Procédure C/26041/2019

d. Par requête de conciliation datée et expédiée le 8 novembre 2019 et reçue à l'autorité de conciliation le 12 novembre 2019, B______ a requis le paiement de 19'788 fr 25 net et de 33'739 fr 70 brut, l'établissement d'un décompte final de salaire, la production des attestations sur le paiement des charges légales et la mainlevée définitive de l'opposition dans la poursuite n° 2______.

e. Le 11 mars 2020, l'autorité de conciliation a délivré l'autorisation de procéder à B______ pour 53'528 fr 95.

f. Le 9 juillet 2020, B______ a déposé au fond une demande en paiement en procédure ordinaire pour 65'030 fr 95. Il a requis le paiement de 8'500 fr brut, avec intérêts à 5% dès le 1er février 2019, 8'500 fr brut avec intérêts à 5% dès le 1er mars 2019, 1'414 fr 70 brut avec intérêts à 5% dès le 1er mars 2019, 2'250 fr brut avec intérêts à 3% dès le 1er février 2015, 3'025 fr brut avec intérêts à 3% dès le 1er février 2016, 3'350 fr brut avec intérêts à 3% dès le 1er février 2017, 3'350 fr brut avec intérêts à 3% dès le 1er février 2018, 3'350 fr brut à 5% dès le 1er février 2019, 8'958 fr 25 net avec intérêts à 3% dès le 31 août 2018, 10'830 fr net avec intérêts à 5% dès le 22 mai 2019, 11'500 avec intérêts à 3% dès le 1er octobre 2017. Il a également requis la mainlevée définitive de l'opposition de la poursuite n° 2______, ainsi que la mainlevée définitive de l'opposition de la poursuite n° 1______ à concurrence de 11'500 fr. Il a requis des fiches de salaire et des attestations sur le paiement des charges sociales et de l'impôt à la source pour toute la durée des rapports contractuels, ainsi qu'un certificat de salaire annuel.

S’agissant de ses honoraires d’avocat avant procès (allégué 35 et pièce 15), il a fait valoir une prétention de 10'830 fr net.

g. Le 18 août 2020, le Tribunal a prononcé la jonction des causes C/26401/2019 et C/7______/2019 sous numéro C/26041/2019.

h. Le 19 octobre 2020, A______ SA a répondu à la demande du 9 juillet 2020 et à la demande reconventionnelle du 13 juillet 2020. Elle a conclu au déboutement de B______ de toutes ses conclusions, à ce que le commandement de payer, poursuite n° 1______ n'aille pas sa voie et soit annulé. Sur demande reconventionnelle, elle concluait au paiement par B______ de 102'000 fr avec intérêts à 5% dès le 19 octobre 2020.

S’agissant des honoraires d’avocat de B______ avant procès, A______ SA a contesté l’allégué 35, puis expliqué qu’elle considérait que le montant était exagéré et visait à contourner le principe de la gratuité du litige prud’homal.

i. Le 25 janvier 2021, B______ a conclu au rejet de la demande reconventionnelle du 19 octobre 2020, à savoir le déboutement de A______ SA de sa prétention en paiement de 102'000 fr.

S’agissant de ses honoraires d’avocat avant procès, il a actualisé ses prétentions à 11'195 fr 70, indiquant que la facture n° 6______ du 24 mai 2019 remplaçait le brouillon de facture du 22 mai 2019 qui avait été produit précédemment. Les avis de crédit E______ étaient produits comme pièce 118 pour 4'183 fr 85, 3'000 fr, 3'011 fr 85 et 1'000 fr. Cela représente un total de 11'195 fr 70.

j. Une audience de débats d'instruction a eu lieu le 8 mars 2021. Dans sa détermination sur l’allégué 1 (relatif aux honoraires d’avocat) de la réponse sur demande reconventionnelle du 25 janvier 2021, A______ SA s’est rapportée aux pièces.

B______ a dit que son employeur actuel était F______ LTD, à G______ [VD] ; son audition a été sollicitée par A______ SA.

Une ordonnance de preuve a été immédiatement rendue.

k. Les 12 avril 2021, les parties ont produit des pièces.

l. Une audience de débats principaux a eu lieu le 3 mai 2021.

Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune note d’entretien dans le dossier personnel de B______ auprès de A______ SA.

B______ a demandé régulièrement le paiement de ses salaires en retard à A______ SA, par oral et quelquefois par courriel. L’accord de septembre 2018 était clair, mais les montants des bonus n’y étaient pas définis ; les montants inscrits représentaient des salaires impayés et des bonus d’ancienneté ; ces derniers devaient être calculés en fonction de sa valeur sur le marché, mais cela n’a jamais été défini, ni documenté. Cet accord valait solde de tout compte, c’est-à-dire « 13'500 fr de bonus initial plus les salaires ». Il ne se rappelait pas que A______ SA lui ait demandé les informations nécessaires aux vérifications et calculs mentionnés dans l’accord. Il n’était pas en contact avec les clients de A______ SA qu’il n’avait pas besoin de connaître pour son activité : ce sont cependant des personnes travaillant dans la fabrication de voiles de bateaux, des journalistes s’intéressant à des parcelles et bâtiments ainsi que des personnes travaillant dans la finance. Le logiciel recueille et analyse des informations par exemple sur des propriétaires de parcelles ou des actifs financiers ; il avait pour force de recueillir de recueillir rapidement un grand nombre de données pour en faire une analyse ; il pouvait s’adapter à n’importe quel sujet. Le rôle de B______ était de coder dans le langage C# les spécifications données par M. H______. Il pensait ne pas avoir le droit d’utiliser les résultats de ce qu’il avait produit chez A______ SA grâce à son logiciel. Ce logiciel gérait des données sur des fonds, des actions, des obligations, des monnaies, des indices et des « futurs » (sic) (comme dans le logiciel de son employeur actuel). Il avait amélioré le moteur comptable existant ; il avait développé un moteur d’attribution de performance de portefeuilles financiers. Chez son employeur actuel, où il avait été engagé comme développeur, B______ n’exerçait pas le même type de tâche ; son activité actuelle était assimilable à de la traduction au niveau informatique. Le logiciel de son employeur actuel avait aussi un moteur comptable, mais ne faisait pas d’attribution de performance. Les logiciels de A______ SA et de son employeur actuel n’avaient pas le même but pour les clients : le logiciel de A______ SA avait pour but de faire de l’analyse, tandis que celui de son employeur actuel avait pour but d’enregistrer des données pour les métiers de gestionnaire de fortune ; c’était un logiciel qui gérait des données, mais dont le but premier n’était pas de faire de l’analyse. B______ connaissait les clients de son employeur actuel, c'étaient principalement des gestionnaires de fortune et de family office.

H______, administrateur de A______ SA, a dit que les contrats de travail étaient les mêmes pour tous ses employés. Le salaire de B______ lui paraissait « globalement raisonnable » et correct. Le bonus d’ancienneté ou les primes étaient une preuve de leur bonne volonté ; il appartenait à B______ de revenir vers lui avec la preuve de la valeur moyenne sur le marché pour un poste équivalent. L’accord de septembre 2018 avait pour but de garder B______ ; les montants y figurant devaient être revérifiés en fonction de la bonne application des principes du contrat de travail ; cela concernait la prime de rattrapage conditionnelle qui devait être évaluée chaque année sur un Benchmark qui n’avait jamais été produit par B______ ; il ne se rappelait pas en avoir parlé avec lui à la signature de son contrat. « Après réflexion », cette construction spécifique avait été négociée spécifiquement avec B______, dont il pensait qu’il avait compris qu’il devait fournir ces données pour bénéficier des éventuelles primes. L’accord de septembre 2018 avait été rédigé par les conseils des deux parties. B______ n’avait jamais émis de prétention au sujet du bonus de performance jusqu’à ce que cela apparaisse en procédure. A______ SA développait son logiciel depuis 2006-2007 ; ce logiciel avait la capacité de gérer des données sur tous les objets mentionnés précédemment ; sa spécificité était de fusionner les bases de données sur des fonds et des sociétés en traduisant les différents modèles et en filtrant les doublons. Le code source du logiciel lui appartenait exclusivement. La gestion des doublons, le moteur d’analyse de liquidité contractuelle et toute l’orchestration étaient très spécifiques à A______ SA ; c’était un savoir-faire et une façon d’organiser qui faisait partie de la propriété intellectuelle. A______ SA était en concurrence avec l’employeur actuel de B______ ; un outil comme celui de A______ SA serait très complémentaire à ce qu’il faisait et offrirait des fonctionnalités qui le différencieraient de ses concurrents. A______ SA ne disposait cependant pas d’élément concret prouvant que B______ aurait révélé des informations confidentielles à son employeur actuel.

I______, directeur de F______ LTD, travaillant depuis 22 ans dans l’entreprise, a été entendu comme témoin. F______ LTD éditait des logiciels dans la finance depuis 1992 ; tous ses logiciels étaient développés en interne et F______ LTD en était propriétaire. Il y avait des logiciels pour les gestionnaires de fortune, les family office, les brokets et les trusts ; leurs logiciels permettaient de consolider des données. B______ avait pour rôle de faire le lien entre l’équipe de F______ LTD qui maîtrisait l’ancienne technologie (qu’il avait dû apprendre) et l’équipe de J______ [Viêtnam] qui maîtrisait la nouvelle ; la migration donc il s’occupait reposait sur l’interface utilisateur uniquement. Il s’agissait d’un passage de langage PROGRESS OPENEDGE à C# uniquement pour l’interface utilisateur et non pour les objets des métiers. B______ travaillait sur les développements et participait à la migration de l’interface utilisateur. F______ LTD cherchait un collaborateur faisant du technique, du langage C#. B______ n’apportait que de la technique, sans connaissance métier ; il n’y avait aucune notion de propriété intellectuelle dans son travail. L’interface utilisateur était l’ergonomie du logiciel (sur laquelle travaille B______) ; elle permettait au client d’accéder aux données, y compris consolidées ; derrière cette interface il y avait les questions métiers (sur lesquels B______ ne travaille pas). F______ LTD n’avait jamais rencontré A______ SA en concurrence directe sur une offre commerciale. B______ recevait ses instructions techniques de la part du responsable technique K______.

A l’issue de l’audience, le Tribunal a imparti un délai au 14 mai 2021 à A______ SA pour produire i) ses bilans officiels et conformes pour les années 2014 à 2018, ii) les fiches de salaires pour les années 2013 à février 2019 ; iii) un bordereau de pièces pour les pièces produites le 12 avril 2021.

m. Le 14 mai 2021, A______ SA a produit des pièces complémentaires (bilans et comptes de pertes et profits ; fiches de salaires). La pièce 21bis était un « décompte comparatif des sommes nettes payables par [A______ SA] à [B______] au regard des fiches de salaires remises en son temps (Pièce 26 Dem., parfois inexactes) et des fiches exactes produites sous Pièce 21 ».

n. Le 25 mai 2021, une audience de débats principaux a eu lieu. Les parties ont admis que les fiches de salaire corrigées, déposées en procédure, ne correspondaient pas aux montants versés à B______, car certaines déductions n’avaient pas été effectuées correctement.

Le témoin L______ a été entendu. C’était un ami de H______, mais il n’avait jamais travaillé avec lui ; il ne connaissait pas B______. Il connaissait un petit peu le logiciel M______, car il faisait partie des investisseurs. Ses informations provenaient de H______ ou des rapports reçus comme investisseurs. Le logiciel M______ était une application qui prenait différentes sources de données selon des modèles de description des données différents ; c’était un outil qui permettait de rassembler des données de formats différents qui les mettait dans un format connu du logiciel M______ ; on pouvait ensuite faire des croisements de données pour éviter des doublons et unifier des données hétérogènes ainsi que faire des requêtes sur ces données et croiser différentes sources ; c’était un logiciel puissant et novateur qui possédait des fonctionnalités permettant de gagner du temps et de limiter les erreurs. Le témoin s'était rendu dans les bureaux de A______ SA, mais n’y avait jamais rencontré B______, il y avait eu plusieurs développeurs qui avaient participé au développement du logiciel

Les plaidoiries finales orales ont ensuite eu lieu, les parties persistant dans leurs conclusions.

E.            Dans le jugement querellé, le Tribunal a déclaré recevables l’action en libération de dette et la demande du 9 juillet 2020, de même que les demandes reconventionnelles des 13 juillet 2020 et 19 octobre 2020. En revanche, il a déclaré irrecevables les conclusions tendant à la remise des attestations de paiement des charges sociales et de l’impôt à la source. Il a fait droit aux conclusions de B______ tendant au paiement des salaires de janvier 2019 et février 2019, de même qu’à l’indemnité pour les vacances non prises ; il a rejeté les conclusions tendant au versement des bonus 2014, 2015 et 2016 à 2018. Il a fait droit aux conclusions tendant à l’arriéré de salaire (8'958 fr 25 net avec intérêts à 3% dès le 31 août 2018), dès lors qu’il s’agissait de la mise en œuvre d’un accord (du 19 septembre 2018) négocié entre les conseils des parties (23'770 fr 40 de capital + 5'187 fr 85 d’intérêts – 20'000 fr de montant payé) ; l’établissement du décompte définitif devait être compris comme la vérification du montant dû. Il a également fait droit aux autres montants reconnus (10'000 fr et 11'500 fr) dans l’accord du 19 septembre 2018 en application notamment du principe de la confiance. Enfin, il a accordé le remboursement de 11'195 fr 70 de frais d’avocat. La conclusion sur la remise des fiches de salaire était sans objet, ces fiches ayant été produites ; en revanche, il a ordonné à l’employeur de remettre le certificat de salaire annuel. Les prétentions reconventionnelles de l’employeur visant à faire appliquer une clause de non concurrence ont été rejetées : l’administration des preuves avait permis de comprendre que l’employeur n’était pas titulaire de secrets de fabrication à caractère technique protégés et que le travailleur avait obtenu les connaissances nécessaires en informatique avant son emploi ; il n’était donc pas établi que le travailleur aurait enfreint les clauses de confidentialité, de propriété intellectuelle ou de non concurrence ; de plus, la clause de prohibition de concurrence n’était pas valable dès lors que le travailleur avait démissionné pour des motifs justifiés, en particulier en raison de retards importants dans le paiement des salaires.

EN DROIT

1.             1.1 L’appel est dirigé contre une décision finale de première instance rendue dans le cadre d’un litige portant sur une valeur litigieuse de plus de 10'000 fr. au dernier état des conclusions de première instance (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

Il a été déposé dans le délai de 30 jours à compter de la notification de la décision et respecte, au surplus, la forme prescrite (art. 130, 131, 142, 143 et 311 al. 1 CPC).

L’appel est par conséquent recevable.

1.2 La procédure ordinaire s’applique aux affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 219 CPC, art. 243 al. 1 a contrario CPC).

La cause est soumise aux maximes des débats (art. 55 al. 1 CPC) et de disposition (art. 58 al. 1 CPC). La Cour applique le droit d’office (art. 57 CPC).

2.             La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d’examen (art. 310 CPC).

3.             Sous réserve de la compensation avec ses prétentions reconventionnelles (cf infra consid. 9), L'appelante ne conteste pas les chiffres 3 (salaire de janvier 2019), 4 (salaire de février 2019) et 11 (certificats de salaire annuels) du jugement.

4.             L'appelante relève une erreur s'agissant du chiffre 5 du jugement qui la condamne à verser « 9'914 fr 70 » à l'intimé à titre d'indemnité pour vacances non prises, alors même que les conclusions du demandeur se limitaient à 1'414 fr 70 en première instance (jugement consid. 4). Le Tribunal lui-même a accordé 1'414 fr 70 à B______ à charge de A______ SA à la fin de son considérant 4c.

L'intimé ne conteste pas cette divergence, mais considère que cela devrait se régler par la voie de l'interprétation (art. 334 CPC).

Dès lors que la Cour est saisie, cette erreur peut donc être immédiatement corrigée. C'est donc une erreur de plume qui a conduit à mentionner le chiffre de 9'914 fr 70 (c'est-à-dire avec l'ajout incorrect de 8'500 fr) dans le dispositif. Le rejet de ce grief et le renvoi des parties en interprétation devant le Tribunal serait un inutile détour, contraire à une conduite efficace de la procédure (cf art. 124 al. 1 CPC par analogie).

Le chiffre 5 du jugement doit donc être annulé et modifié, le montant dû étant de 1'414 fr 70 au lieu de 9'914 fr 70, intérêts en sus.

5.             L’appelante critique ensuite un établissement inexact des faits et une mauvaise application des art. 1ss CO, 18 CO, 120 CO, 128 ch. 3 CO, 2 CC et 8 CC.

5.1 Pour apprécier la forme et les clauses d'un contrat, il y a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO). Pour déterminer le sens d'une clause contractuelle, le juge doit, dans un premier temps, rechercher la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective). Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties, en tant qu'il est propre à établir quelle était leur conception au moment de conclure le contrat. L'appréciation de ces indices concrets par le juge, selon son expérience générale de la vie, relève du fait (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2).

Ce n'est que si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat qu'il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre. Il s'agit d'une interprétation selon le principe de la confiance. D'après ce principe, la volonté interne de s'engager du déclarant n'est pas seule déterminante; une obligation à sa charge peut découler de son comportement, dont l'autre partie pouvait, de bonne foi, déduire une volonté de s'engager. Le principe de la confiance permet ainsi d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_431/2019 du 27 février 2020, consid. 5.1).

5.2 Conformément à l'art. 120 CO al. 1 CO, lorsque deux personnes sont débitrices l'une envers l'autre de sommes d'argent ou d'autres prestations de même espèce, chacune des parties peut compenser sa dette avec sa créance, si les deux dettes sont exigibles.

La compensation consacre l'extinction d'une dette par le sacrifice d'une contre-créance que le débiteur détient vis-à-vis de son créancier (Jeandin/Hulliger, Commentaire romand CO I, 3ème éd., Bâle 2021, n. 1 ad art. Intro. art. 120-126 CO).

5.3 Selon l’art. 127 CO, toutes les actions se prescrivent par dix ans, lorsque le droit civil fédéral n’en dispose pas autrement. Selon l’art. 128, ch. 3 CO, se prescrivent par cinq ans les actions des artisans pour leur travail. Selon la jurisprudence, le texte de l'art. 128 ch. 3 CO relatif aux travailleurs a une formulation large (ATF
147 III 78, 80 consid. 6.5; 136 III 94, 95 consid. 4.1). Cette disposition ne distingue pas les différents types de prétentions que pourrait faire valoir le travailleur sur la base de son contrat de travail et vise, comme dans sa version d'origine, à favoriser la liquidation rapide des créances en rémunération des affaires courantes (ATF
147 III 78, 81 consid. 6.5-6.6 et les références citées).

5.4 Selon l'art. 2 CC, chacun est tenu d'exercer ses droits et d'exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi (al. 1). L'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi (al. 2).

L'existence d'un abus de droit se détermine selon les circonstances concrètes du cas, en s'inspirant des diverses catégories mises en évidence par la jurisprudence et la doctrine (ATF 138 III 425, 431 consid. 5.2; 135 III 162, 169 consid. 3.3.1;
129 III 493, 497 consid. 5.1). L'emploi dans le texte légal du qualificatif "manifeste" démontre que l'abus de droit ne doit être admis qu'avec restriction (ATF 143 III 279, 281 consid. 3.1 ; 139 III 24, 27 consid. 3.3; 135 III 162, 169 consid. 3.3.1). Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF 143 III 279, 281 consid. 3.1 ; 140 III 583, 589 consid. 3.2.4; voir aussi ATF
145 III 351, 357 consid. 3.2.1). La règle prohibant l'abus de droit permet au juge de corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste (ATF 143 III 279, 281 consid. 3.1 ; 135 III 162, 169 consid. 3.3.1; 134 III 52, 59 consid. 2.1 ; CAPH/9/2020 du 13 janvier 2020 consid. 2.1.3).

5.5 Selon l'art. 8 CC, chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit. En l'absence de disposition spéciale contraire, l'art. 8 CC répartit le fardeau de la preuve et détermine quelle partie doit assumer les conséquences de l'échec de la preuve (ATF 129 III 18, 24 consid. 2.6). S'il convient en principe de rapporter la preuve stricte d'un allégué, la certitude absolue n'est pas requise; de légers doutes peuvent subsister (cf. ATF 130 III 321, 324 consid. 3.2; cf. ATF 141 III 569, 573 consid. 2.2.1).

6.             L'appelante conteste devoir des arriérés de salaire pour 8'958 fr 25.

6.1 Les règles d’interprétation des contrats, de compensation et de prescription ont déjà été présentées ci-dessus.

6.2 L’appelante affirme avoir payé 20'000 fr à l’intimé qui n’aurait à aucun moment soutenu ou démontré qu’un solde d’arriéré de salaire supplémentaire aurait existé. Le paiement de 20'000 fr serait ainsi intervenu pour solde des comptes au titre des arriérés de salaire à la date de l’accord. Tant une interprétation subjective qu’objective aurait dû conduire le Tribunal à admettre que le paiement de 20'000 fr. devait éteindre le principe de la dette de salaire à la date de l’accord. De plus, le Tribunal n’avait pas tenu compte du fait que l’intimé avait en réalité reçu 12'684 fr 80 en trop. En outre, l’intimé n’avait initié des poursuites que le 22 mai 2019 et les prétendus autres arriérés de salaire ne faisaient pas partie des réquisitions de poursuite. Il y avait donc eu constatation inexacte des faits et mauvaise application du droit.

6.3 L’intimé a expliqué que le solde de compte comprenait les 13'500 fr de bonus initial. Le prétendu trop-perçu de 12'684 fr 80 allégué par l’appelante n’avait pas été prouvé.

6.4 L’appelante reproche à l’intimé d’avoir déclaré en audience que l’accord du 19 septembre 2018 représentait un solde de tout compte. L’intimé, après avoir déclaré en audience que l’accord était pour solde de tout compte, a expliqué que cela signifiait pour lui « 13'500 fr de bonus initial plus les salaires ». Contrairement à ce que l’appelante semble déduire de la notion de solde de tout compte, son utilisation en audience (et non pas dans le texte de la convention) par l’intimé ne doit pas recevoir une interprétation extensive. L’argumentation de l’appelante consiste à dire que le premier tiret de l’accord prévoyait un paiement de 20'000 fr et qu’un tel paiement a été effectué ; elle oublie cependant – y compris dans sa réplique (où elle se réfère à l’intention claire et mutuelle des parties) – que le texte de l’accord négocié par les avocats mentionnait expressément qu’ils procéderaient à un « décompte définitif de ces arriérés nets dès que possible » et que l’annexe initiale se référait déjà 21'770 fr 40 (car une déduction de 2'000 fr avait alors été retenue; dans les décomptes ultérieures, cette déduction de 2'000 fr a été apportée à la somme de 13'500 fr) de capital et 5'179 fr 50 d’intérêts. Les chiffres figurant dans le décompte suivant (pièce 14, citée à l’allégué 33 de la demande du 9 juillet 2020) ne sont donc pas très éloignés de ceux du décompte initial.

Le montant de 8'958 fr 25 (23'770 fr 40 de capital + 5'187 fr 85 d’intérêts – 20'000 fr de montant payé) net avec intérêts à 3% dès le 31 août 2018 retenu par le Tribunal n’est donc pas sujet à critique, dès lors qu’il fait partie des 20'000 fr et du « solde » que l’intimé pouvait réclamer selon le 1er tiret de l’accord du 19 septembre 2018.

L’appelante ne peut donc rien déduire des mots « solde de tout compte » prononcés par l’intimé en audience au début de son audition. D’une part, il a précisé que cela visait le bonus initial « plus les salaires », c’est-à-dire ce qui était visé par les 20'000 fr et le solde. D’autre part, le texte même de l’accord ne prévoit pas que les 20'000 fr seraient pour solde de tout compte pour les arriérés de salaire.

La nécessité de procéder à des vérifications et des validations résulte aussi du fait que les bulletins de salaire étaient erronés et le sont même restés pendant une partie de la procédure de première instance. Contrairement à ce qu’affirme l’appelante, le Tribunal a au contraire traité longuement des mots « solde de tout compte » prononcés par l’intimé. L’audition de B______ était une mesure d’administration des preuves portant sur les faits pertinents et contestés (art. 150 al. 1 CPC) de la procédure et non pas un allégué supplémentaire ou nouveau d’une partie. Il n’y a donc aucune raison de donner tant d’importance à ces quatre mots qui ne figuraient pas dans l’accord de septembre 2018 et l’interprétation détaillée par le Tribunal ne suscite aucune critique.

L’appelante fait encore valoir – sans cependant formuler de conclusion explicite et formelle à ce sujet – qu’elle aurait payé à tort 12'684 fr 80. Sa pièce 21bis produite le 14 mai 2021 (délai dans lequel elle devait produire ses bilans et des fiches de salaire) est une pièce non requise par le Tribunal et qui n’a fait l’objet d’aucun allégué. Elle a été implicitement expliquée lors des débats principaux du 25 mai 2021, puisqu’il y a été dit que certaines déductions n’avaient pas été effectuées correctement. Lors de cette audience, il n’y a pas non plus eu de modification des conclusions. Sur un plan formel, à supposer qu’il s’agisse d’une question soumise à la compétence de la juridiction des prud’hommes, ce sous-grief – qui aurait dû respecter les exigences d’un allégué de fait (art. 229 CPC ; art. 317, al. 1 CPC) et d’une modification des conclusions (art. 230 CPC ; art. 317, al. 2 CPC) – n’est pas recevable. Sur un plan matériel, la Cour de céans n’est pas compétente pour traiter d’éventuelles erreurs liées à des cotisations LPP (cf appel §14 et réplique p. 3).

L’appelante explique encore que ces arriérés de salaire n’ont pas fait l’objet des poursuites. Il est exact que le montant de 8'958 fr 25 n’a pas fait l’objet des deux poursuites 2______ et 1______. Cela ne suffit cependant pas à considérer que le montant n’aurait pas été dû.

L’appelante fait encore valoir que le montant serait prescrit, sans en préciser quelles seraient les périodes concernées. Or, l’accord du 19 septembre 2018 emportait novation sur les prétentions ouvertes. La prescription quinquennale de l’art. 128, ch. 3 CO n’était donc pas acquise au moment du dépôt de la demande en paiement, le 9 juillet 2020.

Les critiques de l’appelante doivent donc être écartées.

7.             L'appelante conteste les arriérés de prime initiale (11'500 fr) et de primes de rattrapage conditionnelle (10'000 fr).

7.1 Les règles d’interprétation des contrats ont déjà été présentées ci-dessus.

7.2 L’appelante critique les primes de rattrapage conditionnelle (10'000 fr) et les arriérés de prime initiale (11'500 fr). Elle considère que les primes d’ancienneté étaient conditionnelles, car les montant effectivement payables chaque année auraient dû être établis chaque année et documentés ; l’accord du 19 septembre 2018 réservait les « décomptes », qui n’avaient pas été effectués par les parties. L’intimé lui-même avait admis en audience que sa valeur sur le marché n’avait jamais été définie. La prime de rattrapage de 10'000 fr était donc conditionnelle, les conditions n’ayant pas été remplies. En tant que de besoin, l’appelante excipait de compensation.

7.3 L’intimé considère le raisonnement du Tribunal comme juste et complet. L’accord litigieux avait été largement discuté par les conseils des parties et rédigé par les avocats. Le paiement de 11'500 fr n’est pas conditionné à la validation du décompte. Le paiement de 2'000 fr avant l’accord signifiait que la somme de 13'500 fr était due. Le paiement de 10'000 fr n’était pas non plus conditionné à l’établissement d’un décompte.

7.4 Comme le Tribunal l’a établi à juste titre, le texte de l’accord transactionnel écrit du 19 septembre 2018 est clair. Il mentionne le paiement de 11'500 fr brut (avant déductions) et de 10'000 fr net. Il ne contient pas de condition suspensive. L’établissement d’un décompte ou d’autres formalités administratives ne pouvait pas être considéré comme remettant en cause le paiement de 11'500 fr et 10'000 fr. A nouveau, comme le Tribunal l’a retenu, seul un éventuel ajustement de détail était envisageable ; même l’accord mentionnait un « éventuel ajustement / netting » (8ème tiret). De plus, l’accord a été négocié par les parties et doit être interprété selon le principe de la confiance.

L’appelante se réfère à la déclaration de son administrateur en audience, selon laquelle les montants mentionnaient devaient être revérifiés et B______ devait produire le benchmark. On peine à comprendre en quoi un accord transactionnel négocié entre avocat et signé par les parties comprenait des chiffres devant être revérifiés : s’il est envisageable que les déductions sociales soient calculées ou des ajustements mineurs (par exemple pour rectifier des erreurs de calculs ou déterminer les intérêts) effectués, les montants de 11'500 fr et 10'000 figurent explicitement dans l’accord transactionnel, sans qu’une clause suspensive ne remette leur paiement en question.

L’appelante paraît considérer que, comme il n’a pas établi sa valeur sur le marché – ou la valeur de son poste sur le marché – l’intimé n’aurait droit à aucun de ces deux montants. Elle ajoute ainsi des conditions qui ne figurent pas dans le texte écrit de l’accord transactionnel, qui ne se réfère pas à cette analyse de marché ou benchmark cité par son administrateur en audience. Quant à la déclaration de l’intimé en audience, on ne peut pas non plus en déduire qu’il y aurait une condition suspensive supplémentaire implicite par rapport à l’accord écrit. De manière objective, la Cour – qui n’a pas assisté aux audiences – ne peut interpréter le procès-verbal que comme signifiant que les questions relatives au benchmark et à la valeur de l’audience se référaient aux éventuelles démarches de l’une ou l’autre des parties entre la conclusion du contrat de travail et celle de l’accord transactionnel ; ce dernier représente ainsi novation par rapport au contrat de travail s’agissant de ces deux primes. Le Tribunal, qui a conduit les audiences et a ainsi eu une perception immédiate des déclarations des parties (art. 157 CPC et art. 191 CPC), n’a pas eu de perception différente dans son jugement. L'examen par le Tribunal et la Cour concordent ainsi.

Ce grief sera donc écarté.

8.             L'appelante conteste le remboursement des frais d'avocat avant procès de l’intimé (11'195 fr 70).

8.1 Selon la jurisprudence, lorsque le droit de procédure civile permet au plaideur victorieux de se faire dédommager de tous les frais nécessaires et indispensables qu'il a consacrés à un procès, ce droit est seul applicable, et il ne laisse aucune place à une action qui serait fondée sur le droit civil fédéral, séparée ou ultérieure, tendant au remboursement des frais par l'adverse partie. Le dommage sujet à réparation comprend en revanche les frais engagés par le lésé pour la consultation d'un avocat avant l'ouverture du procès civil, lorsque cette consultation était nécessaire et adéquate et que les frais ne sont pas couverts ni présumés couverts par les dépens (ATF 139 III 190, 192-193 consid. 4.2 ; ATF 133 II 361, 363 consid. 4.1).

Une action en dommages-intérêts séparée ou ultérieure est exclue de manière générale pour tous les frais qui s'incorporent aux dépens d'un procès selon l'art. 95 al. 3 CPC. Cela concerne aussi les procédures et les domaines juridiques pour lesquels une règle spécifique fédérale ou cantonale exclut que ces dépens soient taxés et répartis conformément aux art. 105 al. 2 et 106 CPC. En effet, les actions en dommages-intérêts accordées par le droit de la responsabilité civile, notamment par les art. 41 ou 97 CO, ne sont pas disponibles pour éluder les règles spécifiques du droit de procédure civile et procurer au plaideur victorieux, en dépit de ces règles, une réparation que le législateur compétent tient pour inappropriée ou contraire à des intérêts supérieurs. Dans le même sens, un plaideur ne saurait obtenir par une action en dommages-intérêts, non plus, les dépens que le juge du procès s'est abstenu d'allouer en application de l'art. 107 CPC. En revanche, quelles que soient les règles spécifiques en cause, l'art. 115 CPC garantit une réparation au plaideur dont l'adverse partie s'est comportée avec témérité ou mauvaise foi (ATF 139 III 190, 193-194 consid. 4.4).

8.2 L’appelante critique le dommage complémentaire (frais d’avocat) invoqué par l’intimé, car le montant allégué paraissait largement exagéré et visait à contourner la gratuité du litige prud’homal et l’absence de dépens. Elle considérait, dans ses dernières plaidoiries, que l’intimé aurait dû apporter la preuve du travail facturé et payé, preuve qui n’avait pas été fournie. Les honoraires ne comprenaient aucun détail et étaient insuffisants pour établir le travail fourni. Une partie prépondérante des honoraires concernait la négociation et la conclusion de l’accord du 19 septembre 2018, dont il n’y avait aucune raison que l’appelante assume les coûts. Une autre partie des conseils concernait la période postérieure à la résiliation du contrat de travail, de sorte qu’il devait s’agir de l’attitude à adopter par l’intimé à la suite de cette résiliation. Il n’était donc pas possible de vérifier si le travail de l’avocat représentait un dommage complémentaire. Subsidiairement, l’appelante excipait de compensation.

8.3 L’intimé affirme avoir produit la preuve du paiement (pièce 118). La nature de l’activité n’avait pas été contestée avant les plaidoiries finales. C’est en raison du non-paiement des salaires que l’intimé avait dû faire appel à un avocat.

8.4 En l’espèce, comme l’a constaté le Tribunal à juste titre, le montant d’honoraires d’avocat de 11'195 fr 70 est documenté par pièces. Le paiement desdits honoraires est même prouvé par la production de quatre relevés bancaires E______. L’existence d’un dommage ne saurait donc être remise en question ni sur le principe, ni sur son montant.

L’appelante fait cependant valoir deux critiques à ce sujet : d’une part, les frais ne seraient pas détaillés et, d’autre part, ils seraient excessifs. Il est exact que la note d’honoraires no 4______ du 21 septembre 2018 produite en procédure ne comprend pas d’annexe, alors même que cette annexe est réputée exister vu la mention des « honoraires selon annexe » de 6'801 fr 50 sont facturer ; la note d’honoraires no 6______ du 24 mai 2019 comprend une annexe, dont le libellé est caviardé : le trigramme de l’avocate, respectivement une date y figurent. Le soin et la diligence de l’avocat (art. 12, lettre a LLCA) permettent de présumer qu’il s’agit de notes d’honoraires réelles et non fictives ; de plus, la preuve du paiement de ces notes a été apportée en première instance. Il n’y a donc pas de raison de remettre en cause la réalité de ces honoraires. S’agissant de l’absence de détail, le secret professionnel de l’avocat et la stratégie procédurale de l’intimé s’y opposent : le détail des prestations fournies ne saurait être fourni à un tiers ; l’appelante ne saurait avoir accès au nombre de conférences téléphoniques ou de courriers entre l’intimé et son conseil ou le détail des recherches juridiques effectuées.

Le caractère pertinent des prestations résulte tout d’abord de l’intitulé du dossier sur la facture « B______ – Litige de droit du travail » : cela exclut, de bonne foi, des conseils dans d’autres domaines, par exemple en matière matrimoniale ou fiscale. Il résulte ensuite des périodes concernées : du 29 juin 2018 au 21 septembre 2018 pour la première facture, du 22 septembre 2018 au 24 mai 2019 pour la deuxième facture. La demande en paiement a quant à elle été déposée le 9 juillet 2020, soit plus de 13 mois après la dernière facture produite comme dommage supplémentaire.

S’il pourrait, à première lecture, sembler étonnant que des honoraires d’avocat pour des conseils et une transaction pré-judiciaire soient pris en considération dans un dommage judiciaire ultérieur, ce dernier résulte aussi de la mauvaise exécution de l’accord transactionnel préalable. En effet, si l’accord transactionnel préalable avait été correctement et pleinement exécuté, l’intimé n’aurait pas dû faire valoir ce dommage supplémentaire

Enfin, l’appelante émet l’hypothèse qu’une partie des honoraires pourrait concerner la négociation et la conclusion de l’accord amiable du 19 septembre 2018. S’agissant des dates, il est probable que tel a été le cas, d’autant plus que l’une des factures couvre une période prenant fin le 21 septembre 2018, c’est-à-dire le surlendemain de la conclusion de l’accord. Cet accord était toutefois une transaction extrajudiciaire, de sorte que les honoraires y relatifs ne sont pas visés par l’absence de dépens pour la procédure judiciaire prud’homale. Il en est de même lorsque l’appelant envisage que des honoraires auraient pu couvrir des conseils liés à la fin des rapports de travail : il suffira de rappeler ici que la résiliation des rapports de travail par le travailleur (intimé) résulte de l’absence de versement de son salaire par l’employeur (appelant) ; il paraît donc logique et admissible que le travailleur consulte son conseil avant de résilier son contrat.

Par conséquent, le grief relatif à la prise en considération du dommage résultant des frais d’avocat avant procès sera écarté.

9.             L'appelante fait à nouveau valoir ses conclusions reconventionnelles en lien avec la clause de non-concurrence et le paiement de 102'000 fr.

9.1.1 Le travailleur qui a l’exercice des droits civils peut s’engager par écrit envers l’employeur à s’abstenir après la fin du contrat de lui faire concurrence de quelque manière que ce soit, notamment d’exploiter pour son propre compte une entreprise concurrente, d’y travailler ou de s’y intéresser (art. 340, al. 1 CO). La prohibition de faire concurrence n’est valable que si les rapports de travail permettent au travailleur d’avoir connaissance de la clientèle ou de secrets de fabrication ou d’affaires de l’employeur et si l’utilisation de ces renseignements est de nature à causer à l’employeur un préjudice sensible (art. 340, al. 2 CO).

La prohibition doit être limitée convenablement quant au lieu, au temps et au genre d’affaires, de façon à ne pas compromettre l’avenir économique du travailleur contrairement à l’équité; elle ne peut excéder trois ans qu’en cas de circonstances particulières (art. 340a, al. 1 CO). Le juge peut réduire selon sa libre appréciation une prohibition excessive, en tenant compte de toutes les circonstances; il aura égard, d’une manière équitable, à une éventuelle contre-prestation de l’employeur (art. 340a al. 2 CO).

Le travailleur qui enfreint la prohibition de faire concurrence est tenu de réparer le dommage qui en résulte pour l’employeur (art. 340b, al. 1 CO). Il peut, lorsque la contravention est sanctionnée par une peine conventionnelle et sauf accord contraire, se libérer de la prohibition de faire concurrence en payant le montant prévu; toutefois, il est tenu de réparer le dommage qui excéderait ce montant (art. 340b, al. 2 CO). L’employeur peut exiger, s’il s’en est expressément réservé le droit par écrit, outre la peine conventionnelle et les dommages-intérêts supplémentaires éventuels, la cessation de la contravention, lorsque cette mesure est justifiée par l’importance des intérêts lésés ou menacés de l’employeur et par le comportement du travailleur (art. 340b, al. 3 CO).

La prohibition de faire concurrence cesse s’il est établi que l’employeur n’a plus d’intérêt réel à ce qu’elle soit maintenue (art. 340c, al. 1 CO). La prohibition cesse également si l’employeur résilie le contrat sans que le travailleur lui ait donné un motif justifié ou si le travailleur résilie le contrat pour un motif justifié imputable à l’employeur (art. 340c, al. 2 CO). Selon la jurisprudence, est considéré comme un tel motif justifié tout événement imputable à l'autre partie qui, selon des considérations commerciales raisonnables, peut donner une raison suffisante pour une résiliation (ATF 130 III 353, 359 consid. 2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_8/2013 du 2 mai 2013, consid. 6.1).

Les articles 340 à 340c CO constituent des dispositions protectrices du travailleur, considéré comme la partie faible, et destinées à circonscrire les limites de l’atteinte à son avenir économique qui déploierait ses effets postérieurement à la fin des rapports de travail (Wyler Heinzer, Droit du travail, 4ème éd., Berne 2019, p. 906).

Selon la jurisprudence, une clause de prohibition de concurrence, fondée sur la connaissance de la clientèle, ne se justifie que si l'employé, grâce à sa connaissance des clients réguliers et de leurs habitudes, peut facilement leur proposer des prestations analogues à celles de l'employeur et ainsi les détourner de celui-ci. Ce n'est que dans une situation de ce genre que, selon les termes de l'art. 340 al. 2 CO, le fait d'avoir connaissance de la clientèle est de nature, par l'utilisation de ce renseignement, à causer à l'employeur un préjudice sensible. Il apparaît en effet légitime que l'employeur puisse dans une certaine mesure se protéger, par une clause de prohibition de concurrence, contre le risque que le travailleur détourne à son profit les efforts de prospection effectués par le premier ou pour le compte du premier. La situation se présente différemment lorsque l'employé noue un rapport personnel avec le client en lui fournissant des prestations qui dépendent essentiellement des capacités propres à l'employé. Dans ce cas en effet, le client attache de l'importance à la personne de l'employé dont il apprécie les capacités personnelles et pour qui il éprouve de la confiance et de la sympathie. Une telle situation suppose que le travailleur fournisse une prestation qui se caractérise surtout par ses capacités personnelles, de telle sorte que le client attache plus d'importance aux capacités personnelles de l'employé qu'à l'identité de l'employeur. Si, dans une telle situation, le client se détourne de l'employeur pour suivre l'employé, ce préjudice pour l'employeur résulte des capacités personnelles de l'employé et non pas simplement du fait que celui-ci a eu connaissance du nom des clients. Pour admettre une telle situation - qui exclut la clause de prohibition de concurrence -, il faut que l'employé fournisse au client une prestation qui se caractérise par une forte composante personnelle (ATF 138 III 67, 71 consid. 2.2.1).

Il appartient à l’employeur d’apporter la preuve de la violation de l’interdiction de concurrence, du dommage et du lien de causalité entre ceux-ci. Le dommage étant toutefois difficile, voire impossible à prouver, le juge le déterminera en équité (art. 42, al. 2 CO) (Dietschy-Martenet, Commentaire romand CO I, 3ème éd., Bâle 2021, n. 3 ad art. 340b CO).

Pour être qualifiées de secrets d'affaires ou de fabrication, les connaissances acquises par le travailleur doivent toucher à des questions techniques, organisationnelles ou financières, qui sont spécifiques et que l'employeur veut garder secrètes; il ne peut s'agir de connaissances qui peuvent être acquises dans toutes les entreprises de la même branche (ATF 138 III 67, 72 consid. 2.3.2 ; voir aussi : Tercier/Bieri/Carron, Les contrats spéciaux, 5ème éd., Zurich 2016, p. 427, n. 3175 ; Wyler/Heinzer, 2019, p. 911).

Par secret d’affaires, il faut entendre les connaissances spécifiques que l’employeur veut tenir secrètes et qui touchent à des questions techniques, organisationnelles ou financières. Le secret de fabrication ou d’affaires doit être propre à l’entreprise de l’employeur, de manière exclusive (Wyler/Heinzer, 2019, p. 912). Ainsi, les connaissances qui peuvent être acquises dans toutes les entreprises de la même branche constituent l’expérience professionnelle du travail et ne sont pas des secrets (Wyler/Heinzer, 2019, p. 912 ; Witzig, Droit du travail, 2018, p. 345, n 1003).

9.1.2 Conformément à l'art. 316 al. 3 CPC, l'instance d'appel peut librement décider d'administrer des preuves: elle peut ainsi ordonner que des preuves administrées en première instance le soient à nouveau devant elle, faire administrer des preuves écartées par le tribunal de première instance ou encore décider l'administration de toutes autres preuves. Cette disposition ne confère toutefois pas à l'appelant un droit à la réouverture de la procédure probatoire et à l'administration de preuves. Le droit à la preuve, comme le droit à la contre-preuve, découlent de l'art. 8 CC ou, dans certains cas, de l'art. 29 al. 2 Cst., dispositions qui n'excluent pas l'appréciation anticipée des preuves (ATF 143 III 297, 332 consid. 9.3.2 ; ATF 138 III 374, 376 consid. 4.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_263/2021 du 21 octobre 2021 consid. 3.1.1). Il s'ensuit que l'autorité d'appel peut rejeter la requête de réouverture de la procédure probatoire et d'administration d'un moyen de preuve déterminé présentée par l'appelant si elle ne porte pas sur un fait pertinent pour l'appréciation juridique de la cause (ATF 144 III 394, 397 consid. 4.1.3 ; ATF 133 III 189, 196 consid. 5.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_983/2019 du 13 novembre 2020 consid. 6.1).

9.2 L’appelante, après avoir renvoyé aux articles 5b, 5d, 7a, 7b et 8b, rappelle la teneur de l’article 9 du contrat de travail selon lequel la violation des clauses de propriété intellectuelle, de confidentialité et de prohibition de concurrence est passible d’une pénale dont le montant sera égal à douze salaires mensuels. Elle considère que ce n’est pas le langage informatique C# qui est en cause, mais la façon dont ce langage a été mis en œuvre au sein de A______ SA et le résultat du point de vue de l’architecture et de l’organisation technique et fonctionnelle du logiciel. Le nouvel employeur de l’intimé est un concurrent de l’appelante, car toute l’activité financière est la même ; l’intimé a occulté pendant de nombreux mois l’identité de son nouvel employeur et n’a pas averti ce dernier des clauses de non-concurrence ; l’intimé avait aussi admis qu’il était possible qu’il ait à développer de nouvelles fonctionnalités du langage informatique C#. Enfin, l’appelante critique le refus de l’expertise judiciaire par le Tribunal ; si la Cour ne devait pas faire droit aux prétentions reconventionnelles, il faudrait alors automatiquement ordonner une expertise ou renvoyer la cause au Tribunal pour qu’elle soit ordonnée.

9.3 L’intimé considère que l’appelante n’a jamais allégué un fait concret de violation contractuelle, ni même avoir subi un dommage en lien avec la prétendue violation des obligations de confidentialité ou de propriété intellectuelle.

9.4 En premier lieu, l’appelante cite de manière globale les articles 5b, 5d, 7a, 7b, 8b et 9 du contrat, sans expliquer si elle critique spécifiquement l'examen par le Tribunal de la violation de droits de propriété intellectuelle (art. 5), du devoir de confidentialité (art. 7) ou de prohibition de concurrence (art. 8) ; la propriété intellectuelle est toutefois mentionnée au §75 de l’appel.

L’appelante ne reproche pas à l’intimé d’avoir volé sa clientèle ; en substance, elle concentre son grief sur un prétendu « secret de fabrication ». A ce sujet, elle n’arrive pas à remettre en cause de manière convaincante l’appréciation des preuves réalisée par le Tribunal selon laquelle l’appelante n’était pas titulaire de secrets de fabrication à caractère technique protégé. Elle tente de faire une différence entre le logiciel M______ et le langage informatique, le premier étant – selon elle – protégé, et le second ne l’étant pas. L’appelante ne peut simultanément reprocher à l’intimé d’avoir exercé chez elle son premier emploi (appel p. 4, §1) et donc implicitement d’avoir des connaissances techniques limitées, puis d’avoir utilisé ultérieurement l’architecture du produit développé chez l’appelante et ainsi de lui porter préjudice. En réalité, l’appelante reproche à l’intimé d’avoir acquis de l’expérience (car elle n’allègue pas que l’intimé aurait emporté des documents et/ou des logiciels) chez elle, élément qui n’est pas protégé par la clause de secret. La vision extensive du secret envisagée par l’appelante empêcherait en réalité l’intimé d’exercer toute activité future dans le domaine de l’informatique, ce qui n’est pas le but des art. 340ss CO.

Le nouvel employeur de l’intimé exerce son activité depuis de nombreuses années et n’a donc pas attendu l’engagement de l’intimé pour, le cas échéant, développer de nouveaux logiciels. De plus, il ressort de l’administration des preuves effectuée par le Tribunal, qu’aucun grief de l’appel ne permet de remettre en cause, que les activités de l’intimé ne sont pas identiques dans son ancienne et son actuelle fonction. Aucun élément factuel de la procédure de première instance ne permet de conclure que l’activité de l’intimé utiliserait des secrets de fabrication résultant de son ancienne activité. L’appelante n’a d’ailleurs pas remis en cause que le fardeau de la preuve lui incombait à ce sujet, comme le Tribunal l’avait constaté ; ceci étant posé, elle n’a pas non plus prouvé une violation des clauses contractuelles en matière de propriété intellectuelle, de confidentialité ou de prohibition de concurrence. L’appelante a uniquement insisté sur la nécessité d’effectuer une expertise. L’administration des preuves porte sur les faits pertinents et contestés (art. 150, al. 1 CPC) : il en est de même s’agissant d’une expertise, qui doit servir à prouver un fait allégué et non pas à rechercher une information. La formulation d’une requête de preuve ne permet donc pas à l’appelante de prouver la violation par l’intimé de ses obligations contractuelles.

De plus, et même si la preuve du dommage est difficile dans ce domaine, aucun dommage concret n’a même été allégué (cf art. 340b, al. 1 CO). Le simple fait que l’intimé n’ait pas voulu (immédiatement) révéler le nom de son nouvel employeur ne suffit pas non plus pour réaliser la violation de la clause contractuelle litigieuse. Les craintes de l’administrateur de l’appelante sur l’éventuelle concurrence par le nouvel employeur de l’intimé ne reposent pas sur un élément concret : aucun témoin, aucune pièce ne démontre que l’un aurait perdu des clients en faveur de l’autre, aurait tenté de démarcher un tel client ou aurait tenté d’améliorer ses prestations depuis les éventuelles nouvelles connaissances apportées par l’intimé.

Enfin, à supposer qu’elle ait une quelconque portée, la prohibition de concurrence aurait cessé dès lors que le travailleur (intimé) avait résilié le contrat pour un motif justifié imputable à l’employeur (appelant) (art. 340c, al. 2 in fine CO) : il a en effet résilié son contrat en raison de retard dans le paiement de son salaire.

Ce qui précède confirme que la réalisation d’une expertise (art. 183 CO) n’est pas nécessaire, car la preuve a pour objet seulement les faits pertinents et contestés (art. 150, al. 1 CO) ; le Tribunal – tout comme la Cour maintenant – pouvait donc écarter cette offre de preuve en procédant à une appréciation anticipée des preuve (cf art. 152, 155 et 157 CPC). En l’espèce, la comparaison du résultat du travail de développement informatique effectué par l’intimé en lien avec le ou les logiciels de son nouvel employeur et les caractéristiques et l’architecture du logiciel M______ de l’appelante n’est pas un fait pertinent pour traiter des prétentions reconventionnelles de l’appelante.

Toutes ces raisons, alternatives, confirment que la solution choisie par le Tribunal respecte le droit. L’appelante n’est donc pas fondée à réclamer le paiement par l’intimé de 102'000 fr.

Ce grief doit donc également être écarté.

10.         Il faut encore statuer sur les frais judiciaires et l’absence de dépens.

10.1 Selon l’art. 19 al. 3 let. c LaCC et l’art. 71 RTFMC, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 50'000 fr. devant la Cour de justice, la procédure est onéreuse. Pour une valeur litigieuse de 100'001 fr. à 300'000 fr., comme dans la présente cause (art. 91, al. 1, art. 93, al. 1 et art. 94, al. 2 CPC), l'émolument est de 1'000 fr. à 3'000 fr.

Les frais sont mis à la charge de la partie qui succombe ou sont partagés proportionnellement si aucune partie n’obtient entièrement gain de cause (art. 106 CPC). Toutefois, lorsque les circonstances le justifient, le tribunal peut s’écarter de la règle de l’article 106 CPC et répartir les frais équitablement (art. 107 al. 1 CPC).

En l’espèce, l'appelante, qui a versé une avance de frais de 1'600 fr., réclame la condamnation de l’intimé aux « frais judiciaires ». Elle succombe cependant sur tous les points de son appel, à l’exception de la rectification de l’erreur de plume du Tribunal liée au calcul de l’indemnité de vacances ; cette erreur de plume ne saurait être mise à charge l’intimé, qui a formulé ses conclusions de manière correcte. Tous les frais judiciaires seront donc mis à charge de l’appelante. Les frais judiciaire d’appel sont fixés à 1'600 fr, montant qui correspond à celui de l’avance de frais.

10.2 Selon l’art. 22, al. 2 LaCC, il n’est pas alloué de dépens ni d’indemnité pour la représentation en justice dans les causes soumises à la juridiction des prud’hommes.

En l’espèce, l'appelante réclame la condamnation de l’intimé aux dépens ; cela n’est cependant pas prévu par la loi. Aucun dépens ne sera donc alloué.

 

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4 :


A la forme
:

Déclare recevable l’appel formé le 24 septembre 2021 par A______ SA contre le jugement JTPH/313/2021 rendu le 24 août 2021 par le Tribunal des prud’hommes dans la cause C/26041/2019-4.

Au fond :

Annule le chiffre 5 du jugement.

Cela fait, statuant à nouveau :

Condamne A______ SA à payer à B______ la somme brute de 1'414 fr. 70 (mille quatre cent quatorze francs et septante centimes) avec intérêts moratoires à 5% dès le 1er février 2019.

Au surplus, confirme le jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d’appel à 1'600 fr, les met à la charge de A______ SA et les compense avec l’avance de frais fournie par celle-ci, laquelle demeure acquise à l’Etat.

Dit qu’il n’est pas alloué de dépens d’appel.

Siégeant :

Monsieur David HOFMANN, président; Madame Nadia FAVRE; juge employeur; Madame Ana ROUX, juge salariée; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.